Animasia 2024 : rencontre avec Patrick Borg, l’un des premiers comédiens-doubleurs

Comédien-doubleur, un métier de plus en plus reconnu. Certains professionnels sont même de véritables stars, comme c’est le cas de Patrick Borg, qui prête sa voix à de nombreux personnages comme Son Goku dans Dragon Ball Z et Dragon Ball Super, que nous avons pu rencontrer lors de l’édition 2024 du festival bordelais Animasia.

Animasia 2024 : rencontre avec Patrick Borg, l'un des premiers comédiens-doubleurs

Brigitte Le Cordier, Glen Hervé ou encore Lila Lacombe, des noms que l’on ne présente désormais plus. Comédiens professionnels, ils prêtent leur voix à des personnages emblématiques du monde de l’animation japonaise. Mais si aujourd’hui leur métier est de plus en plus reconnu par le grand public, ça n’a pas toujours été le cas.

En cause, des premières adaptations pas toujours raccord avec les attentes des fans, voire complètement à côté de la plaque. Dans le milieu depuis 57 ans, Patrick Borg a connu les débuts du doublage et a vu le métier évoluer. Professionnalisation du métier, arrivée de l’IA, le comédien a répondu sans filtre à nos questions.

Avant d’être comédiens-doubleurs, soyez comédiens !

Prêter sa voix à un personnage que l’on aime, lui donner vie, beaucoup de fans de mangas et d’animation en rêvent. Sur les réseaux sociaux, certains partagent même des bandes rythmos afin de s’essayer à l’exercice. D’autres, comme la créatrice de contenu Ciel (Cyeluu sur Tiktok), vont même plus loin et proposent des textes originaux à leur communauté afin de les challenger.

Mais pour réussir à prêter sa voix à un personnage, ne faudrait-il pas avant tout être comédien ? Aux yeux, de Patrick Borg, la réponse est évidente ! “Avant tout, on est comédien, bien évidemment”.

Je suis comédien tout court, tu sais, comédien-doubleur. Je sais que maintenant, on nous appelle les doubleurs quand on fait du doublage, alors que dans le métier, ce que nous on appelait les doubleurs, c’était les boîtes de doublage”, explique-t-il.

Alors comment expliquer l’évolution sémantique que nous connaissons ? “Cette évolution sémantique est venue des conventions. C’est juste des raccourcis publics. C’est le public qui a fait des raccourcis avec des mots qui n’existent pas”.

Donner vie à un personnage, oui. Mais comment on s’y prend ?

Lorsqu’on s’intéresse au métier de comédien-doubleur, une question vient tout de suite en tête : comment faire pour parvenir à donner vie à un personnage ? Et comment double-t-on un acteur ?

Comment on fait pour s’approprier un personnage ? Alors là, sur DBZ, c’est un dessin animé, on se base sur les voix originales, celle des comédiens japonais. Car c’est un dessin animé qui, en plus, parle en japonais. Donc, tu te l’appropries avec : “Là, il a du chagrin, je vais le jouer.””, contextualise Patrick Borg, avant de poursuivre : “On se doit d’être synchrone, que les gens aient l’impression que c’est le comédien qui parle en français, mais la sensibilité d’un acteur, elle est dans l’œil.

La difficulté est d’autant plus grande dans le doublage d’animation japonaise, chinoise ou coréenne, que les sonorités linguistiques sont différentes, comme le souligne le comédien. “Si, quand tu vois triste, tu vas jouer une tristesse, mais la tristesse se joue tellement différemment en japonais qu’en français. Et puis surtout, les appuis des mots, c’est-à-dire la langue française et la langue japonaise, musicalement, c’est hyper éloigné. Si tu prends français, italien, c’est assez proche, français, allemand, déjà beaucoup moins, mais avec le japonais ou chinois ou coréen, là, c’est vraiment loin. Ce sont des univers et de monde totalement différents.

Doubler un acteur, un personnage de dessin animé ou de jeux vidéo : quelles différences entre les trois ? 

Il nous l’a expliqué brièvement précédemment : entre doubler un acteur et doubler un personnage de dessin animé, il y a un fossé. Mais Patrick Borg a également prêté sa voix à des personnages de jeux vidéo. Alors, exercice différent ? Quelles sont les subtilités à connaître ? 

