Jalouses : la malédiction des triangles amoureux

Dans une chanson de Grand Corps Malade, Véronique Sanson chantait “Elle est celle qui me soutient, celle qui me réconforte”, relatant ainsi une relation idéale entre un frère et une sœur. Mais que se passent-ils lorsque cet idéal, tant rêvé par certains, se révèle finalement n’être qu’une pure malédiction ?

Jalouses : la malédiction des triangles amoureux

Deux scorpions dans le même trou s’accommodent mieux que deux sœurs dans la même maison”, dit un proverbe arabe. Ce ne sont pas les médias qui diront le contraire. Il suffit d’observer les films ou les séries dans lesquelles des sorories existent. Aucune d’entre elles n’est un havre de paix.

Dans Cendrillon, des studios Disney, les demi-sœurs de l’héroïne ne parviennent à se mettre d’accord que lorsqu’il s’agit d’humilier et de torturer la pauvre Cendrillon. Le reste du temps, elles se chamaillent, se jalousent, se cherchent des poux. Dans la série Les Chroniques de Bridgerton, diffusée sur Netflix, même constat, notamment avec la famille de Pénélope qui reprend par ailleurs le cliché du film d’animation Disney. Alors lorsque la maison d’édition Akata, que l’on retrouve également derrière Fends le vent, a annoncé la sortie de Jalouses de la mangaka Battan, on ne pouvait qu’être intrigué. Les relations entre deux sœurs, deux femmes du même sang, ne sont-elles finalement destinées qu’à être une malédiction ?

Jalouses : une histoire de famille avant tout

Sorti en septembre dernier, le premier tome de Jalouses nous plonge dans une histoire de famille complexe, à l’image de toutes les histoires de famille. Deux sœurs se retrouvent, après 8 ans sans se parler, à l’enterrement de leur mère. Et dès le départ, le fossé qui les sépare est palpable.

Ran, la plus jeune, est blonde aux cheveux longs, mariée. Tandis que Jun est brune, aux cheveux mi-longs, célibataire. Comme pour mettre en avant tout ce qui les différencie. Car des différences, il y en a. Que ce soit par leur caractère respectif, leur mode de fonctionnement ou simplement leur psychologie. Mais s’il n’y avait que ces deux sœurs dans l’équation, le titre n’aurait pas lieu d’être.

Dans ce manga, ce n’est pas uniquement la relation entre deux sœurs qui est abordée, c’est toute une histoire de famille.

Il paraît qu’entre deux femmes, il y a toujours un homme 

Car oui, les deux sœurs auraient pu décider de juste se croiser à l’enterrement et ne jamais se revoir. Mais voilà, il a fallu qu’elles aient la même idée, sans se concerter : emménager dans la maison familiale. Et c’est ce qui va marquer le début d’un triangle amoureux pour le moins étrange.

La plus jeune des deux sœurs, Ran, la blonde, est mariée. Mariée, oui, mais pas à n’importe qui. À Ritsu, l’ex de sa propre sœur. Et comme lorsqu’elles étaient plus jeunes, les revoilà prises dans un triangle amoureux bien étrange. Un tourbillon pour lequel personne n’était préparé. Mais c’est précisément ce tourbillon qui va être intéressant, pour nous, lecteurs et lectrices. Car plus le temps ensemble va passer et plus le passé va refaire surface. Un passé douloureux, rempli de non-dits qui vont prendre de plus en plus de place au milieu de relations bien compliquées.

Je n’ai jamais eu ce que je voulais

Les rancœurs du passé alimentent celles du présent, c’est bien connu. Mais si le personnage de Ritsu pourrait simplement servir de faire-valoir, il est en réalité le catalyseur de quelque chose de plus profond, de plus sombre, comme le révèle le second tome du manga.

Enfant contraint à suivre une voie bien définie par sa mère, il dira lui-même ne “jamais avoir eu ce [qu’il] voulait”. Il était conditionné à une chose : regarder avec jalousie ce dont il rêvait réellement. Et en adolescent, il ne rêvait que d’une chose : Jun. Alors lorsque la réalité va sembler le rattraper, il va simplement s’en accommoder, l’accepter, mais ne jamais réellement oublier.

À travers son personnage, qui aurait pu n’être qu’un élément de décor parmi tant d’autres, la mangaka Battan crée une véritable tension au sein du trio. Ritsu va ainsi provoquer un véritable séisme, tant dans sa propre vie, que dans celle des deux sœurs. Une guerre silencieuse, mais non moins mortelle, a lieu. Et que ce soit Jun ou Ran, il n’y a qu’un seul objectif : déposséder l’autre de ce qu’elle a de plus cher et avoir le dessus.

