Godzilla Minus One : plus terrifiant et impressionnant que Shin Godzilla ?
À cause de sa sortie de type événementiel, les 7 et 8 décembre 2023 en IMAX, Dolby Cinéma et 4DX, puis une ressortie le 17 janvier 2024 pour quinze jours, vous aviez peut-être raté Godzilla Minus One réalisé par Takashi YAMAZAKI (Lupin III The First) ?
La stratégie commerciale de Piece of Magic Entertainment a été assez étonnante pour le film qui a emporté l’Oscar des meilleurs effets visuels en 2024. Et face au succès inattendu semble-t-il par son distributeur en Europe, le roi des monstres a eu droit à un retour en salles dans sa version inédite en noir et blanc baptisée Minus Color le week-end des 2 et 3 novembre 2024. La diffusion au cinéma est tout sauf banale et la version physique, enfin là grâce à All The Anime, devrait satisfaire les fans de Gojira (prononciation japonaise du titre du film original de 1954).
Retour sur ce monstre sacré du cinéma japonais et sur Minus One, l’opus qui pourrait bien remettre sur de bons rails la franchise Godzilla qui a soufflé ses 70 bougies en 2024.
De Shin Godzilla au projet No.30
Les bonus présents dans le coffret collector sont très instructifs, notamment la partie sur la genèse de Minus One. Du lancement du projet jusqu’à la fin du tournage, son nom était tenu secret. Ainsi, l’équipe de production utilisait comme nom de code No.30 (« Numéro 30 ») pour le 30e film en prises de vues réelles de la franchise.
Avec un box-office domestique record de 8,2 milliards de yens (50 millions de dollars américains environ) pour un budget de 15 millions de dollars américains seulement, Shin Godzilla, le dernier film japonais sorti en 2016 a été un vrai succès. Produire le prochain Godzilla, c’est « toucher à quelque chose de sacré » reconnaît ainsi le réalisateur de Minus One. Et s’il s’agit d’un grand honneur, il admet aussi que c’est « beaucoup de pression ». La Toho a mis deux ou trois ans pour choisir le réalisateur qui allait succéder à Hideaki ANNO et Shinji HIGUCHI.
C’est en 2019 que Takashi Yamazaki se voit proposer de réaliser le film lors d’une fête organisée à l’occasion de la fin du tournage de The Great War of Archimedes dont la Toho est le distributeur. En fait, le réalisateur avait déjà travaillé sur Godzilla en images de synthèse dans son film Always : Crépuscule sur la troisième rue (2005) co-produit par la Toho. Il avait aussi aidé à la conception de l’attraction « Godzilla : The Ride » pour le parc à thème Seibuen à Tokorozawa (Saitama).
Dans le making of, le réalisateur, scénariste et codirecteur des effets visuels, Takashi Yamazaki explique que le titre du film peut être interprété de plusieurs manières. Pour lui, le principal sens de Minus One (-1) est : « qu’après la guerre, le Japon repartait de zéro quand l’apparition de Godzilla a empiré la situation ». C’est aussi synonyme d’un « nouvel élan » où « comment une personne va reculer avant de décider d’avancer ». Moins positif, cela marque aussi une perte.
Un film de guerre dans l’après-guerre
Yamazaki regarde les films de la franchise Godzilla depuis son plus jeune âge et a adoré le premier Godzilla de 1954. Il voulait revoir un film dans l’ère Shōwa. Dans le making of, le réalisateur né en 1964 précise qu’il « voulait faire un film de guerre d’un autre genre qui débuterait juste après la fin du conflit ». C’est aussi un moyen astucieux pour éviter la comparaison avec Shin Godzilla qui était une réécriture dans le Japon d’aujourd’hui du Godzilla originel où le roi des monstres est une métaphore du pouvoir de l’atome (les bombes nucléaires à Hiroshima et Nagazaki et l’accident nucléaire de Fukushima).
