Entretien avec les auteurs du Guide du tokusatsu : secrets de fabrication et situation du tokusatsu en France
2024 a été une année faste pour le tokusatsu en France : des expositions autour des kaijû à la Japan Expo et aux Utopiales, une rétrospective de films à la Maison de la Culture du Japon, la sortie de la trilogie Gaméra en blu-ray chez Roboto… Les 70 bougies du mythique Godzilla ont été l’occasion d’un hommage général à ses descendants, monstres ou super-héros.
Le Guide du tokusatsu de Marvin Ringard et Romain Taszek s’impose comme la cerise sur le gâteau d’anniversaire du lézard géant. Journal du Japon a la chance de s’être entretenu avec les deux auteurs pour en apprendre plus sur le livre mais aussi sur leur relation au tokusatsu et l’avenir de ces productions en France. Prêt à plonger dans un monde d’explosions, de costumes colorés et de créatures géantes en tout genre ?
Tokusatsu… Sans doute les connaissez-vous sans avoir entendu le terme. Nous laissons le soin à nos invités de le décrire plus en détail mais l’évocation de titres comme Godzilla, Kamen Rider ou Bioman réveille sûrement tout un imaginaire dans vos esprits. Avec ses 200 pages en grand format, Le Guide du tokusatsu propose de faire le point sur toutes ces productions japonaises encore trop peu connues en France. Les profanes comme les initiés sont les bienvenus dans cet ouvrage sertit d’illustrations inédites qui, comme son sous-titre l’indique, ambitionne de vous expliquer le pourquoi du comment des « kaijû, sentai et effets spéciaux japonais des origines à nos jours« .
Au fil d’une longue discussion, Marvin Ringard, auteur du texte du Guide du tokusatsu et initiateur de nombreux projets autour du médium en France, ainsi que Romain Taszek, illustrateur aux multiples facettes et esprit à l’origine du livre, nous raconte leur attachement au tokusatsu, les coulisses de la création du livre ainsi que l’avenir, que l’on espère radieux, des productions japonaises à effets spéciaux en France.
Rencontres autour du tokusatsu en France
Le tokusatsu : un style japonais unique au monde
Journal du Japon : Merci beaucoup d’avoir accepté de nous parler de votre livre sur Journal du Japon. Avant d’entrer dans le cœur du sujet, pouvez-vous expliquer simplement à nos lecteurs ce qu’est le tokusatsu ?
Marvin Ringard : La fameuse définition ! Ce sont des productions japonaises qui sont filmées, en prise de vue réelle donc, et qui mettent au cœur de leur récit l’utilisation de nombreuses techniques d’effets spéciaux dits “traditionnels” (costume, maquette), et un peu plus tard, l’inclusion du numérique.
De quelle manière avez-vous rencontré le tokusatsu ?
Marvin : J’ai connu le tokusatsu “pur jus” au début des années 90, lors de la fin du Club Dorothée, puis lors de la transition de ces productions avec Power Rangers, où cette franchise m’a permis de me familiariser avec les codes du genre en grandissant. Mais de la fin des années 90 jusqu’à début 2010 environ, j’ai mis de côté tout ce qui était tokusatsu en m’intéressant à d’autres domaines du Japon comme l’animation.
Aux alentours de 2013, j’ai un ami qui regardait des séries de super-héros de tokusatsu et qui m’a conseillé de regarder Kamen Rider. J’étais un peu réticent au début car j’avais dans mes souvenirs une image très désuète de Power Rangers. Mais j’ai finalement cédé et me suis lancé avec la série Kamen Rider de 2013, Gaim. J’ai trouvé la série vraiment sympa, et ça m’a donné envie de découvrir tout cet univers, quelque chose de complètement nouveau, et d’aller plus loin par la même occasion, comme les kaiju par exemple, que je connaissais de loin… mais sans plus. Je trouvais dans ce genre quelque chose qui me parlait tout particulièrement. On arrive ensuite à aujourd’hui où c’est devenu une passion que j’essaie de faire découvrir au monde.
Romain Taszek : De mon côté, ça a commencé de manière similaire à Marvin. J’ai deux grand frères donc je suis né avec la télé en fond sur le Club Dorothée. Je connaissais Bioman, X-or, etc. Enfant, j’ai été aussi très fan de Power Rangers. Très tôt, je me suis passionné pour le Japon, à travers les dessins animés et les mangas, dont je suis rapidement devenu un très gros lecteur.
Début 2000, j’arrive au collège et je commence à regarder des drama japonais. À l’époque, c’était la croix et la bannière pour voir des séries japonaises : il n’y avait pas encore les plateformes de streaming et il fallait vraiment chercher pour trouver quelque chose. Je tombe alors par hasard sur un sentai de 2004, Dekaranger, et je me laisse complètement prendre par la série. Je suis donc entré dans le tokusatsu par le sentai. C’est à ce moment que j’apprends l’anecdote sur Power Rangers. Ils reprennent telles quelles les scènes d’action des sentai japonais et tourne avec des acteurs américains les moments non costumés. La communauté tokusatsu était petite : il y avait un forum sur lequel je trainais et un canal IRC, que j’utilisais pour discuter et télécharger des épisodes.
J’ai fait des aller-retours, régulièrement, vers le tokusatsu parce que ça demandait de l’investissement pour mettre la main sur du contenu . Plus tard, je suis tombé sur l’émission Toku Scope qui m’a remis le pied à l’étrier. J’ai continué mon chemin de mon côté en trouvant, tant bien que mal , de nouvelles choses. La dernière pierre à l’édifice de ma culture tokusatsu, ce sont les vidéos de Marvin que j’ai découvertes en 2021 (le temps file !), et je me suis dit qu’il y avait des choses à faire pour ce genre encore trop méconnu.
Qu’est-ce qui vous parle en particulier dans ce genre ?
Marvin : Ce qui m’a plu dans mes premiers pas avec Kamen Rider et qui m’a remis dans le tokusatsu : c’est le mélange entre le côté filmé et le côté débridé grâce aux effets spéciaux. Kamen Rider, ce sont des séries d’action pour enfants avec beaucoup d’action, de péripéties, et un rythme à 100 l’heure. Comme beaucoup, je regardais de l’animation japonaise par la télévision dans les années 90 et 2000, puis avec internet. Le tokusatsu m’a permis de retrouver des codes que je connaissais dans l’animation mais qui se trouvaient transposés avec de vrais acteurs. Cette approche japonaise m’a plu et me plaît toujours.
