Kotodama, le nouveau label manga des éditions Petit à Petit – 1/2
En 2025, le paysage manga français continue d’évoluer avec un nouvel éditeur, ou plutôt un nouveau label : Kotodama. Cette nouvelle collection que l’on peut traduire par « l’âme des mots » ou « les paroles sacrées » a publié ses 3 premiers mangas le 12 février dernier. Pour ce label issu des Éditions Petit à Petit, spécialiste de la transmission des savoirs grâce à des bandes dessinées – documentaires, l’ambition est, pour les citer de « toucher un public plus large ».
Nous vous proposons donc de découvrir cette nouvelle collection ce weekend, en deux temps : à travers leurs œuvres aujourd’hui, puis en interview dès demain !
Hinatsuba – celle qui maniait le sabre

On ne connaissait pas encore Kôichi Masahara en France. Et avec ce premier seinen du mangaka édité dans l’Hexagone, c’est une belle occasion pour découvrir son travail qui a pourtant reçu des récompenses au Japon. En 1999, il remporte le Grand Prix du manga seinen pour Noboby understands chez Shûeisha. Et en 2011, c’est le Prix du Ministère de la Culture pour Magemon édité par Leed. Il s’est fait une spécialité du manga historique et notamment sur l’époque d’Edo.
Résumé de l’éditeur : Fille unique d’un maître du sabre, Suzu est aussi son élève la plus douée. Mais dans le Japon d’Edo, les traditions règnent et le destin d’une jeune femme n’est pas de pratiquer le sabre. En plein questionnement sur son identité et son genre, Suzu parviendra-t-elle à s’accepter et à trouver sa place ?
L’histoire de Hinatsuba s’étale sur une dizaine d’années, plus précisément entre 1864 et 1875. Chaque début de chapitre sur les 11 que compte ce one-shot de presque 300 pages résument des événements historiques. Ces derniers permettent de lier le destin de Suzu sur sa voie du sabre et la véritable histoire japonaise. Nul besoin de maîtriser le contexte de la période d’Edo pour savourer les péripéties et les interrogations de l’héroïne.
Si le seinen a été choisi par Petit à Petit pour rejoindre sa collection de docu-mangas, c’est parce que l’intrigue permet de (re)découvrir une période importante de l’histoire moderne du Japon, à savoir la fin de la période d’Edo. Longue de plus de 2 siècles sous le contrôle de la dynastie des shôgun Tokugawa, cette période marque aussi le début de la modernisation et de l’occidentalisation du Japon avec la Restauration de Meiji.

L’éditeur a choisi d’intégrer un documentaire illustré de 16 pages couleurs à la fin du livre car si, pour les lecteurs japonais, la fin des samouraïs et l’ouverture du pays sont bien connus, cela n’est pas forcément le cas pour le lectorat français.
Christian Marmonnier a ainsi rédigé plusieurs textes courts et thématiques sur le shogunat, la ville d’Edo rebaptisée Tokyo, la société et son organisation en classes sociales rigides avec au sommet de la pyramide les samouraïs. Le journaliste n’oublie pas d’évoquer le sakoku, c’est-à-dire la politique d’isolement défendu par les Tokugawa. La mission du commodore Perry et « la diplomatie de la canonnière » signe la fin du protectionnisme japonais et la fin du shogunat avec les affrontements entre les partisans et les adversaires de l’ouverture du pays aux étrangers. Le shogun Yoshinobu démissionne et l’empereur Meiji récupère ses fonctions politiques en 1868. Son gouvernement « éclairé » révolutionne les institutions et l’économie tout en ayant un impact majeur sur la société japonaise.
Les 16 pages ne sont qu’un aperçu de la période charnière de l’histoire moderne du Japon. D’ailleurs pour les lecteurs qui voudraient en savoir plus, c’est malin de conseiller l’essai de Julien Peltier, Une autre histoire des samouraïs aux éditions Perrin, que nous avions chroniqué lors de sa publication en septembre 2023.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur Petit à Petit.
Sushi Ichi !
Le mangaka OGAWA Etsushi a toujours spécialisé ses mangas dans le milieu de la cuisine. Son œuvre la pus connue, Chuka Ichiban !, fut publiée chez Kodansha en 5 volumes en 1995 puis adaptée en anime de 57 épisodes par Nippon Animation en 1997. Alors qu’il s’agissait d’un voyage dans les contrées chinoises antiques en quête de savoirs culinaires variés, le dernier héros de Ogawa partage ses techniques centrées autour d’un unique produit sans quitter le Japon. Nous ne suivons plus, alors, le perfectionnement d’un novice mais la transmission d’un chef reconnu par ses pairs.

