Hiramatsu Reiji- Symphonie des nymphéas : de retour à Giverny
Pour marquer les 150 ans de l’impressionnisme, le musée normand a choisi d’exposer 14 nouvelles créations de Hiramatsu Reiji. Les inspirations de l’artiste japonais sont intimement liées à ce courant artistique, plus particulièrement au travail de Claude Monet. Pour la seconde fois, le Musée des impressionnismes consacre ses galeries à ses créations directement inspirées du jardin d’eau de son peintre préféré. En compagnie du directeur du musée, Cyrille Sciara, l’équipe de Journal du Japon revient ici sur le travail et les aspirations de cet éternel amoureux de l’Eure.
Un trait d’union entre la France et le Japon
Né en 1941, le jeune tokyoïte se découvre une passion pour l’art grâce aux œuvres de Kawabata Ryûshi (qui a droit lui aussi à une exposition cette année, mais à Iwate). Il grandit et suit une scolarité à Nagoya où il se spécialise dans le nihonga. Mais pour rassurer ses parents, Hiramatsu Reiji s’engage ensuite dans des études de droit et d’économie. Malgré le diplôme obtenu, il réussit à faire carrière dans son domaine de prédilection. C’est toujours à Nagoya qu’il enseigne à son tour la peinture, réalise des illustrations pour la revue locale (Chûnishi) et inaugure sa première exposition personnelle. Au cours de sa vie, il a l’occasion de beaucoup voyager et exposer ses œuvres : Tokyo (Japon) mais aussi New York (États-Unis), Busan (Corée du Sud), Mexico (Mexique), Pékin (Chine), Taipei (Taïwan)… et Giverny.
Son travail lui permet de remporter plusieurs prix, dont le premier Grand Prix Okada-Mokichi du musée d’art MOA en 1988 puis le 12e en 2000. Il a réalisé des couvertures pour le magazine Bungeishunjû , de la décoration d’intérieure et des vitraux (l’un d’eux est présent à la station de métro Shimbashi, à Tokyo), mais surtout son propre jardin directement inspiré de celui de Monet !
C’est en mars 1994 que Hiramatsu Reiji a pour la première fois l’occasion de venir en France. Il profite alors d’une exposition lui étant consacré pour venir à Paris et découvrir Les Nymphéas de Claude Monet au Musée de l’Orangerie. Suite à sa découverte de l’artiste français, Hiramatsu revint plusieurs fois par an visiter ses jardins.
Le Musée des impressionnismes lui consacre deux expositions : en 2013 puis en 2016, dans le cadre du 160e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises. Les œuvres de Hiramatsu viennent progressivement compléter la collection permanente du musée. L’artiste japonais y ajoute gracieusement son matériel de peinture et plusieurs de ses créations, dont les 14 nouveaux paravents exposés actuellement à Giverny ! Vous pouvez consulter toute la collection du musée sur ce lien, dont des croquis et des toiles de l’artiste japonais qui ne sont pas présents dans la galerie.
Rencontre avec Cyrille Sciama
M. Sciama est le directeur général du Musée des impressionnismes depuis 2019 et conservateur en chef du patrimoine, ce qui lui attribue aussi le titre de directeur scientifique de l’établissement. Il a effectué plusieurs voyages professionnels au Japon, qu’il qualifie « d’un des plus beaux pays du monde ». Depuis son arrivée au musée, il entretient de bons rapports avec Hiramatsu. Il a pu par exemple, avec une partie de son équipe, visiter en sa compagnie son atelier à Kamakura en octobre 2022.
Journal du Japon : Bonjour M. Sciama. Nous vous remercions d’avoir accepté cet entretien. Pouvez-vous nous présenter la connexion entre Giverny et le Japon ? Et plus particulièrement entre votre musée et Hiramatsu Reiji ?
Cyrille Sciama : Bonjour. L’histoire du musée est étroitement liée à ce pays, par le nombre important de visiteurs japonais à Giverny et par la passion débordante de Monet pour la culture japonaise. Les visiteurs japonais représentent 3% de la fréquentation du musée, en sachant que 70% des visiteurs sont des Français. Grâce aux visiteurs de différentes nationalités (américains, européens, Chinois, Coréens…), nous rencontrons des gens du monde entier.
On a à cœur d’accueillir des artistes contemporains, tel Hiramatsu avec qui nous avons une longue histoire depuis l’ouverture du musée (2009). Le peintre était déjà venu à Giverny en 1994, depuis il y est revenu régulièrement et il voulait déjà travailler étroitement avec la Fondation Terra (le musée d’art américain). Ce fut finalement avec le Musée des impressionnismes, qui a repris la suite de la fondation. En 2013, l’exposition consacrée à l’artiste a permis de le faire découvrir au public majoritairement français.
