Destiny : entre romance et manipulation politique
Journal du Japon est de retour pour le drama du mois de septembre ! Vous n’êtes pas sans avoir remarqué que depuis juillet, nous présentons un drama et les thématiques qu’il soulève. A l’instar des anime qui véhiculent des messages forts et des valeurs profondes, les drama mettent en lumière différents aspects de la société japonaise. Ce mois-ci, intéressons-nous à Destiny, une série en neuf épisodes sur fond de justice, corruption et romance discrète, diffusé sur Netflix pour le public occidental, et sur TV Asahi au Japon.
Plongeon au coeur de l’intrigue
Un scénario classique mais attractif
Destiny nous emmène dans le quotidien de Kanade Nishimura, devenue procureure dans un seul et unique but : découvrir la vérité. La jeune femme a suivi les traces de son défunt père, persuadée que sa mort n’est pas un simple suicide dû à la pression professionnelle. Alors qu’elle exerce son métier tout en menant de front sa vie personnelle auprès de son compagnon chirurgien, Takashi, un ancien camarade universitaire de Kanade refait surface, plus de dix ans plus tard. Les retrouvailles avec ce dernier, Masaki, ne sont pas du tout celles espérées, mais Kanade décide de saisir cette occasion pour obtenir les réponses à des questions restées en suspens à l’époque de leurs études. Dans sa quête de la vérité, Kanade va découvrir que tout est lié, et que la vérité est bien plus complexe que ce qu’elle avait imaginé.
Le premier épisode nous plonge directement dans le contexte juridique qui sert de toile de fond à la série. On retrouve Kanade adulte, procureure, sur le point d’interroger un suspect dans une affaire d’incendie. Le spectateur apprend rapidement que ce dernier n’est autre que Masaki, ancien camarade universitaire et accessoirement son grand amour. Alors qu’on s’attend à suivre l’interrogatoire de plus près, on se retrouve transporté dans le passé. C’est par le biais de ces flashbacks que nous allons comprendre l’histoire de Kanade, le mystère planant autour de la mort de son père, et les conséquences que cela a eu sur sa propre jeunesse. Le spectateur suivra ensuite Kanade pendant sa scolarité universitaire, où elle fera la connaissance des principaux protagonistes de la série : Masaki, Yûki, Tomo et Kaori.
Une amitié qui tourne mal
L’intrigue principale tourne autour de cinq personnages-clefs, aux personnalités et aux histoires bien marquées. Il y a d’abord Kanade, étudiante discrète et solitaire, qui investit toute son énergie dans ses études afin de devenir procureure, comme son père. Vient ensuite Masaki, jeune homme très peu impliqué dans ses études, détaché, mais jovial et solaire. Le groupe d’amis se complète avec Tomo, jeune femme studieuse et amie dévouée, Kaori, très tactile et sensible, et Yûki, insouciant et loyal.
Ils ont des personnalités très éloignées mais cela ne les empêche pas de devenir très proches. À tel point qu’un jour, Kaori les implore lors d’une virée à la campagne de « rester amis pour toujours« . Kanade et Masaki dérogent très vite à la règle en tombant amoureux et en se fréquentant en cachette. Mais c’est finalement la mort de Kaori dans un accident de voiture qui mettra réellement à mal leur amitié. Malgré tout, des années plus tard, Kanade, Tomo et Yûki sont restés en contact. Devenus adultes, leur amitié a évolué et elle est devenue plus sobre qu’avant. Chaque personnage a des squelettes dans les placards, mais la vérité finira par éclater.
Au casting, Satomi Ishihara (Rich man, poor Woman, From 5 to 9) et Kazuya Kamenashi (Nobuta wo Produce, Gokusen) occupent les rôles principaux. On retrouve régulièrement la première en tant qu’animatrice à la télévision, et dans les premiers rôles de nombreux drama. Quant au second, en plus d’être acteur, il est aussi chanteur au sein du groupe KAT-TUN. On retrouve également Masanobu Andô (Nicky Larson, La vie en Rond) dans le rôle de Takashi, le partenaire de Kanade. Emma Miyazawa (petite-fille de l’ancien Premier Ministre Miyazawa Kiichi) interprète Tomo et Yûma Yamoto (Golden Kamui, Gomen ne Seishun), joue le rôle de Yûki.
Le jeu d’acteur est cohérent et pertinent, emmenant le spectateur dans diverses émotions. Il ne faut pas s’attendre cependant à un cocktail d’émotions fortes à l’américaine ou la française. Les Japonais sont plutôt sobres et pudiques dans l’expression de leurs émotions.
De plus Destiny est ce genre de drama qui donne autant de place aux personnages secondaires que principaux. Leurs histoires sont assez développées pour que l’on n’ait pas le sentiment qu’ils fassent juste partie du décor. Ici, ils sont même la clé du dénouement de l’intrigue, à l’issue des neuf épisodes.
