Jirô Taniguchi, toujours aussi présent ! 1/2

Le 11 février prochain, dans quelques jours donc, cela fera 8 ans que Jirô Taniguchi nous a quitté. En 2024 et en 2025, pourtant, on le croirait toujours présent, tant ses titres font toujours l’actualité des sorties mangas. Nos rédacteurs Nina et Paul, en hommage, vous emmènent donc ce week-end dans les pas de ce pilier du manga en France, acclamé par le monde de la bande-dessinée Franco-belge.

Du Japon au Népal en passant par l’Amérique, des samouraïs aux mangakas en passant par des assassins ou des boxeurs, l’auteur a produit une quantité impressionnante de récits, et il ne faut pas moins de deux articles pour vous parler des derniers titres sortis.

Pour commencer, nous nous attarderons aujourd’hui sur la réédition de certains de ces titres les plus connus avant de vous proposer demain d’autres qui méritent tout autant votre attention. Peut-être que de nouvelles découvertes vous attendent ?

Bon voyage et bonne lecture !

Le sommet des dieux, du roman au manga

Couverture du roman Le sommet des dieux

Vous connaissez sans doute Le sommet des dieux, au moins de nom. En lisant ce titre, il y a de fortes chances que vous pensiez à son adaptation en manga par Jiro Taniguchi, sortie de 2000 à 2003 au Japon et entre 2004 et 2005 en France, chez Kana. Ou bien encore à celle, plus récente, en film d’animation par le français Patrick Imbert (dont vous pouvez retrouver notre chronique ici). À moins que vous n’ayez vu passer la sortie de l’œuvre originale, le roman éponyme de Baku Yumemakura ! Un ouvrage magnifique, servi par une couverture tissée et de belles illustrations en noir et blanc qui accompagnent chaque nouveau chapitre.

Mineo Yoneyama, plus connu sous le pseudonyme de Baku Yumemakura (qui peut se traduire par « le tapir mangeur des rêves sous l’oreiller ») est un célèbre romancier japonais touche-à-tout, de la science-fiction au roman historique en passant par la littérature d’aventure. C’est à lui que nous devons notamment le scénario d’Onmyôji, une série de romans adaptés avec brio en manga par Reiko Okano. Taniguchi a également mis en dessin son roman Garôden.

Il nous aura pourtant fallu attendre 2024 pour voir, pour la première fois, l’une de ses œuvres originale traduite en français, par la talentueuse Corinne Atlan. Le sommet des dieux est un roman pour le moins imposant, qui compte pas loin de 700 pages. Il nous narre l’histoire de plusieurs générations d’alpinistes japonais, en prenant pour point de départ le mystère Mallory.

Un ciel noir comme du velours, constellé d’une myriade de points scintillants. La lumière de chacune de ces étoiles est éblouissante, mais sans couleur, sans chaleur – inorganique. Un ciel étoilé fabuleux, comme si l’univers entier se révélait à cet endroit précis. Et sur ce fond somptueux se détache la pyramide sommitale de l’Everest. Elle semble faire partie du ciel et jouer avec les étoiles. Le silence du cosmos, un silence à rendre fou, descend sur Terre.

Fluide et détaillée, l’écriture nous emmène du Japon au Népal, sur les pas d’hommes qui ne vivent que pour la montagne et tout ce qu’elle recèle. Une montagne aussi belle que destructrice, face à laquelle les êtres humains n’ont d’autre choix que de se révéler tels qu’ils sont vraiment.

Le sommet n’a rien de suprême en soi. Les hommes n’aspirent pas à gravir un sommet parce qu’il est sacré. C’est cette aspiration à le gravir, venue du fond de leur âme, qui le rend sacré.

Une œuvre magnifique, qui ravira tout autant les passionnés de romans d’aventures, que les aficionados d’alpinisme et les fans de Jirô Taniguchi !

Rendez-vous sur le site de l’éditeur pour plus d’informations au sujet du roman et sur le site de kana pour le manga.

Au temps de Botchan : un panorama de la vie politique et artistique du Japon au début du XXe siècle

Publié au Japon sur presque dix années, entre 1987 et 1996, Au temps de Botchan est l’une des plus anciennes œuvres de Taniguchi traduite en français. Né de la collaboration entre le scénariste Natsuo Sekikawa et Jirô Taniguchi. Son titre fait référence à Botchan, un roman du célèbre auteur représentatif de la littérature Meiji : Natsume Sôseki. Et des références, il y en a, dans ce manga qui se lit davantage comme le témoignage d’une époque révolue ou un livre d’histoire politique et littéraire du Japon, que comme un manga de fiction permettant de s’évader le temps d’une lecture.

« Aucune œuvre ne m’a aussi profondément touché qu’Au temps de Botchan », dira Taniguchi lui-même. Peut-être parce que celle-ci renferme en son sein les bases du Japon moderne, les reliquats du monde ancien, les espoirs et les déceptions d’une époque charnière et de ses contemporains.

Dans la postface, le scénariste raconte :

[J’ai] demandé tout bas [à mon éditeur] si je pouvais parler de l’ère Meiji. « Je veux briser les tabous qui existent dans le manga. Ça, ce serait nouveau. Mais ça n’aurait aucun succès ».

