Dossier lo-fi hip-hop part II : here we go… Nujabes
Beat. Scratch. Mix. Remix. Sample.
Beat. Scratch. Mix. Remix. Sample. Sue…
Beat. Scratch. Mix. Remix. Sample. Rêve…
Ô toi DJ, transperce mes tympans de tes ondes galopantes. Révèle moi les secrets de la musique, du rythme, du souffle, transmet nous ton savoir. Enseigne nous.
Nous voilà de retour afin de poursuivre notre exploration nippone, terre indubitablement liée à l’apparition du phénomène lo-fi hip-hop. Et portons dès maintenant le regard vers un jeune homme discret, et audacieux, qui sans le savoir, serait un précurseur unique en son genre.
Des magasins de disques à Shibuya, aux milliers de chaînes YouTube live de lo-fi hip-hop, comment Jun Yamada 山田 淳 est-il entré dans la légende et la postérité ?
Comment la passion et l’obstination, que dis-je, l’amour et la recherche incessante de la justesse du beat pour faire vibrer les cœurs, aura eu raison de tous.
Il a offert au monde en héritage un vent de fraîcheur nouveau, révolutionnant et ressuscitant auprès des plus jeunes et au-delà, plus de 50 ans d’héritage de Jazz et de Hip-Hop.
Nous ne demandions rien, il nous a tout donné, jusqu’au bout.
Un peu d’histoire
Jun Yamada naquis en 1974 à Tokyo. Il s’initie très tôt à la musique, et plus particulièrement au Jazz, par l’intermédiaire de son père, alors pianiste de jazz amateur. Il étudie d’abord le design à la Nihon University, tout en restant très proche du monde de la musique, au point d’ouvrir son premier magasin de disque à Shibuya à l’âge de 21 ans seulement, après avoir été diplômé.
Tout d’abord intitulé Bongo Fury Records, avant de devenir Guinness Records, il concentre sa marchandise sur des sorties Hip-Hop underground, bien éloignées donc des titres plus commerciaux que l’on pourrait trouver habituellement en ces lieux.
Cette nouvelle aventure va l’amener à s’intéresser au monde merveilleux de l’industrie musicale sous ses différents aspects. Car ce jeune homme porte en lui une fibre d’entrepreneur qu’il semble vouloir assumer rapidement.
Nous sommes en 1996, et après avoir insisté auprès de Toru Hashimoto, un DJ, éditeur et critique musical qu’il connaissait depuis le temps de ses études, il participe à l’écriture du magazine SUBURBIA SUITE, qui se concentre sur de la musique free soul, hip-hop ou encore acid jazz.
Lorsque Hashimoto souhaite le créditer sous son vrai nom, Yamada, Jun lui demande de remplacer celui-ci par Seba. Dès cet instant, c’est sous ce pseudonyme qu’il se fera connaître.
Pourtant, nous le connaissons tous sous un autre nom : Nujabes.
Ce nom commença à apparaître dès 1998, dans les bacs de Guinness Records. Un mystérieux disque promotionnel du rappeur Nas, remix de son titre One Love, très en vogue alors, fait son apparition. Il s’agit d’une production d’un certain Nujabes, pour Hyde Out Production.
Les clients intéressés, se demandaient alors qui était cette personne, sans savoir qu’il s’agissait ni plus ni moins que du propriétaire de la boutique.
Nujabes étant le nom obtenu en retournant les lettres contenues dans
Seba Jun | nuJ abeS
= Nujabes
Un producteur de l’ombre
Une chose en particulier caractérise Nujabes : il ne donne que peu d’interviews. Nous le connaissons surtout par sa musique, et par les témoignages de ceux qui ont eu la chance et l’opportunité de collaborer avec lui.
Comme nous l’avons vu, c’est quelqu’un de précoce, tant dans le monde des affaires que dans celui de la création musicale. 1998 marque les premiers pas de son label indépendant Hydeout Productions. Ce dernier accueillera un certain nombres d’artistes liés de prêt ou de loin au hip-hop et au free Jazz, autant des Américains que des Japonais.
