Les contes japonais 1/5 – Le vieillard à qui on a retiré sa bosse

Après les proverbes qui ouvraient une porte d’entrée à la philosophie japonaise, il nous semblait important de plonger plus loin dans l’imaginaire collectif des Japonais, à travers leurs contes.

Fortement influencés par les deux principales religions du pays, le shinto et le bouddhisme, les contes japonais mettent en scènes des personnages dans des situations humoristiques ou étranges face à des monstres où des animaux aux pouvoirs surnaturels. De nombreux contes japonais sont inspirés de pays étrangers, on sait qu’ils viennent pour la majorité des Indes (via la Chine), de la Chine, et aussi du Tibet, de la Birmanie ou de la Corée.

Intéressons-nous en premier à un conte ancien très connu au Japon.

feu de camps dans une forêt
Dessin d’un feu de camps dans une forêt. Crédit : Image de freepik

Résumé : Le vieillard à qui on a retiré sa bosse (kobutori jiisan)


Deux vieillards vivaient dans un village, l’un avait une bosse encombrante sur la joue droite mais ne s’en préoccupait pas et l’autre en avait une sur la joue gauche et était très colérique car sa bosse lui faisait honte.
Un jour, alors que le vieillard nonchalant coupait du bois au fond de la forêt, il fut surpris par une averse, et, inquiet à l’idée d’attraper froid, se réfugia dans la cavité d’un grand arbre où il finit par s’endormir. Il fut réveillé au milieu de la nuit par une musique animée. Le vieil homme se rapprocha du bruit et découvrit des ogres en train de danser. Oubliant sa peur il se mit à danser avec les ogres jusqu’à l’aube. Le chef des ogres arracha sa bosse et promis de la lui rendre s’il revenait danser le lendemain soir. Il rentra au village, rempli de reconnaissance. L’autre vieillard apprit comment il avait perdu sa bosse et il décida lui aussi de tenter sa chance, ayant confiance en ses qualités de danseur. La nuit venue, il alla vers le fond de la forêt et entendit la musique animée des ogres. Il prit son courage à deux mains et commença à danser, chaleureusement accueilli par les ogres mais comme il était effrayé par le visage de ces derniers il ne put danser correctement, et déçu le chef des ogres lui colla la bosse prise à l’autre vieillard sur l’autre joue. Dépité, il revint au village en pleurant.

masque oni rouge
Masque d’Oni rouge. Crédit : Image de inksyndromeartwork sur Freepik

Une origine et une morale particulière

Ce conte populaire provient à l’origine du recueil de contes Uji Shūi Monogatari compilé durant la période Kamakura. Autrefois, nombreux étaient les anciens avec des bosses ou des tumeurs sur le visage, qu’ils ne pouvaient pas faire enlever par chirurgie car ils étaient pauvres. Les Yamabushi (des moines ermites) se rendaient à Enryaku-ji (un monastère à Ōtsu au Japon) et frappaient les villageois avec leur vajra (un objet rituel, en forme de petit sceptre) afin de guérir les maladies. C’était une forme de rituel religieux pour supprimer les bosses.

On peut déduire que la morale du conte est de ne pas envier les autres et on peut voir que les pratiques des Yamabushi ressemblaient fortement à de la magie : ils imitaient la façon dont les divinités descendaient de la montagne pour conjurer le malheur et les gens se rassemblaient pour tenter de guérir leurs maladies grâce aux nouveaux pouvoirs que les Yamabushi avaient acquis en gravissant la montagne.

Parmi eux se trouvait un vieil homme qui avait une tumeur. Un Yamabushi fabriqua un sceau et récita un sort, puis la tumeur fut enlevée sans laisser de trace. Cette histoire a évolué pour devenir l’histoire de Uji Shurei Monogatari qui raconte qu’un vieux bûcheron s’abrita dans une grotte à cause de la pluie et un démon apparut devant un grand arbre. Bien que les démons représentaient les dieux de la montagne, ils avaient parfois les caractéristiques des esprits des morts. Dans les temps anciens, les grottes étaient en effet considérées comme des tombeaux.

tatuette de bouddha avec une bougie
Statuette de Bouddha avec une bougie. Crédit : Image de freepik

Les variantes japonaises et étrangères

On retrouve plusieurs versions du conte dans plusieurs pays, en voici quelques-unes :

Il y a d’abord, au Japon, une autre version du nom de deux bosses (瘤二つ, Kobu futatsu) de Kunio YANAGITA. Le protagoniste dans cette version est un prêtre qui a une tumeur au-dessus de l’œil. Ici, la tumeur a été prise par des tengu (les démons au long nez) et donnée au deuxième prêtre. Le deuxième prêtre a subi par la suite un mauvais sort bien qu’il était un bon danseur.

La version donnée par A. B. MITFORD en 1871 s’appelle Les Elfes et le voisin envieux et met en scène deux hommes avec une bosse sur le front, et le deuxième homme qui dansa avec les elfes gagna une autre bosse sur la sienne. On ne pouvait reprocher au deuxième homme une danse mal exécutée ou qu’il était désagréable, il s’agissait simplement d’une d’erreur d’identité. La version de Mitford se termine également par une morale contre la convoitise.

Il y a une histoire chinoise appellée皐風第六 (konfudairoku) dans le livre philosophique 産語 (sango). Il s’agit d’une réédition d’un classique chinois qui a été perdu avant la dynastie Han, certaines personnes pensant qu’il s’agit de l’origine de ce conte populaire. C’est l’histoire d’un bûcheron qui a une bosse sur la nuque et qui demande à un démon de l’enlever, et d’un villageois qui souffre d’une bosse au cou et qui en reçoit une nouvelle. Cependant, la théorie dominante est que cette histoire tirée du livre Sango (1749) n’est pas un véritable classique, mais une histoire inventée par l’éditeur Dazai SHUNDAI.

Couverture du livre sango
Couverture du livre 産語 (sango)

Tōru TAKAHASHI a traduit une version en coréen en 1910. Ici, le premier vieil homme trompa les gobelins et leur vendit sa bosse, la présentant comme la source de sa belle voix. Le deuxième vieil homme avec une grosseur était également un bon chanteur, mais reçut la grosseur détachée que les gobelins ont découverte inutile.

Charles Wycliffe GOODWIN a remarqué que le conte japonais était étroitement lié au conte irlandais La Légende de Knockgrafton. Il présenta sa découverte en 1875, bien qu’elle ne fût imprimée pour le grand public qu’en 1885. Le conte irlandais fut publié par Thomas Crofton CROKER vers 1825, et Charles Wycliffe GOODWIN remarqua pour la première fois la similitude après avoir lu la brève version du conte japonais de A. B. MITFORD.

Adaptation et références


On a dans le chapitre 1002 du Tome 94 du manga Détective Conan une référence au conte. Une actrice se fait pousser intentionnellement et elle a une bosse qui fait penser au conte dont les versions changent selon les régions.

Couverture du chapitre

On retrouve plusieurs vidéos YouTube qui parlent du conte :

Voici le résumé d’un récit très connu au Japon. Cette histoire japonaise fait partie du folklore du pays et permet de mieux comprendre l’imaginaire collectif des Japonais.

Sources :
http://hukumusume.com/douwa/pc/jap/01/08.htm
Wikipédia Japan
https://en.wikipedia.org/wiki/Kobutori_Jiisan



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