Julie #2: faire évoluer les voyages au Japon et sortir du tourisme de masse.

Suite et fin de notre entretien avec Julie, consultante en développement éthique au Japon (vous pouvez lire la partie #1 ici). Elle nous a ouvert les portes de son activité à Nagoya, où nous avons rendu visite à deux artisans dans leurs ateliers normalement fermés au public.

Elle nous explique dans cette partie sa philosophie des voyages, ainsi que le phénomène hypermédiatisé ces dernières années du sur-tourisme. Vous pouvez retrouver notre entretien en images sur la chaîne YouTube de @TinaKrys et en lien dans cet article.

Expériences sur-mesure de luxe

Journal Du Japon: Comment organises-tu ton catalogue?

Julie Baud: Plutôt que de faire des packages que je vends en boucle, j’ai des destinations phares, mais j’ai tellement d’options disponibles sur chaque destination que c’est rare que je fasse deux fois le même circuit. Même si deux clients ont un intérêt pour la poterie, je ne vais jamais avoir deux fois la même question, je ne vais jamais parler deux fois de la même chose. J’ai mon socle de base dans ma tête, je sais de quoi je peux parler, où peuvent aller mes joueurs, et je vais les orienter au fur et à mesure. Les clients n’ont pas l’impression que je les prends par la main avec mon petit drapeau « étape suivante: point B. Étape suivante : point C…« . Je sais où je veux aller, je connais mon timing mais je ne mets pas la pression aux gens. Ils sont en vacances ! Ce n’est pas parce qu’ils font appel à un guide qu’ils sont là pour faire un cours magistral et qu’on va à l’école. Mon but à moi c’est qu’ils se disent « on a passé une journée incroyable« .

As-tu de nouvelles offres en préparation dont tu pourrais nous parler ?

Aujourd’hui on visite deux nouveaux endroits avec lesquels je ne travaille pas encore (NDLR: Julie nous a emmené en prospection chez deux nouveaux artisans collaborateurs pour préparer de nouveaux tours sur mesure, visibles dans la vidéo YouTube liée à cet article). Un endroit où je visite vraiment pour la première fois. je ne sais pas encore sur qui on va tomber, comment ça va se passer, on va vers l’inconnu. Ça pourrait bien se passer comme ça pourrait mal se passer. Et un deuxième endroit dont je connais l’artisan depuis très longtemps. On avait déjà parler de choses il y a 4-5 ans mais il était dans une période très occupée. Et là on s’est retrouvés par hasard au parc Ghibli, et je lui ai dit que j’étais indépendante donc il m’a dit « allons-y! ». C’est un jeune artiste avec lequel je m’entendais déjà bien qui a une bonne grosse tradition derrière, j’ai hâte!

J’ai sans cesse de nouveaux trucs. J’adore quand mes clients ont une demande que je n’ai pas encore dans mon catalogue. Bien sûr ça m’arrange quand c’est quelque chose que j’ai déjà dans mon catalogue ! Moi et mon assistante faisons le devis rapidement. Mais en réalité quand c’est des demandes à 6 mois, un an pour un truc que je n’ai pas dans mon catalogue, et qui je sais va plaire à d’autres gens, je kiffe. Là je viens juste de rajouter un forgeron de sabres dans mon catalogue. Je sais qu’il va y avoir de la demande. Par contre c’est une visite qui va être extrêmement onéreuse parce qu’on est sur des matériaux qui coûtent chers, une spécialisation de folie. C’est un des derniers artisans forgerons de sabre certifié du Japon. J’ai d’autres projets en préparation.

En tant que freelance, de quelle manière te fais-tu connaître auprès des clients?