Car si Jun est un Japonais vivant à Tokyo, ses sources d’inspirations se trouvent pour beaucoup de l’autre côté du Pacifique. Il parle très bien l’anglais contrairement à la plupart de ses semblables, et insiste auprès de ses amis anglophones pour que ces derniers lui parle de la manière la plus habituelle possible : accent, langage familier. Il veut apprendre.
L’année suivante paraît une mixtape très particulière intitulée Sweet Sticky Thing ~Reload All Good Music From Old To The New~.
Il s’agit d’une production de 36 pistes, sur cassette, très limitée, qui s’avère être le premier long format intégralement produit par Nujabes. Le titre est une référence à la chanson du même nom d’Ohio Player sur leur album Honey sorti en 1975. C’est une compilation et un puissant hommage aux artistes Soul et Funk de l’époque, et une autre manière de découvrir son travail de mixage, forcément plus primitif que ses futurs albums qui l’ont rendu célèbre. Et déjà diablement inspiré.
Sa première collaboration officielle se fera avec L Universe, connu sous le nom de Verbal. Rappeur Japonais très populaire, il est également producteur. L’EP Ain’t No Mystery parait chez Hydeout.
Ce sont les rencontres qui créent les occasions, et Jun ne manque pas, de par sa position de gérant d’un magasin de disque dans la plus grande capitale du monde, d’échanger et de partager ses créations. C’est en discutant avec des Américains de passage qu’il découvre l’existence de Substantial, un rappeur New-Yorkais avec qui il commence à échanger par téléphone, s’envoyant des beats et autres enregistrements. En l’an 2000, Nujabes l’invite à passer un mois à Tokyo. Ils commenceront le travail sur la production de To This Union a Sun Was Born. Il s’agit du tout premier LP produit par Nujabes et Hydeout. L’enregistrement commence progressivement pour une sortie en 2001.
C’est Susbtantial également, lors d’un nouveau voyage à Tokyo, qui enregistrera le titre Blessing It avec Pase Rock, première track du futur album de Nujabes.
On y décèle déjà tout ce qui fait la spécificité de ses sonorités. Le saxo, le côté Jazzy toujours présent, et une “brume” qui sous-tend l’ensemble, un son éthéré, qui nous plonge dans une atmosphère unique. Elle semble nous faire descendre dans des recoins lointains, à l’intime de nous-même. Une musique qui parle directement à son auditeur, comme si elle avait été faite pour lui, pour nous, pour vous. C’est là le génie créatif et sensible de Nujabes, “une musique pas faite pour cent personnes mais pour des millions”.
Egalement grand amateur de nourriture et de curry, plat traditionnel au Japon, il ne manquait pas une occasion de faire découvrir de nouveaux spots à ses amis. Partager ces instants ordinaires comptaient beaucoup pour lui à l’époque. Plus que la nourriture, c’est bien de partage que nous parlons. Sa générosité à cet égard est sans doute à l’origine de toutes ses productions, aussi discret pouvait-il être en dehors de son univers.
Sa seconde mixtape publiée en 2002, ristorante / good music cuisine: making’ good beats like cooking’ good foods, tire probablement son nom de ces anecdotes.
Nous y retrouvons des titres d’artistes plus contemporains, remixés à sa meilleure sauce. Hip-hop, funk, Américains, Japonais, CYNE, Major Force, Jamiroquai, c’est un régal, et chaque bouchée est à déguster sans modération.
Décrocher son téléphone, ou envoyer un courriel pour entrer en contact avec un artiste avec qui il souhaitait collaborer, c’était ça aussi la vie de producteur. Il s’offrait cette liberté, simplement. Recevoir son appel pouvait surprendre, mais il était toujours sérieux. Il contacta comme cela Shing02, un rappeur Japonais vivant en Californie à l’époque. Ce dernier effectuera une première visite à Tokyo, la collaboration démarre en vue de l’accouchement de Luv(sic), première partie d’une série très populaire de six titres, dont la création s’étalera sur quinze années.
