Le Japon face aux séismes : quand les mangas représentent les forces de la nature
2024, le Japon débute la Nouvelle Année, celle du dragon, par un séisme accompagné d’un tsunami qui frappent la péninsule de Noto. Le cauchemar sismique se perpétue durant la période estivale avec deux séismes touchant Kyushu et Shikoku. Une alerte tsunami a été lancé comme celle d’une potentielle réplique, nommée « méga-séisme ». Le tout avec plusieurs alertes pour des typhons, comme si l’Archipel était assiégé par les forces naturelles…
Ce flot d’informations venant du Japon peut nous interroger, nous lecteur, sur la « viabilité » du Pays du Soleil Levant, mais une autre question peut se poser sur la culture populaire. Comment les mangas et mangakas, eux qui sont aussi prompt à représenter la société nippone, ses enjeux, ses torts, voire dénoncer, représentent ces catastrophes « naturelles » ?
Séismes, tsunamis ; quelles catastrophes observe-t-on ?
Avant d’évoquer les mangas, nous devons aborder la géographie singulière de l’Archipel, situé au finistère de l’Asie. Le Japon se retrouve à la croisée de bons nombres de forces « naturelles » : le sud est exposé aux restes de moussons, le nord au coup de froid sibérien, le tout en équilibre sur quatre plaques tectoniques différentes avec l’instable ceinture de feu. Par conséquent, ce mélange provoque bon nombre d’aléas que le géographe Philippe Pelletier décrit bien dans le Japon, en 2008 :
« Les aléas naturels y sont en effet variés et destructeurs : séisme en premier lieu, mais aussi tsunami, volcanisme actif, typhons, inondations, éboulements et glissements de terrain, déluges du sud, coups de froid au nord, abondantes chutes de neige sur le littoral de la mer du Japon… »
Cette citation démontre la pluralité des aléas naturels au Japon et son caractère total. L’ensemble du territoire possède un aléa propre ou plusieurs, dont les mangas se font l’écho. Pour comprendre ce dernier, l’article se construit autour d’une base de données de 70 titres de mangas. Ces derniers ont été choisis dans une logique globalisante, on y retrouve tous les types et genres de mangas, mais aussi des titres bien connus et d’autres moins. Pour garder une cohérence, l’ensemble des titres de mangas ont été lus en format relié dans un but comparatiste. L’objectif est clair : dresser un panel généraliste pour éclairer au maximum d’autres lectures et créer des tendances globales. Ainsi, sur cette base de données, 47 % des mangas évoquent une ou des formes de catastrophes « naturelles ».
Sur ce même échantillon, le nucléaire et ses dégâts sont bien loin… En conséquence, les mangas représentent bien cette peur de la nature, au sens large, mais quelles catastrophes sont représentées ?
Sans surprise, on retrouve nos catastrophes de l’année 2024, en tête du podium, suivi de près par le volcanisme, le tout suivant l’ordre de Pelletier. Alors, un premier constant se tient dans la mise de côté des typhons. Ces derniers sont très peu représentés ou évoqués, hormis un bref passage dans Fends le Vent de Usamaru Furuya sans montrer de dégâts. Le second constat se trouve dans la posture de domination des séismes face aux autres catastrophes. Enfin, un dernier point, les mangas ne montrent pas tous les aléas naturels et privilégient certains à d’autres.
Pourquoi certains sont majoritaires, quels intérêts pour l’auteur et le lecteur ? Et quid des autres catastrophes ? C’est ce que nous allons voir dans ce dossier, en deux parties.