Ces derniers temps j’ai commencé à mettre beaucoup d’énergie dans mes réseaux sociaux, ce que je faisais un peu en dilettante. Il y a des gens formidables qui m’ont convaincu de me mettre un peu plus sur le devant de la scène. Et ça marche bien pour l’instant, et du coup j’ai de plus en plus de gens qui me disent « on aimerait bien juste te rencontrer toi. On n’a pas forcément les moyens de se payer un de tes tours. Et je l’entends. Je suis en train de mettre en place un système de réservation pour faire des petits tours une fois par mois (NDLR: depuis l’interview, l’agenda est ouvert pour ce type de tour chez Julie ) les premiers jeudis du mois, le soir on fait une soirée izakaya. Je vous emmène dans un de mes izakaya préférés. C’est jusqu’à 5 personnes, potentiellement vous allez pouvoir rencontrer d’autres voyageurs. L’idée c’est de se faire une petite soirée sympa à Nagoya. Tous les premiers vendredis du mois, l’après-midi, pour ceux que ça intéresse un peu plus et qui n’ont jamais osé porter le kimono tout seul, on fait un petit tour en kimono dans le quartier de Osu. Moi je serai en kimono et on loue les kimonos dans un endroit où des grandes tailles sont aussi disponibles. Je suis avec vous, si jamais votre kimono glisse je vous le remets sur place. Vous ne risquez pas de vous retrouver débrayés, ou d’être taxés d’appropriation culturelle ! Pas de ça avec moi.

Pareil, 5 personnes maximum, histoire de passer un moment sympa à papoter, à marcher et pour des budgets un peu plus short, des gens qui ont juste envie de se faire plaisir. Bien entendu il va y avoir des anecdotes culturelles, on va parler de trucs tabous, vous pourrez me poser toutes les questions que vous voulez. Moi ça me fait plaisir de vous rencontrer aussi.

©Julie Baud

Le circuit que j’ai fait avec Rodolphe Miez l’année dernière où l’on est allés visiter des champs de matcha (la vidéo YouTube ici), une usine de matcha et une manufacture de miso. Il y a un circuit disponible qui existe. Les réservations sont ouvertes à partir de janvier 2025. Pour l’instant je suis complète sur l’année 2024. Je n’en reviens pas. Je vais peut-être commencer à embaucher d’autres guides parce que je n’arrive pas à répondre à la demande et ça me fend le cœur de devoir refuser des demandes. Il y a des gens qui viennent pour moi, mais il y a des gens qui viennent pour l’image de la marque. Et ça n’a pas besoin d’être forcément moi tant que le guide est quelqu’un d’extraordinaire. Je m’adapte aux besoins des clients. S’il faut louer une voiture avec chauffeur, je loue une voiture avec chauffeur. J’ai ce type de clientèle aussi. Je m’adapte. C’est complètement sur-mesure, pas de package mais toujours de nouvelles offres avec de nouveaux artisans.

A petits pas vers le changement

Qu’est-ce qui différencie ton approche des autres ?

Au Japon, tu sais, il n’y a pas de choses où on dit « on ne peut pas changer les gens ». En fait, c’est du changement doux. Je me souviens quand j’étais dans ma boîte à Tokyo, j’avais toujours ma gourde remplissable et j’étais la seule à l’avoir. Mais j’en avais choisi une volontairement avec un design stylé. Quand j’étais en réunion je la sortais systématiquement exprès. J’avais une autre collègue qui était déjà allée en France et qui disait « c’est vrai qu’elle est jolie ta bouteille », et elle en a acheté une. Mais j’ai jamais dit à personne « franchement c’est scandaleux ! vous utilisez des bouteilles en plastique ! » : le discours bien culpabilisant à mort. Je n’ai jamais rien dit. Mais je la sortais à chaque fois, et on me complimentait dessus. Jamais je n’ai dit aux gens « vous devriez faire pareil », j’ai toujours dit « c’est une conviction personnelle, j’essaie de diminuer ma consommation de plastique ». Au fur et à mesure, les gens ont eu les leur et me disaient « hey tu as vu Julie ? J’ai ma bouteille ! ». Du coup j’ai commencé à faire des selfies « bouteille » qu’avec les gens de mon équipe qui avaient la bouteille. J’ai fait se sentir seuls ceux qui ne l’avaient pas. finalement tu fais des révolutions douces comme ça. Je n’ai jamais converti tout le monde, mais j’ai dû convertir au moins 50% de mes collègues sur 30 personnes. Sur ces 15 personnes je pense qu’il n’y en a que la moitié qui a continué à utiliser ces bouteilles, mais potentiellement 10 personnes qui ont continué à l’utiliser.

