Pourquoi les jeux vidéo adaptés de mangas/animés sont-ils (trop) souvent des Versus Fighting ?
L’annonce de Bleach: Rebirth of Souls a suscité un vif intérêt parmi les fans du shônen culte de Tite Kubo. Mais au-delà de l’excitation, une question revient : pourquoi encore un jeu de combat ? Depuis des décennies, les adaptations vidéoludiques de mangas et d’animés restent majoritairement cantonnées à ce genre. Que ce soit Dragon Ball FighterZ ou Naruto Ultimate Ninja Storm, les shônen semblent condamnés à se transformer en jeux de baston. Mais cette tendance est-elle un choix artistique ou une contrainte économique ?
Un historique marqué par le combat
Les premières adaptations de mangas en jeux vidéo ont exploré plusieurs genres. Dans les années 80-90, on trouvait aussi bien des beat’em up (Saint Seiya: The Sanctuary), des jeux de plateforme (Dragon Ball: Shenron no Nazo) que des RPG (Yû Yû Hakusho sur Super Famicom). Cependant, l’explosion des jeux de combat dans les années 90, notamment avec Street Fighter II, a influencé durablement l’industrie. Rapidement, les éditeurs ont compris que le format du Versus Fighting correspondait bien aux codes des shônen. Ce genre de manga est axé sur l’action, l’amitié et le dépassement de soi et met en scène des héros affrontant des adversaires avec des techniques surpuissantes.
Un choix avant tout économique et stratégique
Si les jeux de combat sont les adaptations de mangas les plus courantes, c’est avant tout pour des raisons économiques et stratégiques. Contrairement à un RPG ou un jeu en monde ouvert, un jeu de combat ne nécessite pas de vastes environnements ni une narration approfondie. Les coûts de développement sont donc réduits, car les ressources se concentrent principalement sur l’animation des personnages et l’équilibrage du gameplay. Par exemple, un jeu comme Dragon Ball FighterZ, développé par Arc System Works, a bénéficié d’un budget bien inférieur à celui d’un RPG ambitieux comme Final Fantasy VII Remake, qui a coûté près de 200 millions de dollars (coûts de développement et coûts marketing compris).
La monétisation joue aussi un rôle crucial dans cette stratégie. Les jeux de combat se prêtent parfaitement à l’ajout de contenu post-lancement, notamment via des DLC et des Season Pass. Dragon Ball FighterZ en est un bon exemple : le jeu proposait initialement 24 personnages jouables, mais son roster a été étendu à 44 personnages grâce à plusieurs vagues de DLC payants. Chaque personnage supplémentaire coûte en moyenne 5 à 10 euros, ce qui garantit une source de revenus continue pour l’éditeur.
Ce modèle économique s’explique en partie par le coût élevé du développement de nouveaux personnages. La création d’un combattant demande du temps et des ressources, entre le design, les animations et l’équilibrage du gameplay. À titre d’exemple, les développeurs de Skullgirls ont estimé qu’ajouter un personnage supplémentaire revient environ à 150 000 dollars. Un investissement conséquent qui justifie le prix des DLC et la stratégie des Season Pass.
Dragon Ball FighterZ a aussi bénéficié de nombreuses mises à jour pour maintenir l’équilibre du jeu et renouveler l’intérêt des joueurs. Ces ajustements modifiaient la puissance des personnages, corrigeaient des bugs et introduisaient de nouvelles mécaniques. Arc System Works analysait les retours des joueurs ainsi que les résultats des tournois eSport pour affiner le gameplay. Certaines mises à jour ont été bien accueillies, notamment celles qui rééquilibrent des combattants trop puissants comme Gogeta SS4 ou C-21 (Version Laboratoire), qui dominaient la scène compétitive avec sa mécanique de debuff. En revanche, d’autres changements ont divisé la communauté, comme la baisse des dégâts de Bardock, rendant son redoutable « Lariat » moins efficace, ou la modification des assistances de Vegeta Super Saiyan, qui était autrefois l’une des meilleures du jeu avant d’être nerf, (affaiblissement volontaire d’un personnage, d’une arme ou d’une mécanique jugée trop puissante pour équilibrer un jeu).
