Rencontre avec Masao Maruyama, producteur légendaire de l’animation japonaise
Rintarô, Satoshi Kon, Mamoru Hosoda, Osamu Dezaki, Yoshiaki Kawajiri, Masaaki Yuasa … Cette liste (écourtée) de réalisateurs illustres de l’animation partagent tous un point commun. Non, toujours rien ? En voici une seconde pour ceux n’ayant pas encore trouvé la réponse, composée cette fois-ci d’œuvres d’animation considérées comme mythiques par beaucoup : Les Chroniques de la Guerre de Lodoss, Jeu, set et match (Ace wo nerae), Trigun, Vampire Hunter D, Death Note, … Vous abandonnez ?
La solution était dans le titre ! La carrière de ces artistes et l’existence de ces œuvres doivent énormément à un homme de l’ombre, certainement l’un des producteurs les plus importants de l’histoire de l’animation japonaise, Masao Maruyama, fondateur des studios Madhouse, Mappa, et récemment M2, excusez du peu. De retour en France pour l’édition 2024 du festival d’animation d’Annecy pour soutenir le projet Kasagi Labo visant à l’élaboration de nouveaux animes originaux, le producteur nous a fait l’honneur de répondre à nos nombreuses questions sur sa carrière et sa vision de l’animation.

1965 – 1972 : Mushi Production – les débuts de l’anime
Journal du Japon : Tout d’abord merci beaucoup de nous accorder de votre temps et de répondre à nos questions. Ce n’est pas la première fois que vous vous rendez en France n’est-ce pas ? Que pensez-vous de notre pays ?
Masao MARUYAMA : Oui j’ai même déjà travaillé avec la France, j’ai une grande sympathie pour ce pays.
Lorsque vous étiez enfant il paraît que vous aviez été marqué par le film Oeil pour oeil du réalisateur André Cayatte. Regardiez-vous d’autres films français durant cette période ?
Oui j’en regardais beaucoup, notamment ceux de Julien Duvivier (NDR : actif des années 30 aux années 60, réalisateur du Petit Monde de Don Camillo, Voici le temps des assassins, …) et ceux de René Clair (NDR : réalisateur de renommée internationale de cinéma muet puis parlant jusque dans les années 70). Ils font partis des premiers films que j’ai vus donc ils m’ont énormément touché.
Vous commencez comme assistant à la direction d’épisode sur la série W3 chez Mushi Pro, pour prendre rapidement le rôle de “settei” (conception), pouvez nous expliquer en quoi consistait cette fonction exactement ?
Quand Mushi Production venait de commencer ses activités, les rôles n’avaient pas forcément de significations parce que peu de personnes y travaillaient. Les réalisateurs et les producteurs faisaient à peu près le même travail. Donc même si on mettait un nom sur un poste, cela ne signifiait pas que telle personne faisait tel travail : on partageait les intitulés de postes comme ça nous arrangeait mais tout le monde touchait à tout. C’était l’époque où l’on commençait tout juste à faire de l’animation pour la télévision de cette manière (NDR : Maruyama a rejoint Mushi Pro en 1965, seulement deux ans après le début de Astro Boy à la télévision), et, à Mushi Pro particulièrement, tout le monde mettait la main dans le cambouis, personne ne faisait que de la mise en scène ou que de la production.
Mais pour faire simple, on pouvait séparer les personnes en trois catégories selon leur activité principale : le côté de la production, le côté du dessin, et le côté de la création d’histoire. Moi, mon travail principal consistait à concevoir les histoires donc j’étais de plus en plus assigné à la conception des séries ou d’autres postes du genre. Mais ce n’était donc pas sans lien avec la production, au contraire, j’ai aussi été chauffeur, aidé au transport de matériel, fait le ménage : on se partageait toutes les tâches entre nous à l’époque. L’industrie de l’animation n’était pas encore quelque chose de fixe, on ne mettait pas réellement en place de système pour mener à bien le travail. C’était comme ça à Mushi Pro, il y a 50 ans quand l’animation pour la télévision venait de démarrer.
