Elles nous racontent leur Japon #23 – Sandrine Chabre
Sandrine Chabre est historienne, elle aime raconter la vie de gens perdus dans l’histoire.
Il y a cinq ans, elle est partie sur les traces de Léon Dury, natif de son village provençal et pionnier dans les échanges entre la France et le Japon au dix-neuvième siècle. Tombée en amour pour le personnage, elle partage dans son dernier livre l’incroyable destin de cet homme oublié par la France.
Rencontre avec une grande curieuse, impatiente de s’envoler à son tour vers le pays du soleil levant.
Sophie Lavaur : Bonjour Sandrine, qu’auriez-vous envie de nous dire sur vous ?
Sandrine Chabre : je suis historienne et historienne de l’art. Je vis en Provence à la campagne, dans un endroit idyllique où je peux travailler tranquillement et librement.
Je suis très ancrée dans mon territoire, je l’aime tant que je lui dédie la plupart de mes recherches. Je travaille pour des collectivités territoriales ou des associations, sur des thématiques et des époques très variées. Je donne aussi des conférences car j’aime rendre l’histoire et l’art accessibles à tous. Je pense qu’il y a toujours moyen de faire découvrir des choses, d’éveiller l’intérêt des gens pour des grands personnages comme pour l’histoire de la maison au coin de leur rue.
Pourquoi le Japon ?
J’ai toujours aimé la culture japonaise, sans m’y intéresser plus que cela.
J’ai plongé dedans à travers les yeux et l’histoire de Léon Dury à qui j’ai consacré une grande partie de mon temps ces cinq dernières années. En faisant des recherches sur son parcours, j’ai été contaminée par sa fascination pour le Japon.
Touchée par cette passion si profonde, j’ai voulu comprendre, j’ai eu envie de creuser, et cette passion a commencé à m’imprégner. J’ai aujourd’hui un grand intérêt pour le Japon d’avant et de facto pour le Japon d’aujourd’hui, tant et si bien que dès que je vois quelque chose sur le sujet, je suis attirée.
Alors justement, qui était Léon Dury ?
C’était un homme audacieux et inspirant, parti au Japon au dix-neuvième siècle alors que rien ne le prédestinait à cela. Il était issu d’une famille modeste et avait grandi dans un petit village au fin fond de la Provence.
Passionné par le Japon, il s’était donné pour mission de faire connaître sa culture en France et vice versa afin d’améliorer la compréhension mutuelle entre les deux nations. Il n’a jamais renoncé à cet objectif, malgré les guerres, les épidémies et les attaques de samouraïs !
Médecin, il était parti à Nagasaki pour fonder un hôpital. Et il est tombé amoureux du pays, au point de lui dédier sa vie. Son projet d’hôpital n’a pas abouti, mais il a voulu rester. Il est devenu diplomate puis a créé une école française à Nagasaki, à Kyoto puis Tokyo avant d’initier des échanges entre étudiants.
Avec l’assentiment du gouverneur de Kyoto, il est rentré en France en 1878, amenant avec lui huit élèves Japonais. Il faut imaginer ces jeunes, âgés de quatorze à dix-huit ans, traverser la moitié de la planète pour découvrir la France et y étudier quelques années. Léon Dury n’est jamais reparti au Japon mais il a continué à accueillir des étudiants japonais chez lui jusqu’à sa mort en 1891.
À son retour, il a été nommé consul honoraire du Japon en France, il s’est installé à Marseille. Il donnait des conférences et des réceptions, pour permettre à ses élèves de rencontrer des industriels français désireux de faire affaire avec le Japon. Il a aussi accompagné la délégation japonaise lors de l’exposition universelle de Paris en 1867. Jusqu’à son dernier souffle, il a eu le Japon en tête.
Reconnaissants, les Japonais ont érigé un monument à Kyoto en sa mémoire, huit ans après son décès et vingt ans après son départ du pays. Lors de l’inauguration, une foule considérable est venue lui rendre hommage alors qu’une génération était déjà passée.
Même aujourd’hui, il est dans les esprits des jeunes Japonais qui étudient le français, pour preuve le témoignage que j’ai eu récemment d’une étudiante japonaise qui avait entendu parler de lui.
Léon Dury était marié à une Alsacienne, rencontrée au Japon. Ni lui, ni ses frères et sœurs n’ont eu de descendance, il n’y a pas eu de succession, personne pour transmettre sa mémoire, contrairement à d’autres illustres personnages comme Léonce Verny ou Jules Brunet.
En France, il reste une chapelle funéraire à son nom au cimetière de Lambesc, financée par le Japon. Personne n’y fait attention. Il a été oublié, sauf par quelques familles du village.
