[Interview] Manga Nova : 1 an après, quid de la plateforme gratuite de manga numérique ?

Si on entend régulièrement parler de Mangas Io et que l’arrêt brutal de Piccoma a fait beaucoup de bruit l’an dernier, il y a d’autres plateformes qui continuent de tracer leur chemin. C’est le cas de Manga Nova, lancé le 4 février 2024 par AC Media, la maison mère de Ki-oon et Mana Books, et qui demeure assez peu connue.

Mais c’est quoi Manga Nova, comment ça marche, quel est le modèle économique et quels sont les mangas disponibles ? Nous sommes allés poser toutes ces questions, et bien d’autres, à Valentin Grot, créateur et responsable de la plateforme…

De Valentin Grot à Manga Nova

Bonjour Valentin et merci pour ton temps. Avant de parler de Manga Nova qui vient de fêter ses 1 ans, commençons par toi : quel est ton lien avec le Japon ?

Valentin Grot

Valentin Grot : J’ai baigné dedans depuis tout petit, vers 4-5 ans, via les anime et les mangas. J’ai toujours été fan de la culture japonaise et plus généralement de la culture asiatique. Je n’ai pas encore eu la chance de pouvoir aller sur place mais c’est au planning.

J’ai donc découvert tout ça quand j’ai eu l’âge de pouvoir regarder la télé, de pouvoir tenir un livre dans les mains. Globalement la lecture était plus difficile pour moi, mais lire des mangas était beaucoup plus simple, et je pense qu’il y a pas mal de gens qui sont, ou ont été, dans le même cas. Cela m’a poussé à lire, durant l’adolescence et après, de la littérature plus classique, tout comme maintenant que je lis aussi des webtoon, des manwhas etc. Je me suis diversifié dans les lectures et leurs origines mais je continue de lire pas mal de mangas… Je commence à avoir une belle bibliothèque ! (rires)

Et comment l’aventure Manga Nova a débuté ?

Ahmed (NDLR : Ahmed Agne, directeur des éditions Ki-oon) est venu vers moi il y a environ 2 ans et demi, avec l’idée en tête de faire une plateforme. Il m’a demandé si j’étais capable de lui fournir ça.

Tu travaillais déjà dans ce secteur ?

J’étais à mon compte, je travaillais du webdesign, sur de la gestion d’équipe également.

Il m’a donc demandé si j’étais intéressé et si j’étais capable d’amener tous les éléments nécessaires pour construire un tel projet. En fait, je suis capable de faire du webdesign et je suis chef de projet mais il fallait recruter un développeur, traducteur et lettreur. AC Media (NDLR : l’entreprise qui gère, entre autres, les éditions Ki-oon) souhaitait intégrer en interne les différents métiers pour Manga Nova. Il n’y a que les correcteurs qui sont aujourd’hui des prestataires externes. Tout le reste est en interne.

Nous avons passé une bonne année à développer le projet. Il faut dire que pour la plateforme web, et les applications IOS ou Android nous ne sommes que deux. Il y a Madjid qui s’occupe du développement, des applications et du site internet et moi je me charge de tous les designs. Après il y a toute la partie communication et marketing mais si on parle juste de la plateforme en elle-même nous sommes une équipe assez réduite.

Donc nous avons mis une bonne année pour finaliser le projet et maintenant nous évoluons, tout doucement. Il nous faut en effet comprendre comment les gens utilisent la plateforme, comment ils circulent dessus, comment on les atteint aussi. Parce que construire la plateforme était un défi en soi, avec ses enjeux… mais désormais il faut aller chercher les gens et, ça, c’est un peu plus difficile. Il faut soit les fidéliser, soit aller chercher un pan assez large de personnes qui pourrait être intéressées par la plateforme et qui ne se contentent pas de lire leur titre à droite et à gauche sans se préoccuper de ce qui se fait de nouveau.

Ce sont nos objectifs aujourd’hui, tout en continuant à amener des séries sur la plateforme. 

