[Interview] Kotodama : à la découverte du docu-manga ! 2/2

En 2025, le paysage manga français continue d’évoluer avec un nouvel éditeur, ou plutôt un nouveau label : Kotodama. Pouvant signifier « l’âme des mots » ou « les paroles sacrées », ce nouvel entrant a publié ses 3 premiers mangas le 12 février dernier. Label issu des Éditions Petit à Petit, spécialiste de la transmission des savoirs grâce à des BD – documentaires, l’ambition est, pour les citer, de « toucher un public plus large » avec cette collection manga.

Après vous avoir présenté les 3 premiers titres hier, nous vous proposons aujourd’hui notre interview du responsable de la collection : Sébastien Agogué, un grand habitué du marché français du manga
. Génèse, ligne éditoriale, titres, concurrence, ambitions et plus encore : de quoi découvrir plus en profondeur ce nouvel éditeur !

De Sébastien Agogué à Kotodama

Bonjour Sébastien et merci pour ton temps. Parlons un peu de toi pour commencer : pour ceux qui ne te connaissent pas encore, on pourrait citer tes années chez Tonkam, chez le fabricant de figurine Tsume, ou encore ton aventure au sein de la collection Vega Dupuis. Qu’est-ce qui te plaît et continue de te motiver à travailler dans l’univers du manga et de la pop culture japonaise après toutes ces années ?

Sebastien Agogué - Crédit Photo : ©Chloe_Vollmer-Lo
Sebastien Agogué – Crédit Photo : ©Chloe_Vollmer-Lo

Sébastien Agogué : Au début des années 2000, j’ai commencé à travailler aux éditions Tonkam en tant qu’attaché de presse et j’ai évolué au sein de cette structure jusqu’au poste de responsable de la communication. Mon travail consistait donc à répondre aux sollicitations des journalistes et plus globalement de développer l’image de marque des éditions Tonkam.

Puis j’ai travaillé chez Tsume, là aussi en tant qu’attaché de presse au début, puis responsable de la communication, et enfin responsable Licensing. Je m’occupais là des contacts avec les ayants-droits pour développer le catalogue et faire valider les projets au cours de son cycle de développement (concept, sculpture, prototypes, packaging…).

Enfin en 2021, j’ai rejoint les Éditions Dupuis lors du rachat de Vega, le label de manga fondé par Stéphane FERRAND avec Steinkis. J’ai intégré les effectifs en tant que responsable marketing, évènementiel et presse. Là, j’avais la charge vraiment de toute la communication au sens très large du tout nouveau pôle manga. Donc je me suis chargé du (re-)lancement de la collection, du développement de la présence en salons entre autres avec le super stand de Japan Expo, la croissance sur les réseaux sociaux, développer l’équipe évidemment… et j’ai fait tout ceci jusqu’à jusqu’au lancement de Gundam The Origin, qui est la dernière mission que j’ai effectuée pour Dupuis avant de quitter cette entreprise à la fin du mois d’octobre 2024.

J’ai également été journaliste spécialisé dans des magazines manga comme Manga Hits pour M6 Presse ou Planète Manga pour AB Presse, et géré l’espace manga du Salon du Livre de Paris pendant trois années. Voilà !

Ce qui me plaît principalement dans l’industrie du manga, c’est d’apporter un aspect pédagogique – ou en tout cas de démystifier – le manga et la pop culture japonaise. J’ai grandi une époque où aimer le manga, c’était vu comme une bizarrerie, où le manga était quelque chose de chelou, probablement hyper violent et hyper sexualisé. J’ai toujours eu à cœur d’essayer de vulgariser les qualités de ce média, des différentes œuvres qui le compose et aider les gens à s’y retrouver. C’est aussi ça qui me plaisait dans le fait de militer au métier d’attaché de presse : expliquer les qualités de tel ou tel titre. Et donc, après toutes ces années, j’ai toujours l’envie de faire de la pédagogie auprès des lecteurs, de les aider à trouver ce qui peut leur plaire ou non et j’aime bien aussi justement dans le manga cette capacité à découvrir des nouvelles choses.

Moi j’ai découvert une culture que je ne connaissais pas : la culture japonaise mais également plein d’autres choses, très différentes comme le jeu de go, l’histoire du Japon, le théâtre No, la gastronomie… et même des choses plus européennes : je ne connaissais pas si bien que ça la vie des Borgias avant de lire Cesare de Fuyumi Soryo chez Ki-oon, et c’est ça que j’aime aussi dans le manga

Comment as-tu fini par arriver sur ce label, Kotodama, quel y sera ton rôle et qu’est-ce que tu as envie d’y apporter ?

