Metaphor : ReFantazio – Un prétendant au trône du JRPG
Quel sera le visage du jeu de rôle japonais moderne ? Le successeur de Dragon Quest, Final Fantasy VII et NieR Automata ? Atlus affiche fièrement sa volonté d’incarner la figure de proue du JRPG de nouvelle génération. L’enjeu est de taille : succéder à Persona 5 Royal, le plus grand succès commercial et critique de l’éditeur, et assurément un incontournable du genre. Journal du Japon a voulu décrypter ce nouveau Metaphor et voir si la révolution promise, cette « fantasy revisitée », était bien à l’ordre du jour.
Le Meilleur des Mondes
Metaphor : ReFantazio prend place dans le monde d’Euchronia, un royaume où plusieurs espèces se rencontrent, coexistent et, le plus souvent, s’affrontent. Les discriminations sont légion et l’anxiété palpable à chaque coin de rue. L’aventure débute par un régicide commis par l’antagoniste du jeu, l’ignoble Comte Louis. Le roi parvient cependant à ressusciter sous la forme d’une gigantesque lune rocheuse flottant sur la capitale afin de devenir l’arbitre céleste de sa succession. Une seule règle prévaut : pour monter sur le trône, il faudra rassembler le plus grand nombre de partisans. Nous incarnons un Edda, membre d’une race honnie de toutes les autres, qui rejoint cette compétition pour le pouvoir dans le but d’éliminer Louis et d’investir l’héritier légitime.
Le jeu renverse ainsi nos attentes en matière de monde médiéval-fantastique. Loin des jeux de pouvoir qui s’opéraient dans Game of Thrones, l’intrigue adopte plutôt la forme d’une campagne électorale héroïque où l’on doit multiplier les exploits afin de se faire un nom. Plus d’une fois, Metaphor brouille la frontière entre ce monde et le nôtre. Régulièrement, le protagoniste partage avec ses compagnons le contenu d’un roman philosophique, une utopie qui évoque curieusement notre propre quotidien : les gratte-ciel, l’égalitarisme ou encore la démocratie. Pour les habitants d’un tel monde, il est compréhensible que le nôtre semble fantastique en tous points. Et pourtant… Les maux d’Euchronia, nous les expérimentons bel et bien. Le racisme et les inégalités, nous les éprouvons également. Et si le Comte Louis évoque au premier regard des figures lucifériennes comme Griffith de Berserk ou Dio Brando de Jojo’s Bizarre Adventure, il ne vous aura pas échappé que ce titre n’est sorti qu’à quelques semaines d’intervalle des élections américaines, et nous incite fortement à tisser un parallèle entre le Comte et Donald Trump. Tous deux ont échoué à arracher le pouvoir par la force et sont conséquemment contraints de se plier à la démocratie. Pour autant, ils continuent de jouer selon leurs règles en manipulant leurs partisans et en jouant sur les peurs et la xénophobie. Le Comte Louis ne cache même pas au public le crime qu’il a commis ! Pour autant, sa félonie ne paraît entacher ni ses projets, ni la liesse fanatique qu’il déclenche. Dès lors, comment peut-on croire que ce roman philosophique recèle véritablement un monde utopique, alors que nous devons affronter la part de cauchemar qu’il recèle ?
Metaphor rappelle la série des Persona par bon nombre d’aspects ; pourtant, son intrigue s’en démarque par un rythme plus soutenu. Celle des Persona est construite sur la base du calendrier scolaire japonais et doit donc s’accommoder de moments de longueurs et, le plus souvent, d’une aventure qui tarde à démarrer. Or, la période couverte par le calendrier de Metaphor est beaucoup plus courte, ce qui permet à l’histoire de ne jamais s’essouffler. Elle se structure autour des différentes destinations de la campagne de succession : chaque ville devient le cadre d’un objectif principal à remplir dans un nombre de jours imparti (la plupart du temps, un donjon). Les objectifs secondaires gravitent alors autour de cette ville : de courtes quêtes, des donjons secondaires, mais également la possibilité de renforcer nos liens sociaux ou nos compétences… À mesure que l’on s’investit dans notre exploration d’Euchronia, la carte du monde s’enrichit de destinations nouvelles, sans qu’elles soient connues à l’avance. Soulignons que Persona 5 avait malheureusement tendance à nous prendre longuement par la main entre deux chapitres d’histoire, et il est appréciable de voir Metaphor relâcher l’étreinte. Soyez toutefois avertis : la gestion de vos points de magie sera cruciale tout au long de la partie et vous empêchera plus d’une fois de terminer les donjons principaux en une seule journée !