Logo Manga Nova

Quand Ahmed est venu te voir, comment est-ce qu’il t’a présenté le projet, et qu’est-ce qu’il avait en tête ?

Finalement Manga Nova s’est construit sur une chose assez simple. Il m’a dit : “je souhaite réussir à monter une plateforme de lecture de manga en ligne, mais il faut que tout soit gratuit.” 

Il a ajouté : “le manga numérique en France ne se vend pas, faire des formules payantes, des achats de chapitre, des achats de coins ou peu importe, ça ne marche pas.” Cela a été confirmé par l’effondrement de Piccoma qui, même à coup de millions, n’a pas réussi à tenir la cadence. Ahmed est donc plus parti dans l’idée de se dire que nous allions centrer Manga Nova sur les catalogues de Ki-oon et de Mana Books, mais en rendant absolument tout gratuit. 

Derrière il a fallu trouver un moyen de canaliser un petit peu la lecture des gens, pour éviter un effet glouton où tout le monde vient et lit tous les mangas disponibles d’un coup. Manga Nova n’est pas une plateforme qui a 500 000 séries. Nous y mettons en avant des créations originales, soit qui sont déjà sorties, soit qui vont sortir, et en plus nous proposons du simultrad de manga publiés au Japon et qui peuvent aussi être disponibles sur Manga Plus.

Donc il fallait trouver un moyen de rendre la plateforme intéressante pour nous, intéressante pour les gens évidemment. J’ai “eu l’idée” de gamifier l’utilisation via une monnaie interne au site, les nova, qui permet de débloquer les chapitres. Mais on ne peut pas l’acheter, on ne peut pas sortir la carte pour en avoir. Si l’on veut lire certains chapitres sur la plateforme on peut réaliser des quêtes quotidiennes, hebdomadaires ou événementielles. Là par exemple (interview réalisée le 11/12, NDLR), nous avons fait un jeu memory à Angoulême, et nous allons le sortir sur Manga Nova et les gens pourront jouer avec. 

Ainsi, lorsque les gens sont bloqués sur des chapitres, ils peuvent facilement les débloquer avec ces petits jeux. Ils peuvent aussi gagner des nova en se connectant, en likant un chapitre, en postant un commentaire et bien d’autres petites choses. Plus on utilise l’application, plus elle vous le rend en vous permettant de lire plusieurs chapitres. 

Les retours des utilisateurs pourraient faire évoluer le système, un jour. De mon côté j’essaie toujours de doser un niveau d’investissement acceptable pour le lecteur, dans le sens où une quête journalière va te prendre 30 secondes, même si tu n’a pas envie de lire : tu te connectes, tu mets un like, tu mets un commentaire ou tu partages un chapitre par exemple et ta quête quotidienne est bouclée.

La plateforme Manga Nova
La plateforme Manga Nova

Manga Nova : ligne éditoriale et fonctionnement

J’ai cru comprendre que, dans les objectifs de AC Media, il y avait la gratuité en effet, mais aussi de proposer une alternative au piratage des œuvres, aux scans illégaux. Est-ce que vous en avez parlé aussi ?

Évidemment. Lorsque l’on crée une plateforme en ligne, c’est aussi pour proposer une alternative à la consommation illégale en se mettant sur un pied d’égalité : c’est gratuit sur un site illégal, c’est gratuit chez nous aussi.

C’est vrai que les nova sont parfois nécessaires, mais dans le cas d’une nouvelle série qui arrive sur la plateforme, les chapitres sont gratuits et si la personne lit les chapitres qui sortent au fur et à mesure, ils sont aussi en libre accès, donc il n’y a pas de nova à dépenser afin de pouvoir suivre sa série.

Pour faire simple : sur une série les 3 premiers chapitres et les 3 derniers sortis sont en libre accès, sans avoir besoin de nova. Entre les deux, c’est là qu’il faut débloquer les chapitres avec des nova. Donc si la personne suit la publication hebdomadaire c’est totalement gratuit et le lecteur pourra donc cumuler ses nova pour d’autres séries qui l’intéressent.