Pourquoi vous être intéressée à lui ?
En 2016, j’ai été sollicitée pour donner une conférence sur Léon Dury, dans le cadre des journées du patrimoine. Ayant toujours été intéressée par les personnages oubliés de l’histoire, l’idée m’a plu, d’autant qu’il était natif de Lambesc, le village où j’ai grandi et où je vis aujourd’hui.
Découvrant au jour le jour son incroyable parcours, j’ai retracé son histoire et je n’ai pas pu m’arrêter. Cet homme a eu plusieurs vies en une, il a impacté son époque et l’histoire des relations entre la France et le Japon, et pourtant on ne le connaît pas.
J’ai fait une véritable enquête et j’ai été amenée à m’intéresser à beaucoup de sujets : la poterie, l’industrialisation de ces deux pays, les conditions de voyage, la vie politique et les évènements économiques du dix-neuvième siècle… pour avoir une vision globale du Japon à cette époque.
À ma première conférence, il y avait beaucoup de monde de Lambesc, notamment un monsieur dont le grand-père avait connu des étudiants de Léon Dury. Il m’a partagé tout un tas d’anecdotes racontées par son aïeul et il m’a suggéré d’écrire un livre.
J’ai trouvé fascinant que des gens puissent avoir encore des souvenirs de cet homme.
L’idée du livre a fait son chemin. 2022 étant le bicentenaire de sa naissance, c’était l’occasion d’arrêter mes recherches et de lui rendre hommage.
Comment avez-vous procédé pour retracer sa vie ?
Au départ, j’avais quelques éléments et des résumés rédigés par l’association Les amis du vieux Lambesc. J’ai commencé par de la bibliographie, Léon Dury était souvent cité mais je ne trouvais jamais d’explications sur lui, sur ce qu’il avait pu faire, juste des bribes assez embrouillées. Cela a été un long et gros travail de reconstitution, pour recouper les éléments relatifs à ses activités de médecin, de diplomate et d’enseignant.
Après je suis allée chercher dans les archives des sources de première main, d’abord aux archives municipales de Lambesc, puis aux départementales à Marseille, aux diplomatiques à Paris et aux archives militaires de Toulon.
C’est comme une enquête policière, il faut remonter le fil de chaque petit indice. En général, à chaque fois qu’on trouve une réponse, il y a plein de nouvelles questions qui surgissent. Ainsi, j’ai pu retracer son emploi du temps, à travers les personnes qu’il avait rencontrées et fréquentées.
J’ai cherché dans des témoignages et des correspondances privées, celles d’Emile Guimet, de prêtres missionnaires au Japon, dans les rapports officiels. J’ai trouvé tout un tas d’éléments que j’ai recoupés pour reconstituer le fil de sa vie.
Léon Dury a passé dix sept années au Japon, c’est beaucoup pour l’époque. Son parcours de vie est incroyable mais aujourd’hui, il n’est connu qu’au Japon et que comme enseignant de français.
J’ai essayé de retranscrire son quotidien et celui de son époque, pour que le lecteur apprenne quelque chose et trouve du plaisir, d’aller au-delà du simple exercice bibliographique. Il est vrai que la vie de Léon Dury a été si fabuleuse que je n’ai rien eu à rajouter de romanesque pour la rendre passionnante.
La part de Japon dans votre quotidien ?
Cela reste beaucoup Léon Dury même s’il y avait déjà un peu de Japon dans ma vie, notamment de la bande dessinée que toute ma famille aime. Aujourd’hui, il n’y a pas plus de Japon qu’avant, juste plus de Léon !
Un secret à partager sur le livre ?
Un secret, non, mais j’ai une anecdote. Une semaine avant le bouclage du manuscrit, une amie m’a informée que son père, en travaillant sur son arbre généalogique, venait de découvrir des papiers sur Léon Dury et une médaille gravée à son nom.
Pressée par le délai, j’ai voulu aller le voir sur le champ, sauf qu’il avait la Covid. J’y suis quand même allée, en prenant toutes les précautions.
Il m’a montré tous les documents dont la médaille, que Léon Dury avait reçue pendant l’épidémie de choléra. Il y avait également un jeu d’échecs japonais, cadeau d’un de ses élèves, de l’encre de Chine, des boîtes datées et les cartons d’invitation à des soirées parisiennes.
En fait, son grand-père avait connu Léon Dury et il avait hérité de ces objets. Il faut savoir qu’à la mort de la sœur de Léon, comme il n’y avait pas de descendance, ses biens ont été dispersés auprès de ses connaissances. Ces objets font partie de l’histoire de ces familles et elles y sont très attachées.