En 1945, à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale, le pilote kamikaze Shikishima Kôichi, joué par Ryûnosuke KAMIKI, fait atterrir d’urgence son Zero sur l’île d’Ôdo faignant une panne sur son chasseur alors qu’il était en route pour sa mission suicide. Il ne faudra pas attendre longtemps avant de voir apparaître à l’écran Godzilla. En effet, dès la soirée tombée, du haut de ses 15 mètres, le dinosaure préhistorique digne du T-Rex dans Jurassic Park ou Dino Crisis attaque la base japonaise. Paralysé par la peur, Shikishima est incapable de tirer avec le canon de son avion sur la créature tout droit sortie des légendes de l’île. C’est un véritable bain de sang sur Ôdo où seulement survivent le héros et un mécanicien, Sôsaku Tachibana joué par Munetaka AOKI. La paix revenue dans le Pacifique, les deux survivants sont rapatriés durant l’hiver 1945.
Mais le spectre de la guerre continue de planer durant tout le film. À son retour, le héros qui a fui son devoir découvre la capitale japonaise en ruines suite aux bombardements américains. À Tokyo, Shikishima recueille une jeune femme, Ôishi Noriko jouée par Minami HAMABE rencontrée au marché noir à qui l’on a confié la petite Akiko lors d’un raid aérien. Pour subvenir aux besoins de cette nouvelle famille improvisée, l’ancien pilote met à profit son expérience militaire en rejoignant le Shinseimaru, navire dont la mission est de détruire les mines marines américaines de la Seconde Guerre mondiale. Atteint du trouble de stress post-traumatique, Shikishima est hanté par sa rencontre cauchemardesque avec Godzilla qui ne tardera pas à revenir… plus grand et encore plus terrifiant à cause des essais nucléaires américains dans l’atoll de Bikini !
L’organisme marin géant coule des navires américains sur son passage et se dirige dangereusement vers la région de Tokyo. Sur fond de guerre froide et craignant d’aggraver les tensions avec l’URSS, le commandant suprême des forces alliées, MacArthur, regrette de ne pas pouvoir aider les autorités japonaises à assurer la sécurité de l’archipel. Le réalisateur explique qu’il a choisi l’après-guerre car c’est aussi « une époque où il n’y a pas d’armes pour combattre Godzilla ». Avec seulement quelques petits navires de pêche, il s’est dit que « ce serait un atout pour le film si pour [le] vaincre, il fallait être astucieux et inventif ». Les anciens soldats revenus du front devront remettre le couvert non « pas pour mourir, mais pour vivre et bâtir l’avenir » comme le souligne dans son discours l’ancien officier-ingénieur militaire Kenji Noda joué par Hidetaka YOSHIOKA.
Shikishima est bien déterminé à empêcher que la tragédie de l’île d’Ôdo ne se reproduise. Le gouvernement cache l’information pour ne pas affoler la population et est impuissant dans la gestion de la catastrophe annoncée : le réalisateur s’est d’ailleurs inspiré de la période du COVID-19. Un nouveau drame pour le héros se produit à Ginza où Godzilla ravage le quartier qui commençait à reprendre vie après la guerre. Les civils seront seuls pour couler le monstre et l’ancien kamikaze voit là une occasion de racheter sa conduite dans une bataille finale dantesque.
Des effets spéciaux bluffants !
Dans la lignée du précédent film, Shin Godzilla, Minus One est le second film japonais de la franchise à être produit en images de synthèse. Comme à son habitude, Godzilla a droit à un changement de design pour coller à la vision du réalisateur. Contrairement au film d’il y a 7 ans maintenant, le kaijû à l’allure étrange, qui collait bien à l’univers de Hideaki Anno, a changé d’apparence pour devenir un symbole de terreur caractérisé par des pattes beaucoup plus épaisses et une crête sur le dos pour rendre le monstre encore plus terrifiant. Avant l’éruption du rayon atomique par la gueule de Godzilla, l’accumulation d’énergie qui remonte la queue du kaijû dresse les poils, faisant du roi des monstres l’incarnation même de la guerre et de la bombe atomique ! L’animateur Yuki Kawahara a réalisé de nombreux essais pour obtenir la posture et les mouvements du nouveau Godzilla à mi-chemin entre l’animal préhistorique et la créature divine pour refléter au mieux la volonté de Takashi Yamazaki.