©Julie Baud

C’est comme les haori (NDLR:  veste traditionnelle japonaise qui descend jusqu’aux hanches ou aux cuisses et qui se porte par-dessus un kimono). J’ai des haori qui me servent de vestes de costumes. Quand je vais dans des évènements où il faut porter le costard je mets mon haori noir, mais je suis en haori. On me dit : « je n’aurais jamais pensé à l’utiliser comme ça ». Et je le porte, pas en disant « désolée je n’avais que ça », je n’offre pas le choix à la personne de se dire « peut-être que ce n’était pas volontaire ». Des fois je fous un peu les pieds dans le plat. L’humain par nature n’aime pas être laissé derrière. Quand tu parles d’un sujet tabou, comme si c’était le sujet le plus normal du monde, et que tu as des potes dans le lot pour aller dans ton sens, c’est la meilleure chose au monde. Ceux qui ont des idées rétrogrades vont se poser des questions. Plus que si tu leur fais un discours moralisateur genre « regarde les bébés veaux qui meurent ». Tu dis : « moi je suis vegan, mais c’est mon plaisir, c’est mon choix et je ne te l’impose pas. Mais regarde ce que je mange ça a l’air bon, non ? ». Et les Japonais sont beaucoup plus comme ça. Ils ne sont pas dans la confrontation. Ils n’aiment pas le débat mais si tu dis : « ben voilà moi j’aime bien faire comme ça. Je comprends qu’on puisse faire différemment, mais moi je le fais comme ça ». Et que tu ne t’excuses pas, tout de suite ça passe mieux. Et tu as beaucoup plus de chances de faire passer certaines idées.

Que penses-tu du sujet hyper médiatisé du tourisme de masse au Japon et surtout de comment il a été abordé par les influenceurs les plus suivis ?

Ouh, sujet controverse ! Le Japon c’est un pays qui a commencé à connaître le tourisme de masse avant le Corona. On a eu des premiers pics énormes du tourisme en 2018-2019 et on avait déjà des problèmes liés au tourisme de masse. Maintenant, à un moment où on aurait pu avoir les premiers problèmes, c’est quand il y a eu la coupe du monde de rugby en 2019. A ce moment-là au Japon, il y a eu un trouble politique avec la Corée. Dans la segmentation des clients qui viennent au Japon, les Coréens c’est une énorme partie de ces visiteurs-là. Et on a eu un trou énorme. Si on regarde les chiffres de fréquentation des Coréens en 2019, on a eu un trou énorme. Sauf qu’à ce moment-là, on a eu la coupe du monde de rugby et on a eu une augmentation de folie des Européens. Là où on aurait dû avoir juste une augmentation énorme avec plein de problèmes, on a eu une grosse baisse suivie d’une grosse montée et donc en fait ça a courbé, ça a tout lissé. Et à partir de là, du coup, des gens ne se sont pas rendus compte qu’en réalité on était déjà dans une problématique de tourisme de masse.

Ensuite on a eu le corona. Le Japon a été fermé pendant 3 ans complets. En Europe, vous l’avez vécu difficilement avec lesconfinements, etc. Mais les gens se sont remis à bouger assez rapidement après la première année. Nous, pendant 3 ans, les hôtels étaient fermés, les restaurants étaient fermés. Et aujourd’hui, même 4 ans après, il y a encore des restaurants qui ferment toujours à 10h du soir, qui n’ont pas remis leurs horaires d’avant corona où ils fermaient à 11h ou à minuit. Il y a encore plein de restaurants dans les campagnes qui se sont dit « mais c’est vachement mieux de fermer à 10h du soir, en réalité on peut vivre notre vie c’est fou ! ». Ils n’ont jamais repris leurs horaires normaux. Ça a changé plein de choses dans les mentalités.

Pendant cette période, il y a eu aussi beaucoup d’influenceurs qui ont eu beaucoup de temps pour créer du contenu. Des contenus qui étaient déjà sur les réseaux depuis longtemps, mais les gens ont eu le temps de consommer ces contenus. Il y avait eu beaucoup d’efforts qui avaient été faits avant le corona pour faire des vidéos de promotion, pour faire des blogs, pour faire des guides touristiques… Quand les gens se sont d’un seul coup vu couper les possibilités de voyager, c’est là qu’ils ont eu bien entendu le plus envie de voyager. Quand on t’enlève une liberté, c’est le jour où t’en as le plus envie. Et donc ils ont consommé de folie et ils se sont renseignés sur le Japon.