Nous savons tous que l’amour peut être remuant. Le véritable amour, il bouleverse votre monde, un sentiment qui peut transformer votre constitution et vous rendre impuissant. La durée de cette période d’engouement onirique, que ce soit des jours, des années ou toute une vie, dépend entièrement de vous. Mais tout est une question de timing, vous ne pouvez jamais le prévoir, un jour, quand vous regardez en arrière, tout prend sens et est écrit. Est-ce simplement un hasard, ou nous attirons-nous les uns les autres par des moyens métaphysiques ? L’amour défie les formules, il confine à la folie et à la spiritualité. Peu importe la faiblesse des chances, une fois que vous rencontrez l’amour de votre vie, vous pourriez bien finir par créer quelque chose qui pourrait durer plus longtemps que votre vie…
Extrait du livret inclus dans l’album Luv(Sic) Hexalogy
Et toujours, dans son processus créatif, la recherche incessante du beat, marchant invariablement vers la justesse du cœur. Comme en parle Luv(sic), sa musique est quelque chose de vivant et de vibrant, qui n’a de sens que si elle est partagée et ressentie profondément en chacun.e.
Le succès qui suit la parution du titre va amorcer le processus de reconnaissance à l’internationale du Nujabes. En 2002 paraît Luv(Sic) Part 2, et toujours en toile de fond, des beats issus de classiques du Jazz.
La compilation Luv(Sic) Hexalogy sortie en 2015 regorge de quelques pépites comme ce remix d’Uyama Hiroto, grand collaborateur et artiste produit par Hydeout.
Une descente vers l’essence de toutes choses. Quand la musique et le rythme prennent le dessus sur tout le reste, quand elle nous dépouille de tout le superflu, c’est là que la magie opère, que le lien se fait. Et il n’y a pas de retour en arrière possible…
Metaphorical Music : la révélation
Fort de sa malle à productions grandissante, et sans doute portée par l’enthousiasme de ses pairs, l’année 2003 voit la parution de la première compilation du maître : Hydeout Productions 1st Collection.
Dès l’intro Moon Strut, nous plongeons dans l’univers quasi onirique de Nujabes. Le tempo lent, la répétition des beats, les notes de piano, tout est là. Nous retrouvons une foule de collaborations avec Funky DL, Susbstantial, Shing02 (Luv(Sic) part 1 & 2), L-Universe, Pase Rock, Five Deez, Cise StarR…
Une compilation qui nous présente son art de mixer hip-hop et jazz à la perfection, et qui en fait, de fait, un album acclamé par les fans et les critiques. Quelques années ont suffit pour parfaire ses productions, et pour créer un microcosme qui le soutient dans sa démarche.
C’est dans ce même temps qu’il termine la production de son premier album : Metaphorical Music.
Quand il fut mis en vente, il s’est tellement bien vendu que j’en ai été surpris. Les commandes supplémentaires de Tower Records et HMV n’étant pas arrivées à temps, la personne en charge de la vente s’est mise en colère. De plus, la réaction des fans féminines a été formidable. C’était la première fois qu’il y avait une réaction de leur part. Depuis lors, de gros contrats sont arrivés jour après jour, et Nujabes lui-même n’a cessé d’évoluer. Pareil avec son second album, « Modal Soul ».
Masakazu Takeuchi, crédité A&R et impliqué dans le processus de production de l’album.
L’atmosphère présente sur l’album, si le style reste évidemment teinté de hip-hop et de jazz, est très différente de tout ce qui a précédé. Nous y découvrons un travail bien plus personnel, plus intime de son auteur, nous offrant de partager, à ses côtés, une balade et des rencontres surprenantes. Les morceaux instrumentaux comme Kumomi ou Letter from Yokosuka, constituent la colonne narrative de ce voyage hors du commun. C’est là selon nous, que la véritable rencontre avec son univers intervient. Et cela sera encore plus fort avec son second album quelques années plus tard.
Inconnu à l’international lors de sa sortie, c’est aujourd’hui une production unanimement reconnue.
Nujabes, en bon technicien et chercheur insatiable, présentait sa démarche lors d’une interview qui suivait la sortie de l’album :
Au lycée, je faisais de la musique, mais je n’arrivais pas à m’y mettre à fond et j’ai donc arrêté. La raison pour laquelle j’ai recommencé à faire des morceaux, c’est parce que je voulais entendre de la musique qui échantillonnait toute la vieille soul et le jazz que j’aimais.