Vous avez donc aussi touché à l’animation à l’époque ?
En animation c’est inévitable : il y a ceux qui peuvent dessiner et ceux qui n’y arrivent pas. Il m’est arrivé d’aider à l’animation durant les périodes de travail intense, mais on m’a dit que mes dessins étaient inutilisables et on les a déchirés.
A Mushi Pro, il paraît que vous jouiez beaucoup au mah-jong avec Osamu Dezaki. Aviez-vous d’autres camarades de jeu qui se sont révélés célèbres par la suite ?
Oui, Gisaburô Sugî (NDR : réalisateur de Train de nuit dans la voie lactée, Touch, Le Dit du Genji, …) ou Eimei Kitano par exemple. J’avais beaucoup de partenaires de jeu. Par la suite, Kitano a fini par arrêter l’animation pour faire un manga sur le mah-jong (NDR : son manga Pai no majustsu est considéré comme la première série sur le mah-jong au Japon).

C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de cette activité qu’est née l’adaptation d’Ashita no Joe. Le manga est célèbre pour avoir rassemblé des fans pour célébrer les funérailles d’un des personnages, Tôru Rikishi. Comment avez-vous perçu cet événement du côté de la production de l’anime ?
Du côté des créateurs comme des fans, il y avait un attachement très fort aux personnages, comme Yabuki Joe ou son Rival Tôru Rikishi. Alors, quand un des personnages est mort dans le récit, on s’est dit qu’il était dommage de ne rien faire pour lui, et on a décidé de faire des funérailles. Quelques célébrités étaient mêmes présentes.
Ces funérailles n’ont pas été organisées que par l’équipe de production de l’anime, mais aussi par les fans et par Shûji Terayama (NDR : artiste multi-facette reconnu internationalement pour ses films et ses poèmes) qui a écrit la chanson de générique pour la série. Tout ceux qui aimaient Ashita no Joe se sont réunis pour l’occasion. Moi j’étais le responsable de la série à Mushi Pro donc j’ai fait beaucoup de choses dans les coulisses comme écrire les programmes et les donner aux comédiens.
1972 – 2011 : Madhouse – les « anarchistes » de l’animation japonaise
Dans son autobiographie Rintarô décrit le studio Madhouse comme « une bande d’anarchistes ». Comment était l’ambiance au studio lors de sa fondation en 1972 ?
Il ne faut pas prendre l’expression d’anarchiste au pied de la lettre. Je pense qu’il a voulu dire que nous ne tenions pas compte des règles et que nous faisions ce qui nous plaisait, librement. Nous étions une bande de mauvais garçons un peu bruts mais pas anarchistes au sens politique du terme.
Comme Mushi Pro n’avait plus de trésorerie et a fait banqueroute, l’ensemble de l’équipe a réfléchi à quoi faire et nous avons pris la décision de créer notre entreprise. L’équipe qui a travaillé sur Ashita no Joe n’avait plus de travail alors nous avons créé ce studio entre camarades. C’était un studio créé par les employés et non pas un studio où se sont rejoints des employés. En ce sens, je pense qu’il a marqué son époque en tant que premier studio de ce genre en animation.
Madhouse a ensuite permis à de nombreux réalisateurs talentueux de diriger des séries, et à de nouveaux talents de s’épanouir. Nous pensons par exemple à Yoshiaki Kawajiri qui après avoir travaillé sous la houlette de Dezaki comme animateur est devenu un réalisateur reconnu plus tard. Comment étaient les relations entre ces nombreux talents ?