©Julie Baud

Le Japon après Covid

Le Japon est resté fermé pendant si longtemps. Et en même temps, on a eu un deuxième boom manga en France. Le premier c’était dans les années 2010 avec la vente des mangas Naruto, puis ça s’est un peu calmé. Ensuite, on a eu un retour avec Kimetsu no Yaiba (NDLR: Demon Slayer), My Hero Academia, ou l’Attaque des Titans par exemple, qui ont fait redémarrer tout ça d’un seul coup. Tout a coïncidé au même moment. Ca a créé une espèce de frustration au niveau des gens, que ce soit en France mais ailleurs, aux États-Unis, etc. Le Japon est devenu le pays à cocher sur la bucketlist. Ça l’était pour une certaine partie de la population avant, qui étaient les gens qui aimaient le Japon. Aujourd’hui c’est le pays à cocher comme Bali ou l’Australie auraient pu l’être avant.

On a eu une explosion de gens qui sont passionnés du Japon, qui n’attendaient que ça de pouvoir revenir au Japon pour pouvoir faire leur troisième, quatrième voyage. Et des gens qui entre temps ont mis le Japon sur leur bucketlist. Donc en fait on se retrouve avec d’un seul coup, plein de nouveaux clients, des gens dont on ne connaît pas encore bien les besoins, dont on ne connaît pas encore bien le Modus operandi.

Le Japon fait face à deux choses. La première c’est qu’ils ne savaient pas vraiment ce que c’était que le tourisme de masse et ses effets néfastes, donc ils ne se sont pas protégés. Et moi je fais beaucoup face dans les localités à des gens qui de toute manière veulent qu’il y ait plein de gens qui viennent. Mais ça c’est très mauvais comme façon de penser.

Quelle est la nouvelle typologie de touristes au Japon ?

Les gens qui viennent à présent ne sont pas particulièrement passionnés par les coutumes, par la culture humaine. Ils sont plus passionnés par l’image qu’on a du Japon qui a été vendue depuis 70 ans. Il faut savoir que le voyage d’Andy Warhol en 1950 au Japon, il fait Tokyo, Nikko, Osaka, Kyoto. En fait il fait le même trajet que ce que font tous les gens qui viennent pour la première fois au Japon. Le trajet basique du Japon, 60 ou 70 ans plus tard, c’est toujours le même. Et on ne pourra jamais en sortir. C’est comme ça. Les touristes ils vont à Paris, ils visitent la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe. Les Japonais, si c’est des Japonais, ils vont aussi au Mont Saint-Michel, ils reviennent. Si c’est des Américains, ils vont en Bourgogne, ils reviennent. Si c’est des Chinois, ils vont à Marseille, ils reviennent. Bref, on ne peut pas en sortir de ça.

Maintenant l’intérêt il va être de capter les gens de manière différente. On ne peut pas empêcher les gens qui viennent au Japon la première fois d’avoir envie de cocher des cases. C’est normal, il faut le faire. Mais tous les gens qui viennent une deuxième, une troisième, une quatrième fois, l’idée c’est de leur proposer des options pour les faire partir des grands centres urbains. Il y a d’autres centres urbains qui sont géniaux.

Penses-tu qu’effectivement le tourisme actuel du Japon est un phénomène nouveau ?

Les influenceurs qui se sont emparés de ce mot « tourisme de masse », ça m’a fait beaucoup rire parce que moi en tant que consultante en développement touristique, le tourisme de masse c’est un problème qui existe déjà depuis dix ans. On l’avait en France. Il existait au Japon déjà, à Tokyo, il existait déjà à Kyoto, il y avait déjà des problèmes. Quand j’ai habité à Kyoto en 2016, j’en avais déjà assez du tourisme de masse. Quand c’était l’été, je ne pouvais même pas aller à mon baito parce que les bus se stoppaient. C’était déjà du tourisme de masse en 2016. Donc les gars qui disent « moi je suis venu au Japon en 2015 et ce n’était pas comme maintenant ». Ça dépendait des saisons, ça dépendait des endroits, mais c’était déjà du tourisme de masse, il y avait déjà des problèmes.