Les jours suivants, j’ai travaillé jours et nuits pour compléter le passage à Paris de Léon. Dans mon livre, il y a donc un chapitre entièrement ré-écrit la semaine avant l’impression, dans la panique.
Autre anecdote : j’ai envoyé mon livre au consulat de France à Kyoto. À ma grande surprise, j’ai vu passer un tweet avec une photo où il était posé sur le monument dédié à Léon. Cela m’a touchée, comme si Léon était de retour à la maison.
Votre livre ou auteur préféré sur le Japon ?
Ces derniers temps, j’ai lu énormément d‘ouvrages d’histoire sur le Japon, plutôt des auteurs français, je pense par exemple à Patrick Beillevaire ou à Christian Galan qui ont beaucoup travaillé sur le Japon de cette époque.
Entre mes recherches et l’écriture du livre, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour de la lecture plaisir. J’ai passé mes journées à lire des articles et des coupures de presse sur le Japon du dix-neuvième siècle.
Pourtant, en temps normal je suis une grande lectrice, j’ai une pile de livres qu’il me faudra bien lire un jour.
Qu’avez-vous appris durant cette aventure littéraire ?
Des milliers de choses au-delà de l’histoire du Japon. Par exemple, la vie des vers à soie, le quotidien d’un étudiant en théologie, le déploiement des militaires pendant la guerre de Crimée, le choléra, comment on arrivait à devenir médecin à cette époque, les expositions universelles…
Quelle est la part de l’écriture dans votre quotidien ?
L’écriture est présente dans ma vie depuis toujours. Gamine déjà, je voulais écrire un roman. J’ai vite réalisé que je n’étais pas douée pour inventer des histoires et que je préférais raconter celles des autres. Une façon d’avoir le plaisir de l’écriture sans la frustration du manque d’imagination.
J’écris beaucoup. Dès qu’un sujet m’intéresse, je pose mes idées. Et puis l’écriture fait partie de mon métier. Pour mes cours et mes conférences, je rédige tout car je veux avant tout raconter des histoires. Je suis d’ailleurs plus une conteuse qu’une conférencière.
Bref, j’écris tout le temps, plus que je ne lis en fait.
Et maintenant ?
J’essaie de faire un sevrage de Japon mais c’est tout relatif. Disons que je fais une pause dans mes recherches pour me concentrer sur l’accompagnement du livre.
Il a été très bien accueilli, notamment par les gens de mon village qui ont été mes premiers lecteurs. Mon objectif était de faire connaître et de partager ma passion pour cet homme, et surtout que les gens en gardent quelque chose. Je crois que c’est réussi.
J’ai déjà en tête mon prochain ouvrage, il ne parlera pas du Japon mais de personnages oubliés comme Léon Dury. Des gens de ma région qui ont œuvré pour changer notre quotidien ou notre façon de voir le monde.
2023 sera l’année de mon pèlerinage sur ses traces au Japon, même si l’objectif premier est de visiter le pays. Je vais enfin pouvoir y aller vu que mon voyage initial avait été annulé pour cause de pandémie. Avec ma famille, nous ferons certainement quelques excursions sur les lieux où il a vécu, mais entre Tokyo, Yokohama, Kyoto et Nagasaki cela fait un vrai périple.
J’aimerais que ce voyage soit de vraies vacances, mais ma passion risque de me rattraper. En témoigne mon dernier séjour à Paris passé aux archives pendant que mon mari visitait des expos.
L’aventure avec Léon n’est pas terminée, je dirais même que l’histoire ne fait que commencer. Des gens viennent me voir, avec d’autres objets et indices, comme la plaque de sa maison trouvée dans un champ ou la photo d’un dictionnaire allemand-français-japonais qui lui a peut-être appartenu. Ses élèves japonais sont tous fascinants, il y a beaucoup à raconter sur eux.
Enfin, je prendrai les choses comme elles viendront, je ne m’interdis rien mais je ne m’impose rien non plus.
J’ai envie de vous laisser le mot de la fin….
Je suis capable de parler de Léon Dury pendant des jours donc pour aujourd’hui, je pense que nous avons fait le tour. Il vous reste peut-être à lire mon livre !
Merci Sandrine d’avoir remis en lumière ce personnage hors du commun.
Retrouvez le livre de Sandrine Chabre Léon Dury, il aima le Japon et le fit aimer paru aux éditions Le pressoir malicieux sur son site sandrine-chabre.com.
j’ai adoré ce livre sur Léon Dury !!bravo ! énormes recherches qui m’ont passionnées , ma soeur a été contaminée par cette culture ,quand on commence ce livre , on ne peut plus s’arréter !! j’espère bientôt te rencontrer !! continue tes belles recherches , je suis fière de t’avoir eue comme élève !! je t’embrasse !! Ghislaine