L’héritage d’Alexandre Dumas : du roman aux adaptations populaires

Le Comte de Monte-Cristo est arrivé au cinéma au début de l’été 2024. Une fois de plus, l’œuvre était sur toutes les lèvres. Mais savez vous que ce classique de la littérature française a aussi été réinventé par le Japon, à travers des mangas ou encore un anime… se déroulant dans l’espace ?

Journal du Japon vous propose un petit panorama de ces adaptations au Pays du soleil levant.

La vengeance au cœur de l’histoire

La prison du Comte de Monte-Cristo, le château d'If à Marseille.
Une prison entourée d’eau, d’où personne ne s’échappait, hormis un certain Comte… Crédit : Pixabay.

Le roman original Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas raconte l’histoire d’Edmond Dantès, un jeune marin injustement accusé de trahison par des rivaux jaloux et finissant emprisonné pendant quatorze ans au château d’If, à Marseille.

Grâce aux conseils de son compagnon de cellule, il prend connaissance d’un immense trésor. Une fois évadé, il s’empare du magot et revient sous l’identité du Comte de Monte-Cristo, pour se venger de ceux qui l’ont trahi. Il manipule ses ennemis pour provoquer leur chute, tout en aidant ceux qui l’ont soutenu. Cependant, en exécutant sa vengeance, il se rend compte des conséquences destructrices de ses actions…

Publiée pour la première fois, entre 1844 et 1846, le récit serait basé sur un fait divers, Le Diamant de la Vengeance tiré des archives de la police française de 1838.

Son auteur, le Père Dumas, né en 1802 à Villers-Cotterêts, était le petit-fils d’une esclave d’Haïti, un héritage qui a influencé sa vision du monde et sa quête de reconnaissance. Ce parcours exceptionnel, de fils d’un général révolutionnaire mulâtre à écrivain célèbre, l’a conduit à être honoré par un transfert de ses cendres au Panthéon en 2002. Une reconnaissance assez tardive pour son immense contribution à la littérature française.

Durant la publication du Le Comte de Monte-Cristo, l’auteur français était au sommet de sa carrière littéraire, malgré des finances souvent instables en raison de ses dépenses fastueuses. Il a rédigé cette œuvre, ainsi que d’autres grands succès comme Les Trois Mousquetaires et La Reine Margot, principalement dans son château, près de Paris.

Le récit Les Trois Mousquetaires a, lui aussi, été adapté en manga. Gaétan Akyuz, éditeur chez Casterman à l’origine de la retranscription des aventures des Mousquetaires en manga, a partagé à France info : « Dumas a écrit sans le savoir le premier manga shônen de l’histoire ».

L’histoire originale est pensée pour être écrite comme un feuilleton épisodique, que l’on suivrait régulièrement et qui attisait notre soif de curiosité. Un peu comme un manga avec la sortie régulière d’un tome plusieurs fois dans l’année. Les plus vieux d’entre nous se souviendront, peut-être, qu’un anime retraçant l’histoire de D’Artagnan a aussi été diffusé en 1988 sur le Club Dorothée.

Cette œuvre hispano-japonaise, D’Artacan y los tres mosqueperros en espagnol, transforme la plupart des protagonistes de cette histoire en chiens anthropomorphiques.

Mais revenons à notre Compte, et à ses adaptations…

Gankutsuou : Le Comte de Monte-Cristo revisité en animé

L'adaptation du Comte de Monte-Cristo en animation.
Gankutsuou ou la mélancolie du Comte de Monte-Cristo © Crunchyroll.

L’une des adaptations japonaises les plus emblématiques de l’œuvre d’Alexandre Dumas est Gankutsuou : Le Comte de Monte-Cristo, une série animée réalisée par Mahiro Maeda en 2004, en 24 épisodes. Cette adaptation prend des libertés considérables avec l’œuvre originale, transportant l’histoire dans un futur lointain, où l’action se déroule dans un cadre de science-fiction.

Mahiro Maeda, né le 30 décembre 1964 à Yokohama, est un réalisateur et animateur japonais influent. Il est connu pour ses travaux sur The Animatrix (2003), où il a dirigé les segments The Second Renaissance Parts I & II. Maeda a également réalisé Blue Submarine No. 6 (1998), une série animée acclamée pour son approche visuelle innovante.