L’école emportée, un rappel du séisme de 1923
Les mangas dépeignent les séismes, et cela, qu’importe le public visé comme ce shônen nommé L’école emportée. Kazuo Umezu, auteur de style gekiga, connu pour ses œuvres horrifiques, prépublie ce manga dès 1972. L’histoire tourne autour d’une école maternelle et primaire, nommée école Yamato, nous suivons le jeune Shô durant une journée « normale ». D’un coup, et sans signe prémonitoire, l’école subit un séisme et se fait téléporter dans un futur « post-apocalyptique ». Néanmoins, le moment sismique, celui qui permet le transfert, est subi et ressenti pendant que les enfants sont à l’école. Cette dernière est située dans la préfecture de Tôkyô. Auteur de gekiga, Umezu nous offre une trame sombre sur l’ensemble de la planche, sa graphie lourde accentue les émotions, telle la peur chez les enfants, et permet aussi de « lire » les vibrations du séisme. Le tout accentué par les onomatopées comme « do », avec sa forme kanji, qui permet de représenter les vibrations, les tremblements de la structure et des objets. Au-delà de cette graphie, qui donne des indices clairs, on doit s’attarder sur les mots de Shô pour comprendre l’ampleur de la catastrophe : « C’est le grand tremblement de terre de Tokyo ! Il est arrivé ! ».
L’enfant d’environ huit-neuf ans évoque quand à lui deux choses importantes : l’arrivée d’un séisme dans la région de Tôkyô, donc le Kantô, la plus peuplée de l’Archipel, et la notion de « grand tremblement de terre ». On peut assimiler cette notion, purement japonaise, à celle du méga-séisme, qui revient constamment dans les mangas. Malgré une connaissance du risque sismique, via la réaction du professeur qui appelle au calme et à se cacher sous les tables, la panique peut vite gagner les rangs, surtout pour des enfants. Cependant, « il est arrivé ! » doit être remis en contexte : Tôkyô et sa région ont déjà subi un « grand tremblement ». Le 1er septembre 1923, le grand séisme du Kantô, de magnitude 7.9 sur l’échelle de Richter, secoue l’ensemble de la capitale ainsi que la ville de Yokohama. Ici, la notion de « grand tremblement » est censée, concrète via l’ampleur démesurée des dégâts. L’ambassadeur français à Tôkyô, Paul Claudel, décrit les conséquences du séisme de 1923 dans Le Japoscope 2000:
« À Tokyo, les ¾ de la ville sont détruits, 400 000 maisons, 1 500 000 personnes sans abri, 70 000 cadavres relevés jusqu’à ce jour. C’est ici la capitale, la partie essentielle du pays, là où, plus encore qu’à Paris, se sont concentrées toutes les richesses, toutes les forces motrices, toute la joie, toute la science »
La description de l’ambassadeur est révélatrice de l’ampleur d’un « grand tremblement ». La capitale est quasiment rasée. Concernant cette dénomination nippone des séismes, elle est toujours en application. Ajoutons que le bilan final des victimes s’établit, environ, à plus de 143 000 morts. Ainsi, pour revenir aux mots du héros « il est arrivé », la phrase n’est pas anodine, car le séisme a déjà eu lieu dans le passé, mais la mémoire collective a gardé, de même qu’intériorisée la peur d’un séisme de cette ampleur à Tôkyô. Toutefois, les mangas de l’époque n’ont pas représenté la catastrophe, alors la transmission de « l’horreur » de 1923 est passée par le biais de l’art « paternel » des mangas : les estampes, où on y retrouve les mêmes logiques représentatives que dans L’école emportée, avec la panique comme point commun incontestable.
De plus, les mots de l’ambassadeur sont d’autant plus forts en 1972, où Tôkyô reste la métropole incontestable du pays avec près de 24.5 millions d’habitants (soit presque six fois plus d’habitants qu’en 1923), le tout avec une concentration industrielle, financière et politique inégalée. Elle reste « la partie essentielle du pays ». Ce souvenir de 1923 se couple avec une forte activité sismique entre 1970 et 1979, dont l’auteur a pu s’inspirer pour son scénario. Malgré tout, le mangaka ne représente pas les dégâts matériels dans son manga. Pour autant il établit des normes représentatives : l’usage massif des onomatopées qui permettent de « lire » les vibrations du séisme, la panique due à l’imprévisibilité de l’événement ; en effet, les séismes suivent une loi de puissance qui rend la prédiction, chronologique et ou de sa magnitude, complexe. Dans une logique historique, ce manga permet de générer plusieurs idées : d’abord que ce média se nourrit de l’actualité, puis la création d’une mémoire collective de cette catastrophe parmi la population.