Résumé de l’éditeur : A la fin du XIXe siècle, à Edo (l’ancien nom de Tokyo) , c’est la grande mode des sushis. Dans la ruelle dédiée au échoppes de sushis, celle de maître Taisuke est renommée pour soulager les maux et guérir les cœurs autant qu’elle flatte les palais et remplit les estomacs. Mais l’ouverture du Japon sur le monde extérieur va changer bien des choses…
Tous les 2-3 mois, les lecteurs pourront découvrir dans cette série finie en 8 tomes un nouveau recueil d’histoires où le maître sushi espiègle viendra se mêler pour sauver l’affaire de ses voisins ou soigner les peines de ses clients. Bien que, dans le quartier où il officie, tous les restaurants soient concurrence pour obtenir une prestigieuse reconnaissance, Taisuke n’a plus à démontrer son savoir par son titre de Ôzeki (le plus haut rang attribué chez les sumos, et ici pour les meilleurs restaurants de la ruelle Sushiya Yokochô). Chaque restaurant va tenter de se démarquer avec un produit phare, notamment en se concentrant sur un ingrédient précis : thon, crevette, huître…
Chaque maître sushi, accompagné de ses fidèles assistants, va chercher à donner des lettres de noblesse à un aliment originaire de sa localité ou auquel il attache un précieux souvenir… Surtout si ce poisson est mal considéré ! Accompagné de son apprenti Hamakishi et de sa patronne Orin, le jeune homme sublime la composition des sushis et se donne le défi de ne laisser aucun palais insensible. Ses créations arrive toujours à éveiller un plaisir orgasmique (très imagé !) et à réveiller les consciences.
Bien qu’il ne soit pas avide de mots, il fait surtout passer ses messages par ses techniques habiles et ses recettes audacieuses. Cependant, même si des chefs reconnaissent qu’il maîtrise mieux leurs produits phares qu’eux-mêmes, l’objectif de Taisuke ne sera jamais de leur voler la vedette. Au contraire, il cherche à leur insuffler l’envie de ne jamais perdre espoir en leur authenticité, et de continuer à exercer avec passion ! Chaque poisson doit être travaillé d’une façon unique…et en les maîtrisant, on peut se permettre des combinaisons audacieuses !

Les encarts documentaires de Marmonnier Christian reviennent sur les ingrédients phares cités dans les chapitres. Pour ce premier tome, qui démarre quelques années après l’ouverture du Japon au reste du monde (1853), Christian revient sur cette période de transition où se divisent les Japonais ouverts à la nouveauté et ceux traditionnalistes refusant que leur culture soit impactée. Le premier chapitre expose lui-même ces deux visions et Taisuke présente un compromis. Entre l’acceptation des produits/techniques nouvellement exportées et les savoirs nippons traditionnels qui ne perdent rien de leur grandeur, le sushi subit irrémédiablement des mutations ne remettant en cause ni sa nationalité japonaise ni sa qualité inégalable.
Suite à l’histoire du sushi, les prochains tomes explorent d’autres thèmes : les techniques de préparation, les outils nécessaires, ses poissons, les accompagnements incorporés directement dans le sushi ou au cours du repas, les différents types de riz… Les pages documentaires vous recommandent aussi des romans, des livres de recettes, des biographies, des mangas et d’autres œuvres où vous pourrez creuser d’avantage le sujet du sushi, ou plus largement de la cuisine japonaise. N’hésitez pas à revenir sur notre route du sushi spécial Kyoto et sur notre interview du grand maître sushi Jiro Ono si une faim insatiable de connaissance vous tiraille !
Hikaru in the light !
Le troisième manga de Kotodama est signé par Mai Matsuda qui, si elle n’est pas connue chez nous, a été distinguée à deux reprises lors des Prix saisonniers du magazine Afternoon en 20215 et 2016. Depuis lors, elle poursuit sa carrière dans le Manga Action avec Houkago Kitaku Biyori, et s’exprime dans le genre tranche de vie avec une bonne dose de dynamisme.