Inspiré par des artistes comme Katsuichi Nakayama (Evangelion : Final, Gurren Lagann The Movie : the Lights in the Sky are Stars) et des mouvements artistiques comme le Futurisme, Maeda se distingue par son style unique qui mélange technologie et esthétique visuelle.

L’ensemble de sa carrière reflète un engagement constant à repousser les limites de l’animation japonaise.

Résolument digne de cette lignée novatrice, Gankutsuou se distingue par son esthétisme visuel unique, mêlant des techniques d’animation traditionnelle avec des textures numériques inspirées de l’art occidental et japonais. L’utilisation de motifs textiles intrigants portés par les personnages, par exemple, est particulièrement marquante et donne à l’anime une identité visuelle forte.

(Trop) avant-gardiste ?

Dans Gankutsuou, l’utilisation de la 3D avait suscité le débat à l’époque. Pour contextualiser, au début des années 2000, l’utilisation de ce type de texture dans l’animation japonaise était controversée.

De nombreuses personnes pensaient que cela dénaturerait le style de l’animation traditionnelle japonaise en 2D. Les animations 3D de l’époque pouvaient sembler rigides et souvent mal intégrées avec le reste de l’animation, ce qui créait un contraste visuel parfois dérangeant. Cette approche stylisée dénote fortement avec le réalisme souvent recherché dans les adaptations cinématographiques de grandes œuvres comme le Comte de Monte-Cristo.

De même, le générique d’introduction de la série se distingue avec la plupart des opening du genre, rapide et énergique. Ici, le ton est donné avec une musique calme et mélancolique : le passé du Comte nous est subtilement narré en représentant ses sentiments tourmentés.

L'épopée intergalactique du Comte de Monte-Cristo.
Gankutsuou ou l’espace et son immensité comme terrain de jeu dans l’adaptation du Comte de Monte-Cristo. Crédit : Pixabay.

Ainsi, avant même de découvrir le premier épisode, chaque spectateur a l’occasion de plonger dans la psyché du Comte de Monte-Cristo, où l’amour et la tristesse se mélangent, donnant un air mélancolique au générique. L’histoire contée dans le générique d’introduction reprend les évènements qui ont mené au désir de vengeance du Comte de Monte-Cristo. Le visuel en sépia de l’opening tend à expliquer subtilement aux spectateurs le passé tragique d’Edmond Dantès, le Comte de Monte-Cristo.

Fait notable : les paroles de l’opening sont en anglais, une manière d’englober la plupart des spectateurs rapidement dans l’histoire en utilisant la langue universelle. L’opening We Were Lovers était considéré comme avant-gardiste pour son temps, en 2004, et reçu donc un accueil mitigé. Pour comparer avec une œuvre récente, l’anime Vinland Saga possède un générique en anglais (MUKANJYO de Survive Said The Prophet) qui a reçu des éloges pour sa puissance et son adéquation avec l’ambiance épique de la série, preuve que les habitudes des fans d’anime ont évolué en 20 ans.

Une adaptation intergalactique

Le Compte et Albert de Morcerf

L’intrigue de Gankutsuou reste néanmoins fidèle aux thèmes centraux du roman : la vengeance, la trahison et la rédemption.

Cependant, elle est racontée principalement du point de vue d’Albert de Morcerf, l’outil qui permettra au Comte de se hisser dans la haute société. Albert, fils du traître Fernand Mondego, devient le véritable protagoniste, offrant un point de vue jeune et naïf sur le monde complexe et souvent cruel des adultes.

Le point de vue d’Albert permet d’explorer de manière plus intime l’impact des actions du Comte de Monte-Cristo sur les jeunes générations, soulignant les thèmes de l’innocence perdue et de la désillusion.

De plus, ce changement de perspective, du Comte dans le roman original vers Albert dans l’anime, permet une exploration différente des personnages et de leurs motivations, tout en donnant au spectateur une vision plus nuancée du Comte, parfois dépeint de manière plus sombre et ambivalente.

L’élément de science-fiction apporte une nouvelle dimension à l’histoire, non seulement en modernisant le cadre, mais aussi en enrichissant les thèmes de trahison, de vengeance, et de rédemption. L’univers futuriste de Gankutsuou est peuplé de technologies avancées, de voyages spatiaux et de planètes lointaines, ce qui accentue l’aspect épique de la quête de vengeance du Comte.

Cette dimension de science-fiction permet d’explorer les mêmes thèmes que le roman original, mais dans un contexte où les notions de pouvoir, de justice et de destin prennent une signification encore plus vaste et parfois plus abstraite. La technologie devient un outil de manipulation et de contrôle, renforçant l’aura mystérieuse et presque surnaturelle du Comte.

