L’aventure d’une mascotte française au Japon ! Rencontre avec Mr.Tan
Gadou est un petit panda espiègle né depuis bien longtemps dans l’imaginaire de Antoine Dole. Petit frère de Mortelle Adèle, il s’adresse surtout aux jeunes enfants mais il intègre avec plaisir dans son univers les fans de tous âge. Après son interview pour son manga Jizo, le scénariste aux multiples projets revient pour nous présenter le fabuleux parcours de sa mascotte. Des librairies françaises aux rayons japonais de goodies, suivez l’aventure palpitante de cet attendrissant personnage.
Journal du Japon : Bonjour Antoine, merci d’avoir accepté cette interview. Pour commencer, présentez-nous la naissance et les intentions de Gadou ? À sa naissance avait-il un public cible en termes de nationalité, et pourquoi ce choix ?
Mr.Tan : Gadou est né dans mes carnets en 2013, de l’envie de créer un personnage pour les plus petits. Mais à cette période, même si les éléments graphiques étaient là et que j’écrivais déjà par ailleurs d’autres héros pour les petits, je ne parvenais pas à trouver comment ni quoi raconter à travers lui. C’était très frustrant car je m’étais inspiré de la peluche que j’avais eu enfant, qui m’avait accompagné dans des moments difficiles. Je savais que l’envie partait d’un endroit précis de mon histoire, qui faisait sens pour moi, mais je n’arrivais pas encore à définir précisément ce qui me semblait si important dans le désir de lui donner vie. Sa raison d’être me manquait.
Il a fallu que je fasse mon premier voyage au Japon, en 2015, pour comprendre le sens qu’il prenait dans mon parcours. Au Japon les mascottes sont partout et, par la simplicité de leur design et de leurs traits, rayonnent d’une forme d’universalité qui parvient à toucher des gens de différents âges, horizons et cultures. Tous ceux d’entre nous qui ont déjà voyagé au Japon sont revenus avec, dans leur bagage, un petit objet griffé d’un personnage à la bouille sympathique. Là-bas, outre le fait que leur graphisme est joyeux, attractif et véhiculent des émotions positives, les mascottes rassemblent, fédèrent et autorisent les gens à exprimer une part d’enfance que la société cherche souvent à contenir. Elles jouent un rôle de projection, d’identification, deviennent les gardiennes d’une énergie qui vient constamment tempérer et réparer une forme de pressurisation adulte.
L’idée de relier des gens entre eux, leurs émotions, au-delà des barrières de langue-culture-âge, par le prisme d’un petit personnage, a été un déclic très puissant pour moi. Il m’a permis de comprendre ce qui me poussait à faire ce métier [écrivain/illustrateur] et de créer pour les autres. C’est là que tout a commencé à s’aligner : je voulais que Gadou accompagne des enfants autant que des adultes, qu’il atteigne lui aussi une forme d’universalité dans les émotions qu’il pouvait incarner, et soit simplement ce qu’il a été dans ma vie quand il était ma peluche. C’est à dire un témoin, un confident, un bon copain auprès de qui toujours trouver une oreille attentive et l’envie d’aller de l’avant. Dès ce moment je me suis dit que le pari sera gagné si Gadou parvenait à exister en France et au Japon en même temps. Ce serait la preuve que son message, universel, existe.
Le quotidien de Gadou se déroule tantôt en France tantôt au Japon. Pourquoi avoir choisi cette ambivalence ?
Gadou n’a pas de bouche car il parle avec son cœur, et cette particularité lui permet de parler toutes les langues. Son quotidien est celui d’un citoyen du monde, où ni les barrières ni les frontières n’existeraient. C’est ce qui fait qu’en une même journée il peut arpenter une rue de Paris et se retrouver à Tokyo au croisement suivant. C’est une façon de rappeler aux autres que nous sommes composés de tout à la fois : nos souvenirs, notre quotidien, mais aussi nos espoirs et nos rêves. Nous habitons tous ces endroits à la fois, à chaque instant. Enfant, j’ai grandi dans les Alpes, dans une ville entourée de montagnes au-delà desquelles il m’était difficile d’imaginer le reste du monde. Gadou, lui, habite partout en même temps, parce qu’il incarne le champ des possibles qui s’offre à nous en permanence.
Sur Instagram, Gadou a droit à un compte en français et un autre en japonais. Avez-vous une approche différente avec le public français et celui japonais ?
Le sujet s’est posé pour des raisons pratiques, notamment car beaucoup d’événements sont organisés autour de Gadou au Japon. Il existe par exemple une collaboration avec le quartier de Ueno, lieu très important dans ma découverte du Japon, puisque j’y ai consacré un roman et que Gadou y évolue beaucoup. L’idée n’était pas de frustrer les lecteurs français en publiant des infos qui finalement les rendaient extérieurs à l’aventure que vit Gadou à travers le monde. Donc l’instagram japonais a sans doute cette dimension plus pratico-pratique, que ce soit dans la présentation des évènements auxquels Gadou est associé au Japon, ou dans la présentation de produits qui sont commercialisés en exclusivité sur le territoire japonais. Mais dans l’absolu, sorti de ce sujet, il n’y a pas de différence en termes de message ou de démarche.