Outre l’histoire principale, Metaphor : ReFantazio comporte également son petit lot d’histoires secondaires fort sympathiques. Il s’agit majoritairement des quêtes de personnages. Depuis les Persona, le joueur a la possibilité de rencontrer régulièrement certains PNJ, le plus souvent, pour les aider à s’accomplir face à leurs propres problèmes. Metaphor rend cette fonctionnalité bien plus confortable : s’il était crucial de choisir les bonnes options de dialogue pour optimiser le temps nécessaire afin de se rapprocher d’un personnage, désormais chaque rendez-vous fait obligatoirement avancer l’histoire avec un simple bonus de monnaie in-game lorsque les meilleures options de dialogue sont choisies. Le rythme de ces récits secondaires, plus courts, s’en ressent positivement. Mentionnons par exemple la quête de Brigitta Lycaon, directrice d’une boutique de catalyseurs (dont le chara design est somptueux) qui tente de retrouver son chien disparu, ou celle de notre premier frère d’armes, Leon Strohl, qui tente d’être digne de l’héritage de ses parents.
Sublime monstruosité
Ce qui saute aux yeux en lançant Metaphor : ReFantazio est la richesse de sa direction artistique. Une fois encore, les développeurs reprennent les ingrédients qui avaient fait le succès de Persona en la matière pour transcender la recette originale. L’interface utilisateur est particulièrement soignée, avec ses filtres grésillants donnant l’illusion de coups de pinceaux, ses contours vifs et ses artworks baroques. Pour les artistes et les développeurs, chaque élément graphique sert de nouveau prétexte pour renforcer le propos de l’histoire, y compris dans les menus des combats.
Shigenori Soejima, le character designer de Persona 5, est de retour pour donner vie au casting de Metaphor. Malgré la dimension high fantasy du titre, les personnages possèdent en chacun d’eux une touche de modernité rafraîchissante. Ikuto Yamashita, l’artiste ayant conçu le design des robots géants de Neon Genesis Evangelion, fait office de consultant sur l’apparence des machines que l’on rencontre en jeu, notamment les arpenteurs blindés, sortes de tanks semi-organiques permettant aux concurrents pour le trône de se déplacer de ville en ville. Koda Kazuma, concept artist sur la série des NieR, érige quant à lui les grandes villes du jeu, et il est vrai que la capitale royale nous rappellera la monumentale cité de NieR Automata, avec sa cathédrale monolithique surplombant le décor telle une gigantesque pyramide renversée. Les autres villes ne sont pas en reste pour inspirer chez le joueur un certain sentiment d’émerveillement, en piochant tantôt dans le fantastique avec de gigantesques bulles d’eaux volantes, tantôt dans le réel avec, par exemple, une cité montagnarde inspirée de Milan.
Un regret toutefois concerne le design des ennemis, assez inégaux : les « Humains », des êtres monstrueux menaçant Euchronia, présentent une anatomie si inhabituelle, absurde et débridée qu’ils participent grandement à l’impact esthétique du jeu. Des corps asymétriques, gigantesques, des membres dissociés, des cloches ou des morceaux de bâtiments intégrés à la chair… La plupart de ces concepts sont en réalité repris directement du Jardin des Délices, un triptyque pictural du XVIe siècle par le peintre néerlandais Jérôme Bosch et qui dépeint le Ciel et l’Enfer bibliques. Toutefois, le reste du bestiaire souffre de la comparaison. Chiens, gobelins, vers des sables… ces monstres plus convenus sont malheureusement recyclés à foison tout au long de la partie, donnant le sentiment que Metaphor n’a pas eu le temps de peaufiner les plus petits détails concernant sa tentative de réinventer la fantasy.
Dynamique et stratégique
Au premier coup d’œil, le système de combat de Metaphor nous ramène en terrain connu. Nous contrôlons une équipe de quatre personnages au tour par tour avec un panel d’actions assez semblable, une fois encore, à Persona : attaques au corps-à-corps, pouvoirs, utilisation d’objets, positionnements… Pourtant, de subtiles différences avec la formule existante entraînent des changements plus profonds dans l’expérience de jeu, conférant aux affrontements de ce Metaphor une dynamique toute singulière.