Au début, je ne cherchais pas vraiment à faire de vraies chansons, mais plutôt à voir ce qui se passerait si je prenais un sample d’un disque, en faisais une boucle et superposais un autre sample par-dessus. J’ai pris tellement de plaisir à créer ces boucles de phrases – quand j’ai fait ma première, j’ai passé presque toute la journée à l’écouter. (rires)
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Aussi, j’ai récemment lancé Tribe, un magasin de disques que je considère comme une extension de Hydeout Productions. Tout ce qui se trouve dans le magasin est du matériel que j’ai moi-même acheté à l’étranger, et j’espère que les gens viendront écouter de vieux disques à leur guise et qu’ils se sentiront inspirés par ces disques pour créer eux-mêmes de bons morceaux. C’est une autre chose que j’aimerais chérir à l’avenir : créer ce genre d’environnements encourageants/incitants (ndlr: pour encourager la production musicale).
Son exploration musicale a en effet été rendue possible, aussi, par les techniques offertes par l’utilisation de consoles, et par Max/MSP, un langage de programmation musicale visuel.
C’est à l’été 2001, lors d’un workshop sur les algorithmes et techniques utilisées pour le traitement du signal et du son, qu’il rencontre Nao Tokui. Il travaillera avec ce dernier sur une track particulièrement intéressante, prémisse de sa recherche et de son travail sur Metaphorical Music.
L’amitié et le travail de recherche avec Nao Tokui constituent une source importante d’influence qui ont façonné son œuvre. Au même titre qu’Uyama Hiroto avec qui il collabore beaucoup, ou encore Fat Jon. La rencontre avec ce dernier suit une cascade d’événements, qui mèneront à la découverte à l’international de Nujabes, et qui marqueront durablement la vie de millions d’auditeurs à travers le monde.
Le phénomène Samurai Champloo
Shinichirō Watanabe, réalisateur de l’incroyable Cowboy Bepop, et fort du succès de cette série de la fin des années 90, avait alors carte blanche pour son prochain projet. C’est ainsi qu’il imagine une série animée dont l’action se passerait durant l’époque d’Edo, et mettrait en scène des samurais en mixant les vieilles traditions japonaises avec… le hip-hop. Samurai Champloo était né. Œuvre majeure, qui nous emmène en road trip avec ses trois protagonistes, elle reste marquante par son ambiance et son style unique, rendu possible par la mise en avant de sa bande originale.
Watanabe, grand amateur de musique lui-même, qui passa beaucoup de temps à écumer les magasins de disques dans les années 90/2000, connaissait Nujabes et ses productions. Il cultivait un sentiment particulier à l’égards de sa musique. Il était alors évident qu’il devait faire partie des artistes invités à concevoir et soutenir le décor mis en place avec la série. Il souhaitait que la musique et la vidéo soient en compétition à 50/50.
Un jour, j’ai reçu un appel inattendu du réalisateur d’anime Shinichirō Watanabe. Il m’a dit qu’il travaillait sur la production d’une série animée historique crossover se déroulant à l’époque d’Edo, qui combinerait samouraï et hip-hop. Puis il a ajouté : « J’ai besoin de quelqu’un pour s’occuper de la bande-son. »
Tsutchie
Tsutchie, de son vrai nom Shinji Tsuchida, est DJ et producteur de hip-hop. Compositeur de downtempo, il est en quelque sorte à l’origine du groupe d’artistes qui va composer la bande originale de la série.
C’est lui qui entra en contact avec Takumi Koizumi, alors tour manager de Nujabes et manager du label Hydeout. Ce dernier va en parler avec Jun, qui lui-même va appeler Fat Jon.
Avec Fat Jon également dans l’aventure, Watanabe était assuré que le style jazzy hip-hop soit de la partie. Et comme il souhaitait ajouter de la nuance, la production décida de faire appel en plus à Force of Nature, DJ hip-hop composé du duo Ikuzumi Kitazawa (KZA) et Kento Sasaki (DJ Kent).
Nujabes offrira de produire l’opening thème de la série : Battlecry.
Avec Shing02 comme MC, ce dernier reste une référence pour les fans du monde entier, et fut joué en live à de nombreuses reprises.