©Julie Baud

 Maintenant, ce qui s’est passé, c’est que la télé, je crois que c’était vers novembre, on a eu les premiers chiffres du tourisme de l’organisation du tourisme japonais, donc la JNTO, et on en a parlé à la télé parce qu’il y a eu les premiers gros problèmes. Et les influenceurs qui du coup cherchent forcément du contenu qui va faire des vues… forcément que tu as envie de dire « moi j’habite au Japon, mais franchement, ne venez pas, c’est du tourisme de masse ». C’est des sujets qui font mal, c’est putaclic, énorme, et du coup je ne leur en veux pas de s’y être mis.

Le problème c’est qu’ils se sont tous jetés sur le nouveau petit os à ronger qu’il y avait sur le moment, et ils ont tous fait la même vidéo au même moment. Parce que les followers, ils aiment bien avoir un sujet et demander l’avis de leurs influenceurs préférés sur le sujet à la mode. La semaine dernière c’était le mur devant le Konbini, devant le Mont Fuji, et puis deux semaines avant c’était certains quartiers de geisha qui vont potentiellement être interdits aux clients, ça prend beaucoup d’ampleur parce que le sujet il est amplifié, déformé.

Je suis reconnaissante aux influenceurs d’avoir parlé de ce problème. Le problème c’est qu’ils t’en parlent en te montrant les vidéos des endroits qui sont pleins en disant : « Je suis à Kyoto et regardez comme c’est du tourisme de masse »… Tu es dans la masse ! Et ils te mettent quoi ? Les images qu’ils sont allés voler dans la rue en question. « Le Konbini on va plus pouvoir avoir accès à cette magnifique vue parce que les gens franchement ils ne respectent rien et ils font du tourisme de masse », et ils te montrent les photos qu’ils ont prises à cet endroit-là. En fait vous faites partie du problème, parce que vous n’offrez aucune solution viable, vous ne montrez pas aux gens qu’il y a d’autres endroits.

Si tu dis aux gens vous ne pourrez pas le faire mais moi je l’ai fait, pourquoi tu voudrais qu’ils ne fassent pas la même chose ? En fait c’est de l’hypocrisie énorme et c’est là où ça m’a fait du mal, c’est qu’il y a des énormes influenceurs qui ont le pouvoir de proposer des solutions, de rediriger des gens vers des endroits moins connus, vers des guides, de mettre en valeur des tout petits comptes qui font ce genre de choses-là ou qui proposent des alternatives… et ils ne le font pas. Et en fait c’est là où moi j’ai un problème avec cette utilisation d’influence et qu’on utilise le sujet pour faire des vues parce que c’est leur métier.

Quand on a un influenceur japon ou autre pays qui dit « c’est abusé les touristes » et qui a fait dans son feed il y a 4 ans « les meilleurs coins à visiter dans Shibuya » ou les « meilleurs coins à visiter à Kyoto » et que maintenant on te dit « oh là là c’est trop du tourisme de masse », tu fais partie de ceux qui ont montré aux gens qu’il fallait aller là ! Donc à un moment c’est hypocrite. Et j’assume mes propos ! Je suis partante s’il y a des influenceurs qui ont envie de se poser des questions, qui ont envie de découvrir et qui ont envie d’avoir une discussion sur comment avoir une influence positive. Je suis ouverte à la discussion et je n’ai même pas besoin que vous fassiez une vidéo, je n’ai pas besoin que ça soit un partenariat, je veux bien en discuter en privé, je veux bien offrir des possibilités mais c’est hypocrite de critiquer le tourisme de masse des gens qui vont tous au même endroit… alors que si on remonte dans ton feed, t’as promu ces vidéos-là quand t’es arrivé au Japon parce que c’était les seules choses que tu connaissais.