Le fan service est un autre argument de poids. Les amateurs de mangas apprécient la possibilité d’incarner leurs héros préférés et d’affronter leurs rivaux dans des combats fidèles à l’œuvre originale. Le succès de jeux comme Naruto Ultimate Ninja Storm ou One Piece : Pirate Warriors repose largement sur cette capacité à réunir un large panel de personnages iconiques.
Le cas Jujutsu Kaisen: Cursed Clash, l’exemple parfait des dérives du modèle
Sorti en février 2024, Jujutsu Kaisen: Cursed Clash est un cas d’école des écueils liés aux adaptations de mangas en jeux vidéo. Développé par Byking et édité par Bandai Namco, ce jeu de combat en arène s’inspire directement de la formule des Naruto Ultimate Ninja Storm. Pourtant, dès sa sortie, il a été la cible de critiques sévères. Avec une moyenne de 5/10 sur Metacritic et des avis négatifs de la presse spécialisée comme des joueurs, le jeu a été jugé rigide, peu inspiré et souffrant d’un contenu famélique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les estimations, le jeu n’a pas dépassé les 500 000 ventes mondiales lors de ses premiers mois, un score faible comparé aux attentes suscitées par la popularité de l’anime Jujutsu Kaisen, dont la deuxième saison cartonnait au même moment. Ce résultat témoigne du désintérêt croissant des joueurs pour les adaptations bâclées.
Ce fiasco met en lumière un problème récurrent dans le secteur : le manque d’investissement et d’ambition dans ces jeux. Trop souvent, les éditeurs allouent des budgets limités, se reposant uniquement sur la force de la licence pour engranger des bénéfices rapides. L’absence de véritable innovation et d’efforts sur le gameplay finit par nuire à l’image de ces adaptations, poussant une partie du public à s’en détourner.
À titre de comparaison, Demon Slayer: Kimetsu no Yaiba – The Hinokami Chronicles, sorti initialement en 2021 avant son portage sur Switch, a bénéficié d’un soin plus important. Développé par CyberConnect2, ce titre capture fidèlement l’essence de l’anime grâce à une réalisation soignée et un gameplay dynamique. On y retrouve Tanjiro Kamado, utilisant son Hinokami Kagura : Danse du Dieu du Feu, Nezuko Kamado et ses puissants Poings enflammés, ou encore Zenitsu Agatsuma, dont la Première Forme : Coup de Tonnerre et Flash foudroie ses ennemis en un éclair. Avec un tel respect du matériau d’origine, le jeu a dépassé les 3 millions d’exemplaires vendus, confirmant l’intérêt du public pour une adaptation fidèle et immersive.
De même, les jeux My Hero One’s Justice, malgré des critiques mitigées, ont su mieux exploiter leur licence grâce à un gameplay nerveux et un roster varié, permettant aux fans d’incarner fidèlement leurs héros préférés tels que Izuku Midoriya, avec son Detroit Smash, Katsuki Bakugo et son Howitzer Impact, ou encore Shoto Todoroki, capable de maîtriser à la fois le feu et la glace avec son Flashfire Fist.
Des adaptations hors du combat, mais rarement réussies

Lorsqu’un manga est adapté dans un autre genre que le combat, le résultat est souvent décevant. Fairy Tail, par exemple, a tenté une approche RPG en 2020, développée par Gust et éditée par Koei Tecmo. Si l’idée était intéressante, le jeu souffrait d’un manque de profondeur, d’environnements vides et d’une répétitivité excessive. Malgré la popularité de la licence, les ventes ont été modestes, avec environ 300 000 exemplaires écoulés, loin des standards des blockbusters du genre. Son gameplay limité et son système de combat peu inspiré ont empêché le jeu de convaincre la critique comme le public, et sa suite, Fairy Tail 2, sortie en 2024, n’a pas réussi à rectifier le tir, accumulant des critiques similaires et peinant à générer l’engouement escompté.
Le problème vient souvent d’un développement précipité et d’un manque d’ambition, les éditeurs préférant capitaliser sur la popularité du manga plutôt que de proposer une expérience vidéoludique réellement travaillée. Ce phénomène est particulièrement visible avec Jump Force, le jeu crossover réunissant plusieurs figures emblématiques du Jump. Malgré une promesse alléchante, le jeu a souffert d’animations rigides, d’un manque de contenu et d’une direction artistique critiquée. Il a été un échec commercial et a vu ses serveurs être fermés seulement trois ans après son lancement, signe de son désaveu par les joueurs.
