Portraits d’artistes japonais : Kawase Hasui & Katô Teruhide
Lorsque l’on parle d’estampes japonaises, les premiers noms qui nous viennent en tête sont généralement Hokusai et Hiroshige, puis Kuniyoshi et Kunisada, pour ne citer qu’eux. Connus pour leurs paysages, leurs portraits ou leurs démons, chacun d’entre eux s’est fait un nom au delà des frontières et à travers le temps. Mais comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises chez Journal du Japon, et notamment dans notre duo de papiers consacré à cet art, des origines des estampes japonaises au panorama des œuvres, le monde flottant est extrêmement riche et diversifié.
Les Nouvelles Éditions Scala, que nous avions rencontré en 2018, proposent toute une collection de livre d’art autour des estampes et de la peinture japonaise. Des animaux aux cerfs-volants, en passant par le Shin Hanga et les yôkai, l’éditeur s’est imposé comme une référence dans l’art japonais qu’il rend accessible au plus grand nombre. En cette fin d’année 2024, deux nouveaux ouvrages viennent compléter la collection : un premier dédié à Kawase Hasui, l’un des grands noms des estampes japonaises, et un second dédié à Katô Teruhide, moins connu du grand public.
L’occasion pour Journal du Japon de vous présenter ces deux artistes japonais…
Kawase Hasui : Le poète du paysage
Né en 1883, Kawase Hasui, de son vrai prénom Bunjiro, a grandi dans le quartier commerçant de Shiba, en pleine modernisation depuis le début de l’époque Meiji. Malgré une santé fragile, l’artiste eut une enfance heureuse et fut initié à l’art dès son plus jeune âge. D’abord par le théâtre par sa famille, puis de lui-même par le dessin, lorsqu’il s’amusait à copier les estampes et illustrations des journaux. Il apprit alors dès l’école primaire les techniques de la peinture traditionnelle nihonga, puis intégra l’atelier du peintre Aoyagi Bokusen à l’âge de 14 ans pour ses premiers cours de dessin.
Malgré une passion évidente pour cet art, Kawase Hasui ne pourra pas tout de suite devenir le grand artiste qu’il est aujourd’hui. D’abord freiné par son père qui souhaite le voir reprendre l’entreprise familiale, il se confronte ensuite à la déception d’être recalé par son idole, Kaburaki Kiyokata, qui considère le jeune Kawase trop âgé pour devenir peintre. Sa seule consigne pour espérer devenir son disciple : apprendre la peinture occidentale. Kawase entra donc eu Centre de recherche de peinture occidentale Aoibashi, à contrecœur, avant d’être finalement accepté dans l’atelier de Kaburaki Kiyokata en 1912.
Et c’est en 1918 que Kawase Hasui composa sa première estampe. Inspiré par son ami Itô Shinsui et sa série d’estampe Huit paysages d’Ômi, Kawase s’intéressa aux paysages et réalisa trois vues de Shiobara, un lieu de son enfance symbolique. Publiées par Watanabe Shôzaburô, le créateur du mouvement artistique Shin hanga (estampe nouvelle) qui l’avait repéré un peu plus tôt lors d’une exposition, ces estampes connurent un succès qui motivèrent l’éditeur à commander de nouvelles œuvres à Kawase. C’est ainsi qu’une longue et internissable relation s’installe entre l’artiste et l’éditeur, donnant vie à plusieurs centaines d’estampes.
Rapidement considéré comme « le maître du paysage« , Kawase Hasui devient un voyageur infatigable. Il explora ainsi toutes les régions du Japon, carnet de croquis à la main, afin de faire découvrir au plus grand nombre la diversité de l’archipel… des régions les plus populaires aux coins les plus méconnus. Il s’attachait à ne peindre que ce qu’il voyait, et non pas ce qu’il imaginait. Comme un photographe, il s’attardait alors sur l’angle à exploiter pour être le plus original, sans jamais mentir sur la réalité. Après tout, « faire un croquis d’un endroit en omettant des détails sales ou laids afin que la personne qui regarde l’œuvre la trouve plus belle qu’elle n’est en réalité, n’est pas manquer d’honnêteté ? » (citation extraite d’un de ses carnets de croquis, p.25).
Bien qu’il ait toujours préféré la quiétude de la campagne au tumulte de la ville, Kawase fut néanmoins fortement inspiré par sa ville natale, Tokyo. Avec plus d’une centaine d’estampes consacrées à la capitale japonaise, il en fit le thème le plus important de ses œuvres. Égal à lui-même, ce ne sont pas les grands bâtiments qui passionne l’artiste, mais les quartiers des gens normaux et les lieux de culte qui le touche.
