Découvrir Tokyo avec June Fujiwara
Née à Tokyo, June Fujiwara vit en France depuis vingt ans. Elle raconte dans un essai l’un de ses séjours dans la capitale nippone. Tout en nous faisant découvrir ses lieux préférés, elle décrypte les évolutions de la ville et les comportements de ses compatriotes.
Parisienne d’adoption depuis 1998, June Fujiwara (avec qui nous nous sommes déjà entretenus ici) reste aussi une Tokyoïte. C’est en effet à Tokyo qu’elle a passé son enfance et son adolescence, après un bref séjour en Angleterre. Elle n’a donc aucun mal à retrouver ses réflexes et ses repères d’autochtone quand elle revient dans sa ville natale. Et c’est après avoir passé dix-sept ans à la direction de la communication de Louis Vuitton qu’elle a réalisé un rêve de jeunesse : écrire en français. Elle est ainsi déjà l’auteure de : Les secrets du savoir-vivre nippon (Editions de l’Opportun, 2021) et Mes rituels japonais (Editions Leduc, 2023).
Dans son troisième essai, La parfaite Tokyoïte, June Fujiwara décrit l’un de ses séjours dans la capitale nippone, où elle revient chaque année. Au cours de ses déambulations dans cette mégapole de plus de 37 millions d’habitants où elle se sent comme chez elle, elle décrypte pour nous les évolutions de la ville et du pays.
Elle observe par exemple l’emploi de travailleurs étrangers dans les konbini, et précise que le Japon ne compte que 2% de travailleurs étrangers, quoiqu’il s’ouvre timidement à l’immigration depuis les dix dernières années.
Elle nous apprend aussi qu’au 18ème siècle, Tokyo – qui s’appelait alors Edo – comptait plus d’un million d’habitants et était (déjà) l’une des villes les plus peuplées au monde.
« Tout se trouve à Tokyo, tout le monde y trouve son intérêt, et pourtant : comme dans le monde des jeux vidéo, il faut savoir déchiffrer son mode d’emploi », écrit-elle.
Elle décrypte tout d’abord les comportements de ses compatriotes. Ainsi par exemple, leur habitude de vaquer à leurs occupations et de ne pas se mêler des affaires des autres. Une habitude qu’elle retrouve jusque chez les travailleurs étrangers. Celle-ci vient, d’après elle, de la période d’Edo. En effet les shogun obligeaient les daimyo à séjourner dans la capitale une année sur deux, et à y laisser leurs épouses et héritiers quand ils retournaient sur leurs terres. Pour subvenir aux besoins des daimyo et de leur suite, les travailleurs affluèrent de tout le pays et Edo devint une ville « cosmopolite » où se mêlèrent diverses origines, cultures et castes. Les Edokko apprirent donc très vite à ne pas se mêler des affaires des autres.
Sanctuaires de quartier
Le premier jour de son séjour à Tokyo, l’auteure se réserve toujours une heure pour aller dans un sanctuaire de quartier. En effet, la capitale est parsemée de ces édifices religieux propres au shintoïsme. Plus de 90% des Japonais disent appartenir à cette religion originelle. L’auteure nous apprend que l’on compte pas moins de 10 000 sanctuaires dans tout l’Archipel, dont 2000 à Tokyo.
Ces sanctuaires se découvrent au gré des promenades, parfois nichés entre immeubles d’affaires et grands magasins de luxe. Ils sont le domaine des kami, les esprits divins. Les kami sont présents dans toute création de la nature qui nous inspire une crainte respectueuse. Ils peuvent aussi être des humains, par exemple nos ancêtres. Ils seraient huit millions dans tout le pays, auxquels s’ajoutent les divinités issues de la mythologie japonaise et des croyances populaires.
Mais avant d’aller saluer les dieux du sanctuaire, il faut accomplir un certain nombre de rituels. Tout commence par la purification, en se lavant les mains dans un bassin, le chuzoya.Il faut ensuite sonner les cloches, faire une courbette et frapper des mains à deux reprises pour attirer l’attention des dieux. C’est seulement après ces rituels que l’on peut s’adresser à eux.
L’auteure n’oublie pas non plus de retrouver les saveurs de son enfance. Au détour des rues animées de la capitale, elle nous fait découvrir les petits restaurants de soba (nouilles de sarrasin). Ils sont souvent minuscules et ne paient pas de mine, mais l’on y mange bien et en peu de temps. Courageusement, elle prend aussi un bain de foule. Glissant tel un poisson au milieu de ses compatriotes, qui ne se bousculent jamais, elle navigue sans difficultés.
Havres de paix
Elle sait aussi où trouver le calme nécessaire pour se ressourcer. Ainsi après une sortie nocturne entre amies se retrouve-t-elle dans un jardin suspendu dans le quartier de Ginza. « A l’aube, Ginza est une belle endormie, écrit-elle. Sans fard, elle est pure, émouvante. Les noren ont été décrochés des devantures de restaurant. Les grands magasins sont encore fermés. Je me trouve au sixième étage du complexe de luxe Ginza Six. C’est un toit-terrasse, accessible dès 7 heures du matin. Peu de gens le savent. La porte de l’ascenseur s’ouvre sur un mur végétal couvert de rosée. Les oiseaux prennent leur bain matinal dans le bassin aménagé au centre. Une large pelouse bien entretenue s’étend sous mes yeux. Je respire l’air frais à pleins poumons ».
Des phrases courtes, un style sobre et percutant, un lien fort avec la nature, on retrouve dans ce livre le talent d’écriture et la simplicité qui caractérisent les écrivains japonais contemporains. Dans ce jardin suspendu propice à la méditation, June Fujiwara se demande aussi ce qu’elle serait devenue si elle était restée vivre ici.
Tout l’intérêt de son livre est de nous faire découvrir des endroits que l’on n’imaginerait pas trouver dans cette capitale immense et affairée. June Fujiwara s’arrête également dans la Fukutoku Forest, qu’elle décrit ainsi : « Je suis attirée par un petit chemin bordé de camélias et je suis aussitôt transportée dans une oasis de verdure où les chênes du Japon alternent avec les cerisiers et les érables. (…) Le petit bois débouche sur un square où un groupe de mamies dégustent des mochis assises sur un banc. Des jeunes en costume de vendeurs se sont installés à un autre pour décompresser. Il règne une atmosphère paisible qui me donne envie d’aller m’asseoir avec eux, une tasse de thé vert à la main. On se croirait dans un petit village ».
En résumé, le livre de June Fujiwara se lit très facilement, tel une promenade dans la ville, et l’on y trouve une foule d’informations sur Tokyo et ses habitants. Cette découverte de la capitale de l’intérieur rappelle les Portraits de Tokyo de la journaliste Johann Fleuri (Hikari, 2017). Dans cet autre livre, guide alternatif sur Tokyo, on trouve des portraits d’habitants qui nous dévoilent leurs lieux favoris et leurs bonnes adresses.
A quand un livre sur les meilleures adresses japonaises en France et leur histoire ? Ce serait également passionnant.