Récits de voyage en terre nippone selon trois points de vue – Partie II
Nous poursuivons aujourd’hui notre plongée dans les carnets de voyage sur le Japon sortis au cours de l’année 2024. Au programme : la découverte d’un bel ouvrage illustré qui nous emmène d’Honshu à Kyushu au fil des pérégrinations de quatre voyageurs attachants, l’errance intime d’une génération en quête de sens à travers le quotidien d’une pension bohème réservée aux étrangers en plein cœur de Tokyo et un cheminement dans l’envers de la capitale aux côtés du journaliste Philippe Pons. Alors, prêts pour le décollage ?
Hontôni – Quentin SEILLIER et Gustave AUGUSTE – Les Mondes Flottants
Commençons ce voyage par un magnifique ouvrage de 219 pages, sorti récemment aux éditions Les Mondes Flottants. Intitulé Hontôni (idiome japonais exprimant la surprise et la sincérité), ce livre nous emmène du nord au sud, de Nikko à Sakurajima, en compagnie de deux couples émerveillés qui savourent leur voyage au fil des découvertes culturelles, touristiques et culinaires. Un aller-retour direct pour le Japon, sans besoin de passeport ni de billet d’avion ! Né des aventures de quatre passionnés de l’archipel nippon qui ont scrupuleusement pris en note toutes leurs pérégrinations, le récit est magnifiquement illustré par Chloé Maingé, dont l’art est aussi réaliste que mignon.
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Financé grâce à une campagne Ulule hautement réussie, l’ouvrage se lit autant comme un guide (qui contient uniquement les zones visitées, donc une partie seulement du vaste Japon), un carnet de voyage ou un rapport permettant de découvrir moult aspects de ce pays… Au lecteur de choisir en fonction de l’usage désiré ! Il peut, par ailleurs, se lire dans l’ordre, ou se picorer au hasard des pages. Muni de nombreuses cartes et indications touristiques, il permet également d’aiguiller celles et ceux qui projettent un futur voyage au pays du Soleil-Levant. Tout en spontanéité, c’est aussi une mine d’or d’informations pratiques, que ce soit sur les trajets comme sur le fonctionnement de tout un tas de petites choses spécifiques au Japon.
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Chaque chapitre, qui présente une nouvelle destination associée à un code couleur spécifique, est introduit par une superbe illustration dans un style mêlant celui des estampes traditionnelles aux dessins de manga. Ils sont construits sous forme de récit illustré, jalonné de bulles pour laisser la parole aux personnages. Et si nos quatre guides décrivent le Japon à travers leur regard de touristes français, c’est toujours avec beaucoup de délicatesse et de respect pour le pays, sans jamais tomber dans le travers éculé des stéréotypes tendant à décrire une contrée « étrange, pétrie de traditions et de modernités, etc. ». Les lecteurs ayant déjà voyagé dans ce pays pourront ainsi y trouver un moyen de se plonger avec nostalgie dans leurs souvenirs.
Les plus curieux trouveront plusieurs annexes à la fin de l’ouvrage, comportant notamment un glossaire et une double-page de « franponais »… Mais si, vous savez, cette langue française que les Japonais aiment tant utiliser pour sa « beauté » sans se soucier du sens. Un passage amusant et intelligent, car les auteurs n’oublient pas de préciser que le franponais a depuis longtemps son pendant en France, également né de l’amour des Français pour la langue japonaise ! Et surtout, si vous craquez pour Hontôni, n’oublier pas d’enlever la jaquette : une jolie surprise vous attend sur son envers… (Nina)
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Le ciel de Tokyo – Émilie DESVAUX – Payot et Rivages
Dans son roman Le ciel de Tokyo, paru chez Rivages, Émilie Desvaux nous plonge dans un Tokyo hors des sentiers battus. La capitale japonaise est à la fois fascinante mais aussi synonyme d’isolement pour certaines personnes non natives du pays. Nous y suivons trois gaijin (étrangers) en quête de sens dans leur vie, dans la capitale nippone.
Émilie Desvaux nous emmène avec elle dans un univers unique, celui d’une pension bohème à Asakusa, la Gaijin House, au cœur de la capitale japonaise, là où les étrangers trouvent refuge. Nous ressentons très vite une atmosphère particulière à travers les trois protagonistes principaux. Ainsi, pour Camille, Flavio et Lénine, ça devient un lieu de rencontres inattendues propice à trouver un sens à leur vie et de peut-être à se réinventer. C’est une véritable exploration de l’identité personnelle, de la sexualité et des relations humaines.