Après la fin de mon contrat chez Vega, Olivier Petit m’a contacté alors qu’il lançait son label Kotodama. Il avait besoin de renforcer son équipe parce que ce sont des passionnés de BD qui ont déjà beaucoup affaire avec les éditions Petit à Petit et sa collection DOCU-BD, qui représente déjà pas mal de taf. Je suis donc là pour les renforcer, apporter bien sûr ma connaissance du manga, mes contacts, mes idées… l’idée va être de développer le catalogue en apportant ma patte tout en respectant l’ADN de la collection. Et évidemment, mon travail va aussi comporter une grosse partie de gestion pour faire en sorte que les livres sortent, bien traduits, bien lettrés, bien imprimés… et à l’heure bien sûr !

Docu-BD et manga : la génèse de Kotodama

Kotodama est le label manga des éditions Petit à Petit, une maison fondée en 1997, indépendante depuis 2011 et qui publie des BD. C’est le cas de beaucoup de maisons d’édition cela dit, qu’est-ce qui différencie Petit à Petit des autres éditeurs ?


Le catalogue de Petit à Petit est construit avec les Docu-BD, avec la volonté de transmettre l’histoire, l’art, les cultures au plus grand nombre. La cohérence de cette ligne éditoriale fait la force et la singularité de la maison.

Comment est né le projet de ce label manga ?

C’est cette même envie de partage des savoirs et des cultures inhérente à Petit à Petit qui a mené à la création de Kotodama. S’ouvrir à la galaxie manga offre le double avantage de s’adresser à un autre public et de mettre en avant des manières différentes de raconter par rapport à la BD plus classique. Une fois l’équipe de Petit à Petit convaincue du projet il a fallu tout inventer ou presque, recruter les bonnes personnes, définir précisément la ligne édito, le nom du label, sa direction artistique et concevoir les pages documentaires.

Sur un marché très concurrentiel, celui du manga en France, comment se distinguer, se faire une place ?

Alors pour moi ce qui différencie vraiment un titre Petit à Petit des autres éditeurs, c’est justement cette volonté de pas juste faire du manga, mais aussi du documentaire. Aller chercher des mangas qui, au travers d’une super histoire et d’un super dessin, traitent d’un thème vraiment intéressant de la culture japonaise… et l’augmenter avec un supplément éditorial journalistique. De sorte qu’à la fin du tome, on a kiffé l’histoire et on a l’impression d’avoir aussi appris des choses sur un sujet spécifique… et si tu as envie de le creuser, le cahier docu apporte ce petit truc en plus.

Vous avez sorti trois titres le 19 février dernier (voir images ci-dessous, NDLR). On sait que la bataille est rude pour les nouveaux titres, comment avez-vous acquis les vôtres et qu’est-ce que vous cherchiez d’ailleurs ?

Nous travaillons avec le Bureau des Copyrights Français à Tôkyô qui pré-sélectionne des mangas pour nous en accord avec notre ligne éditoriale et prend en charge le relationnel avec les éditeurs japonais. Nous ne cherchons pas à acquérir la future série qui battra des records de vente mais à sélectionner des mangas qui pourront mettre en avant des pans, connus ou non, de la culture japonaise. Maintenant que nos premiers mangas sont sortis, ce sera plus facile de présenter notre concept aux éditeurs japonais qui pouvaient avoir du mal à se projeter sur notre manière de travailler leurs titres.

Comment avez-vous pensé et construit la partie documentaire, très singulière, dans vos premiers titres ?

C’était un travail passionnant car finalement assez différent de ce que nous faisons dans les Docu-BD de Petit à Petit. Habituellement nos pages documentaires sont conçues en même temps que les scénarios, elles viennent appuyer et développer le propos de chaque chapitre. Ici nous avons un récit manga existant au préalable et bien sûr nous n’envisagions pas d’intercaler des documentaires entre les chapitres. Nous avons donc fait le choix d’intégrer les documentaires à la fin des mangas, dans un cahier couleur de 16 pages qui offre une plus value graphique autant qu’intéressante. Le lecteur est vraiment plongé dans l’univers du manga avec des iconographies d’époque et des choix de mise en page réfléchis.

Le sushi, le sabre, les idols, les 3 sont des thématiques bien connues des amateurs de manga, qui ont lu et relu des titres sur le sujet, donc nous nous demandions : quel est votre public cible ?

