Pika Ediciones : l’aventure espagnole commence !
Si nous avons tous une petite idée de ce qu’est le marché français du manga (si vous lisez régulièrement nos colonnes, ça ne fait aucun doute !), qu’en est-il des autres pays d’Europe ? Après une incursion en Allemagne par le biais de la mangaka Marika Herzog, nous avons profité du lancement, en juillet dernier, d’un nouveau projet pour les éditions Pika : la conquête du marché espagnol !
Pika Ediciones est donc un nouvel label, annoncé en juillet dernier, né de la collaboration des éditions Pika et du groupe espagnol Grupo Anaya, tous deux appartenant à la galaxie Hachette. Nous sommes allés poser quelques questions à Elisa Amblard, en charge du label, pour en savoir plus sur le marché espagnol et sur cette nouvelle aventure.
Une belle occasion de voir comment le manga se porte et se comporte de l’autre côté des Pyrénées !
Préambule : Grupo Anaya & Pika Édition
Grupo Anaya, créé en 1989 pour Anaya Touring puis en 2000 pour Anaya LE, est leader en Espagne dans l’édition de manuels scolaires, et propose chaque année de nouveaux titres pour ses collections professionnelles, littéraires et de poche. En 2021, le groupe lance Contraluz, maison d’édition spécialisée en fiction et non-fiction pour le grand public. Puis, à l’automne 2023, le groupe crée deux nouvelles maisons d’édition : Faeris, spécialisée dans la romance fantasy pour jeunes adultes et Petaletras, qui publie des livres jeunesse sur des sujets de société.
Grupo Anaya élargit ainsi son offre à d’autres segments, dans une volonté d’ouverture à de nouvelles thématiques et genres littéraires pour accompagner un public toujours plus large vers le plaisir de la lecture. Pika Ediciones suit donc cette logique. Le label sera dirigé depuis la France, avec une équipe dédiée sur place, travaillant en étroite collaboration avec les équipes de Grupo Anaya.
On nous annonce une ligne éditoriale diversifiée s’adressant aussi bien aux adultes qu’à un public jeune. En 2025, Pika Ediciones introduira et défendra des genres peu présents en Espagne, tels que la love-comedy et le shôjo, deux domaines où Pika Édition est parmi les leaders en France.
Virginie Daudin-Clavaud, Directrice générale de Pika Édition: « Nous sommes extrêmement enthousiastes à l’idée de lancer Pika Ediciones en Espagne. Cette collaboration avec Grupo Anaya nous permet d’apporter notre passion et notre expertise du manga à un nouveau public, tout en bénéficiant de la solide infrastructure de diffusion et de distribution de notre partenaire. Nous sommes convaincus que cette alliance stratégique ouvrira de nouvelles perspectives passionnantes pour les lecteurs espagnols. »
Luisa Gutiérrez Hermosa, Directrice Éditoriale de Grupo Anaya : « De ce projet conjoint au sein de Hachette Livre est né un nouveau label de manga qui s’inscrit dans le processus de transformation actuel de Grupo Anaya, dont l’objectif est de poursuivre la croissance de son offre. Nous attendons avec impatience le développement du catalogue de Pika Ediciones qui aura un grand impact sur les fans de manga espagnols et les lecteurs en général. »
Les premiers titres de Pika Ediciones sont lancés en ce mois d’octobre 2024. Quatre titres phares ont été sélectionnés : The Fable, Orient Samurai Quest, Wistoria Wand and Sword, Los Amigatos Hachi y Maruru, que l’on connaît sous le nom de Chat des rues, aux éditions Doki Doki.
Les présentations sont faites, passons la parole à Elisa Amblard qui pilote ce nouveau label.
Pika Ediciones, de la France à l’Espagne…
Journal du Japon : Bonjour Elisa et merci pour ton temps. Commençons par parler de ton rôle au sein de Pika Édition pour faire les présentations.
Elisa Amblard : Bonjour et merci à toi. Je suis directrice marketing chez Pika Édition, c’est-à-dire que je pilote la stratégie ainsi que l’équipe marketing. Je suis également en charge de Pika Ediciones, que ce soit la partie marketing mais également l’acquisition et les relations avec les ayants droit.
Pour Pika Ediciones tu seras donc en France. Qui est en Espagne ?
En effet, je reste basée en France et je travaille avec une petite équipe : la première est l’éditrice, c’est elle qui fait la gestion de projet pour gérer les traducteurs, lettreurs et relecteurs. Et une seconde personne au marketing et commercial, qui promeut les ouvrages, gère les plans marketing sur place et l’événementiel.