Il y a eu une période où ils étaient dans le même groupe et ils entretenaient une relation maître/élève. Mais avec le temps qui passe Madhouse a connu une première période, une seconde puis une troisième, … Dezaki est parti en chemin en créant sa propre société, Studio Annapuru (NDR : Dezaki est parti y réaliser la suite de Ashita no Joe en 1980). Il n’était donc plus à Madhouse et quelqu’un devait prendre sa place : c’est à ce moment que Kawajiri a pris son indépendance et à créé ses propres œuvres. Je pense que c’est la séparation avec Dezaki qui a permis à Kawajiri de dévoiler son talent (NDR : Kawajiri réalise son premier film, Lensman, en 1984 après avoir monté en responsabilité au début des années 80).
Rintarô participe également à quelques projets du studio Madhouse mais sans en faire partie. Quelles relations entretenait-il avec le studio ?
Au début il n’appartenait pas à Madhouse, mais lors de la production du film Armageddon (NDR : en 1983), nous avons créé avec Rintarô une société du nom d’Argos uniquement pour créer ce film. Les locaux étaient à côté de ceux de Madhouse donc Rintarô est devenu notre voisin. Argos a produit environ quatre films pour Kadokawa Eiga et a fermé ses portes en même temps que Kadokawa Eiga. C’est là que Rintarô a rejoint Madhouse et est resté à mes côtés depuis.
En 1977 a lieu un choc dans l’animation japonaise avec la sortie du film Yamato le Cuirassé de l’Espace. En tant que producteur, comment avez-vous perçu ce succès et que pensez-vous des méthodes de son producteur Yoshinobu Nishizaki ?
Je pense que c’est bien qu’il y ait beaucoup de monde qui fassent vivre l’animation, donc ce que Yamato a réussi à faire ne m’a pas plus marqué que cela (NDR : le remontage en film de Yamato le Cuirassé de l’Espace en 1977 a réalisé un record sans précédent au box office japonais qui lance une nouvelle ère pour l’animation japonaise). En particulier, je pense que c’est Eiichi Yamamoto qui détient les clefs du succès de Yamato le Cuirassé de l’Espace, non pas Yoshinobu Nishizaki ou Leiji Matsumoto. A Mushi Pro, Eiichi Yamamoto a dirigé La Belladone de la tristesse en tant que réalisateur de premier plan donc j’avais confiance en son travail, et lorsque Yamato a connu le succès j’ai pensé que Eiichi avait bien fait son travail dessus. Je ne sais pas pourquoi les noms de Nishizaki ou de Leiji Matsumoto ont été plus mis avant comme créateurs de Yamato plutôt que celui de Eiichi. En réalité, Eiichi Yamamoto s’est largement occupé de la création de l’histoire ou des noms des personnages par exemple.
En 1981 vous adaptez le manga Natsu e no tobira de Keiko Takemiya en film d’animation, un film souvent présenté comme une des premières adaptation en anime de Boy’s Love. D’où est venu ce projet ?

Au début de Madhouse, nous concevions nos projets en totale liberté et réalisions nos œuvres dans le même état d’esprit. Pour l’expliquer simplement, il n’y avait pas besoin que nos productions soient de grands succès. Au début des années 1980, alors que le format en OVA (Original Video Animation) allait bientôt apparaître (NDR : le premier OVA commercialisé étant généralement attribué à Dalos de Mamoru Oshî en 1983), il y avait encore une plus grande liberté dans la manière de créer de l’animation et pourtant il n’y avait que peu d’adaptation de shôjo en animation au Japon à l’époque. J’aime bien les autrices de mangas comme Keiko Takemiya (NDR : Destination Terra chez Naban et prochainement Le poème du Vent et des Arbres). Comme les dessins de ses mangas sont superbes, je me suis dit qu’ils le seront également en animation et, porté par mon désir d’adaptation, j’ai cherché un sponsor.