Alors attention, « le sushi, le sabre, les Idols sont des thèmes bien connus des amateurs de manga »… oui et non ! Évidemment, à peu près personne ayant déjà ouvert un manga n’ignore ce que signifient ces trois termes. Pour autant, c’est pas parce que on a des manga chez soi qu’on a nécessairement une vraie connaissance de ces thèmes. C’est une chose de savoir ce que c’est un sushi, d’en avoir déjà mangé, et c’en est une autre de connaître son origine, qui en est le créateur, est-ce que c’est justement une nourriture d’élite comme on le pense vu de France ou pas ? etc.

Pareil pour les Idols. C’est une chose de comprendre vaguement le concept. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on connaît les groupes principaux ou le fonctionnement de cette industrie. Donc à qui s’adressent ces mangas ? Quel est le public cible ? Eh bien, pour moi le public c’est toutes les personnes désireuses de lire un bon manga, mais ensuite derrière, pourquoi pas, de s’intéresser un peu plus au thème traité dedans. On peut tout à fait être un.e gros.se lecteurice de mangas et apprendre des choses. Moi-même j’en ai appris à la lecture de Sushi Ichi, je ne vais pas mentir. Je ne suis pas omniscient évidemment !

Après, et on reste aussi cohérent avec l’ADN de Petit à Petit, c’est une démarche qui devrait certainement intéresser les CDI et les le corps professoral parce que c’est un bon moyen d’introduire des thèmes auprès de leurs élèves de manière didactique et moins rébarbative.

En tout cas, je ne pense pas que les mangas Kotodama soient uniquement réservés à un public de béotiens qui n’auraient jamais ouvert un manga et qui ne sauraient pas ce qu’est un sushi. Au contraire, je pense vraiment que le catalogue s’adresse à tout le monde… mais, en fait, de la même façon que le manga s’adresse à tout le monde et c’est justement ce qui fait la force de cette forme de BD, selon moi.

Sushi Ichi - La partie documentaire
Sushi Ichi – La partie documentaire

Vos 3 mangas ont bénéficié d’un soutien de la DRAC (NDLR : Direction Régional des Affaires Culturelles) de Normandie et de la Région Normandie. C’était la première fois que je voyais ce financement sur un manga. Comment leur avez-vous présenté le projet ? Est-ce les documentaires à la fin des livres qui ont permis ces aides ?

La région Normandie nous soutient régulièrement lorsque nous souhaitons prendre des risques éditoriaux et/ou financier, sortir de notre zone de confort, et nous les remercions. Ils connaissent bien notre catalogue de Docu-BD et ont été séduits par notre envie de le transporter au manga.

On voit à la traduction Patrick Honoré, ou Misato Raillard, des noms que les fans de mangas connaissent bien avec de nombreuses œuvres traduites. À la coordination éditoriale, il y a toi qui, comme je le disais en introduction, possède une longue expérience du marché. Pourquoi était-il important de réunir tous ces noms et ces gens expérimentés ?

Alors je vais rendre à César ce qui appartient à César : les premiers mangas qui sortent je n’ai eu aucun impact dessus. Donc si l’équipe de Petit À Petit a su s’entourer de personnes reconnues du monde du manga, c’est parce que ce sont des professionnel.les de l’édition qui, se lançant dans un domaine qu’iels ne connaissaient pas, ont su chercher les informations et trouver les traducteurices reconnu.es, les studios graphiques reconnus, les imprimeurs qui savent faire du manga… Et si c’est important de travailler avec des gens expérimentés, c’est évidemment pour pouvoir livrer du travail de qualité, pas pour faire du name dropping. Du coup, la question est plutôt à l’inverse. Ce n’est pas important en soi de réunir « tous ces noms »… ils se trouvent en revanche que, ces gens sont connus parce que leur travail est reconnu !

Qu’est-ce qui nous attend avec le label Kotodama en 2025 ?

Tout plein de bonnes choses, mais je ne peux pas encore en dire beaucoup. Néanmoins, si vous aimez les trains, vous serez probablement très content avec le titre qu’on va lancer très rapidement : Engineer. Et puis pour le reste nous ferons les annonces en temps et en heure : là nous sommes encore dans des phases de négociations et de mise en place. On a plein de choses à faire et pour ça, on a besoin du soutien des lecteurices !

kotodama - engineer - couverture tome 1

Le message est passé, encore merci pour ton temps et longue vie à Kotodama !

Vous pouvez retrouvez l’actualité du label Kotodama via son site internet ou ses réseaux sociaux : Facebook, X, Instagram et Tik Tok. Pour en savoir plus sur les 3 premiers titres, nous vous encourageons à lire la première partie de notre dossier Kotodama, ci-dessous :

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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