Il y a aussi le côté envers du décors : comprendre comment ça a été fait et comment le savoir-faire demeure même suite aux progressions technologiques. Il y a une vision japonaise dans la façon de concevoir l’action, de faire les costumes, les effets spéciaux. On ne retrouve pas vraiment cette vision ailleurs, sauf dans les œuvres qui assument totalement cette inspiration japonaise. Pour moi, le tokusatsu c’est un mélange du monde de l’animation et de la production cinéma japonais “classique”, ce qui donne un côté unique au genre.
Romain : Ça rejoint un peu ce que dit Marvin, mais ce que j’aime dans le tokusatsu de manière générale, que l’on retrouve notamment dans le cinéma japonais et les anime, c’est une vision toute japonaise de la narration, avec des histoires non manichéennes. Ça offre une vision différente des films et séries américaines et plus largement occidentales. J’y trouve une forme de sincérité qui me touche énormément. Par exemple, dans Power Rangers ils ne peuvent pas s’empêcher de mettre de l’humour partout parce qu’ils n’assument pas le ton de la série. Moi j’aime la spontanéité, le premier degré du tokusatsu. Ils n’ont pas peur d’y aller à fond, d’y mettre du cœur. Malgré les décors en carton pâte, ils se donnent du mal pour raconter des histoires, assez profondes mine de rien, et parfois touchantes . On s’accroche aux personnages parce qu’ils sont entiers. Il n’y a pas besoin de dépenser des milliards en effets spéciaux. Parfois un peu de sincérité, un public réceptif, et on peut avoir des propositions folles et uniques.
Un pan de la culture populaire japonaise délaissé en France
Pensez-vous qu’il y a un écart dans la vision de ces récits entre la France et le Japon ?
Marvin : Pour faire une comparaison, quand je suis arrivé dans le tokusatsu, il y avait déjà une lassitude des codes américains de super héros. La formule Marvel commençait à s’imposer, avec un désamorçage systématique de l’action et de la dramaturgie par de l’humour pas toujours bien senti. Même s’il y a de l’humour et de la légèreté dans les séries de super-héros de tokusatsu car elles restent des séries pour enfant, on y trouve une réelle sincérité. Ça ne les empêche pas parfois d’être mal faites, et si il pouvait y avoir un peu plus d’argent, ça permettrait de faire encore mieux. Mais il y a un équilibre entre les moyens du bord et le fait d’assumer ce qu’elles sont, et c’est peut-être ça que le grand public occidental peut avoir du mal à accepter.
Romain : Je pense qu’au Japon, on accepte plus facilement ce type de proposition de séries un peu loufoques, peu importe le réalisme des effets spéciaux. En France, on est un peu frileux, voire moqueur sur ces aspects. C’est pas rare que des réalisateurs arrivent avec des propositions intéressantes dans le cinéma de genre en France, mais on va tout de suite s’arrêter au réalisme des effets spéciaux.
Pourquoi, selon-vous, cet écart de réception entre le tokusatsu et d’autres divertissements japonais existe-t-il ?
Marvin : Effectivement il y a un écart évident entre ces divertissements et le tokusatsu. L’animation est depuis longtemps acceptée et est passée dans le mainstream. Le tokusatsu, encore aujourd’hui, reste une petite denrée rare où il faut un peu se dépatouiller pour en trouver, même si ça tend à s’améliorer. Niveau accessibilité, en exagérant un peu, on peut dire qu’on a un retard d’environ 20 ans par rapport à l’animation, malgré les petites choses ponctuelles qui se font à l’international pour le tokusatsu.
La forme est à la fois une force et une faiblesse pour le tokusatsu. On retrouve des codes de l’animation et du cinéma japonais, deux propositions qui ont eu du mal à être acceptées par le grand public occidental durant un certain temps, même si ce n’est plus vraiment le cas maintenant. Le tokusatsu est un mix des deux avec une patte esthétique très particulière qui, bien qu’elle ait une identité propre, peut repousser car le public n’est pas habitué. Si l’on souhaite sortir une série issue de la franchise Super Sentai par exemple, elle partirait d’office avec une image pas très glorieuse, liée à celle de Power Rangers qui est souvent moqué, quand bien même cette dernière a pu aussi forger pour pas mal de gens leur amour pour le tokusatsu.
C’est le dilemme du serpent qui se mord la queue : si les gens ne font pas d’efforts pour découvrir un peu plus en profondeur, d’aller au-delà des apparences, ça ne bougera que difficilement. On a pas été suffisamment habitué au tokusatsu (sous-entendu ici les séries de super-héros) en France pour qu’il y ait un déclic similaire à celui de l’animation japonaise chez nous. Il reste encore du travail pour faire accepter cette esthétique et ce type de narration (les séries de super-héros faisant plus de 50 épisodes généralement), même dans des cercles de gens déjà habitués à l’animation japonaise.
Romain : Je pense aussi que c’est un problème de public cible. Les séries de super-héros sont par exemple faites pour un public jeune au Japon. Il faudrait que les enfants français y soient exposés, et comme il y a toujours un public pour des séries comme Power Rangers, ça pourrait fonctionner.
Pour d’autres formats, comme le film de kaijû, je pense qu’il y a un public qui est prêt en France. Il faut seulement qu’il y ait un diffuseur qui ose projeter les films ou séries ici. Ces dernières années, on a jamais eu autant de films d’animation japonaise en France, même des films à petit budget. Il y a un public qui est en demande. C’est aussi le cas pour le cinéma japonais live. Je pense qu’on a un public qui est en appétit constant de nouvelles découvertes japonaises. Lors de la sortie de Godzilla Minus One, les gens étaient au rendez-vous et ont réservé un bon accueil au film. Il faut que ces œuvres soient accessibles : le public est là.
Marvin : Pour positiver, internet permet de rendre les choses beaucoup plus accessibles même si ça ne se fait pas toujours dans la légalité. On peut découvrir plus facilement ce qui se fait au Japon : du sentai, du Kamen Rider, Ultraman, Garô et compagnie. Tout est trouvable en 2-3 clics. J’ai envie de croire qu’avec une proposition légale soutenue par une vraie promotion pour accompagner le public français, le genre peut toucher un certain public. On espère que les choses vont s’améliorer dans les années à venir et que le tokusatsu arrivera à se frayer un chemin parmi les autres productions japonaises.