Vous n’allez donc pas vous ennuyer, à seulement 3 !
C’est vrai que cela peut paraître petit mais c’est le début, et en plus nous nous appuyons d’un côté sur Pika Edition avec les équipes graphiques, de fabrication notamment, où il y a tout un savoir faire qu’il nous paraissait important d’intégrer dans ce nouveau projet, et de l’autre sur Grupo Anaya sur des sujets comme la diffusion, la distribution, le marketing digital. Ce sont eux qui apportent la connaissance du marché espagnol. Les deux personnes de Pika Ediciones ne sont pas seules dans l’aventure.
Le marché espagnol du manga
Ok, nous avons maintenant une petite idée de l’équipe derrière ce projet. Passons au marché espagnol.
Pour poser les bases à nos lecteurs : l’Espagne compte quelque 46 millions d’habitants, contre 68 millions en France. Du côté du manga, quelle est la taille du marché espagnol ?
En chiffres d’affaires, fin 2023, le marché espagnol du manga avoisine les 40 millions d’euros, contre 340 à 360 millions en France.
Le marché est donc plus petit dans l’absolu et même en relatif par habitant. Il est… plus jeune ?
Il y a de ça oui. Le marché espagnol, c’est un peu le marché français des années 2005, lorsqu’il était en plein essor. On sent donc qu’il y a un potentiel. D’autant que si le marché français a explosé après le Covid, l’Espagne aussi a connu cette croissance : les 40 millions de chiffres d’affaires que j’évoquais pour 2023 avoisinaient les 14 millions il y a 3 ans. Il commence donc à y avoir un marché intéressant, porté par l’animation japonaise qui est très populaire là-bas, ainsi que par toute une nouvelle génération de nouveaux libraires spécialisés. En Europe, c’est l’un des pays les plus prometteurs.
Tu dis que le marché espagnol c’est le marché français de 2005. Pourquoi un tel retard par rapport à la France ?
À mon avis, c’est essentiellement culturel : la bande dessinée au sens large est moins développée qu’en France. Historiquement la BD a été plus censurée qu’en France et donc c’est un genre qui s’est moins développé.
En France, la bande dessinée était bien plus présente quand le marché du manga est arrivé dans les années 80-90. Les lecteurs avaient déjà les codes à l’époque. Et, comme en Espagne actuellement, il a fallu passer par la diffusion et la popularisation des anime. En fait, la France, tout comme les États-Unis, sont deux exceptions au niveau mondial. Il est donc difficile de les comparer aux autres marchés.
En Espagne, jusqu’à il y a peu, le manga était encore un peu considéré comme un média pour la jeunesse. Ça évolue dans le bon sens, même s’il y a encore quelques clichés qui demeurent
C’est intéressant car on retrouve les clichés que nous avions aussi avant en France dans les années 90-2000…
Oui complètement. Ainsi, on peut être confiant car l’on sait que cela va évoluer comme en France et que le manga va continuer à se démocratiser petit à petit, surtout avec l’essor post-covid.
Comment se situe l’Espagne par rapport aux autres pays d’Europe ?
L’Espagne fait partie du top 4 des marchés mangas en Europe, avec une taille qui doit être comparable avec l’Italie. Mais ça n’a pas été notre premier critère lors de notre choix de nous implanter là-bas. En effet, nous recherchions un pays dans lequel Hachette était solidement présent. En plus de ça, il y avait une vraie volonté de Grupo Anaya de développer le manga au sein de leur groupe. Ça a donc été un alignement des planètes.
Oui c’est sûr que la taille du marché n’est pas le seul facteur déterminant, encore faut-il qu’il y ait les bons ingrédients et les bonnes opportunités… À quel rythme tout ça va se mettre en place en Espagne ?
En 2025, nous prévoyons un nouveau lancement de série par mois, environ. Les tomes suivants sortiront au rythme d’un tome tous les 2-3 mois selon si nous sommes sur du seinen, du shôjo ou du shônen… Ou selon la rythme au Japon si nous avons rattrapé leur publication.
Vous arrivez sur un marché qui, comme on l’a dit, est encore en développement : combien d’éditeurs sont présents, comment se partagent-ils le marché ?
Le marché est un peu plus concentré qu’en France avec une quinzaine d’éditeurs, dont les 5 premiers font 90% du marché. C’est un marché extrêmement concentré, avec le premier Planeta Comic qui représente 40% du chiffres d’affaires total et Norma Editorial, le numéro 2, quasiment 20% du marché… puis des plus petits qui se répartissent le reste avec une dizaine d’éditeurs.