Racontez-nous comment Gadou a rejoint les rayons du toy yamashiroya ? Comment avez-vous vécu son arrivée sur le sol japonais et plus spécialement dans ce magasin?
Gadou avait été initialement publié en France, dans une maison d’édition qui n’a pas réussi à lui donner l’envergure internationale que j’espérais pour ce personnage. Quand en 2022 j’ai récupéré le droit de poursuivre mon personnage ailleurs, je me suis recentré sur l’idée de l’accueillir dans ma propre structure d’édition, Mr Tan & Co, afin de pouvoir contrôler toutes les démarches qui rendraient mon projet possible. J’ai fait évoluer son univers avec tout ce que j’avais développé sur l’année écoulée (des décors, des copains, des objets). Puis j’ai immédiatement sollicité un agent sur le sol japonais, ce qui m’a permis de multiplier des rencontres là-bas afin de trouver l’interlocuteur le plus sensible à ma démarche.
Gadou suscitait de l’intérêt, mais on me proposait finalement un parcours assez traditionnel, proche de l’édition à la française, là où j’avais l’intuition qu’il fallait d’abord donner à Gadou l’occasion de se déployer autrement. La rencontre avec une société qui avait déjà développé la notoriété d’autres mascottes au Japon a été décisive, et à partir de là les choses se sont rapidement enchaînées. Nous avons approché l’enseigne Kiddy Land, qui est un véritable temple du jouet où l’on trouve toutes les mascottes les plus populaires du Japon, comme Hello Kitty et ses acolytes de Sanrio, ou encore Rilakkuma, Miffy et autres. On y est allés un peu au culot, car Kiddy Land n’a jamais accueilli dans ses rayons de personnages qui ne sont pas déjà ultra populaires au Japon ; et donc peu, voire pas, de personnages français. La présentation de différents prototypes de produits que j’avais réalisés en famille, ainsi que mon passage à la télévision dans une émission très populaire au Japon, a fini de les convaincre et ils ont créé un corner Gadou dans leur plus grand magasin : celui de Harajuku à Tokyo, en décembre 2023.
Assez naturellement, Yamashiroya, qui est le magasin de jouets le plus populaire de Ueno, mis au courant de mon attachement à ce quartier et du fait que Gadou y évolue souvent, a accepté d’accueillir également les produits et de promouvoir le personnage. Il a également suivi l’enseigne Surugaya, qui l’a accueilli dans son grand magasin de Shizuoka. J’ai évidemment été bouleversé, car cela confirme que la bonne émotion peut, quand elle est mise au bon endroit et sous la bonne forme, toucher à cette forme d’universalité dont j’avais fait le pari. Ce sont de grands symboles d’être présents dans ces endroits, car près de dix ans plus tôt, quand j’y suis rentré pour la première fois, j’espérais un jour voir une de mes créations ici, aux côtés de personnages qui inspirent et épaulent des gens à travers le monde entier, mais cela semblait impensable. A mon sens tous les rêves sont possibles, même ceux qui semblent éloignés de nous, quand on y met beaucoup de cœur, et beaucoup de travail.
Racontez-nous comment se sont déroulés ses apparitions dans les médias japonais ? Comment était-il reçu par les présentateurs/journalistes japonais ? Leur réaction est-elle différente de celle des présentateurs/journalistes français ?
J’avais l’habitude des médias en France, grâce notamment à ma série Mortelle Adèle, qui connaît ici un succès important. Alors faire des émissions au Japon, dans une langue qui n’est pas la mienne, est une autre expérience. J’aborde cela avec beaucoup d’humilité, car personne ne sait qui je suis au Japon, alors que j’ai vendu 20 millions d’exemplaires de mes livres en France. C’est toujours très chouette de voir comme le fait de venir parler d’une petite mascotte rend les journalistes légers et curieux. Ils étaient surtout fiers qu’un auteur français se saisisse de leurs codes et fasse ce pas vers leur culture avec respect et compréhension : je me suis senti bienvenu.
L’enfance, là-bas, est un outil de réparation important. Il est intégré culturellement par chacun. Au Japon on ne ressent pas de mépris à l’égard de ce qui est créé, produit, publié pour les enfants. Au contraire, c’est assez joyeux. Il y a une grande envie de partager, de créer des ponts, des passerelles, pour trouver ce qui nous rassemble (même si, paradoxalement, le rejet de l’autre reste très présent sur bien des sujets, mais là, à cet endroit, je ne le ressens pas). Généralement, à l’antenne et hors antenne également, les gens qui me reçoivent sont très à l’écoute de ce que je pense de la vie au Japon, de ce que j’aime y manger, de ce que j’aime y faire. Il y a une vraie surprise de leur part quand je leur parle de mon amour du Japon, et ils se prennent aussitôt au jeu de prononcer quelques mots en français pour me rendre la pareille.