Pour commencer, la gestion du tour par tour diffère. Dans Persona, nous avions la possibilité de frapper les ennemis sur leurs faiblesses élémentaires (comme utiliser l’électricité sur un monstre aquatique) afin de l’assommer. Étourdir l’ensemble des adversaires permettait ensuite de les achever avec une attaque dévastatrice mobilisant l’ensemble des coéquipiers. Or, dans Metaphor, il faut également jouer sur les faiblesses, non pas pour frapper vite et fort mais pour optimiser ses décisions. En haut de l’écran se trouve une jauge avec un certain nombre d’orbes qui matérialisent notre nombre d’actions avant le tour adverse. En temps normal, une action consomme une orbe entière. Cependant, cibler la faiblesse ennemie ne consomme qu’une demi-orbe, débloquant de fait une action supplémentaire durant ce tour. Par exemple, cela permet d’anticiper quel personnage pourra agir une deuxième fois pour soigner ses alliés, appliquer un malus à l’ennemi ou encore échanger sa place avec un allié en réserve… A contrario, il est possible de subir une pénalité sur notre nombre d’actions, notamment lorsqu’une attaque loupe sa cible. La grande force de ce système de combat, c’est que les adversaires sont soumis aux mêmes règles que les joueurs. Il faut donc se méfier, par exemple, des faiblesses élémentaires de nos personnages, et l’on peut tenter de baisser la précision ennemie pour lui faire subir une pénalité et abréger son tour plus vite.
L’autre différence majeure avec Persona est la source des pouvoirs de nos personnages, des créatures nommées
« Archétypes ». Auparavant, seul le personnage principal pouvait changer à loisir sa créature associée, sa Persona, alors que ses alliés n’en disposaient que d’une seule et unique. Un allié était donc dédié aux attaques de foudre, un autre aux soins, un autre aux malus… Désormais, il est possible d’associer ces Archétypes à chacun de nos personnages. Notre choix sera alors conditionné par deux paramètres : les statistiques de base de ces alliés (certains sont plus enclins à utiliser des attaques magiques que physiques) et les Archétypes qu’ils ont déjà débloqués. Pour progresser, il faut en effet faire évoluer son Archétype, non seulement en lui faisant gagner en niveau, mais également en faisant progresser d’autres Archétypes. Ces évolutions ne sont pas connues à l’avance, ce qui donne une certaine satisfaction lorsque la progression d’un personnage (mais aussi l’avancement de certains liens sociaux) permet de débloquer un archétype inédit et les compétences qui lui sont associées. D’apparence similaire au système de combat de Persona, Metaphor s’avère finalement beaucoup plus libre, mais aussi plus exigeant.
Un level design inégal
À l’origine, le développement du « Project Re:Fantasy » a débuté il y a près de dix ans, avec une annonce publique en 2016, peu après la sortie initiale de Persona 5 sur Playstation 3 et 4. Un projet pharaonique qui, malheureusement, accuse son âge par certains aspects. Le level design semble tout particulièrement revenir en arrière, après les formidables Palais de Persona 5 – et surtout de sa version la plus récente, Royal.
Le titre semble pourtant audacieux durant les premières heures de jeu. Mention toute particulière au second donjon principal de l’aventure qui, non seulement, se transforme temporairement en niveau d’infiltration façon Metal Gear Solid, mais nous offre même la possibilité d’opter pour un combat prématuré contre le boss si l’on souhaite sortir des ombres. À mi-partie, un autre donjon, au level design plus convenu, parvient cependant à nous surprendre par son évolution esthétique soudaine. Un véritablement renversement en terme de narration !
Néanmoins, les derniers donjons adoptent la fâcheuse tendance à multiplier à l’excès les gros monstres et recycler d’anciens boss pour ralentir notre progression. On est alors contraints de battre en retraite après avoir épuisé nos points de magie ou bien de zigzaguer entre les ennemis sans réellement profiter des décors. De même, les donjons secondaires semblent avoir été négligés. On en dénombre trois sortes, copiés-collés pour remplir artificiellement la carte d’Euchronia : des catacombes labyrinthiques garnies de passages secrets (que l’on anticipe vite grâce à la mini-carte), des forêts dans lesquelles il faut abattre suffisamment de monstres pour faire apparaître un boss, et des tours alignant simplement les combats d’un étage à l’autre (et des combats de fin de partie particulièrement corsés au sommet). Du fait de cette réutilisation abondante, ces lieux annexes ne restent pas dans les mémoires – ou du moins, pas pour de bonnes raisons. Toutefois, mentionnons une idée bienvenue sur l’exploration des donjons : la présence d’informateurs dans les grandes villes qui peuvent nous révéler les forces et les faiblesses des ennemis présents. Si l’on souhaite conserver l’avantage, on a tout intérêt à recueillir ces précieuses connaissances et à adapter notre stratégie et équiper nos Archétypes en conséquence.
Metaphor : ReFantazio deviendra-t-il le nouveau roi du JRPG ? À vrai dire, seul le temps nous le dira. S’il accuse un contenu assez inégal, il se rattrape largement par une histoire prenante et une direction artistique mémorable. Et rien que pour cela, il restera assurément dans les mémoires. Le jeu est actuellement disponible sur Xbox Series X|S, Windows, Steam, PlayStation 5 et PlayStation 4.