Vulgarisation et communauté de fans autour du tokusatsu en France
Marvin, vers 2016, vous commencez votre chaîne Youtube Toku Hill Zone qui traîte de l’univers du tokusatsu. Quel était votre objectif à l’époque ? À part l’émission Toku Scope, le tokusatsu était (il me semble) encore largement absent de la plateforme en France…
Marvin : Ca peut paraître simple mais j’avais envie de faire découvrir le tokusatsu aux gens. Je découvrais avec plaisir ces productions, et je me suis aperçu qu’elles étaient mal connues et mal vues par certains. Je me suis rendu compte qu’il y avait besoin d’en parler de manière didactique : faire découvrir une série en particulier, une franchise ou bien le genre en général. C’est ça qui m’a motivé à lancer ma chaîne YouTube Toku Hill Zone. Le but de ma chaîne, c’est de vulgariser le tokusatsu, une chose importante car il faut passer par là pour que les gens s’y mettent.
Je n’ai pas eu un rythme très soutenu jusqu’ici, mais je pense avoir réussi à faire des vidéos complètes à propos de séries ou de franchises en particulier, des vidéos qui me plaisent au vu de mon objectif. Les deux dernières vidéos en date, qui remontent à 2021 maintenant, sont comme un vrai documentaire qui dure presque 1h30 une fois les vidéos cumulées. Je ne m’étais pas dit que c’était forcément la dernière, mais que quitte à m’arrêter pour telle raison, autant partir avec une vidéo qui ferait référence à toute l’histoire du tokusatsu. Sur YouTube, il y a Toku Scope et d’autres contenus ponctuels sur le sujet parfois, mais les chaînes dédiées françaises étaient encore (et le sont toujours) très minoritaires, et ce n’est pas beaucoup mieux du côté anglophone.
Romain Tsazeck de votre côté vous commencez l’illustration de livre en 2020 avec très rapidement un ouvrage en lien avec le Japon (La nuit des Yokaï). Était-ce pour vous une découverte de la culture de l’archipel ou la consécration d’une passion longuement entretenue ?
Romain : Je travaille beaucoup pour la jeunesse mais pas que. J’ai touché à plein de genres différents : la BD, l’album, le documentaire… Je suis aussi parfois auteur sur certains de mes projets. En ce qui concerne le Japon, je baigne dedans depuis très longtemps : tout petit j’étais fan d’anime, de manga, de jeux vidéo… Et j’ai fait très tôt le constat que toutes les choses que j’appréciais venaient du même pays. J’étais toujours en recherche de nouvelles choses autour de l’archipel : le cinéma, l’art, l’artisanat, la culture, etc.
Mon premier livre autour du Japon est sorti en 2020. C’est un album jeunesse: La nuit des Yokaï. Je l’ai réalisé à la suite de mon premier voyage au Japon en 2018. C’était tellement fantastique que j’ai voulu en garder une trace. La Nuit des Yokaï, c’est une sorte de carnet de voyage de ce premier voyage au Japon. Je connaissais les yokai car ils apparaissent régulièrement dans la culture populaire japonaise. Cette même année a eu lieu au musée du Quai Branly l’exposition Enfers et Fantômes d’Asie à laquelle je me suis rendu. Toute une partie était consacrée au yokai, ce qui m’a donné envie de me renseigner sur le sujet. Dans la foulée, je découvre le travail de Shigeru Mizuki avec GeGeGe no Kitarô. À l’époque, il y avait aussi Yokai Watch qui était très populaire, encore aujourd’hui quand je fais des interventions dans des écoles, il y a toujours des enfants qui me parlent de la série. Mais à part ça, il y avait peu de chose en France à ce sujet et j’ai souhaité faire un livre dessus. Ça a été un travail fascinant et ça m’a beaucoup plu de me plonger dans l’univers des yokai.
En 2020, Marvin, vous fondez le Discord de la Culture tokusatsu, qu’est-ce qui vous a poussé à créer puis gérer un tel projet ?
Marvin : Discord était une figure montante des outils de communication, dans un croisement entre forum, chat IRC et mumble. C’était en 2020, et j’avais déjà commencé à rencontrer des gens en lien avec le tokusatsu par mes vidéos ou par Twitter. Mais je m’étais fait la remarque que la communauté française était certes présente mais éparpillée. Il n’y avait pas de Discord français dédié au tokusatsu, et j’ai pensé à le lancer pour pouvoir fédérer autour du sujet. J’étais alors seul sur le projet. Au fil des années j’ai rencontré d’autres personnes et j’ai réussi mon objectif de rassembler une partie des fans de tokusatsu en organisant même parfois des petits événements.
Le fait d’avoir lancé le Discord trois semaines avant le début du premier confinement a certainement aidé le projet : on avait tous envie de se serrer les coudes à propos d’une même passion dans une période un peu délicate pour tout le monde. On discutait bien sûr, mais on faisait aussi des visionnages en groupe à distance, ce qui a permis à plein de monde de découvrir des nouveaux aspects du tokusatsu en dehors du kaiju ou du super-héros. Ce sont des choses que l’on fait encore actuellement sur le Discord qui s’en va sur ces cinq ans l’année prochaine.
En 2021, vous fondez avec des membres du Discord le média Tokulture, qui devient cette année une association pour la promotion du tokusatsu en France dont vous êtes le Président. Comment la communauté de fans a-t-elle évolué pour permettre la création de cette association ?
Marvin : Tokulture est à l’origine un simple compte Twitter créé avec mon ami Vincent Marcantognini, qui est aussi traducteur de manga et interprète. Je l’ai rencontré sur le Discord, et c’est devenu un bon ami comme beaucoup d’autres membres. À un moment, on s’est fait la réflexion qu’on aimait bien utiliser Twitter (malgré ce qu’il est devenu aujourd’hui) et que c’était dommage qu’il n’y avait pas une sorte de petit média qui centraliserait les informations sur le tokusatsu d’une manière didactique.
On a lancé Tokulture en septembre 2021 et la sauce a bien pris : beaucoup de monde sont en réalité réceptifs au tokusatsu mais il semblait leur manquer une étincelle, une porte d’entrée ou un accompagnement. On faisait des threads de présentation d’une franchise, du tokusatsu en dehors du super-héros, de ce qui peut plaire aux différents profils… On part du principe que l’on s’adresse à des personnes qui ne connaissent pas bien le tokusatsu et qu’on va leur permettre de découvrir plus sur cet univers en quelques tweets. Aujourd’hui on est à plus de 1600 followers ce qui, vu le sujet en francophonie, est un beau chiffre.