On dit souvent que Natsu e no tobira est le premier pas du Boy’s Love (BL) en animation, mais c’est l’histoire d’un garçons et de trois de ses amis qui l’entourent, sans être particulièrement du BL. Ces quatre garçons disent être amoureux d’une même fille, mais en vérité il n’y a qu’un personnage parmi eux qui aime les garçons. C’est donc une œuvre qui n’est un BL que d’un quart, l’entièreté de l’histoire ne l’est pas. Pourtant, le fait d’adapter ainsi en anime une autrice de manga et de représenter un garçon qui en aime un autre était une première à l’époque. C’était peut-être comme une Belle Époque pour les spectateurs d’alors et nous également. Se mesurer à de nouveaux défis et faire ceux que les autres ne font pas, c’était comme une tradition à l’époque chez Madhouse, et je pense que cette tradition est restée jusqu’au bout.
A partir des années 80, Madhouse commence à être créditée à la production (seisaku) et non plus à la collaboration de la production (seisaku kyôryoku). Ce changement signe-t-il une évolution dans la manière de concevoir les œuvres dans le studio ?
Dès le départ et peu importe la période, nous avons presque toujours conçu nos projets de notre propre initiative. Même lorsque que l’on recevait des demandes il n’y a quasiment pas un seul travail que l’on ait fait comme on nous le demandait : nous négocions systématiquement avec les sponsors pour faire comme on le pensait. Les commendataires était tous préparés à ce que l’on fasse les choses à notre manière, jusqu’à une certaine limite. Sinon, nous ne travaillions pas ensemble.
Dans les années 90, Madhouse commence à adapter les œuvres de CLAMP, en commençant par Tôkyô Babylon. Quelles étaient vos impressions lors de vos premières lectures des mangas du collectif ?
J’ai trouvé les personnages mignons et le dessin joli. Généralement, les œuvres de CLAMP donnent l’impression qu’il y a beaucoup de combats, mais elles regorgent aussi de tendresse envers les personnes faibles. J’ai trouvé cela vraiment magnifique.
Le film X adapté d’un manga des mêmes autrices a été réalisé par non moins que Rintarô : pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Quand il a été décidé que l’on adapte X, Rintarô était à côté de moi et je lui ai simplement demandé de travailler sur le film car je trouve que peu importe ce à quoi il touche, le résultat est toujours superbe. Évidemment, comme sa spécialité est de créer des plans somptueux, je lui ai demandé de faire ce qu’il voulait par rapport à l’œuvre originale.
Vous racontez avoir rencontré le travail de Mamoru Hosoda sur la série pour enfant Magical Doremi…
Ce qu’a fait Hosoda sur Doremi était superbe. Mais c’était une série télévisée, qui plus est avec une histoire et des personnages à destination des jeunes enfants. Pour autant, l’épisode de Hosoda était si bien construit que même des adultes pouvaient le voir : je lui ai donc demander si la prochaine fois il voudrait bien faire une histoire avec un personnage un peu plus adulte et c’est devenu La Traversée du temps.
Il y avait déjà des traces de La Traversée du temps dans Magical Doremi. Dans l’épisode de Hosoda, le personnage était un peu plus âgé que d’habitude. C’était l’histoire d’une fille qui avait terminé d’être apprentie sorcière. Sa comédienne de doublage était Chiyo Harada. La Traversée du temps que nous connaissions alors était le film en prise de vue réelle réalisé par Nobuhiko Ôbayashi (House) dont le personnage principal était joué par Chiyo Harada. Donc quelque part dans un coin de ma tête, La Traversée du temps et Chiyo Harada étaient liés, et quand il a été question d’adapter La Traversée du temps en animation, j’ai demandée à Hosoda de faire une version adulte de son travail sur Magical Doremi.
Pensez-vous que les séries pour enfants sont un endroit propice à développer des talents ? Certains réalisateurs présents à Annecy cette année ou les éditions précédentes ont par exemple travaillé sur des films Doraemon ou Shin-chan (Shinnosuke Yakuwa, Ayumu Watanabe, Keiichi Hara)…
Ce ne sont pas les séries pour enfants qui permettent l’émergence de talents. Quand quelqu’un fait réellement face à l’œuvre qu’il réalise sur une série pour enfants, il crée quelque chose qui n’est plus que pour les enfants. Je souhaitais travailler avec un réalisateur qui pensait à sa relation avec l’œuvre qui lui faisait face et c’est pour cela que j’ai choisi Hosoda. Ce n’est pas pour autant que tous ceux qui travaillent sur les séries pour enfants soient doués.
