L’affaire Midori : anatomie d’un drame
Karyn Nishimura, journaliste française installée au Japon depuis vingt-cinq ans que nous évoquons régulièrement dans nos colonnes, tente de comprendre dans son roman, L’affaire Midori, le geste désespéré d’une mère japonaise qui a tué ses enfants. Elle dénonce les dysfonctionnements des médias et de la justice qui ne cherchent pas véritablement à comprendre les raisons d’un tel geste.
L’affaire Midori
Midori Yamada est surnommée « la maman tueuse » par les médias. Elle a 27 ans et une tête de jeune maman. On lui donnerait le bon dieu sans confession. Pourtant, elle a tué sa fille Maya et ses deux jumeaux.
Les talento (vedettes de la télévision), qui commentent le fait divers, supputent sans rien savoir qu’elle a été malheureuse dans son enfance. Ils n’ont aucune expertise, aucun recul, aucune compassion, mais ils commentent. C’est ainsi à la télévision japonaise. « Les médias jouent avant tout sur le registre sensationnaliste, déplore Karyn Nishimura. Ils filment l’arrestation de la mère, ne s’intéressent pas réellement à elle, mais aux éléments les plus saillants du fait divers, en ne rapportant souvent que la version à charge des procureurs. Et in fine, ils s’attardent sur le verdict du tribunal proportionnellement à la sévérité de la sanction. » Entre les deux, pas d’histoire, pas d’éléments humains auxquels se raccrocher pour tenter de comprendre.
Cette histoire justement, Karyn Nishimura la raconte. La narratrice, journaliste double de l’auteure, enquête dans le roman sur ce fait divers car elle veut « comprendre » comment Midori Yamada en est arrivée là (elle-même est mère de deux enfants).
En fait, Midori Yamada n’a été ni heureuse ni malheureuse, comme tous les jeunes nés dans les années 1990, celles de l’après-bulle, du désenchantement. Elle a connu le bonheur à vingt ans lorsqu’elle est tombée amoureuse. Mais cela n’a pas duré. Un an plus tard, a lieu le tsunami du 11 mars 2011. Ses parents, qui habitent à Futaba, à trois kilomètres de la centrela de Fukushima Daiichi, sont évacués puis relogés dans un préfabriqué. Midori, elle, faisait des études de pharmacie à Iwaki (également située dans la préfecture de Fukushima) et a fui. Elle est enceinte, mais le père ne veut pas de l’enfant et elle n’ose pas parler de sa grossesse à ses parents. Lorsqu’elle décide d’avorter, il est trop tard. Elle survit d’abord grâce à une ONG et à de petits boulots. Elle dort dans des cafés internet car les hôtels n’acceptent pas les personnes issues de la préfecture contaminée de Fukushima. Elle finit par arriver à Tokyo, où sa situation se dégrade encore.
Immersion et tabous
Tout au long de ce roman, écrit par une fine connaisseuse du Japon, le lecteur est immergé en profondeur dans la société nippone. Son personnage, au départ bien intégré, voit sa vie basculer progressivement dans la précarité puis dans l’exclusion. En creux est dénoncé le manque de « filets de sécurité », dans un pays dirigé par des politiques d’inspiration libérale.
Pour le moment, le livre n’est pas traduit en japonais car presque tout ce qui y est évoqué est tabou dans la société nippone. Pourtant, tout ce qu’elle décrit dans son premier roman, Karyn Nishimura, correspondante de l’Agence France Presse (AFP) à Tokyo pendant quinze ans et aujourd’hui correspondante de Radio-France, du Point et de Libération, l’a observé dans son travail, sans pouvoir vraiment le relater dans ses articles. C’est pourquoi elle a choisi d’en faire un livre. Elle a opté pour la fiction car il n’y avait pas un seul fait divers qui lui permettait de faire la synthèse de tout ce qu’elle avait à dire.
Il est toutefois difficile d’évaluer si le taux d’infanticide est particulièrement élevé au Japon. En 2022, 77 décès d’enfants par maltraitance y ont été recensés. Ils étaient presque tous le fait de la mère biologique (en majorité) ou du père biologique (1). On ne dispose pas de chiffres exactement équivalents en France, mais à titre de comparaison, 49 infanticides ayant comme auteur un parent (père, mère, beaux-parents, grands-parents, oncles, tantes, membres de la fratrie) y ont été comptabilisés en 2021 (2).
Le roman porte aussi une critique du métier de journaliste, qui se résume trop souvent à une « course à l’immédiateté », alors que « l’information c’est une enquête, ça prend du temps », écrit l’auteure. « Je pense qua la survie du métier de journaliste passe par le fait que, quand on parle de gens, il faut prendre le temps de les comprendre, nous a-t-elle expliqué. Donc il faut aller moins vite et ne pas vouloir tout faire. »
Dans un essai sorti récemment que nous aviosn chroniqué il y a peu, Japon, la face cachée de la perfection (Tallandier, 2023), Karyn Nishimura décrit en détails les mécanismes évoqués dans son roman, mais aussi le fonctionnement général de la société nippone (monde, politique, système éducatif, monde du travail, etc.). Elle y dépeint notamment la solitude croissante et la déshumanisation progressive des relations sociales à Tokyo. Deux lectures nécessaires, pour mieux comprendre la société japonaise actuelle et ceux qui y vivent, en marge ou pas.
L’affaire Midori, Karyn Nishimura, Picquier, Arles, 2024, 180 pages, 17 euros.Toutes les informations sur le site de des éditions Picquier. Vous pouvez aussi retrouver nos autres articles autour de l’auteure ici.
(1)Source : Agence gouvernementale japonaise des enfants et de la famille.
(2)Source : Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), France, mars 2023.