Avec Vincent, Romain et d’autres connaissances du Discord, on a eu l’idée de transformer Tokulture en association, toujours dans l’optique de favoriser la découverte et de soutenir le tokusatsu en France. On sent qu’il y a des gens qui peuvent être réceptifs, et que l’on peut leur faire découvrir que le tokusatsu ne contient pas que des super-héros et du kaijû et on était même content d’assurer, un peu à nos dépends, la sortie de série comme Kamen Rider Black Sun ou le film Shin Kamen Rider sur Amazon Prime, vu la (quasi) absence de publicité par la plate-forme.
On a ensuite réalisé que le tokusatsu avait besoin d’un soutien plus concret qu’un regroupement de fans. L’association Tokulture a été créée fin 2023 et révélée publiquement début 2024. Son but est de mettre en lumière ces productions, tout en restant accessible. On pense qu’il peut avoir un public en France et beaucoup moins niche qu’on ne le pense. On est encore jeune et il faut que l’on fasse notre trou pour que des gens aient confiance en nous et ainsi devenir un véritable soutien autour du tokusatsu en France. On essaye d’être francophone, mais on est globalement situé en France, à Paris : l’idéal à l’avenir serait de s’étendre au-delà pour mieux démocratiser le tokusatsu.
Romain, vous participez également à Tokulture en créant le logo de l’association. Pouvez-vous revenir sur la création de ce dernier ?
Romain : Il y a eu un brainstorming avec tous les membres de l’association pour la création du logo : il devait faire comprendre rapidement de quoi on parlait. Je pense qu’il est amené à évoluer car j’espère, qu’un jour, on ne sera plus obligé d’expliquer ce qu’est le tokusatsu. C’est un des objectifs de l’association d’ailleurs : que le tokusatsu devienne une part de la culture populaire japonaise qui soit appréciée au même titre que le reste. J’en profite pour dire aux personnes qui veulent aider le tokusatsu de s’intéresser de près à l’association, voire de la rejoindre quand les adhésions seront ouvertes.
La genèse du Guide du tokusatsu
Un projet à quatre main
Revenons vers la création du Guide du tokusatsu. Romain évoquait plus tôt sa découverte de la chaîne Toku Hill Zone. Pouvez-vous revenir plus en détail sur votre rencontre avec Marvin ?
Romain : On est en 2021, je tombe sur les vidéos de Marvin et je les regarde toutes d’affilée. J’aime beaucoup le style d’écriture de Marvin, précis mais pas trop ampoulé. Les vidéos sont longues et riches d’informations mais pourtant digestes. Je venais de finir un projet de livre, et j’ai pensé qu’il y avait quelque chose à faire autour du tokusatsu. J’ai travaillé pas mal de temps pour une revue qui s’appelait Pop-corn et qui parlait de cinéma aux enfants en vulgarisant des thématiques, des genres ou des métiers du cinéma. J’ai pensé que ça serait chouette de faire la même chose avec le tokusatsu, donc j’ai contacté Marvin sur Twitter, au culot. Il m’a répondu quelques jours après.
Marvin : En 2021, j’ai été convié par une association aux Utopiales, un festival annuel de science-fiction qui se déroule à Nantes, pour organiser une conférence autour des super-héros du tokusatsu avec d’autres personnes. Et c’est pendant les Utopiales, en pleine visite d’une exposition, que je reçois le message de Romain sur Twitter. C’était une surprise : un projet du genre était inespéré. Je venais de sortir la deuxième partie de ma vidéo sur l’histoire du tokusatsu. Il y avait une sorte de transition depuis YouTube, où j’avais atteint un certain palier, vers le livre avec la proposition de Romain. Et nous voilà trois ans plus tard à présenter le dit-livre !
Comment vend-on un projet du genre, qui peut paraître assez niche, à des maisons d’édition ?
Romain : Comme j’avais déjà sorti quelques livres, je savais ce qu’il fallait faire pour proposer un projet aux maisons d’édition. Au départ, il était pensé comme un projet pour la jeunesse, du fait de mes précédents ouvrages dans ce domaine. J’avais pensé à un livre documentaire qui donnerait beaucoup de place à l’illustration et expliquerait le genre de manière simple pour qu’il soit à portée d’enfant. On a cherché des maisons d’édition avec ce projet dont nous avions réalisé les premières maquettes. Certains éditeurs étaient très curieux du projet mais on nous répondait chaque fois que le sujet était trop niche donc trop risqué à éditer. On avait par exemple beaucoup avancé avec un éditeur canadien, mais au dernier moment ils se sont retirés.
On ne s’est pas démonté, on ne voulait pas jeter tout le travail qu’on avait fait : les dessins, la mise en page, les textes, etc. On alors décidé d’ouvrir le spectre au-delà de la jeunesse et on a contacté divers éditeurs de ce qu’on appelle “les cultures de l’imaginaire”. Ynnis nous a répondu au milieu de l’été 2023. Je pense que tout ce qui était programmé autour des 70 ans de Godzilla pour 2024 a joué dans leur décision. On était très content.
Marvin : J’étais flexible pour le public cible. J’étais content de faire un livre abordable pour les enfants et leur faire découvrir le tokusatsu. Une partie de moi souhaitait faire quelque chose de plus poussé mais il ne faut pas être trop gourmand pour un premier livre ! Avec Ynnis, j’ai eu plus de liberté car le projet s’est rapproché de leur ligne éditoriale : des livres sur le cinéma, sur des franchises célèbres, sur l’animation…
Il faut dire aussi que le timing était bon avec Godzilla. Godzilla Minus One sortait bientôt au Japon (NDR : 1er novembre 2023 au Japon, 7 décembre en France), et la créature était dans la tête des gens avec les films du Monsterverse côté américain (NDR: Godzilla x Kong : Le Nouvel Empire était prévu pour mars 2024). C’était certes un pari de leur côté, avec “tokusatsu” écrit en gros alors que le terme n’est pas encore si connu en France, mais l’éditeur pouvait se reposer sur des figures célèbres comme Godzilla ou Bioman par exemple.