Des tentatives originales mais toujours sous un fond de combat
Certains jeux ont tenté d’innover en restant dans l’univers du combat, avec des approches plus hybrides. Hokuto no Ken: Lost Paradise, développé par Ryu Ga Gotoku Studio (les créateurs de Yakuza), mêle exploration et combats brutaux en adoptant une structure proche d’un beat’em up en monde semi-ouvert. Malgré des ventes modestes, le jeu a su séduire les fans de Ken le Survivant grâce à son ambiance fidèle à l’œuvre originale et son gameplay nerveux.
De même, JoJo’s Bizarre Adventure: Eyes of Heaven propose un gameplay hybride entre beat’em up et affrontements en arène, avec un système de combat en duo qui tente d’apporter une touche stratégique aux affrontements. Si ces jeux ne sont pas exempts de défauts, ils démontrent qu’il est possible de varier les genres tout en restant fidèle à l’esprit des mangas, contrairement aux productions purement opportunistes qui se contentent d’un emballage séduisant sans réel fond ludique.
Vers une diversification nécessaire des adaptations ?
Les échecs répétés de jeux comme Jump Force, Jujutsu Kaisen: Cursed Clash ou Fairy Tail montrent que le simple fait d’adapter un manga en jeu vidéo ne suffit plus. Les joueurs attendent des expériences plus ambitieuses et mieux réalisées, à l’image des productions AAA qui dominent le marché. Le manque d’investissement dans le game design, l’optimisation et le contenu se traduit par des scores Metacritic souvent décevants et des ventes en deçà des attentes.
Heureusement, certaines tentatives récentes explorent de nouvelles pistes et démontrent qu’il est possible de proposer des adaptations plus soignées et immersives. One Piece Odyssey, par exemple, a opté pour un RPG au tour par tour inspiré de Dragon Quest, développé par ILCA et édité par Bandai Namco. Ce choix audacieux a permis d’offrir une expérience plus narrative et stratégique, loin des simples jeux de combat en arène. Avec plus d’un million d’exemplaires vendus, il a prouvé qu’un changement de formule pouvait fonctionner si l’exécution était réussie.
D’autre part, Attack on Titan, développé par Omega Force et édité par Koei Tecmo, s’est démarqué en proposant un gameplay basé sur la verticalité et la vitesse, fidèle à l’esprit de l’œuvre. Grâce à son système de déplacement tridimensionnel inspiré du manga et de l’anime, le jeu a offert une expérience immersive qui a séduit les fans, permettant à la licence d’exister autrement qu’à travers le prisme du jeu de combat traditionnel.
Enfin, Dragon Ball Z: Kakarot a pris le pari du jeu d’action-RPG en monde ouvert, offrant aux joueurs une plongée plus approfondie dans l’univers de Dragon Ball. Développé par CyberConnect2, il propose une narration fidèle à l’histoire du manga tout en intégrant des mécaniques de progression et d’exploration, une rareté pour la franchise. Avec plus de 6 millions de copies vendues, il s’impose comme l’une des adaptations les plus réussies de ces dernières années.
Ces réussites montrent qu’un renouvellement des adaptations de mangas est non seulement possible, mais aussi attendu par les joueurs. En s’éloignant des jeux de combat classiques et en osant explorer d’autres genres avec soin, les éditeurs peuvent offrir des expériences plus engageantes et diversifiées.
Les adaptations de mangas en jeux vidéo ont longtemps été synonymes de jeux de combat, une formule éprouvée qui mise sur l’adrénaline des affrontements et l’exploitation massive des licences à travers des DLC. Pourtant, face à la lassitude du public et aux échecs répétés de certaines productions opportunistes, l’industrie semble peu à peu amorcer un virage. Des titres comme One Piece Odyssey ou Dragon Ball Z: Kakarot prouvent que des expériences plus ambitieuses et diversifiées peuvent séduire les joueurs, à condition de respecter l’essence de l’œuvre originale et d’offrir un véritable engagement ludique.
Reste une question essentielle : au-delà du choix du genre, l’implication des mangakas et des studios d’animation dans le développement de ces jeux pourrait-elle permettre de créer des adaptations plus authentiques et mémorables ? Seul l’avenir nous le dira.