J’apporte une précision, car il y a un cas particulier : il est possible qu’une série n’ai que les 3 premiers et les 3 derniers chapitres. Au milieu, les chapitres sont supprimés. Cela fait partie des négociations avec les ayants droits. Dans ce cas là, il faut suivre chaque semaine les chapitres et ne pas trop en louper pour ne pas prendre le risque de passer une fois que le chapitre a été supprimé.

Dans la comparaison avec l’offre illégale, je rajouterai qu’il n’y pas de pub sur votre plateforme.

Exactement, nous avons décidé de tout prendre “à notre charge” et de proposer une lecture la plus confortable possible, avec une plateforme la plus cosy possible. 

De notre côté, cette plateforme permet de mettre énormément de titres en valeur. Il y a des titres déjà porteurs que l’on a ajouté sur Manga Nova au début comme My Hero Academia, Jujutsu Kaisen, Akane banashi, etc.. Ce sont des titres qui nous viennent du Japon et de la Shueisha, donc ils ont eu énormément de publicité à travers les réseaux sociaux, car il y a pas mal de lecteurs qui suivent leur actualité, ou à travers des anime et des choses du genre. 

Mais à côté de ces derniers, nous souhaitons vraiment mettre en avant les créations originales que nous développons avec des auteurs japonais, français ou encore suisses comme Green Mechanic de Yami Shin. Nous avons la possibilité de jouer dessus à travers des événements, ou en mettant en avant des séries qui sont sorties il y a 3, 4, 5 ans ou 10 ans et de dire aux lecteurs : “vous êtes peut-être passés à côté de cette série-là, mais elle est qualitative et mérite d’être essayée.” Il n’y a pas la barrière de l’achat et du coût pour le consommateur. Des lecteurs qui auraient hésité à acheter un premier tome d’une série qui pourrait leur plaire peuvent ici l’essayer gratuitement. Et puis si elle leur plaît, derrière, ils peuvent l’acheter s’ils le souhaitent.

De plus, dans l’offre ludique proposée, il n’y a pas que le système de déblocage des chapitres…

Non en effet, on peut aussi jouer sur la customisation du profil, pour débloquer des cadres d’avatars, mais aussi obtenir des trophées en fonction de ce que tu fais sur la plateforme : des trophées sur le nombre de chapitres lus, sur le fait que tu sois un lecteur de jour ou de nuit, si t’as lu à la Saint Valentin… Bref, il y a tout un tas de petites choses à débloquer et la possibilité de jouer sur la customisation qui marche très bien dans les jeux mobiles ou des jeux à la Call of Duty

De toute façon nous visons un public assez large, de 14 à 60 ans, donc il faut essayer d’en avoir pour tous les goûts. Les lecteurs plus âgés ne s’intéressent pas trop à ce genre de détail, mais ce n’est pas grave car rien ne les y oblige et, pour les plus jeunes, ça fait des choses sympathiques à se mettre sous la dent.

Puisque tu parles de public cible, tu as déjà un peu répondu à ma question : vous visez les 14-60 ans, donc ?

(rires) En disant ça je vise très large, je ne pense pas que nous ayons grand monde entre 50 et 60 ans sur la plateforme. Mais en tout cas les 14-50 ans sans problème, oui.

Et concrètement, est-ce que tu sais quel public vous avez, sur cette première année ?

Alors, oui, même si les chiffres sont malheureusement biaisés parce que, dès que tu refuses les cookies ou que tu as un bloqueur de pub, tu ne rentres plus dans les statistiques. Mais globalement nous sommes sur une majorité de 20-30 ans. Ce qui est normal vu ce que nous proposons.