Je voulais écrire quelque chose pour aider à connaître le tokusatsu dans une approche didactique. Un livre qui engloberait presque tout avec 70 ans d’Histoire, c’était pour moi une nécessité pour la reconnaissance de cette production en France. Les livres au sujet de Godzilla se sont multipliés ces dernières années et c’est super : maintenant qu’on a ouvert la brèche, il faut amener le sujet du tokusatsu directement sur la table, sans moyen détourné et dans son entièreté. Au final, on a pu faire un livre qui parle de tout le tokusatsu, sans trop se restreindre, bien que le papier du livre ne soit pas infini et demande de condenser et simplifier l’information.
Romain : Oui, on aimerait toujours que nos livres soient plus grands, avec plus de pages. Mais c’est un très chouette objet.
Pouvez-vous nous parler de vos relations de travail avec Ynnis ? Vous ont-ils laissé totalement libres dans la forme et le fond ?
Marvin : Les éditions Ynnis ont tout de suite été très ouverts sur le sujet. Concernant la forme, on s’est tout de suite accordé sur le fait que l’on souhaitait faire un format beau livre : un livre large, presque carré. Après, on nous a indiqué le nombre de pages, le nombre de caractères par partie, etc. C’est là que j’ai fait un travail de condensation de l’information, de sacrifice de sujets aussi… On m’aurait laissé un temps et un nombre de pages infini, j’aurais pu écrire au moins le triple ! Mais au final, je pense c’est bien d’avoir eu une certaine limite pour pouvoir synthétiser ce qu’est le tokusatsu : le livre doit être abordable pour tous. Les fans les plus renseignés trouveront peut-être que certains points sont abordés trop légèrement. Mais en lisant le livre, le lecteur ressort avec une belle liste d’œuvres à découvrir.
C’était bien d’avoir un point de vue extérieur lors des relectures avec les personnes de Ynnis qui s’y connaissent forcément moins en tokusatsu. On a par exemple eu plusieurs échanges où ils m’ont suggéré des modifications pour des parties qui ne leur paraissaient pas très claires. Ça m’a permis de me mettre dans le bon état d’esprit, pour faire un livre pour que tout le monde puisse comprendre ce qu’est le tokusatsu. Il fallait être simple dans les explications, avec une belle formulation, et le tour était joué.
Je vais peut-être dire quelque chose de banal mais on a tous beaucoup appris sur ce projet. Je suis content d’avoir les belles affiches de Godzilla ou des séries de super-héros avec à côté les illustrations tout en rondeur et très pop de Romain qui viennent s’intercaler. Ça permet d’être accueillant pour le lecteur : il donne une impression plus décontractée, moins pointue ou formelle.
Romain : De mon côté ça s’est également bien passé. Je trouve que les illustrations ont bien trouvé leur place dans le livre aux côtés des images de références, et le tout se marie bien avec la maquette. Ce qui était compliqué, comme Ynnis à moins l’habitude de travailler avec des illustrateurs pour l’intérieur de leurs livres, c’était de se projeter dans la maquette. Mais de manière générale ça s’est très bien passé, même s’il y a eu la dernière ligne droite un peu chargée, comme c’est le cas pour tous les livres au final.
Romain signe les illustrations et Marvin le texte : comment vous-êtes vous organisé pour savoir quoi illustrer et comment le faire ?
Marvin : Comme c’est moi qui ai écrit le texte, j’ai conseillé Romain sur le contenu, mais aussi sur ce que je pensais que Ynnis allait mettre comme images de référence. Je savais que pour certains personnages, il n’y a pas beaucoup d’images exploitables donc c’était l’occasion parfaite d’en faire des dessins.
Sinon, les illustrations étaient l’occasion de se faire plaisir et d’imaginer des choses qu’on ne trouverait jamais dans les images officielles. Par exemple, on a fait un chapitre où l’on parle de ce que devient le film de kaijû après 2004. Après l’échec de Godzilla Final Wars, il s’est passé beaucoup de choses autour du genre. Dans une illustration, Romain a représenté des figures des films de kaijû post 2004 qui se retrouvent sur un ring de catch, comme s’ils se disputaient le titre pour remplacer un Godzilla en retraite temporaire. Ou pour parler des tous premiers héros japonais à la télévision en noir et blanc, on a imaginé un enfant devant sa télévision et les héros qui commencent à sortir du poste pour montrer qu’ils commencent à envahir l’espace pop culturel japonais. C’était drôle d’imaginer des illustrations avec ce genre de crossover improbable.
Romain : Marvin a fait un travail remarquable là-dessus, il m’a fourni beaucoup d’archives et de documentations précises sur les différents sujets. Il a fait un travail de projection en m’indiquant ce qu’il serait bien de mettre à tel ou tel endroit.
Une approche française du tokusatsu
Le livre est divisé en trois grandes parties (kaijû, super-héros, et face cachée du tokusatsu). Face à l’envergure du sujet, cela a dû être un casse-tête de trouver par quel angle attaquer la question… ou bien aviez-vous déjà une idée en tête avant la rédaction ?
Marvin : Ce travail s’est fait sur plusieurs années et pas forcément sur le livre en lui-même. Une partie est issue de ce que j’ai fait dans mes deux dernières vidéos documentaires sur la chaîne Toku Hill Zone. J’avais déjà fait un travail de restructuration sur l’historique du tokusatsu, avec une vision globale de ce qu’il y a eu selon telle ou telle époque. Mais ma vidéo était un déroulé historique où j’abordais tout en même temps.
Pour le livre, je restais attaché à transmettre les choses de manières chronologique mais je ne pouvais pas transposer simplement ma vidéo à l’écrit. J’ai pris comme base le déroulé historique en le réorganisant pour qu’il soit plus facile d’accès, pour que le lecteur puisse picorer dedans. Il fallait donc trouver une logique pour organiser le tout. Il y a des évidences : le tokusatsu est surtout connu pour les kaijû, puis pour ses super-héros. La suite, on a appelé ça la “face cachée” parce qu’il y a plein d’œuvres qu’on ne suppose pas être du tokusatsu alors qu’elles sont totalement reconnues comme telles au Japon.