Le boum des séismes en manga (1995-2009)
Bien que ce premier manga évoque les séismes, cette thématique n’est plus représentée avant la date fatidique de 1995. Avant l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tôkyô, le 20 mars 1995, la ville de Kobe et ses alentours subissent de plein fouet, le 17 janvier 1995, le « grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji » qui frappe la localité de Kobe, avec une magnitude 7.2 sur l’échelle de Richter. Or, aucun chercheur n’avait pointé cette région comme fragile face à un séisme, au mépris de la présence d’une faille active, le pourcentage était entre 1 et 8 % pour un puissant séisme ; tous les efforts ont été concentrés dans la région de Tôkyô et du Tôkai, où le risque était de 80 %. Le séisme de Kobe provoque la mort d’entre 5 500 à 6 500 personnes, suivant les estimations. Cela sans compter la difficile coordination entre les forces de secours et les grandes destructions urbaines. Cette catastrophe se transforme – au sein de la culture populaire manga – en nouveau « pivot mémoriel » qui rappelle à tous la ruine, matérielle et morale engendrée par ce fléau[1].
De cette façon, l’année 1995 cristallise un palier dans la production d’œuvres apocalyptiques où, désormais, les auteurs dessinent une ou des vagues de séismes détruisant le Japon, non pas à l’échelle d’une ville, mais du pays entier comme dans Spirit of The Sun, publié dès 2002, et La Submersion du Japon, publié en 2006.
Le premier offre une vision démesurée de la catastrophe avec quatre grands séismes frappant l’ensemble du Japon simultanément d’est en ouest, dont le premier se produit à Tôkyô, avec une magnitude de 8.8. L’ensemble des vagues sismiques engendre une cascade de catastrophes : tsunami et réveil des volcans. L’Archipel se divise en deux entités terrestres, avec une nouvelle mer qui remplace le Kansaï : c’est la fin du Japon. L’évocation de Kobe, au sein des mangas, s’accompagne aussi d’autres références comme celle de la préfecture de Niigata qui subit deux séismes majeurs[2], en 2004 puis en 2007, tous deux de magnitude 6.8 sur l’échelle de Richter. Cette pluralité de références traduit bien une chose : la catastrophe sismique est totale, tant dans la destruction matérielle, bien présente, que dans celle des esprits, marqués par ces évènements. En revanche, cette période démontre une surreprésentation d’un espace précis craignant les séismes : Tôkyô, la capitale de l’est. La peur pour cette ville, après Kobe, ressurgit et s’amplifie par la présence d’un point triple au large de la baie de Tôkyô, soit un point qui réunit trois plaques tectoniques.
La planche ci-présente est extraite du manga Tokyo Magnitude 8 de Usamaru Furuya. Dès le début de son œuvre, l’auteur évoque dans un rabat de couverture du premier tome le cheminement et le raisonnement qui l’a conduit à dessiner : « J’ignorais à quel point Tokyo était une ville fragile et dangereuse ». De cette réflexion, l’auteur présente un manga centré sur un possible « Big One » à Tôkyô. Cette notion provient des États-Unis, en lien avec la faille de San Andreas en Californie : cette dernière qualifie l’attente d’un méga-séisme par la population.