Il sera crédité sur deux des quatre albums qui composent la bande originale de la série :
- Samurai Champloo Music Record: Departure (2004)
- Samurai Champloo Music Record: Impression (2004)
Sur Departure comme sur Impression, nous retrouvons l’ambiance caractéristique du style de Nujabes. Tantôt éthérées et posées, tantôt mystique et intrigante (mystline), ses compositions charment par ce qu’elles suggèrent. Et parfois ébouriffent comme avec dead season sur Impression, avec son rythme effréné et presque déstructuré. Et encore une fois, les nuances qui précèdent l’acmé nous ramènent au plus proche de son auteur : Haiku (Interlude), Decade (Interlude), Kodama (Interlude).
Car peut-être, le titre le plus emblématique de toute la série, et le plus intense pour qui a regardé celle-ci, se trouve être Silver Morning, dernière track créditée à son nom sur l’album.
Le site IGN considère la bande originale de la série à la 10e place des meilleures bandes originales d’anime de tous les temps. Cowboy Bepop se tenant à la première place.
La diffusion à l’internationale de la série a consacré ces quatre artistes inconnus, et à permis la rencontre avec Jun, tout comme avec nous. L’influence sur des artistes du monde entier, existants ou en devenir, fut considérable. Elle l’est encore.
Non, plus rien ne sera comme avant.
Modal Soul : la maturation
La sortie du second opus de Nujabes en 2005 constitue un tournant dans son style et son approche. Nous sommes davantage dans le downtempo, toujours jazzy, dans une approche encore plus intimiste. Cet album est empreint d’une collaboration rapprochée avec Uyama Hiroto, également multi-instrumentiste. Nujabes y parfait pour sa part la maîtrise de la flûte, qu’il utilisera sur plusieurs de ses morceaux. Il jouera même de la trompette.
Les collaborations sont tout aussi nombreuses pour cette nouvelle fournée : Cise Starr et Akin du groupe CYNE, Terry Callier, Shing02, Substantial, Pase Rock.
Les émotions et sentiments dégagés, retrouvés, grâce à des titres comme reflection eternal ou flowers, sonnent l’urgence de se (re)mettre au monde. Ils nous invitent à sortir de nous-même : en cela, l’aspiration de Nujabes à créer des espaces où la créativité et la vie peuvent circuler, se réalise. Comme si sa musique, une fois produite, poursuivait son propre chemin, son propre processus de transformation, pour magnifier celles et ceux qu’elle rencontre.
Rarement tant de générosité fut inscrite dans des morceaux.
C’est par un lent et long processus que se distille ses mélodies. Comme l’alchimiste en quête des ingrédients les plus purs, les plus rares. La découverte et le mixage du sample I Miss You de Noriko Kose est là pour en témoigner (reflection eternal).
Quelques années plus tard sortira son dernier album : Hydeout Productions 2nd Collections
14 morceaux dont 12 produits et mixés par Jun. Les collaborations sont toujours présentes, quelques remix comme pour Luv(Sic).
Le ton de l’album est encore différent, produisant des effets contrastés chez ceux qui l’écoutent : évoquant tantôt la tristesse pour certain, tantôt la joie. C’est sans conteste ce que le public retient de son œuvre, sa capacité à produire des sensations fortes et dissonantes.
Imaginary Folklore par exemple, mélange habillement une rythmique hip-hop justement appuyée, avec son univers doucereux et imagé. Des stimuli parfois contradictoires, qui ne laissent pas indifférent, et qui nous encourage toujours à nous intéresser de plus prêt à son travail.
Another Reflection pour sa part, nous transporte sur une voie mieux tracée, plus directe. Tout aussi poétique et sacrée que reflection eternal.
Vous l’avez compris, il est toujours aussi bon. Et pourtant.
Après cette dernière sortie, il décide de faire une pause avec la musique.
De l’art sur/dans la musique
Le processus créatif, quel qu’il soit, est un processus sensible et complexe, qui fait appel à de nombreuses capacités humaines : intelligence, regard, vision, projection, ressenti, habileté, doigté, intuition, imagination, espérance.