Doubler un comédien, c’est son œil, c’est le suivre avec énormément d’humilité. On n’est pas là pour se dire, ben tiens, moi, j’aurais préféré jouer cette scène comme ça. Non, non, tu te taies. C’est lui qui a tourné”, explique-t-il, “Essaye déjà de faire aussi bien que lui. De respirer comme lui, d’inspirer comme lui, d’expirer comme lui. Que les hésitations soient les mêmes que les siennes. Et là, tu seras dans son œil et dans son humeur de jeu.

Et quid de la voix d’un personnage de jeux vidéo ou d’un dessin animé ?

Le dessin animé, quand c’est une création, toute liberté… S’il n’y a pas eu de doublage avant.”, commence t-il, “Parfois, on a, quand c’est une création, le réalisateur qui est là. Souvent, le réalisateur, quand il a fait son dessin, il c’est comme nous étant mômes : on lisait un Lucky Luke ou un Obélix Astérix, on leur filait des voix à l’époque, dans nos têtes. Sans même, avant que ça ait été doublé, dans ton imaginaire… Pareil, tu lis Le Petit Prince, tu lui donnes une voix. Dans ta tête, il a déjà une voix. Donc, la création, tu peux t’amuser à chercher des trucs, surtout si tu doubles. Alors que tu ne l’as pas lorsque tu doubles un comédien. Tu n’as que la liberté de le suivre le plus précisément possible. Voilà les différences.”

Devenir comédien-doubleur en 2024 : encore possible ?

Mais d’ailleurs, comment devient-on comédien-doubleur en 2024 ? “On ne devient pas acteur doubleur. Déjà, tu deviens acteur tout court. Moi, j’ai commencé, comme la plupart, par le théâtre”, nous explique le comédien, “J’avais dix ans au théâtre de la ville. Et c’est là que je jouais avec Fernand Sardou, qui avait dit à mon père : tiens, je connais une boîte de doublage qui cherche des voix d’enfants.

Entre son début de carrière, il y a 57 ans, et maintenant, Patrick Borg a vu les évolutions et l’industrialisation du métier se faire. Il le dira par ailleurs lui-même : “À l’époque, c’était des sociétés beaucoup plus artisanales. Il y en avait quelques unes, ce n’étaient pas ces gros empires, ces grosses machineries, comme il y a un peu partout”. Son regard est très critique sur la situation. Le comédien osera même une comparaison légitime : “Maintenant, le môme qui bosse dans le truc, il va rentrer et il va bosser comme chez Ikea, à la chaîne, faire des planches en contreplaqué…”.

Les comédiens-doubleurs : les nouvelles stars ? 

Contrairement à quelques années dans le passé, certains comédiens-doubleurs sont de véritables stars parmi les fans d’animation. La plus célèbre est très certainement Brigitte Le Cordier, régulièrement invitée aux conventions comme Japan Expo. Nous avons donc demandé son avis à Patrick, qui a un avis très philosophe sur la question.

Ceux qui sont mis en avant un peu comme ça, écoute, je leur laisse”, explique-t-il sans filtre, “Sois heureux d’avoir la chance de doubler un tel et un tel. Fais-le avec beaucoup d’humilité. Fais-le le mieux possible. C’est tout. C’est pas que t’as joué mieux que les autres, c’est que de façon très subjective, il y a une personne parmi le client qui a décidé qu’il préférait ce jeu et cette voix. Ce n’est pas dire que les autres sont moins bien.

Voilà qui est dit. Si vous souhaitez vous lancer dans une carrière de comédien (doubleur ou pas), restez humble et fidèle à vous-mêmes.

La passion s’est-elle essoufflée, disparue au profit de l’industrialisation à grande échelle ? 

En entendant les mots de Patrick, difficile de ne pas avoir un pincement au cœur. Plusieurs ont pu idéaliser ce milieu comme, celui de l’expression, du divertissement et du plaisir. Face à l’industrialisation du métier, à sa professionnalisation, la passion a-t-elle disparu ? Est-elle en voie d’extinction ? Pas si sûr, à en croire notre ami comédien-doubleur.

