Petit Japon : cuisine familiale et sushis edomae à Carpentras
Avec tout juste 30 000 habitants au compteur, Carpentras ne semble être la ville la plus indiquée pour manger japonais… et pourtant, c’est là que Grace Morioka-Martorana et Taizo Morioka ont choisi d’ouvrir Petit Japon en avril 2023, au 6 rue de l’observance. Loin des poncifs culinaires habituels, ce duo a fait le pari de miser sur une carte alternant entre cuisine familiale et sushi edomae. Journal du Japon vous emmène découvrir leurs parcours, leur carte et ce qui les a poussés à s’installer dans le sud de la France.
Doté tout au plus d’une quinzaine de couverts, Petit Japon n’est pas sans rappeler ces petits restaurants informels sur lesquels on tombe parfois en se perdant au Japon. De douces odeurs s’échappent de la cuisine ouverte, et ne manquent pas de titiller les narines des clients qui passent commande. À l’image des teishokuya dont il s’inspire, sa carte propose un nombre d’assiettes limité (de six à huit en fonction des saisons) faisant la part belle à la cuisine familiale japonaise. Karaage, chicken katsu, curry japonais, chashu de porc, aubergines sautées au miso, gyoza… Difficile de ne pas y trouver son compte, surtout quand les portions sont aussi généreuses qu’abordables ! Et quand vient l’été et la chaleur étouffante du Vaucluse, la carte se transforme pour laisser place à un menu à base de sushis edomae, la spécialité de Taizo.
Mais au départ, rien ne les destinait à s’installer dans le Sud de la France…
Journal du Japon : quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivés à fonder Petit Japon ?
Taizo Morioka (TM) : Je suis originaire de Nagoya, dans le département d’Aichi, et j’ai étudié la kinésithérapie, profession que j’ai exercée pendant huit ans au Japon, et deux ans en Équateur.
Grace Morioka-Martorana (GMM) : J’ai pour ma part étudié la littérature avant de devenir professeure de français à l’étranger en Équateur, où j’ai rencontré Taizo. Nous pensions nous y installer, mais cela ne s’est pas fait pour des questions de visa. Taizo est ensuite rentré au Japon, et je l’ai suivi.
TM : En Équateur, le ministère des affaires étrangères japonais organise régulièrement des événements autour de la culture japonaise, des « nihon matsuri », et vu que j’aime cuisiner, j’ai participé à plusieurs de ces festivités. J’aimais déjà beaucoup cuisiner et cela m’a donné l’occasion de préparer toutes sortes de plats japonais, comme des yakisobas (nouilles sautées) ou du karaage (poulet frit). L’Équateur a beau se situer à l’autre bout du monde, par rapport au Japon, la culture de mon pays y est très populaire. Même lorsque les nihon matsuri étaient organisés au fin fond de la campagne, de très nombreuses personnes faisaient le déplacement afin de goûter à ce que nous préparions. À l’époque, je manquais encore d’expérience et je n’avais pas l’habitude de ce genre d’événement où il faut être capable de préparer de grandes quantités. Je ne m’en sortais pas toujours bien, et j’étais un peu embêté pour ceux qui avaient pris la peine de venir et qui étaient parfois très pauvres. C’est là que m’est venu l’envie de me lancer. Je voulais devenir meilleur cuisinier, mais j’ai aussi senti qu’il y avait une opportunité à saisir. Malgré la popularité de la culture japonaise en Équateur, on n’y trouve que peu de chefs japonais. Ceux qui veulent apprendre notre cuisine vont généralement aux États-Unis, à Los Angeles ou Miami, et y apprennent une version « américanisée » de la cuisine japonaise avant de revenir dans leur pays et d’y ouvrir des restaurants de sushis, la plupart du temps.
Vous êtes donc ensuite retournés au Japon…
TM : Une fois ma mission en tant que kinésithérapeute en Équateur terminée, j’ai intégré une école de cuisine. Après six mois de formation intensive, j’ai terminé major de ma promotion, ce qui m’a donné l’opportunité de participer à la création d’un restaurant de sushis edomae comme assistant manager. Un chef du guide Michelin venait régulièrement nous conseiller jusqu’à l’ouverture du restaurant, et il nous a également beaucoup aidé par la suite. Entre-temps, j’ai également travaillé dans des restaurants italiens et français, pendant environ un an, avant de finalement ouvrir ce restaurant de sushis.
Qu’est-ce qui fait la particularité des sushis edomae ?
TM : Il s’agit d’un type de sushi originaire de Tokyo, et qui a vu le jour pendant l’ère d’Edo, il y a de ça plus ou moins 350 ans. En ce temps-là, il n’existait pas encore de méthode de conservation par le froid, comme les réfrigérateurs ou les congélateurs, et il a donc fallu trouver d’autres techniques pour conserver le poisson afin de préserver son goût et qu’il ne se gâte pas. Pour ces sushis, la chair n’est donc jamais utilisée telle quelle : on la prépare en la marinant dans la sauce soja et le mirin, par exemple, ou en la faisant légèrement cuire ou bouillir. On améliore sa préservation tout en en préservant le goût, en somme.