Résumé de l’éditeur : Lorsque le génial producteur M. Hayama lance un casting national pour recruter les futures membres d’un girls band japonais, Hikaru Ogino et Ran Nishikawa décident de s’inscrire ensemble. Leur rêve de devenir des idoles est immense, mais la compétition sera longue et rude. Parviendront-elles à rejoindre les « Girls in the Light »
Depuis les années 80, les idols font parti intégrante du divertissement à la japonaise, et ont évolué avec leur temps, même si les règles qui cadrent leurs apparitions publiques autant que leurs vies privées restent très strictes. À partir de l’expérience d’Hikaru et de Ran, l’histoire s’attache à décrire un monde trépidant mais sans pitié, où la compétition est reine.
Hikaru aime chanter, mais ne se voit pas devenir une star, malgré son attirance pour les paillettes et son admiration pour sa meilleure amie Ran, qui elle a franchi le pas et a intégré une formation prestigieuse que l’on pourrait comparer aux célèbres AKB48. C’est pourtant cette dernière qui, ayant quitté son groupe par frustration artistique, l’incite à s’inscrire au concours Girls in the Light avec elle. À travers leurs regards, l’un ingénu, l’autre déjà rodé au monde du spectacle; on découvre l’envers du décor, l’ambiance stressante des auditions, comment satisfaire les attentes d’une audience et surtout, comment gérer les doutes vis à vis de ses performance et la rivalité inhérente à ce milieu.
Car Hayama, le producteur, ne cherche pas des talents. Il veut des artistes, des filles qui sortent du lot de celles qui se voient déjà en haut de l’affiche. Son apparente arrogance cache un œil affuté et ses décisions sont toutes motivées par sa quête du « je ne sais quoi » chez une chanteuse. Son concours est l’occasion de montrer différents profils d’artistes susceptibles de lui plaire, mais surtout de tester la force de caractère des filles qu’il compte sélectionner. Endurance et confiance en soi ne sont que les premières clés permettront d’accéder au somment.
Alors qu’elles entament leur périple dans le monde fascinant des idols, Hikaru et Ran ne sont pas certaines de ce qui les attend. Le concours est de haute volée et les places sont chères. Quoi qu’ayant le même objectif, elles n’ont aucune assurance d’arriver au bout alors qu’elles ont tout misé sur ce casting. Les quatre tomes que comptera la série promettent donc une avancé rapide mais aussi pleine de tension et d’émotion.

Les 16 pages du dossier composé par Christian Marronnier sont l’occasion d’un va et vient entre la fiction et la réalité de la vie des artistes japonais. Il est rappelé que l’univers des idols est avant tout un business extrêmement profitable et qu’il a ses règles. On commence jeune, généralement au collège, en se pliant à un entrainement intense en chant, danse, mais aussi maitrise de sa communication et de son image. Pour ce premier tome, la relation symbiotique entre les artistes et leurs fans est mise en avant. Il présente aussi les prémices du phénomène et sa réception au Japon.
Par la suite, il sera question des différents type d’idols, leur entrainement, la poursuite de leur carrière passée la graduation, c’est à dire le moment où ils ou elles cessent d’être idol, et leur présence dans le reste du monde, sans oublier le phénomène K-pop. Pour approfondir votre lecture de Hikaru in the Lght, quelques recommandations de lecture ou de visionnage sont proposées, comme le livre Idol de Rin Usami don nous avions parlé sur Journal du Japon, et Tokyo Idols, un documentaire de Kyoko Miyabe décrivant le parcours d’une chanteuse tokyoïte dans ce milieu.
Et voici pour les 3 premiers mangas, qui seront suivis, le 23 avril, par un manga sur le monde des trains : Enginneer. D’ici là, rendez-vous dans la seconde partie de notre focus pour découvrir notre interview de Sébastien Agogué, responsable de la collection Kotodama !