Il y a beaucoup de réalisateurs qui réfléchissent à quel point ils peuvent inclure eux-mêmes dans l’histoire, les personnages ou l’univers. Comme Kunihiko Ikuhara (NDR : réalisateur d’Utena, la fillette révolutionnaire ou Mawaru Penguindrum, il début sa carrière sur l’animé Sailor Moon) ou d’autres, tout le monde part de ce désir. Ce qui est important ce n’est pas que ce soit quelque chose pour les enfants, c’est comment on se positionne soi-même face à l’œuvre. Je pense que quelqu’un qui agit de la sorte progresse rapidement.
Dans les années 2000, Madhouse travaille avec Marvel pour adapter des comics en anime. Pouvez-vous nous en apprendre plus sur l’origine de cette collaboration ?
Personnellement, je suis fan des comics américains. Maintenant ils sont tous adaptés en film, mais à l’époque il y avait très peu d’adaptation du genre, et ce peu importe le format. Les comics se développaient principalement dans les magazines. Kawajiri et moi-même aimions les comics et nous souhaitions les voir adapter en film. Nous nous demandions comment on pourrait adapter les comics avec les techniques et l’esthétique de l’animation japonaise.

Nous avions fait un film original, Ninja Scroll, mais nous continuions à vouloir adapter des comics américains. Et justement, l’animation japonaise commençait à trouver une certaine popularité aux Etats-Unis et quand une demande d’adaptation nous est arrivée depuis Marvel, ça nous a rendu très heureux.
Maintenant les films en prise de vue réelle ont plein de moyen de dépasser l’animation dans leur expression. A l’inverse à l’époque, je pense que les séries que nous avons fait en animation ont été un standard à dépasser pour les équipes de Hollywood, et ce phénomène mène aux films Marvel d’aujourd’hui. Nous avons en quelques sortes planté les premières graines du MCU.
Je regarde pas mal les films récents de Marvel. Ils me font dire que nous ne sommes pas encore au niveau (rire). L’anime n’est pas au niveau…
Depuis quand lisez-vous des comics américains ?
Depuis très tôt. Dès mes premières lectures, j’ai voulu faire des œuvres avec une expression impactante de la sorte. Quand j’étais enfant je ne lisais pas de mangas, et encore moins de comics. J’ai découvert les comics à peu près quand j’ai fondé Madhouse. J’envisageai déjà de ne pas nous limiter aux mangas mais d’adapter des choses américains, au ton plus mature. A cette époque aux Etats-Unis, l’animation était considérée comme quelque chose à destination des enfants donc il n’était pas du tout question d’adapter des comics en animation. Mais des jeunes adultes américains ont vu certaines de nos œuvres comme Wicked City (NDR : réalisé par Yoshiaki Kawajiri) et ont réalisé qu’une expression radicalement violente était possible en animation contrairement à tout ce qu’ils avaient vu jusqu’ici. Les fans d’animation japonaise ont alors augmenté rapidement en nombre. Je pense que c’est une période importante où l’anime a évolué de diverses manières en étant diffusé à travers le monde.
2011 – 2016 : MAPPA – De nouveaux défis
La série Yuri On Ice a reçu un très bon accueil à l’international, comment avez-vous découvert le talent de sa réalisatrice, Sayo Yamamoto ?
Sayo Yamamoto est présente depuis l’époque de Madhouse. J’ai toujours trouvé que c’était une fille très singulière. Mais j’aime beaucoup les filles qui n’écoutent pas et qui n’en font qu’à leur tête donc je l’ai toujours soutenu en coulisse.