Mais revenons à la double planche…. Les deux héros se trouvent dans un lieu particulier de la capitale : l’île artificielle d’Obaida. Elle est une avancée sur la mer, nommée en japonais umetatechi soit un « terre-plein », comme d’autres structures de la baie de Tôkyô. Ainsi, comme à Kobe, l’environnement est purement anthropique, créé pour et par les Hommes. Ce site particulier permet d’évoquer d’autres possibilités de destructions dans une ville totalement moderne, étalant son urbanité sur les flots. Sur cette double planche, on y retrouve une graphie lourde avec une très nette lecture des vibrations induites par un séisme, mais aussi l’onomatopée « do », le tout accentué par les « brrrrrrrmm » et « tak » permettant une « lecture » des secousses. Après ce premier tremblement, les personnages vont être acculé, tant par la coupure des lignes téléphoniques, que par le « phénomène de liquéfaction » que l’on peut expliquer par un affaissement du sol et la remontée des eaux, dont celles des égouts ou des incendies. Par son histoire, le mangaka interroge réellement la notion de « fragilité » de la ville : cette dernière est bien réelle, comme on a pu le constater au vu de sa position tectonique. Le tout avec une riche documentation, tant pour les installations, l’usage de personnages ayant survécu à Kobe, pour démontrer la mémoire collective, que par l’utilisation d’une autre échelle, plus pertinente au Japon, l’échelle Shindo. Cette dernière est découpée en sept niveaux : elle est utilisée par l’agence météorologique nippone et mesure la force des secousses d’un séisme, non l’énergie dégagée.
Cette peur tokyoïte se traduit par un projet démesuré, celui de la « délocalisation de la capitale », pour éviter les risques telluriques[3], mais ce dernier est resté à l’état de projet. De ce fait, chaque catastrophe sismique réactive diverses émotions : la panique, la peur puis une forme d’anxiété traduite dans les mangas comme une forme « d’attente » face au pire…
2011, Fukushima et ses conséquences
Avant une année 2024 très agitée au niveau des plaques tectoniques nippones, le dernier grand « tremblement », dernier méga-séisme, est celui du 11 mars 2011, une date de destruction totale pour l’Est du Japon. Néanmoins, aux yeux de l’Occident, la catastrophe de Fukushima se limite, ou se réduit, à la fusion d’un réacteur nucléaire qui a provoqué, dans un effet condensé, un Tchernobyl japonais. Ce désastre doit s’observer et se comprendre dans une cascade de catastrophes annonciatrices d’une peur encore bien présente au Pays du Soleil Levant.
Pour décrire la situation complexe de Fukushima, nous devons commenter cette planche de Reiko Momochi . La mangaka dessine une histoire autour de quatre lycéennes de Fukushima après les catastrophes touchant la préfecture en 2011. Ici, on se trouve à la fin du récit, lors de la remise des diplômes du lycée, où Fumi fait un discours pour évoquer les diverses catastrophes :
« Voilà bientôt un an, notre région… A subi de plein fouet un séisme … Un tsunami et un accident nucléaire. Depuis, nous vivons… Dans l’angoisse et la peur des radiations »
La lycéenne décrit, au milieu de ses camarades de promotions, des professeurs et des parents, l’ensemble des maux de sa ville natale (Fukushima city) en donnant l’ordre exact d’une cascade de catastrophe : « séisme, tsunami, un accident nucléaire », le tout sous une ambiance calme et sans émotion apparente. Avant d’expliciter ce trio très particulier, il nous faut décrire l’ampleur du séisme. Le « grand séisme de l’est du Japon »[4], nom donné au séisme de 2011, est un séisme sous-marin, qui s’est produit le 11 mars 2011 à 14 h 46 au large du Tôkohu. Ce dernier est l’un des plus violents jamais enregistré avec une magnitude de 9.1 sur l’échelle de Richter. Il provoque un tsunami qui ravage la côte avec la centrale… Par son impact, nous devons revenir sur l’ordre de cette triple catastrophe. Ce dernier rappelle le terme forgé par le sismologue nippon Katsuhiro Ishibashi : genpatsu-shinsai, soit « désastre sismique nucléaire ». Cependant, comme une Cassandre antique, le scientifique japonais décrit parfaitement ce qui arrive à Fukushima, en 2011, dans un article de 2007 nommé « pourquoi s’inquiéter ? » :
