Karuta France : à la découverte d’un sport ancestral 1/2
Discipline sportive encore méconnue en dehors de son territoire, le karuta est pourtant une pratique ancestrale encore d’actualité au Japon !
Nous avons rencontré Amandine, fervente adepte du karuta et Présidente de l’association Karuta France qui nous partage ses expériences de joueuse et le retour des personnes s’étant initiées à ces cartes par l’intermédiaire de son club. Dans la première partie de notre entretien, elle va nous présenter les règles et subtilités du karuta, l’histoire et les animations organisées par son club, et enfin son propre rapport au karuta avec les autres clubs internationaux.
Journal du Japon : Bonjour Amandine, nous vous remercions d’avoir accepté cette interview sur le thème de votre sport de prédilection. Présentez-nous votre club et votre fonction dans celui-ci ?
Amandine : Bonjour, je m’appelle Amandine Chambaron-Maillard et je suis la présidente de Karuta France depuis 2018. Cela fait près de 10 ans que je pratique le karuta. À l’échelle de la France, je m’occupe de la gestion d’évènements tels que les tournois annuels français, nos participations annuelles à Japan Expo, ou encore le festival Paris Karuta qui a lieu tous les ans au Musée Français de la Carte à Jouer. Ce qui nous permet de faire découvrir le karuta par des petits matchs d’initiation.
Le festival de Issy-les-Moulineaux est réalisé conjointement avec l’association partenaire Gambalo (qui soutient les enfants de Fukushima, suite à la tragédie du 11 mars 2011, en accueillant chaque année des jeunes japonais pour un petit tour de France et en sensibilisant les Français à la culture japonaise). C’est son président, M. Tokashi-san, qui nous a proposé de participer au festival isséen. Depuis 5-6 ans, nous sommes présents à toutes ses éditions, et nos deux groupes s’entraident mutuellement.
Pour tout ce qui concerne la gestion et l’organisation au Japon, les échanges avec la fédération japonaise et nos participations aux tournois lors de nos voyages, ce sont deux membres du bureau qui s’en chargent (Gabriel notre secrétaire et Quentin, mon mari et notre vice-président).
Comment a été crée le club Karuta France ? Comment a-t-il évolué depuis ses débuts ?
Le fondateur, Romain Edelmann, avait fait une année d’échange au Japon en 2010-2011 et il pratiquait du basket. Sauf qu’une blessure à la jambe l’a empêché de continuer sa passion, il a donc recherché un nouveau sport lui étant accessible. Ainsi, il a découvert et pu pratiquer sur place le karuta. De retour en France en 2012, il a monté un club avec quelques amis. Ça a démarré à quatre dans son garage. Au fil des années, le club s’est développé jusqu’à migrer à Paris grâce aux locaux fournis gratuitement par la mairie. Depuis, nous pratiquons encore aujourd’hui à la Maison des Initiatives Étudiantes (MIE) à Bastille.
Nos effectifs sont longtemps restés faibles, le karuta ne s’étant démocratisé que depuis une quinzaine d’années hors du Japon. Dans le monde, seules des petites communautés pratiquent ce sport.
Romain est retourné vivre au Japon, de façon définitive, donc il ne pouvait plus s’investir pleinement dans le club. Avec mon mari (nous ne nous connaissions pas encore), nous avions intégré le club depuis 2015. En constatant la situation du président, nous avons pris l’initiative de reprendre les rênes de l’association (avec l’accord de Romain). Depuis, nous sommes restés en contact avec le fondateur. Lors des gros évènements, il essaie d’être présent et d’y participer si sa santé le lui permet.
Comment avez-vous découvert le karuta ?
Contrairement à Romain, comme la plupart des pratiquants étrangers, j’ai découvert ce sport grâce à un manga qui aborde le sujet et à son adaptation en anime. Avec Chihayafuru, j’ai découvert une pratique impressionnante et j’avais hâte de savoir si elle existait réellement, ou si l’histoire était exagérée, comme dans la plupart des mangas sportifs. En me renseignant, j’ai appris l’existence du club à Paris, qui était alors pas loin de chez moi, et j’ai intégré ainsi leur équipe. À force de rencontrer d’autres joueurs de tous les continents, je me suis rendue compte qu’ils ont eux-aussi découvert le karuta avec un parcours similaire au mien. Finalement, l’œuvre retranscrit bien la réalité de la pratique.
Que l’on aime ou non la poésie et le Japon, on est réceptif à ce sport alliant plein d’aspects. Il faut de la mémoire, de la concentration, de la vitesse, de la stratégie et de l’endurance. On peut jouer contre des adversaires de tout âge et de tous genres, ce qui en fait un sport universel. Les seules catégories concernent les niveaux.