Une quête de la vérité
Des secrets bien gardés
Un grand point fort de Destiny : chaque personnage cache bien plus de choses qu’il n’y paraît. Les spectateurs avisés et attentifs auront sans doute vite fait de dénouer les mystères disséminés dans chaque épisode. Cependant, les personnes plutôt bon public qui se laissent porter par l’intrigue sans se poser trop de questions risquent d’être surpris plus d’une fois. On s’attache également facilement à certains d’entre eux de par leur sensibilité, leurs choix ou leur façon de penser.
Les personnages du drama dépeignent plutôt bien la pluralité de l’âme humaine. Contrairement à d’autres oeuvres, il n’y a pas de héros foncièrement gentil et qui ne fait que des bons choix. De Kanade à Masaki en passant par Tomo et Yûki, même s’ils ont tous un bon fond et une bonne morale, leurs choix de vie n’ont pas toujours des conséquences positives.
De plus, les apparences sont parfois trompeuses : ceux qui paraissent innocents cachent des desseins les plus sombres et l’intrigue apportera de vrais nuances sur les soi-disant méchants de l’histoire. En bref, il est très intéressant de savourer un drama qui démontre que chacun a sa part d’ombre et de lumière, et que ce sont ses choix qui influenceront le tournant de leur vie.
Une autre thématique qui revient beaucoup dans les drama et les anime japonais est le sens du sacrifice. C’est également un phénomène récurrent chez les personnages de Destiny. Ils n’hésiteront pas à prendre des décisions aux conséquences parfois dramatiques pour eux afin de protéger leurs proches. Dans une société où l’esprit de communauté est relativement présent, le fait de faire passer les autres avant soi peut paraître banal. Pourtant, Destiny dépeint aussi des personnages avides de pouvoir et parfaitement égoïstes qui agissent uniquement pour leur profit individuel. Le panel de personnages de la série s’avère donc bien équilibré, la rendant agréable à visionner grâce à sa proximité avec la diversité de notre vie réelle.
L’art de ne pas débattre : « shikata ga nai«
Un autre aspect de la façon de penser japonaise se démarque particulièrement dans Destiny : le « shikata ga nai« . Traduite littéralement, cette expression signifie « on n’y peut rien » ou « c’est comme ça« . Mais le concept va bien au-delà : il s’agit d’accepter les situations pour lesquelles on ne peut pas changer le cours des choses, malgré tous nos efforts. Ce genre d’occurrences revient régulièrement au fil des épisodes. La palme d’or revient certainement à Takashi, le médecin et fiancé de Kanade. Il fait partie de ce genre de personnes qui se résigne lorsqu’une situation, plus grande que lui, le dépasse.
Pour le public occidental, cela peut paraître déroutant d’assister à certaines scènes désamorçables par de la communication. Mais une majorité de Japonais n’aime pas les conflits et les situations qu’ils considèrent comme agaçantes, ou « mendoukusai » en japonais. La plupart d’entre eux préfèreront couper court à une relation amoureuse ou amicale qui génère du stress ou les accable, plutôt que de chercher à arranger les choses. Bien évidemment, cela ne concerne pas toute la population. Cependant, l’absence de débat est un phénomène qui revient souvent concernant les Japonais. C’est par ailleurs l’une des différences qui peut parfois rendre les relations sociales entre les Occidentaux et les Japonais plus difficiles, car nous n’avons pas les mêmes codes de communication ni la même attitude dans nos relations.
Le concept du « shikata ga nai » peut nous apparaître assez négatif, comme un refus d’approfondir certaines situations et certains blocages. Pourtant, c’est finalement une philosophie de vie à visée plutôt positive. On préfère concentrer son énergie sur des choses que l’on maîtrise plutôt que de s’acharner à chercher des solutions là où il n’y en a peut-être pas, ou du moins des solutions non satisfaisantes.
Destiny illustre plutôt bien ce concept à plusieurs reprises : par exemple, lorsque Masaki, grand amour de Kanade, refait brusquement surface dans sa vie des années plus tard. C’est une véritable menace pour son couple avec Takashi. Différents conflits vont découler de cette réapparition, et ils seront souvent « résolus » via ce concept. Kanade va faire des faux pas, et elle se contentera de présenter ses excuses pour ses actes. Face à cela, Takashi acceptera ou non la situation, sans chercher à savoir le pourquoi du comment. Cela peut permettre de limiter le stress des relations sociales, en gardant le recul nécessaire pour se protéger. Mais pour d’autres, cela peut aussi donner l’impression d’un manque d’intérêt ou d’implication de son partenaire. Tout dépend des points de vue.