La sensibilité japonaise, quant à elle, se manifeste à travers le style artistique unique de l’anime, caractérisé par l’utilisation audacieuse de textures et de motifs inspirés de l’estampe japonaise, mais aussi par la profondeur émotionnelle accordée aux personnages.

Cette approche visuelle reflète une esthétique japonaise qui mélange les fameuses tradition et modernité, créant une atmosphère à la fois étrange et fascinante. De plus, la manière dont l’histoire aborde les thèmes de l’honneur, du devoir, et des liens familiaux est imprégnée de valeurs culturelles japonaises, apportant une nouvelle perspective sur les motivations des personnages.

Gankutsuou traduit également une forme de mélancolie et de réflexion introspective propre à l’animation japonaise, où la vengeance n’est pas seulement une fin en soi, mais un cheminement complexe qui affecte profondément l’âme de chaque personnage impliqué. Cette fusion de science-fiction et de sensibilité japonaise donne à Gankutsuou une identité propre qui enrichit le récit classique du Comte de Monte-Cristo, tout en offrant une interprétation originale de l’histoire.

Cette approche montre comment une œuvre occidentale classique peut être réinterprétée à travers le prisme d’une culture différente, créant ainsi un dialogue interculturel riche et fascinant.

Le manga : une adaptation plus traditionnelle

Le compte de Monte Cristo
Le compte de Monte Cristo

Parallèlement à l’anime, plusieurs adaptations en manga du Comte de Monte-Cristo ont vu le jour au Japon. Ces mangas, bien qu’ils varient en termes de fidélité à l’œuvre originale, tendent à conserver une structure narrative plus proche du roman.

L’un des exemples notables est le manga Le Comte de Monte-Cristo illustré par Ena Moriyama en quatre volumes, publié en 2004.

La dessinatrice dépeint le Comte de Monte-Cristo avec une élégance et un mystère qui correspondent à sa stature dans le roman de Dumas. Il est représenté comme un personnage charismatique, complexe et imposant, avec une attention particulière portée à son apparence raffinée et à ses expressions émotionnelles.

La représentation visuelle accentue son aura de richesse et de pouvoir tout en reflétant sa transformation psychologique au cours de l’histoire. Les illustrations mettent en avant à la fois sa grandeur et ses moments de vulnérabilité, illustrant bien sa dualité entre un noble avide de vengeance et un homme profondément blessé.

Les personnages secondaires sont également bien développés, bien que la dessinatrice ait fait des choix artistiques pour simplifier certains aspects afin de mieux s’adapter au format manga. Par exemple, les traits de caractère des personnages comme Mercedes, Fernand, et Danglars sont accentués visuellement pour refléter leurs rôles dans le drame complexe du récit.

Plusieurs sous intrigues du roman d’Alexandre Dumas sont également simplifiées ou omises pour s’adapter au format limité de quatre tomes. Par exemple, l’intrigue de l’abbé Faria est abrégée, avec des détails sur ses antécédents et ses interactions avec d’autres détenus de l’Île d’If.

Les relations complexes entre les personnages secondaires, comme celles entre Caderousse, Villefort, et Monsieur Morrel, sont réduites pour maintenir un rythme narratif plus fluide, omettant certaines motivations et actions détaillées. L’histoire de Haydée, la princesse importante pour le dénouement, est aussi condensée, avec moins de détails sur son passé et son rôle dans le plan de vengeance.

De plus, le développement des personnages secondaires et certains moments clés du récit sont abrégés, ce qui simplifie les intrigues complexes et les révélations importantes du roman original. Ces ajustements permettent de condenser l’histoire tout en conservant l’essence principale de l’œuvre de Dumas, rendant le récit accessible, tout en préservant les éléments essentiels de la quête de vengeance et de rédemption.

« Il me semble intéressant de donner aux ados la possibilité de découvrir ces classiques, en profitant d’un genre qui trouve grâce à leurs yeux », a déclaré Grégoire Hellot, le responsable éditorial de Kurokawa.

En complément du manga illustré par Ena Moriyama, d’autres adaptations en manga du Comte de Monte-Cristo sont parues ces dernières années : plusieurs adaptations en manga du Comte de Monte-Cristo ont vu le jour, chacune apportant une interprétation unique de l’œuvre de Dumas.