« Un séisme significatif pourrait couper l’alimentation externe de réacteur [et] un tsunami pourrait alors dépasser les digues, inonder les générateurs diesel de secours, empêcher le refroidissement des réacteurs et entraîner des accidents de fusion »
Les mangas, comme à travers cette planche, démontrent cette conscience, cet ordre si particulier de Fukushima face à d’autres catastrophes nucléaires, comme Tchernobyl. Le grand séisme de l’Est du Japon frappe le Tôhoku, en 2011, avec une magnitude 9 ; il est généralement représenté ou évoqué aux débuts des mangas, pour montrer la genèse et les dégâts de cette catastrophe[5]. Ce dernier provoque des fissures dans l’étanchéité de quatre des six réacteurs de l’usine de Fukushima. Le tsunami, lui, submerge les terres de la préfecture sur neuf kilomètres, donc les générateurs de secours de la centrale. L’ensemble provoque, dès le 15 mars, des incendies et des explosions, dont le réacteur n°1 qui déclenche une explosion à hydrogène, avant l’entrée en fusion de trois des réacteurs. Néanmoins, la catastrophe la plus destructrice est le tsunami, érigé en véritable fléau par le nombre de victimes engendrées. En revanche, la peur du séisme reste bien présente dans le manga de Reiko Momochi, car avant cette scène finale, les lycéennes vont subir une réplique du séisme du 11 mars 2011, cela lors de la rentrée, le mois d’après. Sur deux planches, on découvre la sonnerie d’alerte de l’application Yurekuru avec la panique, de la peur, voire de l’étonnement des lycéens. Après cette phase, tout le monde se cache sous les tables en encaissant les vibrations sismiques. Nous y observons une Fumi – le personnage principal – apeurée par cette situation et se rappelant les mêmes secousses que celle du 11 mars. L’ensemble des émotions liées à cette peur des séismes en devient une source de stress et d’anxiété pour la société nippone.
Là encore, les mangas représentent le regain de peur pour la capitale Tôkyô, avec des personnages comme Sato, de Colère nucléaire, qui rumine constamment autour d’un possible séisme dans la région, qui pourrait, par extension, réveiller le mont Fuji, après celui de Fukushima. En revanche, au-delà de cette représentation, les mangas traitant de Fukushima se concentrent bien plus sur la reconstruction matérielle et psychique des habitants que sur le séisme à l’instant T.
Au-delà des productions représentant la catastrophe dans la préfecture, surtout dessinées entre 2011 et 2016, Fukushima devient un pivot mémoriel et graphique dans d’autres œuvres, même onze années après. Sous formes de traces, dans des productions non-centrées sur la centrale ou la ville de Fukushima, comme dans le dernier manga de Tetsuya Tsutsui, nommé Neeting Life, qui narre la vie d’ermite moderne d’un ancien commercial. Ce dernier explique, lors d’une partie en ligne, son ancien travail et son souhait de « vouloir » une catastrophe pour vendre ses structures anti-sismiques, mais qui regrette amèrement ce « souhait » lorsque vient l’année 2011[6]. Jujutsu Kaisen rappelle aussi, durant la bataille de Shibuya, la possibilité d’un séisme à Tôkyô : ce moment est celui où Nobara évoque séisme lorsque la météorite de Jogo s’abat sur la ville. Cette triple catastrophe peut se résumer en « ce jour-là », tant pour les dégâts locaux causés, que pour son écho national (toutes les centrales nucléaires ont été arrêtées) et international. Il y a un avant et un après Fukushima dans la culture populaire nippone et dans les esprits, elle est érigée comme un pivot mémoriel qui persiste encore.