Le contexte politico-juridique en toile de fond
La manipulation politique, une pratique encore courante
Quel que soit le pays, les relations politiques sont souvent teintées de conflits, de corruption et de pots-de-vin. Le Japon n’échappe pas à la règle. La politique japonaise est complexe, et nous n’avons pas la prétention de la vulgariser ou l’expliquer. Destiny illustre un grand classique de cet univers : des crimes commis par des figures politiques masqués par des manipulations bien placées. En effet, le cœur de l’intrigue concerne la mort mystérieuse du père de Kanade. Il était un procureur intègre, investi dans son travail et appliquait la loi avec impartialité. Alors pourquoi aurait-il tout d’un coup falsifié des documents et fabriqué de fausses preuves pour inculper un politicien ? Pour Kanade, la conclusion tirée par la police à l’époque ne fait aucun sens. La mort prématurée de son père non plus. C’est d’ailleurs la seule et unique raison pour elle d’être devenue procureure : découvrir la vérité.
Au fil des épisodes, le spectateur va découvrir à quel point tous les éléments présentés dans la série sont connectés. Nous lui laissons le plaisir d’essayer de démêler l’enquête au fur et à mesure. Chaque détail compte, alors il faudra ouvrir l’œil. En effet, les scénaristes ont laissé peu de places aux incohérences, qui peuvent parfois frustrer lorsqu’on visionne une série ou un film à enquête. Afin de ne pas perdre le fil, de nombreux flashbacks viennent remettre chaque élément dans son contexte. Ces derniers sont parfois un peu trop nombreux justement, répétitifs et longuets. C’est un peu dommage.
Il est très intéressant de plonger au cœur d’une affaire, loin d’être un cas isolé dans le contexte politico-économique japonais. Si vous appréciez ce style de contenu, Journal du Japon avait déjà présenté le drama The Journalist. Ce dernier dépeignait également des cas de corruption et de manipulation. Tout comme dans Destiny, ces situations ont mené à des suicides inévitables dus à la pression sociale et humaine. Ce genre de fiction inspirée de la réalité permet de comprendre à quel point un acte machiavélique peut impacter drastiquement la vie de nombreuses personnes.
Les limites de la légalité ?
Un autre point abordé dans la série est la notion de morale. Dans une société où l’on peut de moins en moins faire confiance aux figures d’autorité, peut-on faire justice soi-même ? Dans Destiny, on aborde de nombreuses épreuves questionnant notre sens de la justice, comme nous l’évoquions plus haut à travers les dérives et conséquences des manipulations politiques et judiciaires.
Au Japon, il n’est pas commun de se révolter contre les décisions juridiques. Le « shikata ga nai », introduit un peu plus haut fait souvent foi. Les entités politiques sont beaucoup trop solides pour que la voix du citoyen puisse avoir un impact. Alors on laisse faire, on se résigne et on subit des situations dramatiques. Mais il arrive parfois que certaines situations fassent réagir, engendrant des manifestations publiques, assez rares dans le pays.
Dans Destiny, la révolte se fait à échelle réduite puisque Kanade seule décidera de rendre justice à son père en tentant de rétablir la vérité. On découvre également des méthodes à la limite de la légalité avec le père de Masaki. Ancien procureur, il devient avocat et passera une partie de sa carrière à masquer les « délits » de son fils, semblant abuser de sa position pour arranger des situations à son avantage. Masaki perd ainsi confiance en la justice, puisqu’après tout on peut tout régler avec quelques discussions huilées.
Les personnages, confrontés à cette justice faussée ou manipulée, finissent par faire justice eux-mêmes. Les conséquences sont parfois sans appel et les obligeront à se mettre eux-mêmes en péril. Concernant Masaki, cela le mènera dans des situations à l’issue plus qu’incertaine, jusqu’à avouer un crime qu’il n’a pas commis. Kanade, Takashi, Tomo et même Yûki vont masquer la vérité pour se protéger les uns les autres. Si ces secrets inavoués ne dépassent pas la sphère privée, cela peut s’entendre. Mais lorsque ces décisions atteignent une portée juridique, jusqu’où peut-on aller ? Jusqu’où va la morale ? La série questionne les choix personnels de chacun, dans une société où on ne fait plus confiance aux autorités compétentes. Chacun préfère protéger les autres à sa manière, au détriment de sa propre vie.
Destiny est un drama à mi-chemin entre une romance sobre et pudique et une enquête politique. Il plaira notamment aux spectateurs qui n’aiment pas les histoires d’amour prévisibles et simplistes. L’intrigue n’est pas des plus originales et complexes, mais elle montre des aspects intéressants de la société japonaise. On comprend mieux les relations sociales, la pression professionnelle, la manipulation. Les personnages ont des profils intéressants et on s’attache à eux grâce à leur sensibilité.
Somme toute, un drama sympathique à visionner qui pourra vous donner matière à réfléchir sur votre communication et votre sens moral !