Nobuo Yamaguchi et Kaiji Kawaguchi ont publié une version en deux tomes (2003-2004) qui suit l’intrigue originale, tout en simplifiant certains détails et sous intrigues pour s’adapter au format manga. Hiroshi Kondo, quant à lui, propose une version concise en deux volumes (1998-1999) qui rend l’histoire accessible, même si certaines nuances du texte original sont parfois laissées de côté. Akira Himekawa offre une adaptation en un volume (2003), capturant l’essence du récit avec efficacité, tandis que Jiro Taniguchi (2006-2007) se distingue par son style visuel unique et une grande fidélité au texte original.

D’autres auteurs, comme Yoshikazu Yasuhiko (2006-2007) et Nockman Poon (2018), choisissent des approches variées, allant d’une narration fidèle et détaillée à une version de plus de 400 pages.

Pierre Niney : le Comte de Monte-Cristo moderne

Qui est vraiment le Comte de Monte-Cristo ? Crédit : Allociné.
Qui est vraiment le Comte de Monte-Cristo ? Crédit : Allociné.

Le film Le Comte de Monte-Cristo sorti en 2024, avec Pierre Niney dans le rôle-titre, propose une vision moderne et française de cette œuvre classique. Contrairement à l’adaptation japonaise futuriste, ce film opte pour une approche plus traditionnelle, bien que modernisée.

Le film, tout en restant ancré dans son contexte historique, modernise certains aspects de la narration et des personnages pour les rendre plus accessibles au public contemporain. Pierre Niney incarne un Edmond Dantès à la fois vulnérable et implacable, explorant les nuances du personnage avec une intensité qui rappelle les grandes interprétations du rôle.

La mise en scène, tout en respectant l’époque du roman, intègre des éléments visuels et narratifs contemporains, offrant une version qui s’adresse autant aux amateurs de cinéma d’époque qu’à un public plus jeune.

Comparaison des adaptations : un dialogue entre les cultures

En comparant les œuvres nippones avec le film français de 2024, on observe une différence notable dans l’approche des thèmes et des personnages. Alors que l’anime japonais se permet une réinvention audacieuse, plongeant l’histoire dans un univers futuriste et offrant une esthétique visuelle unique, le film français reste plus proche du récit original tout en cherchant à moderniser les relations et les dialogues pour un public actuel.

Les adaptations en mangas du Comte de Monte-Cristo et le film de 2024 avec Pierre Niney offrent des visions distinctes du classique d’Alexandre Dumas. Les mangas, tels que ceux illustrés par Ena Moriyama et celui publié par l’édition nobi nobi ! condensent l’histoire en quelques tomes.

Pour sa part, Gankutsuou réinvente l’histoire avec une esthétique futuriste inspirée de l’anime éponyme. Ces différentes adaptations enrichissent l’univers de Monte-Cristo en offrant une diversité de styles et de perspectives, permettant à l’œuvre de Dumas de toucher un public toujours plus large.

L’histoire du Comte de Monte-Cristo, qu’elle soit réimaginée à travers l’animation japonaise futuriste ou interprétée dans un film français moderne, continue de captiver le public mondial. Ces adaptations montrent comment une œuvre littéraire classique peut être redécouverte et réinterprétée à travers les différents prismes culturels et artistiques, offrant ainsi une richesse narrative et visuelle qui transcende les frontières.

Pour les amateurs de l’œuvre de Dumas, ces adaptations, bien que très différentes, offrent chacune une vision unique et complémentaire du mythe de Monte-Cristo, permettant ainsi de redécouvrir cette histoire de vengeance et de rédemption sous de nouvelles facettes.

Pour aller plus loin : Les classiques de la littérature s’aventurent sur le terrain des mangas

Sources : Manganews, Babelio, Première.

2 réponses

  1. Myamoto dit :

    La vengeance… Un sentiment puissant qui anime bon nombre de gens, et ce pour diverses raisons et motifs.
    Edmond Dantès qu’il soit inter galactique, de notre époque reste le ‘porte parole’ de ceux injustement condamnés . Peut importe les réalisations cela reste un bon sujet, souvent bien interprété.

  2. Alen dit :

    Super article, merci beaucoup !
    Effectivement ce qui est intéressant c’est comment ce mythe est adapté sous diverses formes médiatiques par différents artistes et cultures. Il y a aussi un épisode des Simpsons qui en fait une adaptation !

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