C’était un couple à trois, sans qu’il existe de mots pour cela, une histoire d’amour saugrenue, platonique, entre un gigolo en mal de clientèle, une épouse en fuite, et un homo érudit, chacun étant à sa manière passé à côté de sa vie.
Entre fuites, errances et solitude, l’auteure dépeint des vies fragiles qui oscillent entre désir d’appartenance et peur du futur. Nous sommes ici dans un Japon loin des clichés touristiques qui mène à un voyage intérieur, une quête de soi. Le récit tourne autour de ces étrangers avec pour chacun son propre bagage émotionnel et ses rêves brisés. Émilie Desvaux possède une écriture magnétique qui arrive à aborder la thématique de l’évasion et du dépassement de soi.
Paumé, tu dis ?…. Je dirais plutôt. Que nous sommes… dysfonctionnel d’une certaine manière, inaptes à ce que d’aucuns appelleraient « la vie réelle » ce concept même restant à définir. La vie réelle au fond qu’est-ce que c’est ?
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À la fois intime et décalée, nous y explorons Tokyo sous un autre angle, et avec ses contrastes. D’ailleurs, on a l’impression que la ville devient un personnage à part entière, à la fois attirant et impitoyable. La description d’Asakusa nous rend proche de cette ville, au point d’avoir la sensation d’y vivre. L’auteure arrive ainsi à nous embarquer aux alentours de la Gaijin House.
Le ciel de Tokyo nous évade géographiquement mais surtout intérieurement. Loin des aspects touristiques, ce roman pourrait toucher les lecteurs et les lectrices sensibles aux récits de voyages intérieurs, d’évasion et de recherche de sens. (Alexis)
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Tôkyô-Bohème, Au fil des rencontres 1970-2024 – Philippe PONS – Gallimard
Tokyo-Bohème, c’est la compilation de textes écrits sur plus de cinquante ans, par le journaliste Philippe Pons, correspondant du Monde qui vit au Japon depuis tout autant d’années. Il nous y dévoile, avec son regard aussi attentif que professionnel, un Tokyo de l’envers, au plus près de ses habitants. Personnels car retraçant tout un pan de son vécu, ses écrits sont avant tout une porte magique pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur Tokyo et la culture japonaise en générale.
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Dénué de toute illustration, empli de références et documenté, l’ouvrage est didactique sans tomber néanmoins dans la lourdeur universitaire. Des « Rues oubliées de l’histoire » aux « Trappes de la ville » en passant par les « Évadés de la vie », le journaliste attarde notre regard sur les fissures de la métropole pour mieux voir la réalité des diversités derrière le faux enduit d’une société soi-disant lisse et sans vagues. Poètes, travestis et sans-abris nous guident aux fils des pages où le contexte social, politique et historique est toujours amené en toute subtilité. Le tout dans un langage fluide qui pousse à sans cesse tourner la page suivante.
Le vacillement des repères auquel conduit la fréquentation de l’altérité rend réfractaire aux certitudes. Il incite à la nuance face à la complexité du réel. (…) Tout article, tout livre n’est qu’un premier jet. Il est toujours inachevé. À commencer par ces chroniques, écrites selon l’expression japonaise « au fil du pinceau » (zuihitsu) : « une écriture éclatée, semi-improvisée et ancrée dans le présent », selon Jean-Jacques Origas. La référence au « fil du pinceau » suggère ici une écriture sans projet narratif précis, rameutant les réminiscences, fragments épars du passé telles des étoiles de mer abandonnées par le ressac – non exempte de la subjectivité du souvenir. (…) Ce livre s’offre comme une entrée par une porte dérobée dans un demi-siècle de l’histoire de Tôkyô au fil de souvenirs flottant au vent de la mémoire comme les rubans d’une gamine à vélo.
La place de la nature dans la mégalopole, de la religion et des arts dans la société, le poids de l’histoire… Les thèmes sont extrêmement divers. Les quartiers et leurs spécificités étant toujours cités, l’ouvrage permet de se faire une idée de la structure de Tôkyô et de toutes ses facettes… De quoi ravir les curieux comme les passionnés du Japon ! (Nina)
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Que vous soyez plutôt attiré par les carnets de voyage aux allures de guide touristique, les romans sous forme de quête de soi dans une ville étrangère ou les essais journalistiques sur le Japon, nous espérons que vous avez pu trouver votre bonheur parmi ces trois ouvrages que nous vous recommandons chaleureusement !