J’ai voulu commencer par le kaijû car Godzilla est la figure la plus importante, la première véritable œuvre de tokusatsu “moderne”. Naturellement, je passe aux super-héros qui sont l’autre figure connue. Ultraman était une réponse à l’essoufflement du film de kaijû au cinéma en proposant, à la télévision, un super-héros géant qui se bat contre des créatures tout aussi grandes. En somme : une œuvre parfaite pour connecter les deux premières parties du livre. Après ça, les lecteurs peuvent découvrir les autres licences : Kamen Rider, Super Sentai, Metal Hero, etc. Avec ces deux clefs en main, ils vont pouvoir passer à la “face cachée” et se rendre compte d’autres richesses du genre : de la SF, du robot géant en live action, des films d’horreurs, de l’aventure, des ninjas, …
D’un point de vue personnel, c’était important de faire un livre sur le tokusatsu en général parce que des fois, même si le genre du kaijû gagne de plus en plus ses lettres de noblesse dernièrement (et c’est très bien !), on a aussi parfois l’impression qu’on le distingue (sans se rendre compte ?) du reste du tokusatsu, comme si c’était deux choses différentes qu’il ne faut pas mélanger. J’essaie de casser cette image en commençant le livre par le kaijû : il fait partie du tokusatsu, c’est un fondateur mais il y a aussi d’autres choses derrière. Je souhaite offrir une vision globale de la production.
De la même manière, quelles limites vous-êtes vous posées pour parler de ces genres ?
Marvin : Par exemple, le chapitre de Ultraman est divisé en 4 parties où je retrace l’histoire du héros de sa création jusqu’à actuellement. C’est la même chose sur Kamen Rider, Super Sentai, Metal Hero… Le problème c’est que lorsque je souhaitais parler d’autres choses dans le domaine du héros tokusatsu, je ne pouvais pas en écrire autant. Après avoir parlé des quatre grandes figures du genre, je devais tailler dans le gras pour évoquer tout le reste dans l’espace imparti : les super-héroïnes (notamment le magical girl en tokusatsu sur lequel il y a beaucoup de choses à dire), la période faste des héros des années 70 (une décennie folle pour le genre), les héros moins connus des années 90 jusqu’à aujourd’hui … Il y a tellement de choses à dire sur le sujet qu’il faut faire des choix. C’est dommage mais c’est le jeu, et j’espère avoir d’autres occasions pour en parler !
Les lecteurs vont aussi amasser beaucoup d’informations. Je ne rentre pas tant dans le détail des séries en elles-mêmes mais je donne les clefs pour chaque gros points du tokusatsu : les noms des figures célèbres, les grandes étapes, les films et les séries plus ou moins connues.
Sur quelles sources vous-êtes vous basées pour un ouvrage du genre ? Existe-t-il des équivalents au Japon ou bien en anglais ?
Marvin : Techniquement, il n’y a pas beaucoup de sources. En plus, je ne parle pas japonais même si j’aimerais bien l’apprendre ! En France il y a très peu de sources, et c’est parfois éparpillé dans les magazines au fil des années. Il y a quand même eu plusieurs livres sur Godzilla et le cinéma japonais de SF avec le livre de Fabien Mauro qui est un très gros morceau. En anglais non plus il n’y a pas beaucoup de choses. Même au Japon, je ne pense pas qu’il y ait tant de livres sur le médium du tokusatsu en lui-même. Il y a pléthore d’ouvrages qui s’intéressent aux différents aspects (franchises, réalisateurs, séries, personnalité …), mais de ce que j’ai vu, il n’y a pas d’équivalent de ce qu’on a fait avec Le Guide du tokusatsu. Mais là, je pense que c’est normal car la production est beaucoup plus intégrée à leur culture, on peut imaginer qu’il n’y a pas besoin d’avoir très spécifiquement un ouvrage didactique comme le nôtre.
Mes sources sont au final la résultante d’années de discussions et de pérégrination sur internet à chercher des informations de droite à gauche entre les sites officiels ou les sites de fans. On en pense ce qu’on veut mais les wiki spécialisés sur les franchises peuvent donner une très bonne base d’informations car c’est souvent là que les informations sur le sujet de toute part convergent et trouvent refuge pour le public occidental. Après, comme toujours, il faut vérifier la véracité de chaque information. Ne parlant donc pas japonais, je me base beaucoup sur des sources anglaises pour trouver toute sorte de données, mais même si le milieu anglophone a apporté beaucoup de choses, il reste aussi parfois parsemé de potentielles approximations qui perdurent avec les années, transformant une mauvaise traduction en légende urbaine, le côté “niche” du sujet n’aidant sans doute pas. Néanmoins, les choses évoluent, les informations sont plus accessibles qu’avant et des personnes comme mon ami Vincent parlant japonais ont pu grandement aider la communauté en rétablissant certaines vérités.
La proposition du livre est une sorte de compromis de tout ça : reposer de bonnes bases autour du terme tokusatsu pour le public francophone.
Avec ses super-héros, ses monstres géants et ses engins mécaniques, le tokusatsu semble s’éloigner des sujets de vos premiers travaux en illustration. Avez-vous adapté votre style ou bien étiez-vous déjà habitué à faire des dessins sur le tokusatsu de votre côté ?
Romain : Non pas forcément. Je n’avais pas envie de tomber dans le cliché du style manga ou japonisant parce qu’on fait un livre sur le Japon. Ça n’aurait pas été très à propos. Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est qu’il est écrit par un français : si un japonais avait fait un livre sur le même sujet, il ne l’aurait certainement pas écrit de la même façon. Je suis donc venu avec mon univers graphique. Il me tenait à cœur de conserver ma patte, sans venir singer un style proto-japonais ce qui aurait été maladroit je pense. Par contre, au niveau des couleurs j’ai cherché à retrouver le côté pop du tokusatsu.
Marvin : J’ai tout de suite accroché au style graphique des dessins de Romain et je salue son travail entre conservation de son style et uniformisation des différentes facettes du tokusatsu. Les super-héros vont par exemple être très colorés, quand les kaijû vont être plus sombres : Romain a réussi à créer une cohérence même au sein de ces différences. Je pense aussi à la troisième partie “la face cachée du tokusatsu” où Romain a été d’une grande aide pour illustrer la partie sur les films d’horreur du tokusatsu. On parle un moment des années 80, la décennie des films d’horreur gore, les slasher movie. Comme c’était difficile de trouver des images qui puissent passer dans le livre, Romain s’est amusé à reprendre les créatures de ces films et les adoucir un peu, sans dénaturer à la fois son style et le sujet de base.
On a fait un livre où il y avait notre patte, et par extension une touche française. Il y a cette fierté de faire un livre français avec notre vision du sujet aussi bien au niveau de l’écriture que du dessin. Il fallait tirer notre épingle du jeu sans rentrer dans les carcans habituels des livres sur le Japon. J’espère qu’on a réussi, nos lecteurs nous le diront !