Est-ce-que le karuta est un sport reconnu au Japon ?
Le karuta à sa propre fédération et des compétitions sont organisées avec un système de dan, ce qui en fait officiellement un sport. Quand on présente ce jeu de cartes, sans doute les gens visualisent un jeu sur table qui ne fatigue pas. D’où l’importance de mettre en pratique sa présentation.
Le karuta se compose d’un système de cent cartes, chaque carte étant associée à un poème tiré d’une anthologie japonaise : le Ogura hyakunin isshu. Deux joueurs s’affrontent sur un tatami en mettant devant chacun d’eux vingt-cinq poèmes différents. Les cartes sont disposées à leur convenance et ils ont droit à un temps de mémorisation du terrain. Un lecteur va lire les cent poèmes de façon aléatoire. Dès qu’un joueur reconnaît le poème, il doit toucher ou éjecter du terrain, le plus rapidement possible, la carte correspondante. Pour gagner, un joueur doit s’être débarrassé de toutes ses cartes de son propre côté du terrain. À savoir que si la carte que le joueur a touchée était sur son terrain, il la retire, mais si elle était chez l’adversaire, elle sort du terrain pour être remplacée par l’une de celle du gagnant encore en jeu.
Donc les cartes vont bouger au fil de la partie et il faut faire attention à celles commençant avec les mêmes sons. Un match dure en moyenne une heure si les deux adversaires ont un niveau similaire. Dans un même tournoi, on peut aller jusqu’à six/sept matchs pour atteindre la finale, ce qui en fait un sport à part entière. Tout ceux qui ont essayé la première fois sont revenus fatigués le lendemain avec des courbatures.
Les pratiquants de karuta doivent-ils apprendre tous les poèmes par cœur ?
Dans le karuta, il existe un personnage tiers : le lecteur. Il va réciter les poèmes de façon aléatoire, donc pour en devenir un, il faut les connaître par cœur. Le lecteur a quand même les cartes pour les lire mais il les connaît. Rien n’empêche quelqu’un de les apprendre juste pour le plaisir mais ces passionnés sont rares. Les Japonais les apprennent quand ils sont petits mais ils tendent à les oublier car il s’agit d’un très vieux parler pas du tout naturel pour eux.
Mais apprendre les poèmes ne va pas forcément nous permettre d’être meilleur au karuta. Ce qui va compter, ce sont les toutes premières syllabes. Même si l’on ne connaît pas un poème dans son entièreté, ce n’est pas une obligation pour se perfectionner. Apprendre cent poèmes dans une langue étrangère peut faire peur.
À vous entendre, ce sport est aussi intense physiquement que mentalement !
Rien qu’en terme de faculté mentale, il demande une forte mobilisation de ses capacités. Le karuta se pratique à genoux sur les tatamis et on a besoin de faire des mouvements rapides pour manipuler les cartes. Entre chaque poème, on va rassembler toute sa concentration et toute son écoute, ce qui rend épuisant ces épisodes intenses et ponctuels dans la même heure. Il faut une parfaite synchronisation entre le poème reconnu et le réflexe de saisir la bonne carte, donc on doit être dans une position penchée sollicitant beaucoup de muscles. On ne peut se rendre compte de tout ce qui est mobilisé qu’en essayant.
Jugez-vous ce sport accessible à tous ?
La pratique est compliquée pour les personnes ayant des handicaps physiques : ceux qui ne peuvent pas rester longtemps à genoux, ceux qui n’ont pas beaucoup de mobilité au niveau des bras ou ceux qui sont malentendants. Mais de manière générale, on peut affronter en plein tournoi un monsieur de 50 ans comme une fille de 12 ans. L’issue du match ne pourra jamais être prédite car chacun va employer ses propres stratégies.
Quand l’équipe américaine était venue au tournoi international organisé en 2018, l’une des joueuses était principalement en fauteuil. Elle avait un peu de mobilité aux jambes mais elle fatiguait très vite. Pour autant, elle avait joué et elle s’était amusée avec les autres compétiteurs. La pratique de ce sport n’est donc pas un obstacle si on sait comment se positionner pour être à l’aise et atteindre toutes les cartes du terrain.
Personne ne joue de la même manière, ce qui rend chaque partie unique. Pour moi, tout le monde peut apprécier ce sport, tant que l’on reconnaît les sons japonais. Pour le karuta de compétition, il faut savoir lire les hiragana pour pouvoir reconnaître les poèmes. Mais il n’y a pas besoin de connaître forcément les kanji ni de comprendre les poèmes. En général, c’est à force de pratiquer que les joueurs vont s’intéresser aux poèmes et à leur sens, sans que cela soit un prérequis.