Ainsi, la gagnante gagnera le droit d’exister et de lever la malédiction dont elle est victime : celle de ne jamais être réellement aimée, du moins à ses yeux. Car dans les yeux de l’autre, c’est toujours soi, la malaimée.

Entre jalousie et envie, mon cœur balance

La jalousie a mauvaise presse, c’est un fait. Elle est souvent confondue avec l’envie. Si la jalousie mène à protéger d’autrui ce que l’on a, l’envie, elle, nous fait convoiter ce que les autres ont. 

Et Jalouses brouille habilement la frontière qui existe entre ces deux sentiments, qui sont finalement étroitement liés. Jun envie Ran qui jalouse farouchement son aînée, et inversement. Et au milieu de tout ça, il y a Ritsu, élément de jalousie et d’envie pour les deux sœurs. 

La jalousie et l’envie perdent alors leur substance d’émotion passagère et deviennent ancrées dans l’âme des deux femmes. Omniprésentes, étouffantes, elles se glissent derrière chaque interaction, derrière chaque relation. Les ressentiments du passé s’intensifient et les deux sœurs vont se retrouver dans des situations où chacune cherche à surpasser l’autre et à réussir là où l’autre a échoué.

Trouver sa place dans la famille, mais aussi dans la société

Dans Jalouses, la mangaka n’hésite pas à traiter le sujet pour le moins fantasmé des relations familiales. Ces relations que les médias n’hésitent pas à enjoliver ou, au contraire, à rendre toxiques au possible. Au travers des personnages des deux sœurs, Battan n’hésite à aborder le délicat sujet de l’identité. Car après tout, comment trouver sa place dans la société quand on ne trouve déjà pas sa place dans sa propre famille ? 

Jun, l’aînée, a toujours été présentée par sa mère comme l’exemple à suivre, la fille chérie. Ran, de son côté, n’a fait que vivre dans l’ombre de cette sœur tant aimée, cherchant par tous les moyens à exister. Et lorsqu’on réalise ça, son mariage avec Ritsu prend alors une offre symbolique. D’un acte égoïste de jalousie, trahison la plus ultime qui soit, ce mariage devient une revendication de sa propre identité, de son propre existence. Comme si Ran cherchait à crier au monde qu’elle était elle et personne d’autre et surtout pas la copie de sa sœur.

Jalouses : quand le manga critique la société 

À travers l’histoire de Jun et Ran, Jalouses se permet notamment de critiquer les pressions sociales dont les femmes sont victimes depuis la nuit de temps. La réussite amoureuse et le mariage deviennent ainsi des objectifs à atteindre et vont définir la valeur des personnages féminins. Ces derniers vont par ailleurs se retrouver dans une compétition malsaine, les poussant sans cesse à se comparer.

Ritsu devient alors, de part sa position, l’objet de la rivalité qui oppose les deux sœurs, qui sont ainsi réduites à des rôles dictés par une société ô combien patriarcale. Pourtant, on le sent à mesure que l’on avance dans l’histoire, Battan ne souhaite pas nous proposer une histoire stéréotypée. Les clichés, la mangaka veut les briser et permettre à ses personnages de s’affranchir des rôles que la société pourrait leur imposer.

Jalouses : quand avoir une sœur bouscule toute notre vie
Dans Jalouses, on est bien loin de la relation idéale que nos médias mettent traditionnellement en avant. Avoir une sœur, ce n’est pas forcément aussi beau qu’il n’y paraît.

Mais à mesure que l’histoire avance, une question demeure : Jun et Ran réussiront-elles réellement à trouver la paix ? Entre jalousie et rivalité, la maison familiale est redevenue le théâtre de leurs affrontements silencieux, laissant ainsi planer le doute sur l’avenir de leur relation. Car comment trouver la paix lorsqu’on a été si profondément blessé ? La rivalité est-elle une fatalité ou s’agit-il seulement d’une histoire d’empathie ? Seule la suite du manga pourra nous apporter une réponse, qui ne sera probablement pas universelle.

Juliet Faure

Tombée dans la culture japonaise avec le célèbre "Princesse Mononoké" de Miyazaki, je n'ai depuis jamais cessé de m'intéresser à ce pays. Rédactrice chez Journal du Japon depuis 2017, je suis devenue la yakuza de l'équipe. Plutôt orientée RPG et Seinen, je cherche à aiguiser de nouvelles connaissances aussi bien journalistiques que nippones.

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