MAPPA a notamment produit Garo : The Animation, qui a pour origine une série tokusatsu pensée par Keita Amemiya. Avez-vous un goût pour les séries du genre ?
Pour moi le tokusatsu était comme les comics américains : j’ai une forte tendance à vouloir utiliser l’anime dans des tons matures. Pour adapter des comics ou des tokusatsu, je pense que l’anime est le choix de la facilité en tant que forme d’expression. Je pense que c’est la marche à suivre pour relever de nouveaux défis en animation, et comme je m’entends bien avec Keita Amemiya, je lui ai demandé si on pouvait faire une série Garo.
A ce propos, il me semble que vous aviez travaillé avec la société P Production, l’un des grands producteurs de tokusatsu des années 70…
C’est un peu flou mais cela devait être quand on venait de fonder Madhouse et qu’on n’avait pas encore beaucoup de travail. J’ai alors fait plein de petits boulots. A ce moment, un producteur de Fuji TV m’a dit que P Production manquait de mains et m’a demandé d’aller les aider. J’y suis allé lors de la série Kaiketsu Lion-maru et j’ai aidé durant un an.
Dans son processus de production de l’animation, MAPPA semble donner une grande importance aux deuxièmes poses clefs…
Je ne pense pas que MAPPA y accorde une importance particulière. C’est plutôt l’industrie dans son ensemble qui a évolué de la sorte : MAPPA n’a pas mis en valeurs ces méthodes (NDR : les deuxièmes poses clefs, ou dai-ni genga en japonais, consistent à la mise au propre d’un dessin d’un animateur (la première pose clefs) par un autre). Au sein de la parcellisation grandissante de l’industrie de l’animation, la deuxième pose clefs a été pensée parmi d’autres méthodes de travail, mais je saurais pas dire si elle est bonne ou non.
C’est une méthode qui permet de produire en grande quantité, et elle forme également les animateurs assignés aux secondes poses clefs, mais je ne sais pas du tout si c’est une bonne méthode quant à la qualité de l’animation. Au contraire elle ne me semble pas être la meilleure.
2016 – … : Studio M2 – Vers de nouveaux horizons
Récemment, la série Pluto est sortie sur Netflix. La production a duré plus d’une dizaine d’années depuis le premier pilote : pouvez-vous nous parler des difficultés que vous avez rencontrées ?
La quantité à produire était énorme. Ce sont huit épisodes d’une heure chacun : la production de huit heures d’animation demande beaucoup d’énergie. Et au niveau de l’organisation, on ne pouvait que le faire sur la longueur en petit effectif ou le faire d’un coup avec un effectif conséquent. C’est compliqué de produire d’un seul coup car tout le monde est toujours occupé par quelque chose dans le monde animation japonaise. Surtout, M2 a été créée à partir de MAPPA, et comme c’est encore un petit studio, c’était donc inévitable que cela prenne du temps.
De plus, même si on dit souvent que la production de Pluto a pris dix ans, en réalité cela en a pris plus. La période de préparation en elle-même a duré trois ou quatre ans, donc si on on me demande combien de temps a réellement duré la production, ça dépend si on débute le compte des années à la période de préparation ou à celle de la production, quand le projet a concrètement démarré. Selon, la durée change totalement. Moi, cela fait près de 15 ans que je m’occupe de Pluto. Entre le moment où j’ai eu envie de débuter le projet, ceux où je n’arrivais pas à le financer, et aussi à cause de beaucoup d’autres choses, c’est un fait que cela a pris du temps.
Les demandes de Naoki Urasawa pour l’adaptation de son manga étaient-elles trop élevées ?