Pas d’éditeurs japonais dans le lot, comme Kazé-Crunchyroll chez nous ?
Non, les leaders que je citais au-dessus sont des sociétés espagnoles pour la plupart, et ne font pas que du manga d’ailleurs.
Quelles sont les séries en tête ? One Piece, Dragon Ball ?
En fait, il y a deux cas de figure. Certaines séries qui ont fait un carton en France ont aussi fait un carton en Espagne mais aussi partout dans le monde de toute façon. Le top 3 est extrêmement proche de celui que l’on connaît en France avec One Piece, puis Dragon Ball, et ensuite Berserk.
Et puis, il y a des exceptions : un manga comme Haikyu, qui est très populaire en Espagne et beaucoup plus qu’en France. Il y aussi des genres qui sont déjà bien développés comme le BL. Dans les librairies spécialisées, le BL est mis en avant. Ce n’est pas explosif en termes de vente mais ça arrive dans le top, chose que l’on ne voit pas en France. Certains titres font des scores similaires à ce que font certains shôjos en France.
Pika ediciones : les titres et l’ADN de Pika édition…
Avant de nous tourner vers vos titres et votre ligne éditoriale, je me demandais ce que ça peut changer dans vos discussions avec les ayants droit, cette expansion vers l’Espagne ?
Alors je ne donne pas toutes nos recettes, mais c’est sûr que cela confère une aura plus internationale pour Pika auprès des ayants droit. Cela dit c’est une aura que l’on avait déjà un peu, auprès du public en tout cas, car nous étions déjà bien repéré par le public espagnol. Les lecteurs suivent pas mal ce que l’on propose en France. On le voit dès que l’on annonce de nouveaux titres ou des collectors, dans les commentaires ou les repartages de l’information. Il y a également des comptes de fans espagnols qui repartagent régulièrement nos contenus. Et enfin, lorsque nous avons annoncé notre lancement en Espagne, nous avons pu lire dans les retours des lecteurs espagnols beaucoup de messages qui montraient qu’ils connaissaient déjà Pika Édition. Il arrive même parfois que nos éditions collectors soient achetées par les fans espagnols !
Comme notre image est déjà existante sur place, ça augmente le challenge, car nous ne pouvons pas nous louper. Il y a une certaine attente et un niveau d’exigence auquel nous allons devoir répondre.
Donc, de fait, nous cherchons à acquérir une dimension plus internationale. Notre ligne éditoriale sera proche de celle de Pika en France donc c’est en effet plus intéressant de travailler des lancements au niveau européen. Cela nous donne plus de force auprès des ayants droit et pour les titres, qui voient leur aura grandir là aussi. Mais nous ne nous empêcherons pas, si jamais il y a une licence que nous n’aurions pas obtenu pour la France, de l’acquérir en Espagne, ou l’inverse. Il n’y a pas de barrière, même si nous recherchons une certaine cohésion et une homogénéité.
Puisque nous sommes dans la ligne éditoriale, parlons des premiers titres. Pour cela, je commence avec un extrait de votre communiqué de presse, qui date de juillet dernier :
“Les premiers titres de Pika Ediciones seront disponibles à partir d’octobre 2024. Pour ce lancement, quatre titres phares ont été soigneusement sélectionnés : The Fable, Orient Samurai Quest, Wistoria Wand and Sword, Tsureneko Maruru to Hachi. Chacune de ces séries a déjà rencontré un succès notable en France et certaines d’entre elles ont déjà été adaptées en anime.”
Un point qui m’a fait tiquer : “Chacune de ces séries a déjà rencontré un succès notable en France”. Pourtant Mehdi Benrabah évoquait l’an dernier dans nos colonnes une déception sur The Fable et Orient Samurai Quest… Pourquoi parler de succès ?
Alors The Fable et Orient Samurai Quest ce sont tout de même plus de 100 000 exemplaires vendus chacune donc il s’agit tout de même de titres populaires. Au-delà des chiffres, ce sont des titres qui existent sur le marché français mais pas en Espagne, où l’on pense qu’ils peuvent fonctionner. Si nous parlions de déception à l’époque, pour ces titres, c’est plus par rapport au potentiel que nous leur donnions, que nous espérions pour eux. Nous visions le top 50 des ventes alors qu’ils étaient sans doute dans le top 60 ou 70. Ça ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont pas marché.
Quant à Wistoria : Wand and Sword, il n’était pas encore sorti en France en juillet et n’est arrivé qu’en septembre. On peut espérer son succès ?