En parcourant le catalogue de Manga Nova, je suis tombé sur Element Line, la toute première série des éditions Ki-oon. Cela ouvre une piste : ressortir d’anciennes séries, qui étaient en arrêt de commercialisation par exemple, car elles revenaient trop chères à l’éditeur en raison du coût de stockage du format physique…

En effet c’était la toute première création originale, la toute première publication d’ailleurs.

Est-ce que l’on peut imaginer voir d’anciennes séries ressortir de cette façon ?

C’est une piste mais la série est avant tout au catalogue car c’est une création originale et c’est vraiment ce que l’on souhaite mettre en avant. Peu importe l’âge de la série.

Nous avons donc toutes les créations originales ET, en parallèle, toutes nos publications en simultrad comme Akane Banashi, Phantom Busters, Kindergarten Wars, et les titres à fort potentiel, mais nous ne rajoutons pas des séries juste pour dire “venez, nous en avons mis 5 de plus telle semaine”. Rentrer dans une course au nombre n’est pas l’objectif. En un an nous sommes passés de 12 séries à  27 désormais. Je ne sais pas combien nous en aurons l’année prochaine mais nous n‘avons pas vocation à avoir 500 séries à l’heure actuelle.

Pour revenir à ta question, je ne peux pas parler à la place d’Ahmed Agne et je ne suis pas dans sa tête mais il y a cette possibilité, en effet, de mettre à disposition d’anciennes séries qui seraient trop risquées à sortir au format papier, parce qu’elles seraient trop chères à publier en physique… alors qu’en version numérique ça pourrait être intéressant. Que ce soit juste pour permettre aux gens de découvrir la série ou aussi, dans un second temps, de se dire : “tiens elle a bien marché sur Manga Nova, pourquoi pas la ressortir au format papier.

Il y a plein d’options possibles avec une plateforme comme celle-ci. Nous n’existons que depuis un an donc nous n’avons pas encore pu les essayer toutes, mais elles sont sur la table.

Plus globalement, qu’est-ce qui fait que certains mangas arrivent sur Manga Nova et pas d’autres ? Tu disais qu’il s’agit des mangas qui vous tiennent à cœur mais peux-tu préciser un peu ?

Quand je dis qu’il s’agit de créations qui nous tiennent à cœur, je parle des créations originales parce que nous travaillons en direct avec les auteurs, en les accompagnant tout au long du processus. C’est une part importante de Ki-oon depuis plusieurs années (nous avons même un pôle Ki-oon au Japon dont c’est la charge et qui est dirigé par l’éditrice Kim Bedenne) et que nous voulons mettre en avant dans Manga Nova. Malheureusement elles sont parfois noyées dans la masse des sorties et elles ne bénéficient pas de la publicité qu’un manga peut avoir quand il vient du Japon, quand il vient de la Shueisha ou quand il a bénéficié d’une adaptation animée. Les réseaux sociaux font déjà énormément de travail dans ces cas-là. Manga Nova a donc vocation à faire un peu de ce travail-là, mais sur les créations originales.

À cela s’ajoutent aussi nos titres porteurs, ceux sur lesquels nous allons miser comme Phantom Busters, Kindergarten Wars par exemple. Ces titres sont aussi des locomotives qui vont attirer des lecteurs et qui vont permettre à ces derniers de découvrir les créations originales, comme nous avons pu le faire avec My Hero Academia et Jujutsu Kaisen au lancement de Manga Nova.

Éditions Ki-oon

Justement dans les titres les plus lus sur la plateforme : est-ce que ce sont ces titres blockbusters qui cumulent le plus de lectures et est-ce que vous arrivez tout de même à avoir un bon nombre de lecteurs sur les créations originales ?

Ça marche plutôt bien sur les créations originales, après tout est relatif vu que la plateforme a seulement un an, mais ça a permis de soutenir des lancements de nouveautés qui sont des créations originales ou des titres comme Kindergarten Wars. 

Est-ce que les séries Ki-oon et Mana-books sont disponibles en lecture ailleurs sur d’autres plateformes ?