Non, pas du tout. Ou plutôt, quand j’ai commencé à parler de faire une adaptation, j’avais déjà travaillé avec Urasawa sur les séries Yawara!, Master Keaton ou Monster et il m’a demandé de mettre le curseur plus haut pour ce prochain anime. J’ai pensé qu’il me demandait d’en faire un long-métrage. Mais comme c’est impossible de diffuser huit heures de contenu au cinéma, au final l’ère de la diffusion par internet est arrivée et il a fini sur les plateformes de streaming. C’est donc vrai qu’il m’a demandé de placer le curseur plus haut, mais il nous a fait presque totalement confiance pour ce qui est du contenu. L’exigence envahissante de Urasawa n’est qu’une rumeur : on a très bien travaillé ensemble.
Était-ce pour vous une sorte de retour aux origines vers Osamu Tezuka et Astro Boy ?
Quand Pluto était publié en volume, et que l’idée d’une adaptation en animation n’était pas encore dans ma tête, on m’a demandé d’en écrire la postface. Pluto est un manga de Urasawa qui s’inspire d’Astro Boy, j’ai travaillé avec Osamu Tezuka sur l’animé d’Astro Boy, et jusqu’ici c’était moi qui m’était occupé sur toutes les adaptations en animation des œuvres d’Urasawa : j’ai donc écrit que pour l’anime de Pluto, ça serait évident que ce serait moi qui en aurait la charge. Mais c’était une blague. On était encore au milieu de la publication, je ne pensais pas vraiment le faire, même si j’en avais envie.
Comme l’histoire originale de Tezuka, Le Robot le plus fort du monde, est une histoire courte (NDR : elle fait environ 200 pages et est disponible dans le tome 5 des anthologies Astro Boy de Glénat) je pensais qu’en tirant un peu la corde, Pluto ferait tout au plus quatre tomes. Mais Urasawa n’en finissait pas et a dessiné huit tomes. J’ai alors pensé que ce n’était plus possible d’en faire un anime. Avec quatre tomes je me serais débrouillé mais huit ? J’ai transmis à Urasawa que je ne le ferai pas. Au final, je m’en suis quand même occupé.
En tant que producteur, que pensez-vous du système de comité de production qui rassemble plusieurs entreprises pour financer un anime ?
L’argent est nécessaire pour créer des choses. Si une seule entreprise peut s’en charger c’est bien, mais avec l’augmentation des coûts, c’était presque inévitable que l’on se rassemble pour créer. Les comités de production ne sont pas un mal en soi. Cependant, mettons qu’il y ait huit entreprises qui aient des opinions différentes et cela devient difficile d’avancer. Ce n’est pas le système en lui-même qui est mal car c’est bien de rassembler de l’argent pour créer des œuvres. Mais il peut avoir beaucoup de problèmes si les idées ne se rejoignent pas. Ce n’est pas un idéal mais ce n’est pas à jeter non plus. Je pense que cela dépend des comités de production.
Que pensez-vous des nouveaux moyens de production qui essayent d’émerger comme Kasagi Labo pour lequel vous êtes présent à Annecy ?
J’ai un fort attachement à ce genre de tentative : que ce soit par ma carrière dans l’animation ou dans ma vie, j’ai toujours voulu relever des défis. Donc même si on n’en connaît pas encore le résultat, je veux les encourager parce qu’ils essayent de nouvelles choses.
Tony Izumi, CEO de Kasagi Labo : Kasagi Labo n’est pas une plateforme de financement participatif. Elle vise à promouvoir les projets d’animes originaux en rassemblant les fans et en aidant du côté financier. Nous la présentons pour la première fois à Annecy, c’est un projet qui ne fait que démarrer. L’animation à tout un côté financier, et c’est difficile d’y parvenir sans expérience même si on a l’envie ou des idées. Nous souhaitons recevoir les conseils de M. Maruyama sur comment faire pour mener à bien des projets pour des studios qui n’ont que peu d’argent, et nous souhaitons à ce que de plus en plus de studios produisent leur propres animes originaux. C’est ça, Kasagi Labo.