Malgré son budget faible de 15 millions de dollars comparé aux blockbusters américains coûtant en général dix fois plus cher, la superproduction japonaise n’a pas à rougir. Chaque yen investi se retrouve à l’écran et on voit l’aboutissement que représente Minus One dans la carrière du réalisateur qui a mis à profit toute son expertise et les techniques acquises dans le studio d’effets spéciaux Shirogumi qu’il a intégré en 1986. L’un des inconvénients avec l’utilisation des images de synthèse, c’est qu’on ignore le rendu final des scènes. L’écriture du scénario a pris trois ans et pour faciliter le tournage et servir de support durant la production, des scénarimages ont été dessinés ainsi qu’un contenu de prévisualisation 3D.
Les dessous du tournage de mars à juin 2022 dans les bonus présents dans le coffret, à savourer après le visionnage du film, sont instructifs. Cela permet de voir comment a été recréé un Japon dévasté par la guerre avec des éléments de décor, des maquettes et des effets spéciaux dans le studio de 1 300 m² et en pleine mer aussi. Avec quelques échoppes et un immense écran vert laissant, on le devine, perplexes les acteurs principaux et la centaine de figurants, on redécouvre avec la réalisatrice des effets spéciaux Kiyoko SHUBUYA la scène de panique à Ginza. En tant que spectateur, on se rend compte du travail colossal que cela a représenté de reconstituer presque toute la ville. En filmant la scène avec le même angle de vue que la foule, le spectateur voit à l’écran Godzilla tel que le voient les personnes évitant de se faire piétiner.
Longue vie au roi des monstres
En 1954, résonnent pour la première fois les pas lourds et ce cri devenu inimitable annonçant le terrible Godzilla. Ishirô HONDA lance ainsi la légende du kaijû-eiga, genre cinématographique japonais mettant en scène des monstres géants. En plus de 70 ans de règne sur le cinéma, la franchise a traversé l’histoire moderne du Japon. Le roi des monstres a de ce fait vécu sous trois empereurs. La saga est donc découpée en périodes qui coïncident plus ou moins avec les différentes ères japonaises :
- ère Shōwa (1926-1989 sous l’empereur Hirohito) : films Godzilla (1954) à Mechagodzilla contre-attaque (1975) ;
- ère Heisei (1989-2019 sous l’empereur Akihito) : films Le Retour de Godzilla (1984) à Godzilla vs Destoroyah (1995) ;
- sous-période Millenium correspondant au nouveau millénaire qui débute avec Godzilla 2000: Millenium (1999) et se termine avec Godzilla: Final Wars (2004) ;
- ère Reiwa (depuis 2019 sous l’empereur Naruhito) : films Shin Godzilla (2016) jusqu’à Godzilla Minus One (2023) actuellement.
Pour éviter de représenter et réécrire les mêmes choses, nous vous invitons à relire notre dossier sur la franchise Godzilla en deux parties : la première sur les débuts et la période Shōwa et la seconde, de Heisei jusqu’à la période Millenium.
Dans Minus One, le 30e film de la série qui présente l’originalité de se passer avant le Godzilla de 1954, le spectateur pourra remarquer les différents hommages au premier film à travers la scène du train attaqué par Godzilla mais aussi celle où le scientifique dévoile son plan pour détruire le monstre. De plus, la bande originale de Naoki SATO, collaborateur régulier du réalisateur Yamazaki, fait écho à celle de Akira IFUKUBE. Sa musique rythme parfaitement bien le film pour marquer les scènes de terreur, d’espoir et d’action.
Avec Minus One, Takashi Yamazaki réussit à insuffler sa vision de réalisateur pour Godzilla tout en rendant hommage à la première pierre de l’édifice posée par Ishirô Honda il y a de cela 70 ans. Le film de guerre d’un autre genre est effice dans sa narration. Les scènes avec Godzilla sont tellement réussis que l’on pardonne son intrigue cousu de fil blanc à plusieurs endroits. Passer après Hideaki Anno et Shin Godzilla qui a rencontré un grand succès au Japon n’était pas une mission facile pour le réalisateur. Une chose est sûre, Minus One est une merveille qui a largement mérité son Oscar des meilleurs effets visuels en 2024. Si vous l’avez raté au cinéma, nous vous conseillons vivement d’acheter le coffret chez All The Anime en différentes versions pour tous les budgets.