La plupart ne sont que chez Manga Nova. Nous partageons des séries Shueisha comme My Hero Academia, Kindergarten Wars ou Akane Banashi sur Manga Plus, mais la plupart des autres sont des exclusivités. Mangas.io fait partie des partenaires de Ki-oon et je sais qu’ils nous demandent régulièrement plus de séries mais je n’ai pas forcément plus d’informations à ce sujet.

Par exemple Phantom Busters, qui est arrivé chez nous depuis janvier et qui sera en publication mensuelle, est un titre sur lequel on mise beaucoup cette année chez Ki-oon et il sera exclusivement sur Manga Nova en numérique.

D’après toi, est-ce que les titres Ki-oon ou Mana Books de Shueisha pourraient finir exclusivement chez vous, disparaissant ainsi de Manga Plus ? Pour le dire différemment, est-ce qu’ils pourraient  à terme laisser faire les éditeurs locaux où est-ce qu’ils veulent se garder l’opportunité de faire ça eux-mêmes, à la Piccoma ?

Je ne pense pas qu’ils laisseront faire les locaux, le principe de Manga Plus reste qu’ils proposent leur propre plateforme, alimenté par les titres qu’ils produisent au Japon et traduit par les partenaires qu’ils ont dans les différents pays. Je les vois mal se passer de cette opportunité et c’est normal.

La plateforme Manga Plus des éditions Shueisha
La plateforme Manga Plus des éditions Shueisha

Le nombre de séries disponibles commence à être assez développé, comment s’organise la sortie des différents chapitres sur la plateforme, comment tout ça se planifie ?

On disait précédemment que c’est difficile mais aussi important de fidéliser les lecteurs donc j’essaie de faire en sorte que le planning soit simple à comprendre. 

Il y a des séries qui vont paraître mensuellement, d’autres qui sont publiées en hebdomadaires et des séries dont les sorties sont plus aléatoires. Des auteurs comme ceux de Doga ou Dragon Hunt Tribe ne peuvent pas réaliser des chapitres à un rythme stable car ils n’ont pas d’assistants et que nous ne souhaitons pas leur imposer des cadences trop élevées, car le principal pour nous est qu’ils restent aussi en bonne santé ! Si ces auteurs ont des retards, des problèmes de santé ou autre eh bien on décale, même si globalement il y a une moyenne de 1 mois et demi entre chaque sortie actuellement pour ce profil de mangaka.


Et donc, avec tout ça, nous proposons de nouveaux chapitres selon différentes thématiques : le mardi il s’agira de création originale par exemple. Il peut y avoir un mardi sans création originale et un mardi avec deux, mais globalement c’est ça l’idée. 

Le dimanche nous sommes sur les titres de la Shueisha car c’est le jour de sortie du JUMP au Japon (avec le décalage horaire c’est lundi au Japon, mais du coup 16h ou 17h en France suivant l’heure d’été / hiver). On a mis Lili-Men pour pousser un peu la série car elle est très bien et nous avons beaucoup d’attentes, donc en l’adossant à la sortie d’Akane Banashi ça lui permet de gagner en visibilité. Les jeudi et les samedi c’était le jour d’Übel Blatt aussi, par exemple.

En gros chaque jour a un peu son objectif et le but est de créer des habitudes de lecture chez les gens. Nous espérons que les gens vont se dire : “tiens aujourd’hui c’est le jour des créations originales, je vais aller voir ce qu’il y a” ou “aujourd’hui c’est le jour du JUMP, je vais peut-être essayer un autre titre en plus de ce que je lis habituellement.

Créer des habitudes et des rendez-vous donc…

Exactement. Nous essayons de mettre le plus de chances de notre côté.

On lit souvent que le Japon a basculé du papier vers le numérique mais que la France reste très attachée au papier et ne passe pas au numérique. Est-ce que c’est toujours vrai, est-ce que tu sais comment tout cela évolue ?