Vous avez ensuite choisi de vous installer en France.
TM : À Tokyo, j’ai fait la connaissance d’un entrepreneur qui dirigeait une usine de yakitori en Angleterre, et qui voulait également se développer en France. Nous avons alors décidé de travailler ensemble afin de fonder un restaurant à Valence, en 2020. À cause du COVID-19, nous ne faisions que de la vente à emporter, au début. Nous vendions du karaage, des gyudon (bol de riz avec du bœuf) ainsi que des sushis. Notre carte contenait des plats typiques de la cuisine edomae, comme du thon mariné. J’ai toujours eu à cœur de proposer des recettes différentes de celles des autres restaurants, et nos produits furent très bien accueillis. Malheureusement, mon associé est décédé d’un cancer peu de temps après l’ouverture, et nous avons été obligés de fermer boutique. J’ai ensuite travaillé dans deux restaurants japonais différents avant de repérer un petit local à Carpentras. J’ai toujours beaucoup aimé le Luberon, alors on s’est installés ici.
Votre carte se démarque beaucoup de ce que proposent la majorité des restaurants japonais en France.
GMM : Nous voulions faire découvrir des plats plus familiaux aux français. Il existe énormément de restaurants de sushis en France, et même s’il s’agit majoritairement de chaînes qui proposent des produits relativement différents de ce qui se fait au Japon, la cuisine familiale japonaise classique n’est que très peu représentée. Nous voulions que notre menu soit au plus proche de ce qui se mange au Japon !
TM : D’un point de vue commercial, nous devions proposer des plats en accord avec les goûts des Français, mais aussi prendre en compte le coût des différents ingrédients que nous comptions utiliser. Nous ne sommes qu’un petit restaurant, et notre budget était relativement limité, au départ, alors nous ne pouvions pas proposer de plats coûteux, comme les sushis, qui nécessitent des ingrédients et du matériel onéreux. Cela représentait un trop grand risque, alors nous nous sommes tournés vers une cuisine plus familiale, meilleure marché et moins connue des Français. Cela nous semblait également plus intéressant, d’un point de vue culinaire. J’ai eu envie de proposer à la vente des plats que les Japonais apprécient de manger lorsqu’ils rentrent de l’étranger. Nous voulions également que le restaurant ait une ambiance plus détendue, que les tarifs soient abordables et les quantités généreuses, comme dans un teishokuya.
Cet été, vous avez choisi de vous tourner vers les sushis.
GMM : Cela faisait un peu plus d’un an que nous avions ouvert, et le restaurant tournait bien. Nous avons donc pu investir dans du matériel et nous avions également envie d’apporter un peu de fraîcheur à notre carte. Et vu que Taizo a étudié les sushis edomae, nous voulions en profiter pour les faire découvrir à nos clients.
TM : L’été est extrêmement chaud, à Carpentras, et notre restaurant est très étroit. Proposer des plats chauds à cette période devient vite très éprouvant, ce qui m’a donné envie de revenir aux sushis edomae. Je voulais avant tout les faire découvrir au plus de gens possible, à la base, alors je me suis dit que c’était l’occasion de m’y essayer à nouveau. J’avais vraiment très envie d’en refaire. Nous avions le budget nécessaire, alors nous avons tenté le coup. Nous avons acheté le matériel nécessaire et j’ai essayé d’en adapter les principes, tout en sachant qu’il ne serait pas possible de proposer de « vrais » sushis edomae en France. Les retours ont été très positifs, et je pense que nous recommencerons l’été prochain.
Vous collaborez aussi régulièrement au niveau local.
GMM : Le cinéma de Carpentras, Le Rivoli, nous a très vite approchés et proposé de collaborer à l’occasion du festival de cinéma Hanabi, en juin 2023. Le réalisateur Koji Fukada est venu présenter un de ses films, et nous avons alors proposé un menu « katsu sando », entre autres. Cet établissement organise beaucoup de choses autour du Japon, et nous avons continué de travailler avec eux par la suite en servant servant des plats ou des desserts lors de deux autres avant-premières.
TM : Personnellement, c’est d’avoir pu proposer un menu lors de la première diffusion du film Le Garçon et le Héron, qui m’a fait le plus plaisir ! Je ne me serais jamais attendu à ce que le nom de notre restaurant soit un jour associé à la sortie d’un film Ghibli !
GMM : Nous participons également chaque année au festival Momiji Koyo, organisé par l’association Vents d’Asie. Par le passé, nous avons proposé une dégustation de sushis edomae à l’ancienne, et vendu des daifuku à la fraise et des dorayakis. Cette année, nous proposerons des bentos, à l’occasion de la projection du film Une affaire de famille.
En définitive, il n’aura pas fallu longtemps pour que Petit Japon fasse l’unanimité parmi les aficionados de Carpentras : les plats y sont excellents, originaux et variés. Rares sont les petites villes à pouvoir s’enorgueillir d’accueillir une perle aussi rare ! Le service se limite pour le moment à de la vente à emporter, mais n’hésitez pas à vous tenir au courant en les suivant sur Facebook ou Instagram !