Les mots que j’avais prononcés étaient ceux qu’un éditeur craint le plus, mais lui n’a même pas frémi. (…)

« Après tout, tu explores en solitaire les confins de cette frontière qu’est le manga. Fais-le donc en grand. Je vais tout de suite te rassembler de la documentation. »

En effet, Au temps de Botchan n’est pas forcément le premier titre de Taniguchi à mettre dans les mains d’un lecteur profane. Complexe et composé de diverses couches de lectures, ce dernier se savoure au fil du temps et des relectures. Et s’il peut sans doute constituer une porte d’entrée à l’histoire politique du Japon, son ton didactique et ses innombrables clins d’œil le font se bonifier à l’aune d’une certaine connaissance du pays, de son histoire et de sa culture, notamment littéraire.

Ainsi, les protagonistes ont presque tous réellement existé et l’histoire se déroule par petits bonds en traversant les grands évènements de l’époque.

Plus j’étudie l’ère Meiji et les gens qui ont vécu à cette époque, plus j’en mesure la profondeur. J’ai acquis la certitude qu’on peut y trouver des éléments constitutifs de l’âme japonaise qui n’ont pas changé au fil des siècles, les racines de notre spécificité culturelle et de nos pathologies modernes. (Natsuo Sekikawa)

Vous y croiserez bien entendu de grands auteurs comme Natsume Sôseki, Takuboku Ishikawa, Mori Ogai ou Lafcadio Hearn, mais aussi des hommes et femmes politiques de l’époque. L’un des mérites de cette œuvre est notamment de mettre en scène plusieurs figures féministes comme Hiratsuka Raicho (fondatrice de Seitô, la première revue féministe) ou Ito Noe, ainsi que plusieurs anarchistes comme Kôtoku Shûsui et Ôsugi Sakae. Des personnes et des thèmes trop souvent passés sous silence, qui composent pourtant tout un pan de l’histoire du Japon.

Publié en France pour la première fois en 2002 aux éditions du Seuil, Casterman avait reprit le flambeau d’Au temps de Botchan en 2011. Et c’est toujours chez Casterman que les cinq tomes ressortent, dans une nouvelle édition (complète et dans son sens d’origine). Cette nouvelle collection intitulée « Taniguchi comme en VO » remet à l’honneur plusieurs œuvres phares de Taniguchi comme Au temps de Botchan ou Un zoo en hiver, mais aussi Quartier lointain, Le journal de mon père ou L’homme qui marche.

À la traduction retravaillée de Sophie Rèfle sont adjointes plusieurs annexes enrichissantes, présentant des regards croisés sur le manga. Les deux premiers volets sont déjà arrivés en librairie, tandis que le troisième est à paraître en mars !

Rendez-vous ici pour plus d’informations sur la série.


Un zoo en hiver ou le quotidien d’un aspirant mangaka dans le tumulte de la capitale japonaise

Pré-publié au Japon entre 2005 et 2007, Un zoo en hiver est une sorte de roman graphique d’apprentissage. Il est récemment ressorti chez Casterman dans leur nouvelle collection de Sakka Seinen à la couverture kraft. Nous y suivons un jeune homme de 18 ans, qui part de sa ville natale, Kyôto, pour rejoindre la métropole et tenter de vivre de sa passion : le manga. Ici tout est nouveau pour lui, mais le jeune Hamaguchi se heurte vite à des murs, car il n’est pas si simple de se consacrer à des œuvres personnelles dans ce monde ou la productivité régit tout.

À la gare de Shinjuku c’était justement l’heure de pointe. J’ai remonté le courant de cette foule qui allait au bureau ou à l’école. À ce moment j’ai ressenti comme un étrange bien-être. Sans doute étais-je déjà sous l’emprise du mystérieux démon habitant ce lieu où naissent les rêves.

Le narrateur se fait guide, de ruelles en bureaux, de bars en parcs. Nous y voyons défiler Tôkyô de dessins en dessins tandis que l’intrigue se déroule comme le témoignage d’un parcours personnel. Celui de l’auteur lui-même ? Sans doute. Et comme tout bon récit d’apprentissage, Un zoo en hiver est aussi le théâtre d’une belle histoire d’amour.

Et puis, à Noël, sous un rayon de soleil surprenant pour la saison, je me suis senti heureux, rien qu’en étant à côté d’elle. J’aurais tant aimé, comme dans l’histoire que j’avais dessinée, pouvoir la sauver et l’emmener hors de l’hôpital. J’en rêvais, au plus profond de moi.

L’histoire douce-amère d’un amour rendu impossible par la maladie. Tout en pudeur, Taniguchi nous emmène sur les rives de la création et de la construction de soi, dans un récit à la fois universel et profondément ancré dans la société japonaise.

Plus d’information sur le site de l’éditeur.

Si les quelques titres présentés ici ont connu un grand succès en France, Jiro Taniguchi est aussi l’auteur de nombreuses œuvres trop peu connues dans nos contrées. Nous vous donnons donc rendez-vous dès demain, pour continuer cette plongée dans l’univers aussi diversifié que passionnant du mankaga japonais le plus franco-belge de tous les temps !

Nina Le Flohic

Traductrice japonais-français et grande lectrice passionnée par le Japon depuis ma plus tendre enfance, j'ai eu notamment l'occasion d'effectuer, au cours de mes études, des recherches dans le domaine de la littérature japonaise. Je suis très heureuse de pouvoir partager avec vous mes coups de cœur et expériences à travers divers articles, que ce soit dans les rubriques littérature, tourisme ou musique ! N'hésitez surtout pas à me laisser vos questions ou avis en commentaire... J'y répondrais toujours avec grand plaisir.

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