Actuellement je pense que cela n’a pas vraiment évolué. Le Japon depuis plusieurs années a vu l’offre numérique passer devant le papier, même en termes de chiffre d’affaires. En France, en festival comme au FIBD ou à Japan Expo, lorsque je croise des gens qui ne connaissent pas la plateforme et que je leur demande ce qu’ils en pensent, ils sont contents de pouvoir consommer du numérique mais ils préfèrent acheter du papier. La première question qu’ils posent en général c’est: “est-ce que c’est payant ?” Et si c’est payant ils disent qu’ils ne veulent pas en entendre parler et qu’ils préfèrent acheter leur manga au format papier. Ils vont avoir cet effet collection et le manga va leur appartenir. 

Au FIBD un lecteur nous a expliqué qu’il a acheté des titres pendant deux ans chez Piccoma, qu’il mettait bien 100 euros par mois mais que maintenant il n’a plus du tout accès à ses séries. Les Français ont peur de perdre cette propriété que le papier apporte. Si on veut la vendre ou la prêter c’est beaucoup plus simple au format papier et c’est parfois difficile de pouvoir faire confiance à une plateforme, sur sa capacité à durer dans le temps et ne pas disparaître un beau jour.

Le marché actuel n’a donc pas beaucoup bougé et je pense qu’une plateforme comme Mangas.io lutte sur ce genre de problématique et essaie de convaincre les gens de s’inscrire, de mettre l’équivalent du prix d’un manga par mois dans un abonnement… C’est un sacré challenge. 

Mangas. IO, "le Netflix du manga"
Mangas. IO, « le Netflix du manga »

Nous, même en gratuit, c’est difficile d’aller chercher les gens, mais c’est pour d’autres raisons : nous n’avons pas le même type de catalogue. De toute façon c’est compliqué, quel que soit le cas de figure, d’aller chercher des utilisateurs qui sont ancrés dans d’autres habitudes. Ou alors il faut vraiment faire un énorme buzz.

Comme c’est gratuit, il n’y a aucun risque chez vous de perdre un investissement. C’est juste que, en proposant quelque chose de confortable pour reprendre le mot que tu utilisais tout à l’heure, il faut proposer aux amateurs de lire ce qu’ils aiment, c’est-à-dire des mangas, dans une expérience la plus sympathique possible.

Clairement. La plateforme a été développée pour que ce soit simple d’utilisation, confortable, sans pub, gratuit et s’il y a un souci il y a des gens réactifs qui sont là et à l’écoute. Les lecteurs peuvent nous contacter par mail ou par nos réseaux sociaux, que ce soit pour des recommandations, pour discuter ou, parce que ça peut arriver, pour les aider sur un bug qu’ils rencontreraient. Idem s’ils ont des idées pour améliorer la plateforme ou des retours à nous faire, nous les notons et nous essayons de les mettre en place, dans l’ordre des priorités évidemment. Mais le confort d’utilisation en effet, c’est quelque chose de vraiment central, c’est la priorité de notre côté.

Plus personnellement, il y a aussi l’objectif de « dédiaboliser » le numérique car j’ai remarqué que dans le monde de l’édition beaucoup ont peur de ce format. Pour autant, ceux qui veulent acheter achètent, ceux qui ne voulaient pas ne vont pas le faire. Par contre on peut les amener à prendre conscience de l’importance de soutenir les œuvres qu’ils aiment, soit en achetant, soit en faisant de la publicité via l’offre légale.

En tout cas, le papier et le numérique ne sont pas en conflit. L’un peut porter l’autre et inversement. La sortie d’un tome papier peut pousser les gens à voir l’offre numérique car en général, elle est plus avancée dans sa publication que le papier, tandis que consommer du numérique permet de tester le manga avant de l’acheter si jamais il nous plaît vraiment.