Ce n’est pas nécessairement conscient, cela agit simplement, en celui ou celle qui est à l’oeuvre. Nous l’avons vu, écouté et réécouté, Nujabes est un artiste dans la plus pure tradition, il distille son art à l’aide de ses claviers, de sa souris, de sa flûte, de ses rencontres. Il se donne tout entier, n’ayant de cesse de rechercher la justesse dans son propos, jusque dans “l’emballage” de celui-ci.
Rien n’est du au hasard dans les choix artistiques, et le dessein derrière l’élaboration des pochettes de ses albums non plus. Comment a-t-il perçu les artistes avec qui il a collaboré ? Par quelle route, par quel chemin a-t-il découvert ces représentations picturales qui allaient servir de réceptacle à tout son travail ? Mystère. Ce qui l’est moins, c’est le pourquoi.
Sa recherche de justesse ne se ressent en effet pas seulement dans sa musique, mais également ici, dans ces illustrations.
La synesthésie (du grec syn, « avec » (union), et aesthesis, « sensation ») est un phénomène neurologique non pathologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés.
Les synesthètes musique → couleurs peuvent donc, curieusement, percevoir des couleurs en réponse à des sons.
Si les formes et couleurs présentes dans les pochettes d’album relèvent avec évidence du street art, elles n’en demeurent pas moins complexes et riches, par leurs intrications, leurs nuances, leur sensibilité. Elles racontent elles aussi une histoire, comme un déferlement soudain, un flot émergeant du néant pour flatter le spectateur et déjà amorcer le voyage qui s’annonce pour lui, à l’écoute des beats du maître.
Il y a quelque chose de très intime, et si Nujabes n’a, à notre connaissance, pas de talent de synesthète, il n’empêche que sa sensibilité et sa musique vibrent dans chaque coup de crayon, de feutre, de pinceau. La complexité de ses oeuvres étant à la hauteur de son exigence, de son art.
Nous vous invitons à prendre un moment, pour les admirer en plein écran, où que vous soyez. Laissez vos yeux parcourir les courbes et recoins, laissez vous conter une nouvelle histoire. Laissez vous surprendre.
Et au-delà
Jun Yamada, aka Nujabes, s’est éteint le 26 février 2010 à Shibuya, à peine âgé de 36 ans, des suites d’un accident de la route.
Il laisse derrière lui un héritage conséquent, et l’étrange sentiment d’avoir perdu un ami proche, tant il a réussi à créer une relation d’intimité unique avec son public.
Messager, éveilleur, artisan, travailleur, humble, amoureux, ne vivant que par et pour la musique.
Son héritage est, curieusement, grandissant. D’un album posthume, aux nombreux concerts et rencontres hommages, le monde de la musique et ses fans restent unis pour perpétrer et rendre toujours plus vivante ses créations, partout dans le monde.
Il est considéré aujourd’hui comme un des pères du mouvement lo-fi hip-hop. Ses sonorités jazzy, éthérés, intimes, constituent les ingrédients qui ont servis à l’émergence de ce mouvement. Et s’il n’est pas le seul, il est probablement le plus imité.
Tout cela, nous le verrons prochainement dans la dernière partie de notre dossier. Que ce soit des proches collaborateurs l’ayant connu personnellement ou non, il y a encore de bien belles choses à découvrir. Des rencontres, toujours des rencontres.
Nous vous laissons avec un enregistrement bootleg d’un concert en duo avec son ami Uyama Hiroto en 2006. Seul enregistrement connu où l’on peut aussi entendre Jun s’exprimer avec son public. Pardonnez la qualité rudimentaire de la prise de vue… mais cela reste un bout d’histoire important.
Sources
- Top Ten Anime Themes and Soundtracks of All-Time
- 90’s, Tokyo. A young man called himself Nujabes and became a hit maker [Think of Nujabes Vol.1]
- Samurai Champloo and the Nujabes― Director Shinichiro Watanabe’s reason for using the “unnamed Nujabes”【Think of Nujabes Vol.2】
- Nujabes × Shing02 <Luv(sic)> series birth secret story [Think of Nujabes Vol.3]
- Nujabes “Metaphorical Music” Interview (2003)
- The Immortal Legacy of Seba « Nujabes » Jun
- en.wikipedia.org/wiki/Nujabes