Tu ne vas pas dire aux gens pour un premier voyage qui ne parlent pas japonais, qui ne parlent pas forcément anglais, qui sont avec des enfants parfois, qui ont passé leur budget dans le voyage de leurs rêves, qui sont rassurés par le fait qu’il y a des brochures dans leur langue et qui sont rassurés par le fait qu’il y a des informations partout, tu ne peux pas leur en vouloir de cocher des cases. Quand tu vas en Amérique, quand tu vas à New York, tu vas à Broadway, tu vas à Las Vegas. Quand tu vas en France, tu vas à Paris. En Espagne, tu vas à Barcelone, tu vas à Gaudi, tu vas à la Sagrada Familia, excuse-moi mais t’es en train de cocher des cases aussi. Donc, c’est hypocrite de dire aux gens venez au Japon mais faites pas les trucs de touristes. Faites-les, mais faites-les de manière intelligente.

Penses-tu qu’il soit intéressant pour ce nouveau type de clientèle de prendre un guide ?

Pour le coup, effectivement, il y a des guides qui sont haut de gamme, et puis il y a des guides qui sont simples. Par exemple à Asakusa, les Français, ils ont du mal à monter sur les trucs qui sont tirés par des rickshaws. En réalité, sachez, sachez que les gars qui tirent ces rickshaws-là, ce sont des guides extraordinaires. Ils sont drôles et ils vont vraiment vous amener dans des petites rues, dans des petits endroits où vous allez prendre votre photo de la Skytree avec personne autour, et vous encouragez en fait réellement un business derrière.

Sachez que c’est là où ça demande du temps de faire des recherches sur internet. C’est votre temps, votre argent, c’est toujours un peu ça. Maintenant sachez qu’aujourd’hui il y a un métier qui se développe de plus en plus qui s’appelle le métier de travel planner. Il faut voir qu’en France, les agences de voyage ont eu mauvaise presse parce qu’elles vendaient des packages pas géniaux pendant des années, mais il y a de plus en plus d’agences de voyage qui sont vraiment dédiées. Oui c’est un coût, mais en fait vous achetez aussi un savoir-faire, surtout quand vous allez dans une agence de voyage ou un travel planner spécialiste du Japon, c’est quelqu’un qui a fait des voyages, normalement, qui a fait plusieurs voyages, qui sait de quoi il parle, et il va prendre le temps d’utiliser ses recherches pour vous, pour adapter un voyage pour vous. C’est 10, 15, 20 heures de recherche Google que vous n’aurez pas à faire. Il faut que vous le voyez comme ça. Vous pouvez choisir de faire appel à un travel planner pour 3 jours de votre voyage. Ils vous font un forfait par journée planifiée. Donc sur un voyage, vous pouvez avoir vos 2 jours à Osaka et vos 3 jours à Tokyo qui sont planifiés par un travel planner, puis le reste vous pouvez faire des options comme ça. Mais sachez que faire appel à des gens qui sont spécialistes, ça vous permet justement de sortir des sentiers battus. Et c’est là que j’ai regretté que les gros influenceurs s’emparent du sujet sans offrir de réelles solutions en face, tout en culpabilisant les gens.

Poterie Japon
©Julie Baud – atelier poterie M. Yagi

Le tourisme de masse, c’est l’inverse du tourisme durable. Et le tourisme durable c’est créer un cercle vertueux pour que les populations profitent autant du tourisme que les gens qui viennent visiter et qui ont envie de faire une différence. C’est ça mon métier en fait. Je suis contente parce que je peux en parler. Ce n’est pas un sujet qui est facile parce que les gens ne se rendent pas compte de tout ce qu’il y a derrière quand on crée un tour, combien il y a d’aller-retour, combien il y a de gens impliqués, où va l’argent. Tout ça c’est très difficile et même moi je ne suis pas complètement transparente sur ce que je donne à l’artisan. Sachez qu’ils sont très bien payés ! Ils gagnent plus avec moi qu’en faisant une vente.

Je peux comprendre que pour les gens c’est difficile de se retrouver dans cette jungle-là, il y a beaucoup d’offres. Je sais qu’il y a des influenceurs qui par exemple choisissent de ne pas parler de certains tout petits restaurants parce qu’ils savent que s’ils en parlent, le restaurant risque d’avoir des ennuis parce qu’il va avoir un afflux de gens et ça c’est durable. Tu choisis les infos que tu donnes. Il faut réfléchir avant de parler d’un endroit. Si t’as une communauté énorme est-ce que cet endroit est prêt à recevoir la masse de gens qui va arriver ? Est-ce que je peux les aider à être prêt à recevoir la masse de gens qui va arriver ? Je pense qu’on a tous un rôle à jouer là-dedans. Je comprends qu’il y en a qui sont sur le marketing, le business, « mon entreprise ». Mais ne sciez pas la branche sur laquelle vous êtes assis en fait.