Cette diabolisation n’est pas nouvelle : ce fut le cas quand la presse écrite regardait d’un mauvais œil la presse web dans les années 2000 et 2010, ou quand la presse traditionnelle regarde les influenceurs. Chacun complète l’autre mais ne le fait pas disparaître. Certes ça peut faire diminuer les parts de gâteaux pour chacun, parfois… mais pas toujours parce que ça fait aussi grandir le gâteau dans certains cas. En tout cas, tout ça peut parfaitement coexister au bout d’un certain temps.

De notre côté, nous espérons accélérer le mouvement. C’est à nous de montrer que nous sommes capables de proposer quelque chose, de mettre à disposition de plus en plus de titres et d’expliquer aux gens que le numérique est là. 

On voit bien qu’ailleurs ça marche, comme au Japon par exemple. Bien évidemment la culture n’est pas la même… le tarif non plus aussi. Un manga numérique là-bas ne coûte pas 4 à 5 euros comme sur certaines plateformes en France. Entre 5 euros en numérique et 7 euros en physique le choix est vite fait, autant acheter le format papier !

Si le numérique, à terme, pouvait se pérenniser sous forme de formules d’abonnement ou avec du gratuit comme nous le faisons, ça montrerait aux gens que l’on peut lire ce que l’on a envie sans non plus casser sa tirelire.

Manga Nova : un manga café numérique en devenir

Qu’est-ce qui nous attend sur Nova en 2025 et qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter d’ici que vous souffliez la seconde bougie ?

Cette année proposera de nouveaux challenges, de nouvelles séries et de nouveaux évènements ! On a hâte de pouvoir en dire plus et de continuer à faire évoluer Manga Nova avec les lecteurs. C’est grâce à eux, que petit à petit, on pourra construire une vraie communauté autour des séries déjà publiées mais aussi toutes les prochaines.

Les dernières actualités de Manga Nova
Les dernières actualités de Manga Nova

La plateforme a un an, environ, quel est le bilan globalement ?

Globalement c’est un bon bilan. Nova a très bien avancé en un an. Après il y a toujours énormément de travail à faire. Je suis un éternel insatisfait de toute façon, donc à partir du moment où le design de Nova était bouclé j’avais déjà envie de le changer (rires).

La prochaine étape va être de continuer à amener les gens, de continuer de créer des événements, publier des nouvelles séries et leur donner à chacune le traitement qu’elles méritent. C’est aussi le challenge de continuer à montrer que Manga Nova est là, qu’il propose aux gens d’avoir une application ou un site internet – suivant ce qu’ils préfèrent – dans un environnement qui est cool, qui est bienpensant, où les gens peuvent se retrouver à lire des mangas sans prise de tête, sans pub… juste le plaisir à lire quelques chapitres de bons mangas.

On a l’impression d’avoir un manga café numérique en fait, quand tu en parles…

C’est un peu l’objectif. Je n’aime pas moi-même que l’on me force la main, que l’on m’impose certaines choses. C’est pour ça que le système de gamification de Nova n’est pas une obligation. Il permet de débloquer des chapitres et de faire sa lecture comme on en a envie, mais on n’est pas obligé de les faire tous les jours ou toutes les semaines, on peut cumuler des nova pour le jour où l’on souhaite lire plusieurs chapitres qui ne seraient pas gratuits. Mais on peut tout à fait suivre les séries au fur et à mesure et ne pas s’en servir, comme je l’expliquais plus haut.

Donc oui, j’ai envie que les gens puissent venir que ce soit leur petit coin à eux, leur “chambre numérique” pour découvrir des mangas.

C’est ce qu’on leur souhaite et ce que l’on souhaite à Manga Nova ! Encore merci pour ton temps !

En attendant de les voir grandir et évoluer – et de les interviewer à nouveau dans quelques années – à vous d’aller tester Manga Nova sur leur site web ou les suivre sur les réseaux : , Instagram, Facebook, Blue Sky ou encore X.

Remerciements à Valentin Grot pour cet échange et à Victoire pour la mise en place de cette interview

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...

Verified by MonsterInsights