Sur quels modèles vous-êtes vous basés pour vos dessins ? Sur des images de la série directement ? Des illustrations préexistantes en manga ? De tête ?
Romain : Je me suis beaucoup inspiré des textes de Marvin. Comme il disait plus tôt, l’illustration permet d’obtenir des choses qui n’existent pas dans les films ou les affiches. Je me suis parfois inspiré d’illustrations existantes, mais à d’autres endroits j’ai plus de liberté. On a également beaucoup discuté avec notre éditrice Charlotte Thomas. Quand il y avait des références très pointues, Marvin m’a aidé à trouver de la documentation. Il y a pas mal d’œuvres cités dans le livre qui n’ont jamais dépassé les frontières du Japon.
Parler aussi bien aux profanes qu’aux initiés
A quelle catégorie de personne conseillez-vous la lecture du livre ? Plutôt les fans les plus hardcore ou les curieux qui ne connaissent pas encore le tokusatsu ?
Romain : C’est une réponse qui n’en est pas une mais je le conseille à tout le monde ! On peut connaître le sentai en ignorant totalement les autres aspects du tokusatsu. Le livre offre un large panel et cite beaucoup d’œuvres, d’anecdotes … Donc même si on est fan du genre on en ressort avec de nouvelles connaissances.
Et je le conseille encore plus aux gens qui ne connaissent pas le genre mais qui aiment le cinéma, le Japon ou qui ont vu et aimé ne serait-ce qu’un film Godzilla. Ça leur permettra de découvrir cette culture dont beaucoup ignorent l’existence. On revendique ce côté ouvert à tous et vulgarisation, là où les ouvrages existant sur le genre sont généralement plus complexes et s’adressent à des gens déjà renseignés.
Marvin : Je trouve que tout le monde peut y trouver son compte. Il y a déjà eu beaucoup de livres sur le kaijû donc si le lecteur les a déjà lu, il n’apprendra peut-être pas énormément de choses. Mais derrière il va pouvoir apprendre d’autres choses sur le super-héros ou les autres sous-genre du tokusatsu. C’est la même chose pour les fans de Super Sentai, de Kamen Rider qui ne seraient peut-être pas allés plus loin que ces franchises. Même dans la sphère cinéphile, le livre aborde tellement d’aspect du cinéma japonais que je suis sûr que ces fans de cinéma apprendront beaucoup de choses sur le sujet.
Peut-on s’attendre à voir arriver d’autres projets de vulgarisation ou d’introduction autour du genre du tokusatsu dans les années à venir ? En livre, vidéo ou conférence, …
Romain : C’est principalement autour de l’association Tokulture qu’il va se passer des choses. Je pense qu’après le livre, ça serait chouette de faire un événement autour du tokusatsu en France : il n’en existe pas actuellement. Cela ferait un rendez-vous pour les fans, un peu comme les nuits Nanarland pour les amateurs de séries Z et séries B.
Marvin : Oui, et en dehors de nous, l’éditeur Roboto montre un intérêt certain pour certaines franchises du tokusatsu avec récemment un teaser par rapport à Kamen Rider, ce qui serait une première pour le public français. Ils ont aussi édité la trilogie des années 90 de Gamera : cela peut paraître peu pour certains, mais c’est certainement un tremplin d’offres accessibles qui nous encourage à continuer de promouvoir le tokusatsu avec notre association ou individuellement. Rien n’est gravé dans le marbre mais on prend toutes les opportunités possibles.
L’avenir du tokusatsu en France
Le tokusatsu est un médium aux codes particuliers qu’il est parfois difficile à appréhender pour des spectateurs français. Comment doit-on en parler pour qu’il touche le public français ?
Marvin : Passer au-delà des a priori reste toujours une étape compliquée. Si l’on veut tout de suite aborder le super-héros, la figure la plus visible du tokusatsu, il faut rester honnête avec les intentions des œuvres. Romain disait au début qu’il y a une sincérité qui pourrait parler à un public lassé par les productions américaines. Il faut aussi mettre en avant le savoir-faire derrière ces productions. Il y a bien sûr la façon de faire les effets spéciaux mais aussi le métier de cascadeur, que ce soit ceux en costume de héros qui font des figures incroyables presque sans rien voir autour d’eux ou ceux en costume de monstre ou de robot géant qui, en plus de ne rien voir, doivent faire des mouvement précis avec des costumes souvent très lourds. Mais il ne faut pas chercher à survendre ces séries sur ce qu’elles ne sont pas : les séries de super-héros sont réalisées avant tout pour un jeune public japonais, même si elles essayent maintenant d’attirer l’attention d’un public plus adulte, avec le vieillissement de la population japonaise
C’est bien également de parler de ce qu’il y a autour des séries. Elles peuvent paraître désuètes, mais il est toujours bon de se rappeler parfois que les séries font 50 épisodes par an, tous les ans depuis presque 50 ans (NDLR : la franchise Super Sentai diffuse une série par an depuis 1979) ! Une fois que l’on comprend ça, on comprend les sacrifices nécessaires pour garder ce rythme soutenu avec une volonté de proposer de l’action toutes les semaines.
Il faut faire relativiser les gens sur ce qu’ils voient et sur l’objet de leur moquerie. Si ce sont les effets spéciaux, il y a un vrai savoir-faire technique avec des contraintes imposées par le format des séries. Si c’est sur le fond, il arrive qu’il y ait des séries légères pour enfants, mais il y a souvent un vrai fond sincère quand les séries sont bien faites.
Le peu d’accès légaux à ces séries joue-t-il également un rôle dans leur place en France ?
Romain : Oui, pour séduire le public français et l’amener au tokusatsu, il faut que ce soit accessible. Pour l’instant, c’est encore complexe. Marvin parlait de Roboto plus tôt : c’est grâce à ces initiatives là que les Français vont découvrir le tokusatsu, s’habituer au genre, à sa grammaire, etc. Il y a un besoin d’accessibilité aux œuvres. Des chaînes Youtube officielles commencent également à mettre des épisodes de certaines séries comme Ultraman. J’espère que le tokusatsu aura le même destin que les anime qui sont aujourd’hui regardés par tout le monde.