Non, je ne pense pas que ça ait fait perdre de la passion.” Bonne nouvelle, pourriez-vous vous dire, mais si la passion n’a pas disparu, c’est autre chose, d’autrement plus important, qui a disparu. 
Je dis que ce que l’on a perdu, pour des raisons économiques… c’est le temps. Qu’est-ce qui est plus important que le temps de vie pour un être humain ? Rien. Rien au monde. Et à l’époque, nous avions le temps. C’est-à-dire, quand on doublait un film ou un téléfilm, on travaillait d’abord la boucle qui était découpée.

Comédien-doubleur : un métier en danger avec la montée en puissance des IA 

Depuis désormais plusieurs mois, les IA ne cessent de faire parler d’elles. Si la majorité des personnes les utilisent dans un but récréatif, d’autres cherchent au contraire à en tirer parti en réduisant certains coûts.

Certains studios d’animation l’ont admis : certains postes redondants pourraient à l’avenir être remplacés par des IA. Au Japon, une maison d’édition a même tenté le pari fou de publier un manga entièrement réalisé par IA. Mais ce ne sont pas les seuls métiers concernés par la montée en puissance de ces nouveaux outils. Les comédiens-doubleurs sont également concernés. En France, une pétition Touche pas à ma VF a ainsi été lancée afin de demander une règlementation stricte quant à l’utilisation de ces outils dans leur métier. Mais qu’en pense concrètement Patrick Borg, qui fait parti des premiers concernés ? 

Ça va être le bordel, à mon avis, mais pas que pour notre métier, parce que l’IA va toucher tous les domaines artistiques. Ça va toucher l’écriture, la peinture. L’IA, moi, je n’ai rien contre les technologies avancées. Ça peut être très bien dans plein de domaines. Je dis qu’il va falloir simplement l’encadrer, légiférer”, explique-t-il, “Bien évidemment, économiquement, des boîtes vont essayer de faire ça. Pourquoi ? Parce que c’est des histoires de blé. On l’a déjà vu, ça s’est déjà fait. Mais il y a une chose qui pour moi est irremplaçable, c’est l’âme. Comment une machine va restituer l’âme, même si elle chope toutes nos inflexions.

Et face à ce constat, le comédien soulève une question à laquelle vous, lecteurs, lectrices, êtes les seul.e.s à avoir la réponse : “Avez-vous envie que vos enfants soient élevés et grandissent avec des machines ? Ou est-ce que vous avez envie que vos enfants grandissent avec des humains qui font un spectacle pour eux, qui vont se tromper devant eux, se rattraper et continuer ?

Nous le mentionnons un peu plus haut, une pétition a été créée afin d’inciter les pouvoirs publics à agir. Qu’en est-il du côté législatif ? 

Il y a un ami avocat qui s’occupe de beaucoup de choses. Il y a les syndicats également. Olivia Lucioni, à qui je rends hommage et d’autres qui se bougent beaucoup”, a ainsi souligné Patrick Brog, “Malheureusement, même certains collègues, contre l’IA se mettent à l’utiliser quand même, pour des démos et des choses comme ça, à des fins personnelles. Et ça, ça m’emmerde un peu”.

Vous l’aurez compris. Patrick Borg, c’est un personnage haut en couleurs, qui ne s’encombre pas des conventions sociales et qui dit ce qu’il pense, sans filtre. D’ailleurs, Patrick Borg avait un dernier mot à vous passer, à vous, lecteurs et lectrices : “Soyez heureux. Et surtout, une chose importante, ça, je le dis toujours à tout le monde, essayez de réaliser vos rêves. La vie n’est qu’une grande farce. Ne l’oubliez jamais. Ça ne dure pas longtemps. Alors, un seul conseil, éclatez-vous.” 

Juliet Faure

Tombée dans la culture japonaise avec le célèbre "Princesse Mononoké" de Miyazaki, je n'ai depuis jamais cessé de m'intéresser à ce pays. Rédactrice chez Journal du Japon depuis 2017, je suis devenue la yakuza de l'équipe. Plutôt orientée RPG et Seinen, je cherche à aiguiser de nouvelles connaissances aussi bien journalistiques que nippones.

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