Entre destruction et résilience : la mémoire graphique des séismes
Les mangas représentent bien les catastrophes naturelles, tant graphiquement que dans leurs scénarios. Cette traduction dans la culture populaire témoigne de plusieurs éléments. Le manga est un média à part qui permet de transmettre les peurs, les ressentis et les émotions attachées à une catastrophe. Concernant les séismes au Japon, nous pouvons les observer, voire et comprendre que la catastrophe est bien « totale » par ses conséquences multiples : destructions et morts bien sûr, mais aussi une grande proportion de blessés, issus directement du séisme ou de ses conséquences. Cependant, la « totalité » de la catastrophe possède une primauté claire dans les sources : celle de Tôkyô dans les représentations, qui subit soit les premiers séismes, soit le récit, et les héros recentrent la capitale comme une ville aux risques telluriques forts.
Par le biais des mangas, on peut établir une carte spatio-temporelle des catastrophes sismiques au Japon, où chaque séisme majeur donne lieu à une vague de productions, comme celle à la suite de Kobe. Au-delà d’une carte, les mangas dépeignent aussi les dynamiques émotionnelles qui permettent de spatialiser, par exemple, la peur du « Big One » dans la région de Tôkyô, que l’on retrouve de manière pérenne dans les productions de 1972 à 2012.
En outre, et par le biais de Fukushima, nous devons désormais analyser et comprendre les conséquences des séismes qui, à l’image d’un dragon traçant un sillage durant son déplacement, sont accompagnés de deux autres calamités : les tsunamis et le volcanisme…. Qui feront l’objet de notre seconde partie dans quelques semaines !
Bibliographie et pour aller plus loin
Sources mangas (ordre alphabétique des dessinateurs et dates de publications française)
FURUYA Usamaru, Tokyo Magnitude 8, Modène, Panini, 2009.
FURUYA Usamaru (dessin), EIFUKU Issei (scénario), SHIBA Hidetaka (supervision), L’histoire de l’empereur Akihito, Charleroi, Vega Dupuis, 2021.
IMASHIRO Takashi, Colère nucléaire. L’après catastrophe, Rancon, Akata, 2015.
ISHIKAWA Yugo, Sprite, Paris, Kazé, 2011.
ISHIKI Tokihito (dessin) et KOMATSU (scénario), La Submersion du Japon, Modène, Panini, 2008.
KAWAGUCHI Kaiji, Spirit of the Sun, Paris, Tonkam, 2005.
MIYAGAWA Akira (dessin) et SAITÔ Takao (idée originale), Survivant, l’histoire du jeune S, Charleroi, Vega Dupuis, 2018.
MOCHIZUKI Minetarô, Dragon Head, Vanves, Pika Edition, 5e édition, 2021.
MIDORI Wataru, Fends le Vent !, Rancon, Akata, 2024
MOMOCHI Reiko, Daisy : lycéennes à Fukushima, Rancon, Akata, 2014.
MORIKAWA George, Je reviendrai vous voir, Rancon, Akata, 2015.
TATSUTA Kazuto, Au cœur de Fukushima. Journal d’un travailleur de la centrale nucléaire 1F, Paris, Kana, 2016.
TSUTSUI Tetsuya, Neeting Life, Paris, Ki-oon, 2024.
UMEZU Kazuo, L’école emportée, Grenoble, Glénat, 2e édition, 2021.
Ouvrages
ASANUMA-BRICE Cécile. Fukushima, dix ans après : Sociologie d’un désastre, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021, [en ligne] URL : http://books.openedition.org/editionsmsh/25457.
BERNARD Pascal, Qu’est-ce qui fait trembler la terre ? : à l’origine des catastrophes sismiques, Les Ulis, édition EDP sciences, 2003.
BONNEFOY Raymond et HABER Daniel, Fukushima chronologie d’un désastre nucléaire annoncé, Paris, L’Harmattan, 2012.