Créer des ponts entre l’occident et le Japon

Les Japonais sont frileux face au changement. Ils ont besoin d’avoir des exemples de choses qui ont marché avant d’essayer quelque chose. Là où les francophones, les Européens vont tester et si ça ne marche pas, ils vont se poser des questions et ils vont recommencer, les Japonais, eux, ont vraiment besoin d’avoir des exemples concrets de choses qui ont marché. C’est la raison pour laquelle ils mettent du temps à s’adapter. Ils mettent du temps à réagir aux problèmes de tourisme de masse, ils mettent du temps à réagir à une pollution visuelle, ils mettent du temps à réagir à une pollution sonore et ils vont réagir souvent avec des trucs drastiques, genre mettre un mur. Au lieu de se dire « on achète la parcelle derrière et on fait une plateforme avec un truc où on organise la rue, on achète la maison et on organise tout ça pour gérer les flux de touristes, pour qu’on puisse continuer à le faire de manière logique »… parce que le Konbini, je pense qu’il faisait un énorme chiffre d’affaires aussi, il devait y avoir des commerces locaux qui devaient faire des chiffres d’affaires aussi parce qu’ils vont être pénalisés par le fait que d’un seul coup tous ces gens-là vont aller ailleurs. Je pense que la régulation est importante, je pense que penser aux touristes c’est important, penser aux gens qui vivent sur place c’est encore plus important, mais il y a toujours des moyens de faire des vases communicants, il y a toujours des moyens de dire « écoutez, nous on cherche quelqu’un qui va ouvrir un stand de patates douces et on cherche quelqu’un qui veut ouvrir des toilettes payantes parce que là il y a la demande » et qu’on va pouvoir l’utiliser et que tout le monde va être content.

En fait mon but à moi c’est de créer une situation, un cercle vertueux où tout le monde est content. « si c’est ça, je vais pouvoir m’installer ici avec ma femme et mes enfants plutôt que d’aller bosser à Tokyo et je vais pouvoir vivre dans la ville de ma grand-mère où je vais pouvoir vivre dans la maison familiale parce qu’il y a du travail pour moi dans cette ville plutôt que d’aller à Tokyo parce que sinon je n’ai pas de boulot. Ou je vais pouvoir prendre un apprenti parce qu’il y a de la demande pour mon artisanat alors que je pensais qu’il n’y en avait plus et là j’ai de quoi vivre et former un apprenti qui va prendre derrière moi et qui va pouvoir du coup continuer la tradition ». Mon but est surtout là. Donc je ne m’étais jamais mise en avant sur les réseaux sociaux jusqu’à présent parce que mon but ce n’était pas de me mettre en avant, c’était de mettre en avant le reste. Maintenant je me suis rendue compte qu’en me mettant en avant, je peux aussi mettre en avant le reste et que même des fois ça marche mieux. Si ça peut avoir un impact positif c’est tout ce qui m’intéresse.

Merci à Julie pour son accueil ! Nous avons eu l’occasion de passer du temps dans des ateliers d’artisanat fermés au public, une expérience inoubliable. Et si cette rencontre vous a donné envie de voyager le Japon autrement, n’hésitez pas à visiter les réseaux de Julie et son catalogue de tours:

Son site internet: www.secretsdartisansjaponais.com

Ses réseaux:

Instagram: @tonarinojuri et @secretsdartisansjp

TikTok: @tonarinojuri

Merci Julie de nous avoir accordé ton temps.

Cristina Thaïs

Je suis passionnée de culture japonaise. J'aime étudier, comprendre les différences et les complexités de ce magnifique pays, non sans mille contradictions. Je voyage une fois par an au Japon pour le parcourir de long en large. J'ai un point faible pour les expositions, la mode, les cosmétiques japonais, le J-rap et la bonne cuisine locale. J'adore échanger sur ces sujets, alors n'hésitez à me laisser un commentaire! @tinakrys

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