Par exemple, j’avais fait une émission en plateau pour la chaîne Tokyo MX, et ils ont gardé la peluche de Gadou en plateau avec eux pendant des semaines et des semaines après ma venue. Sur place y a une notion très importante de s’engager avec vous, de soutenir, de porter un projet quand il arrive à toucher les gens. On le voit partout, par exemple avec le classement des fans autour des personnages Sanrio qui a lieu chaque année. Quand vous créez quelque chose qui parvient à toucher les autres, on vous porte, et on vous aide à le porter plus loin.
Le public japonais de Gadou (les fans de mascottes de tous les âges) semble différent de celui français (les enfants). Que ressentez-vous par rapport à cette différence ? Comment Gadou peut pleinement satisfaire ces deux publics ?
Je pense qu’en France les adultes ont vite tendance à oublier qu’ils ont été des enfants. Il y a cette idée qui consiste à dire que grandir, c’est forcément renoncer à une part de nous. Alors forcément, toutes les choses de l’enfance s’adressent aux plus petits. Peu de personnages parviennent ici à exister aussi bien pour les enfants que pour les adultes. Les habitants du Japon, malgré un contexte très pressurisant autour de leur vie professionnelle et sociale, ont intégré de nombreux outils de réparation à leur quotidien. Parfois sans même s’en rendre compte. Un grand soin est apporté au corps, mais également à la part d’enfance qui est en chacun de nous et est présente partout. C’est une industrie qui est à la fois extrêmement présente et pourtant très discrète au Japon, où chaque coin de rue est susceptible de provoquer une émotion de joie en nous, un rappel de la période enfantine.
On peut voir des salary men se presser dans des magasins pour trouver la carte Pokemon qui leur manque, des personnes d’un certain âge passer leurs derniers yens dans une machine à gachapons, ou assister à des réunions avec des femmes très sérieuses qui arborent sur leur sac un petit bijou Hello Kitty ou Rilakkuma. Tout cela démontre que l’enfance n’est jamais loin de nous. Je ne réfléchis pas Gadou pour l’enfance d’un côté et pour l’âge adulte de l’autre, ni pour le Japon d’un côté et pour la France de l’autre. J’aborde l’univers de mon personnage comme un grand tout, dans lequel enfants et adultes peuvent trouver un écho, une envie d’aller de l’avant. Car c’est ce que raconte Gadou avant tout : il est né tout blanc, et peint ses tâches chaque jour pour se réinventer. Sa petite tâche sous l’œil peut évoquer plusieurs idées : il s’agit peut-être de peinture qui coule à force de trop jouer, ou bien d’une larme. Que l’on soit enfant ou adulte, Gadou nous dit qu’on avance avec tout ce qui nous compose, tout ce qui fait notre histoire, et qu’on peut tout traverser. Tant mieux, si des enfants se saisissent de ce message pour construire un peu leur parcours, et tant mieux si des adultes comprennent que ce pouvoir là est toujours en eux, et qu’il n’est jamais trop tard pour se réparer.
Quels sont les futurs projets de Gadou en France et au Japon ?
Depuis quelques mois, les aventures de Gadou sont publiées sous la forme de yonkoma dans le magazine hebdomadaire Josei Jishin [photo ci-jointe] , un magazine féminin très populaire au Japon qui paraît depuis 1958. Il intervient aussi plus ponctuellement dans le magazine pour présenter des sujets aux lecteurs et prend petit à petit sa place de mascotte. Les visiteurs de Ueno peuvent aussi le découvrir lors de célébrations rendues à Ueno Park autour des pandas du Zoo de Ueno, ou des temps forts de l’année. On continue de développer la gamme de produits qui l’accompagnent, et plusieurs marques commencent à nous approcher pour des collaborations. En décembre prochain, le livre qui est sorti en France chez Mr Tan & Co (en avril 2024) sera publié sur le territoire japonais moins d’un an après sa sortie, ce qui est aussi une grande joie car on sait que le marché de l’édition japonais est l’un des plus difficiles à séduire, surtout quand on parle de bande-dessinée.
Du côté de la France, je travaille actuellement sur le second tome de ce livre, qui paraîtra en 2025. Et je profite de mes quelques moments de temps-libre pour travailler sur les œuvres qui seront présentées lors de l’exposition qui sera consacrée à Gadou à Tokyo en 2025 également. Je me réjouis de tout cela. En mai dernier, j’étais sur une plage à Shizuoka, devant les caméras des journalistes, à dessiner face au mont Fuji une image de Gadou découvrant le lieu. J’ai réalisé la chance que j’avais, qu’un si petit croquis, fait un jour dans un de mes carnets, m’ait amené à vivre de si grandes émotions à l’autre bout du monde quelques années plus tard. Tout est maintenant possible !
Nous remercions une nouvelle fois Antoine Dole (Mr.Tan) d’avoir accepté de réaliser cette interview. Nous souhaitons un bel avenir à son petit panda, aussi bien en France qu’au Japon, avec sa panoplie de beaux projets. Vous pouvez suivre leurs avancées sur les réseaux sociaux de Antoine et sur ceux de Gadou (français ou japonais). Ou directement sur le site internet qui lui est dédié (il en existe aussi une version japonaise).