Masao Maruyama : Il y a une chose qui m’interpelle dans ce projet : c’est la difficulté de faire des animes originaux. Actuellement la grande majorité des animes sont des adaptations n’est-ce pas ? Est-ce qu’une adaptation doit respecter à la lettre l’œuvre d’origine ? Dans le cas de Pluto, le manga était si formidable que l’adaptation en est très proche. Mais les qualités des œuvres originales que j’ai adapté ne m’ont pas toujours convaincu.
Il arrive que les créateurs en animation fassent librement leur propre lecture de l’œuvre originale et que le résultat final soit quelque peu différent de l’original. Il arrive que l’auteur original ou les spectateurs s’en plaignent d’ailleurs. Mais quand on me dit cela, je pense qu’ils pouvaient lire l’œuvre d’origine sans l’adapter en anime s’ils voulaient la même chose. Pourquoi faire exactement pareil ? Quand on parlé d’animes originaux, on peut y inclure certains qui sont pourtant des adaptations. Pour faire simple, je pense qu’il est bien de changer une œuvre en anime originale dans le processus de création de l’animation. Si les personnes du côté de l’œuvre support ne veulent pas que cela se fasse, il doivent alors abandonner l’adaptation de l’œuvre.
Je pense que l’on doit autant que possible s’inspirer de l’œuvre d’origine pour faire une œuvre originale qui nous ressemble. Mais cela peut s’avérer compliqué au sein des relations avec l’auteur original ou la maison d’édition. Bien sûr, un réalisateur ou un animateur qui crée sa propre œuvre originale de manière libre est la plus belle des choses qui puisse être.

Une question moins sérieuse pour terminer l’entretien : dans la BD autobiographique de Rintarô, on vous voit toujours une sucette à la bouche, est ce que c’était vraiment votre marque de fabrique à l’époque ?
Cela relève de comment Rintarô me perçoit : si j’ai toujours une sucette à la bouche, ou si je mange tout le temps. Je penche plus pour la deuxième option. Comme faire manger à un personnage quelque chose de différent à chaque fois ne fonctionne pas très bien en terme d’expression dans un manga, je pense que Rintarô a sûrement choisi de me dessiner tout le temps avec une sucette dans la bouche. J’ai un autre exemple. Un jour, mon ami réalisateur Tsutomu Mizushima m’a demandé s’il pouvait utiliser mon image pour son prochain anime qui aillait parler de l’industrie de l’animation (NDR : il s’agit de Shirobako). J’ai accepté bien sûr et le personnage créé par Mizushima à partir de moi est toujours en train de cuisiner du curry.
La manière de l’exprimer change selon les personnes mais tous les deux me représentent comme quelqu’un qui mange. Ils ont sûrement tous les deux une image similaire de moi : quelqu’un qui mange plutôt que de travailler. Je mange tout le temps, moi ? C’est vrai que j’aime bien prendre des repas avec tout le monde…
Un grand merci à Maruyama ainsi qu’à l’équipe de M2 et de Kasagi Labo pour avoir rendu possible cet entretien. Beaucoup de choses n’ont pas été évoquées : son travail avec Satoshi Kon, Osamu Dezaki, les raisons de son départ de Madhouse, … Mais nous laissons nos lecteurs curieux se renseigner sur ces sujets qui ont déjà été traités dans d’autres interviews en français.
On ne retient souvent des œuvres d’animation que le nom d’un réalisateur, voire d’un animateur. Pourtant, ce travail est rendu possible par toute une équipe à la tête de laquelle les producteurs comme Masao Maruayma sont essentiels pour l’épanouissement des talents des nombreux artistes. Maruyama est, au côté d’autres figures comme Toshio Suzuki du studio Ghibli, l’un des seuls hommes de l’ombre à avoir atteint, ne serait-ce que partiellement, les feux des projecteurs.
Pourtant, la variété des projets ainsi que l’accompagnement de nombreux talents désormais reconnus mondialement prouvent que Maruyama est l’un des (si ce n’est le) producteurs les plus importants de l’histoire de l’anime. Reste à attendre désormais de voir ce que nous proposera le studio M2 à l’avenir…