Marvin : L’accessibilité légale est un grand pas en avant. Quand Kamen Rider Black Sun et Shin Kamen Rider sont sortis sur Amazon Prime, on a surveillé les réseaux et fait de la pub du mieux que l’on pouvait sur notre compte Tokulture. Résultat : on n’avait jamais vu autant de gens regarder et découvrir Kamen Rider qu’auparavant. Grâce à Amazon Prime, même si on pense ce que l’on veut de la plateforme, beaucoup de gens ont pu découvrir ces œuvres et apprécier le tokusatsu. Rien que l’accessibilité d’Ultraman sur Youtube en simultané avec le Japon, en sous-titre anglais certes, était impensable il y a quelques années. Grâce à ça, un public a pu redécouvrir Ultraman et profiter des nouvelles séries accessibles même en France, malgré l’absence de VOSTFR, en quelques clics et légalement.
Romain : Même s’il y avait des œuvres accessibles en France, ce sont aussi les grands événements qui ont réussi à fédérer les communautés. Comme les premières Japan Expo ou Epitanime auxquelles j’ai eu la chance de participer plus jeune. C’est grâce à ça que les passionnés se sont rencontrés et qu’on a eu des choses comme Nolife plus tard. Il faut faire se rencontrer les passionnés : ça va prendre du temps mais Marvin et moi on pense que ça va dans le bon sens.
Avec les 70 ans de Godzilla, 2024 a été une grosse année pour le tokusatsu en France. Pensez-vous que le genre arrivera à trouver une légitimité en dehors des cercles d’initiés ?
Romain : Tout ce qui a été fait participe à la popularisation du genre. Ce qu’a organisé la MCJP, avec son statut officiel et la qualité et l’exigence de ses programmations, est une pierre à l’édifice. Les choses avancent.
Marvin : Une des difficultés qui va se poser, c’e’est qu’avec certaines œuvres récentes (notamment Shin Kamen Rider, Shin Ultraman, Shin Godzilla) il y a une transition vers un budget et une esthétique plus similaires à ce que l’on voit dans le cinéma occidental pour les “blockbusters” du tokusatsu. Quand on passe de l’Oscar des effets spéciaux de Godzilla Minus One aux choses plus classiques du tokusatsu avec des maquettes, des cascadeurs en costume et des monstres en caoutchouc, il y a un écart évident. On peut se demander si ces gros hits peuvent suffire à faire passer le public vers le tokusatsu plus classique.
Mais ces occasions restent de formidables opportunités pour parler du médium et diffuser des informations à son sujet. La rétrospective de la MCJP qui ne s’arrêtait pas aux films Godzilla était du pain béni pour nous. Plus il y a de gros projets, plus il y a d’occasions d’initier le public français au tokusatsu plus traditionnel.
Pourquoi, selon vous, le tokusatsu est une référence nécessaire à saisir pour tous ceux intéressés par la culture populaire japonaise ?
Romain : Je ne dirais pas “nécessaire” mais plutôt “incontournable”. Le tokusatsu est quelque chose de très japonais : dès leurs conception, comme Godzilla qui est ancré dans l’Histoire du Japon. La plupart des kaijû seront ensuite tirés d’angoisses liées à leurs passés, leurs futurs notamment dû au fait qu’ils vivent sur un territoire frappé régulièrement par des séismes et des tsunamis. Il y a également des inspirations dans le shintoïsme et le folklore japonais. Certains sentai et autres œuvres y font directement référence.
C’est aussi une culture très présente quand on se rend au Japon. On y trouve un peu partout des références à Ultraman ou Godzilla. Les enfants grandissent avec le tokusatsu. C’est une porte d’entrée dans la culture japonaise et une fenêtre sur le recul qu’ont les Japonais par rapport à leur propre histoire et leurs propres mythes. En France, on va être très premier degré quand on va aborder notre histoire. Au Japon, cette faculté de créer des œuvres de fiction à partir de leur propre mythe, sans que cela devienne du blasphème, nous fascine je pense. C’est une manière de perpétuer les croyances et les traditions à travers de nouveaux moyens.
La bricole est un autre aspect fascinant. Le tokusatsu participe à l’aspect artisanal des productions japonaises. Ils y vont à fond et n’ont pas peur de faire les choses avec le cœur.
Marvin : Quand on est fan de la culture japonaise via les deux portes étendards que sont l’animation et le manga, qui sont deux gros soft power japonais à l’international au contraire du tokusatsu qui est pensé que pour les Japonais, je pense que prendre conscience et regarder du tokusatsu est important. “Nécessaire”, ça dépend de l’avis de chacun, mais c’est incontournable en effet : le tokusatsu raconte les choses différemment des autres médias, il a ses propres codes, et c’est important de les mettre en parallèle avec les autres productions japonaises.
Outre les nombreuses références qu’on est content de reconnaître, comme on peut voir récemment dans Dandadan par exemple dont l’auteur est fan d’Ultraman, se sensibiliser au tokusatsu est une part importante pour comprendre la culture japonaise. Même au-delà du médium, toute la production japonaise en prise de vue réelle est importante car elle est à la fois différente et complémentaire de ce qui est proposé ailleurs. Je ne juge pas bien sûr, mais d’une certaine manière, quelqu’un qui se dit fan de culture pop japonaise mais qui n’a jamais vu de tokusatsu a loupé une étape. Et c’est bien en quelque sorte : c’est un nouveau monde infini qui s’ouvre à lui !
Un dernier mot à donner aux (futurs) lecteurs ?
Romain : S’il découvre le tokusatsu grâce au livre, j’espère que le genre va leur plaire. Si des personnes connaissent déjà le tokusatsu, qu’ils n’hésitent pas à se renseigner sur Tokulture via ses différents canaux où il y a des choses très chouettes et des projets à venir !
Marvin : Je dirais simplement aux lecteurs de profiter du livre et j’espère qu’il ouvrira des portes à certains. Et de manière générale : regardez du tokusatsu, parlez et partagez autour du tokusatsu ! Chacun à son niveau, on doit normaliser le tokusatsu auprès de son entourage comme on le fait avec les anime.
Un grand merci à Marvin Ringard et Romain Taszek pour leur temps et leurs réponses enthousiastes. Il reste du chemin à parcourir pour le tokusatsu avant une reconnaissance à sa hauteur en France, et il est certains que Le Guide du tokusatsu marque une nouvelle étape dans ce processus. Nous invitons les lecteurs curieux à se renseigner auprès des différents canaux de Tokulture, ou bien sur les articles à ce sujet sur Journal du Japon.