Comment peut-on se perfectionner dans sa pratique du karuta ?
Si l’on souhaite se lancer dans le karuta compétitif, il faut pratiquer régulièrement. Nous réalisons un entrainement par semaine sur huit heures où nous pouvons voir et réaliser plusieurs matchs. Ce qui nous permet de développer une meilleure connaissance des sons, une meilleure mémorisation des cartes et de meilleurs réflexes physiques. Nous travaillons aussi sur notre positionnement pour qu’il soit optimal. Par exemple, pour que l’on ne s’appuie pas trop sur la main, on apprend à répartir le poids du corps comme il faut pour pouvoir prendre rapidement les cartes les plus loin chez notre adversaire. On travaille aussi sur la précision des joueurs quand ils manipulent le terrain. Tous ces petits exercices doivent aussi permettre à chacun de trouver son propre style de jeu.
Actuellement, au Japon, on développe un jeu de « karuta d’attaque ». L’objectif premier est de viser les cartes de l’adversaire car nous prenons le dessus sur lui en nous débarrassant de nos cartes sur son terrain. On choisit quelle carte lui donner et où la poser, ce qui nous permet de nous avantager. Cette philosophie principale dans le milieu n’est pas propre à tous les joueurs. Notre fondateur joue un « karuta de défense » où il privilégie la protection de son propre terrain. Il y a aussi des jeux plus mixtes qui s’adaptent à la situation.
Nous commençons par apprendre aux joueurs à attaquer car c’est plus facile de leur enseigner ensuite la défense. Sur notre site, nos membres présentent plein de petites techniques pour apprendre des cartes et s’entraîner chez soi. Le mieux reste la pratique.
Pouvez-vous nous expliquer le système des dans ?
Actuellement, il existe dix dans et c’est à partir du 8e dan que l’on parle de « dans honorifiques ». En sachant qu’ici, on a un système de lettres. Au début, on démarre tous au dan zéro qui correspond à la classe E. Pour monter en grade, il faut participer à un tournoi de classe E et y gagner trois matchs. Ainsi, on obtient son premier dan et l’on ne peut participer qu’à des tournois de 1er dan, donc de classe D. Pour atteindre le 3e dan (la classe C), il faut remporter trois/quatre matchs. Mais pour le 4e dan (la classe B), il faut arriver troisième dans le tournoi correspondant. En sachant que les niveaux sont ici plus disparates entre les récents 4e dan et ceux qui y sont depuis longtemps. Le passage au niveau supérieur n’est possible qu’en remportant un tournoi, donc en enchaînant sept victoires. Arrivé au 5e dan, on ne peut plus monter par-delà la classe A.
Pour les tournois de classe A, les niveaux sont définis par un système de points. C’est avec le cumul des points que l’on va ensuite monter en dan. Mais le 7e dan n’est accessible que pour le « Meijin » et la « Queen ». Le meilleur joueur et la meilleure joueuse sont définis dans un tournoi annuel et leur titre est remis en jeu chaque année.
On remporte une coupe si on gagne le tournoi. Pour les plus petits niveaux, on reçoit un diplôme confirmant notre nouveau niveau. Chaque tournoi peut offrir des petits cadeaux aux personnes montant en dan et aux trois meilleurs joueurs. Par exemple, l’un de nos membres passé en 2e dan a reçut un set de karuta aux couleurs de Chihayafuru.
Ça peut être compliqué d’aller participer aux tournois au Japon. Mais depuis trois ans en France, grâce aux efforts communs entre la fédération japonaise et les membres qui nous aident à les organiser, on crée des tournois annuels pour pouvoir faire passer 1er dan certains membres. Au fil des années, on souhaite avoir assez de membres de ce niveau pour pouvoir organiser un tournoi qui leur permettrait de passer 2e dan. Jusqu’à un jour, arriver au plus haut niveau ! Ce qui prendra du temps mais on y croit. Le tournoi est français mais il est ouvert à tous les joueurs internationaux.
Nous remercions chaleureusement Amandine pour son précieux témoignage, et nous la retrouverons dans la seconde partie, en ligne dès demain sur le site, pour aborder les liens de Karuta France avec les autres clubs internationaux, en plus de ses participations à des tournois japonais.
D’ici là, vous pouvez retrouver toutes les actualités du club parisien sur leur site Internet et sur leurs réseaux sociaux !