BOUISSOU Jean-Marie, Manga – Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Paris, Éditions Philippe Picquier, 3e édition, 2013.
Collectif, Le Japon : des samouraïs à Fukushima, Paris, Fayard, 2011.
COURTINE Jean-Jacques (dir.), Histoire des émotions, tome 3, Paris, Seuil, 2016.
DEBROISSE Anne et SEINANDRE Érick, Petit atlas des phénomènes naturels, Paris, Larousse, 2003.
FERGUSON Niall, Apocalypses : de l’Antiquité à nos jours, Paris, Éditions Saint-Simon, 2021.
GRAVEREAU Jacques, Le Japon au XXe siècle, Paris, Seuil, 3e édition, 1993.
GUARNIERI Franck, TRAVADEL Sébastien, MARTIN Christophe, PORTELLI Aurélien, AFFROUSS Aissame et PRZYSWA Eric, L’accident de Fukushima Dai Ichi. Le récit du directeur de la centrale, tome 1 et 2, Paris, Presses des Mines, 2016.
HEIMBURGER Jean-François, Le Japon face aux catastrophes naturelles. Prévention et gestion des risques, Londres, ISTE Editions, 2018.
LEBLANC Claude, Le Japoscope 98, Paris, Éditions Ilyfunet, 1998
—, Le Japoscope 99, Paris, Éditions Ilyfunet, 1999.
—, Le Japoscope 2000, Paris, Éditions Ilyfunet, 2000
PELLETIER Philippe, Le Japon, Paris, Armand Colin, 1997.
—, Le Japon, Paris, Le Cavalier Bleu, 2008.
—, Atlas du Japon. Une société face à la post-modernité, Paris, Autrement, 2008.
SCOCCIMARRO Rémi, Atlas du Japon : l’ère de la croissance fragile, Paris, Éditions Autrement, 2018.
SIARY Gérard, Histoire du Japon, des origines à nos jours, Paris, Tallandier, 2020.
Notes :
[1] KAWAGUCHI Kaiji, Spirit of the Sun, Paris, Tonkam, 2005, t.1 p. 78 ; FURUYA Usamaru, Tokyo Magnitude 8, Modène, Panini, 2009, t.1 p. 140 ; ISHIKI Tokihito (dessin) et KOMATSU (scénario), La Submersion du Japon, Modène, Panini 2008, t.1 p. 169 ; ISHIKAWA Yugo, Sprite, Paris, Kazé, 2011, t.1 p. 64 ; FURUYA Usamaru (dessin), EIFUKU Issei (scénario), SHIBA Hidetaka (supervision), L’histoire de l’empereur Akihito, Charleroi, Vega Dupuis, 2021, p. 193-194 : l’ensemble des ouvrages et pages citées sont celles en référence avec le séisme de Kobe qui sert de comparaison aux séismes décrit dans les mangas.
[2] ISHIKI Tokihito (dessin) et KOMATSU (scénario), op. cit., t.1 p. 169 : la préfecture de Niigata se situe aux abords de la mer du Japon, au nord du Kantô.
[3] PELLETIER Philippe, Le Japon, Paris, Armand Colin, 1997, p. 147 : le projet de délocalisation date de 1992, mais « le Comité d’études parlementaire » remet son rapport en décembre 1995, en fin d’année du séisme de Kobe. Au sein du rapport, on retrouve dans le point 5 : « Risques sismiques faibles », cela en comparaison au point triple proche de Tôkyô.
[4] IMASHIRO Takashi, Colère nucléaire. L’après catastrophe, Rancon, Akata, 2015, t.1 p. 25.
[5] MORIKAWA George, Je reviendrai vous voir, Rancon, Akata, p. 7-9 ; IMASHIRO Takashi, op. cit, t.1 p. 25.
[6] TSUTSUI Tetsuya, Neeting Life, Paris, Ki-oon, 2024, t.1 p. 191-202.
Article très intéressant et précis.