Riche en texte, l’ouvrage Kawase Hasui – Le poète du paysage retrace non seulement l’histoire de Kawase Hasui mais aussi tout le contexte historique qui l’entoure. Les vies de tous les artistes japonais de cette époque, que l’ouvrage prend le temps de nous présenter, sont alors intimement imbriquées entre elles, puisque les travaux et les conseils de l’un ont poussé l’autre à se redécouvrir, à tenter de nouvelles choses, ou à se surpasser. Les influences sont mutuelles, et chaque vie a un impact sur l’autre.
Contenant près de 250 des estampes de Kawase Hasui, l’ouvrage pèse presque 2kg… De quoi vous donner une idée de sa taille et de tout ce que l’on peut y trouver à l’intérieur ! À l’écriture, on retrouve Brigitte Koyama-Richard, professeur d’histoire de l’art de l’université Musashi de Tokyo, à qui l’on doit plusieurs dizaines de livre d’art sur le thème des estampes japonaises, de leurs mouvements artistiques et de leurs influences.
Katô Teruhide : Le raffinement de Kyoto
Né en 1936, Katô Teruhide est un enfant de Kyoto. Captivé par l’ambiance de « l’ancienne capitale de la tranquillité et de la paix » (Heian-kyô) et les traditions de son pays, l’artiste se passionne pour les ruelles du quartier de Gion, des temples et sanctuaires de la ville, et de l’esthétisme unique de chaque saison sur les différents détails de Kyoto. Il n’est alors pas étonnant que la majorité de ses œuvres représente sa ville natale : qu’elle soit reconnaissable ou induite, Kyoto est déclinée sous toutes ses formes et sous toutes ses météos.
Après des études de peinture nihonga, Katô se spécialise en tant que dessinateur de kimono indépendant en 1963, en complétant son cursus par une formation de teinturier. Il exerce alors en tant qu’artisan « touche à tout », réalisant des tomesode noirs, l’un des kimono les plus formels, ainsi que des obi (ceinture), des noren (rideaux), des céramiques ou encore des peintures et des luminaires. C’est entre 1987 et 1988, plus de 20 ans après ses premiers pas en tant qu’artiste, que sa carrière s’envole : une célèbre chanteuse porte l’une de ses créations lors d’une émission télévisée, et c’est le début du succès. Les commandes se multiplient et Katô, alors âgé de 52 ans, fait la rencontre de Liane Grunberg Wakabayashi, correspondante du Japan Times, qui organisera, 3 ans plus tard, une présentation de ses œuvres à l’Institut d’Asie orientale de la Colombia University, à New York.
Séduit par l’architecture typique en bois de cèdre des habitations et des lieux de cultes de Kyoto, l’artiste japonais s’inspire de l’atmosphère idéalisée d’une époque lointaine pour réaliser des œuvres poétiques qui dénote par leur simplicité. Comme suspendu, le temps s’arrête pour laisser libre court à la contemplation d’un pétale de cerisiers qui s’installe sur les pavés des étroites ruelles ou d’un flocon de neige qui termine sa route sur les tuiles d’une machiya.
Écrit par Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises du musée Cernuschi (2016-2023) et commissaire d’exposition, l’ouvrage profite d’une expertise dans l’art japonais des époques Edo et Meiji.
Décortiquant le style de l’artiste, Le raffinement de Kyoto – Estampes et peinture de Katô Teruhide propose une analyse séquentielle de la vie de Katô et de ses œuvres : après un focus biographique, l’ouvrage nous emmène dans l’exploration de l’ancienne capitale au fil des saisons, avant de s’attarder sur le quartier de Gion et son festival, puis sur les temples de Kyoto. Le périple artistique de Katô est ainsi complètement étudié, du centre de Kyoto jusqu’à l’ouest de la ville, dans le district d’Arashiyama et Sagano.
Sous la pluie, à peine éclairée ou rougissante, Kyoto est sublimée par l’art intemporel de Katô Teruhide qui nous offre un moment d’intimité avec l’ancienne capitale japonaise. L’artiste, décédé en 2015, a su retranscrire le mysticisme autour du traditionnel japonais et renvoyer le spectateur dans un univers onirique. L’ouvrage, Le raffinement de Kyoto, lui, est un livre de grande qualité qui rend hommage à l’artiste et ses œuvres… à mettre entre toutes les mains des amoureux de Kyoto et de l’art japonais.
C’est une nouvelle fois avec deux ouvrages incontournables que les Nouvelles Éditions Scala nous offre un accès privilégié à l’art japonais, que ce soit aux travers d’ouvrages dédiés à des artistes japonais ou des ouvrages thématiques. À offrir ou à s’offrir, la collection Art japonais est une porte ouverte sur le monde flottant que l’on ne se lasse pas de feuilleter et d’admirer.