L’homme des 1000 yens

Depuis juillet 2024, le Japon a mis en circulation de nouveaux billets de banque à l’effigie de nouvelles personnalités. Sur le billet de 1 000 yens figure un homme méconnu, figure de la microbiologie moderne au Japon : Shibasaburô Kitasato, un homme portant des lunettes et arborant une moustache en chevron.

Admiré au pays du Soleil-Levant, il est probable que ce nom ne vous évoque rien. Et pourtant, son héritage a eu un impact dans le monde entier et les domaines de la microbiologie et de la santé lui doivent beaucoup. Qui était ce scientifique, véritable Louis Pasteur japonais, dont les recherches ont amélioré la vie de si nombreuses personnes ?

Découvertes et revers

Né en 1853 dans le département de Kumamoto, sur l’île de Kyushu, il se lance dans des études de médecine, puis exerce à Tokyo en 1883. Deux ans plus tard, on l’incite à partir à Berlin pour travailler dans le laboratoire de Robert Koch, inventeur de la microbiologie à qui l’on doit la découverte de la bactérie de la tuberculose appelé aussi « bacille de Koch ». Il se concentre alors sur le tétanos, une maladie toujours actuelle, mais déjà connue depuis l’Antiquité. C’est là-bas qu’il réussit l’expérience qui conduit à la découverte de sa vie : la culture des bactéries causant le tétanos et la diphtérie, à l’origine du futur vaccin contre ces maladies. Hélas, c’est son collaborateur, Emil von Behring, qui obtient seul le prix Nobel de médecine de 1901 pour cette avancée, malgré la nomination du Japonais.

De retour au Japon en 1892, Kitasato fonde l’Institut d’Étude des maladies infectieuses. Alors privé, ce laboratoire est aujourd’hui un institut national, témoin de l’héritage du scientifique. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas arrêté au tétanos. Il a également réussi à isoler à Hong Kong en 1894 la bactérie de la peste bubonique qui y sévissait alors. Il réalise cette découverte simultanément avec le Franco-Suisse Alexandre Yersin, à qui est attribuée la découverte. C’est la deuxième fois qu’une découverte majeure lui échappe. Plusieurs raisons se cachent derrière ce manque de reconnaissance de l’époque.

Travaillant au Japon, Kitasato était en marge du réseau occidental des instituts européens dirigés par Pasteur et Koch. Les récompenses prestigieuses d’alors étaient généralement réservées aux membres de ce réseau, qui pouvaient jouer de leur contact ou de la renommée de leur laboratoire pour gagner en crédibilité. En outre, dans le cas de la peste, malgré la rapidité, les échantillons du Japonais étaient moins purs, ce qui a provoqué une certaine méfiance vis-à-vis de ces résultats, alors que Yersin a pu isoler plus clairement la bactérie. Membre de l’Institut Pasteur, au sommet de la recherche en bactériologie en ce temps, ses conclusions ont pu être mises en lumière.

Nouveau billet de 1000 Yens.
Nouveau billet de 1000 yens à l’effigie de Shibasaburô Kitasato.

Une sommité au Japon ?

En 1898, Kitasato et son étudiant Kiyoshi Shiga réussissent un nouvel exploit : créer un antisérum contre la dysenterie, une autre maladie connue depuis l’Antiquité. Mais l’année suivante, l’État prend possession de son laboratoire, et bien qu’il en soit toujours le directeur, il décide de fonder un nouvel institut, l’Institut Kitasato, en 1914, encore d’actualité. Il transmet ses valeurs en tant que médecin et scientifique : « Sois un pionnier dans ton travail et sois reconnaissant envers les autres et leur bienveillance. Et, en tant que personne de sagesse et de science appliquée, garde un esprit de persévérance indomptable. » Son œuvre lui permet en 1924 de recevoir le titre de baron, ou danshaku, pendant l’ère Meiji. Il meurt en 1931 et deux musées mémoriels sont érigés en son honneur, dans sa ville natale ainsi que dans l’université qui porte son nom.

Bien que les querelles de priorités qui l’ont impliqué ne lui aient pas attribué la gloire de son vivant, il est toutefois cité, de nos jours, comme un co-inventeur des vaccins contre la peste et le tétanos ainsi que la diphtérie. Il est aussi considéré comme le père de la médecine moderne au Japon. Malgré cette renommée dans le milieu scientifique, il n’est pas si connu des citoyens japonais qui se demandaient qui pouvait bien être la personne figurant sur les billets de 1 000 yens soit environ 6 euros qui sont très utilisés au quotidien. En effet, s’il est étudié dans les cours de médecine et d’histoire des sciences, ses prouesses ne sont pas ou peu parvenues aux oreilles du grand public.

Les nouveaux billets permettent aux Japonais de redécouvrir leur histoire, à travers des personnalités méconnues ou oubliées des manuels scolaires. Kitasato remplace ainsi Hideyo Noguchi, bactériologiste découvreur de l’agent pathogène de la syphilis. Sur les autres billets figurent Umeko Tsuda qui a permis l’éducation des femmes au Japon, ainsi que Eiichi Shibusawa, grand entrepreneur dans le pays. Ce dernier prend la suite de Yukichi Fukuzawa, l’homme qui a imaginé la modernisation du Japon, et cocréateur de l’Institut d’Étude des maladies infectieuses. C’est donc un véritable hommage rendu au microbiologiste. Et pas des moindres : au dos du billet, on peut voir la légendaire Grande Vague de Kanagawa, du très célèbre Katsushika Hokusai.

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