Oui nous l’avions aussi sélectionné pour son potentiel car il y a un anime qui vient de sortir sur Crunchyroll et nous pensions que c’était le bon moment… et que le public espagnol peut être dans l’attente de ce genre de séries.
Avec Orient Samurai Quest et Wistoria : Wand and Sword, vous tenez là deux shônen, dont le premier avec un auteur reconnu (l’auteur de Magi). Par contre The Fable, une série que nous apprécions beaucoup chez Journal du Japon, on peut être un peu plus surpris de ce choix de manga de yakuza, très différent. Peux-tu nous en dire plus ?
Alors, plus globalement, avec Pika Ediciones, nous cherchons aussi à exporter l’ADN de ce que fait Pika en France. Nous avons pas mal de thrillers assez sombres, comme The Fable. Donc nous arrivons avec deux shônens mais nous voulons montrer aussi la diversité que proposent Pika Édition, car notre ligne éditoriale, c’est aussi de porter des titres en tous genre et pour tous les publics.
Nous voulions donc montrer que nous allons aussi chercher des lecteurs sur des genres qui sont encore peu représentés en Espagne, peu exploités vis-à-vis de leur potentiel. C’est pareil pour Los Amigatos Hachi y Maruru et ce sera la même chose avec la love-comedy et le shôjo, deux domaines où Pika Édition est leader en France. Nous voulons fortement pousser ces deux thématiques en 2025 en Espagne.
Justement, il y a des nouveaux titres à annoncer désormais, pour 2025 ?
En effet ! Nous pouvons dès à présent annoncer les titres du premier semestre 2025. En janvier, nous allons lancer La novia maldita y el cazador de demonios de Yuma Midori et Fujimaru Mamenosuke (L’épouse Damnée et le chasseur de Démons que nous sortons également en France en 2025), qui est un shôjo de type romance-fantasy. Ce titre connaît un véritable succès au Japon et c’est une chance de pouvoir l’amener sur le marché espagnol.
Ensuite, nous sommes très fiers d’annoncer Tower Dungeon de Tsutomu Nihei. L’auteur fait une excursion dans le genre de la fantasy et c’est splendide.
Nous annonçons également Tokidoki Bosotto Russia-go de Dereru Tonari no Alya-san (titre espagnol à venir) de Sansansun, Tenamachi Saho, et Momoco, qui est donc notre première love-comedy dans le catalogue Pika Ediciones. Celle-ci a eu le droit à une adaptation en anime sur la plateforme Crunchyroll. Il y a déjà une vraie attente autour du titre.
Et enfin, The Witch and The Beast de Kousuke Satake, qui est un seinen d’action fantastique d’excellente qualité, dont l’anime est sortie cette année sur Crunchyroll également.
Pour finir, j’en reviens à toi… Qu’est-ce que ce lancement représente pour toi, qu’est-ce qui te motive dans ce projet ?
Lancer une nouvelle marque éditeur sur un nouveau marché, c’est hyper excitant. Pika a bientôt 25 ans d’histoire et là c’est…
Réfléchis…
Je ne vais pas dire que l’on part de zéro car nous avons déjà le lien avec les ayants droit japonais et l’on sait que c’est quelque chose de long et de difficile lorsque l’on débute. Nous avons aussi l’expérience de la France et nous avons déjà la distribution sur place avec Hachette.
Mais, voilà, c’est quand même une nouvelle aventure. Nous allons développer une nouvelle marque là-bas, convaincre et chercher un nouveau public, avec des genres à développer, comme la lovcom . En France, nous avons mis du temps à convaincre les libraires et les lecteurs mais aujourd’hui le succès est au rendez-vous, comme avec Quintessential ou Komi.
Nous sommes leader du shôjo en France mais en Espagne, ce n’est pas du tout un genre majeur et il y a donc plein de choses à faire, avec une vraie attente du public. Nous allons pouvoir amener notre expérience en termes de marketing et d’action promotionnelle. C’est un marché où il y a déjà eu des choses mais nous pensons que nous pouvons aller encore plus loin et les proposer au public espagnol qui a l’air d’attendre quelque chose… de nous attendre en tout cas !
Nous allons leur faire découvrir des nouveaux genres, de nouvelles choses… et je pense que ça va être passionnant !
C’est tout le mal que l’on vous souhaite. Bon courage et belle aventure à Pika Ediciones !
Pour suivre l’aventure espagnole de Pika Ediciones vous pouvez les suivre sur leurs réseaux sociaux : X, ou Instagram.
Remerciements à Elisa et Camille pour leur temps et la mise en place de l’interview.