Pourquoi avoir choisi de mettre cet artiste en avant cette année marquant les 150 ans de l’impressionnisme ?
Depuis 2020, Hiramatsu envisageait déjà de nous offrir ce cycle de paravents. Avec tous les évènements liés au Covid, l’occasion a été repoussée. Nous avons finalement décidé que son exposition pouvait convenir avec l’année des 150 ans de l’impressionnisme. Chaque année, deux à trois expositions sont programmées au Musée des impressionnismes de mars à janvier. On essaie de faire deux temps : l’impressionnisme historique sur des sujets inédits au printemps (tel « l’impressionnisme et la mer » en 2024 ou « les enfants de l’impressionnisme » en 2023) puis de l’art contemporain en été-automne. Lors de cette deuxième partie, on présente toujours une œuvre de Hiramatsu. A savoir que le nom complet du musée, bien que bizarre, est le Musée de l’Impressionnisme et ses Suites. Il est question des artistes du début du 20e siècle mais aussi de leurs successeurs.
Comment s’était déroulée l’exposition de Hiramatsu en 2013 ? Qu’est-ce-que l’exposition de 2024 apporte de nouveau ?
Dans la première exposition, c’était une présentation de son œuvre : des dessins, des estampes, des peintures… La sélection avait été faite dans l’urgence par le directeur de l’époque. Cette exposition nous a permis de publier un livre franco-japonais. Par la suite, nous avons acheté directement ses œuvres mais cette année, nous présentons des créations totalement inédites. Le public est habitué à voir ses œuvres, comme nous en présentons toujours au moins une chaque année.
Pour 2024, nous présentons les 14 paravents créés en 2019-2020 pour rendre hommage au bassin aux nymphéas de Claude Monet. Il s’agit d’un cycle complet des saisons avec des interprétations tantôt traditionnelles (printemps et été) tantôt surprenantes (automne et hiver). Ce qui en fait un artiste ne cessant jamais de se renouveler et de nous prendre au dépourvu. Nous avons ajouté à la galerie seulement deux tondo (un avec des sols pleureurs, un avec des peupliers) pour rappeler celui d’un des paravents. Les œuvres totalement inédites viennent directement de Kamakura et n’ont pas encore été exposés ailleurs.
Pouvez-vous nous détailler le style Hiramatsu et son rapport à Giverny ? Est-il considéré comme un artiste impressionniste ?
Bien qu’il ait pu voyager partout dans le monde, il va progressivement se concentrer sur la Normandie. Il va s’intéresser à Étretat, à Pourville, à Dieppe, et évidemment Giverny. C’est un artiste qui se sent profondément normand, à tel point qu’il souhaite être enterré ici. Hiramatsu est un homme qui recherche sans cesse la sérénité et la beauté de la nature à travers la peinture. Il essaie de transcender le réel, de montrer ce qui nous échappe et de nous apaiser en invitant à la contemplation.
C’est un artiste encore très productif, curieux et inventif, aussi bien fier de la culture de son pays que fasciné par le travail de Claude Monet. Il recherche continuellement l’adéquation entre son style de peinture et celui de son artiste français préféré. Il se considère lui-même comme un peintre impressionniste et je pense qu’il a bien compris les intentions de ce courant. Avec ses paravents, il apporte une touche d’originalité en restant flou quant à notre point de vue : le spectateur est-il au-dessus ou au-dessous de l’eau ? Il amène aussi des pointes d’humour. Sa faune discrète guide notre regard et apporte du dynamisme aux paysages (papillons, hirondelles, libellules…).
Quand on l’évoque au Conseil scientifique du musée, il y a toujours un débat quant il faut définir son style. Tantôt il est un peintre décorateur, tantôt un peintre impressionniste. Ses œuvres sont jugées soit trop contemporaines soit pas assez, ce qui montre et qui est fascinant qu’il a un univers à part et difficile à limiter à une catégorie. De son côté, il se considère juste comme un héritier de Monet.
Avez-vous une œuvre préférée parmi celles de Hiramatsu ?
Au musée, nous avons un paravent représentant Étretat que je trouve merveilleux. Parmi sa nouvelle collection, je suis fasciné par la série sur les érables rouges. Les dégradés de couleurs chaudes ont été faits à la main, sans pochoir, ce qui démontre sa patience infinie. Au fur et à mesure qu’on l’observe, on voit des taches blanches se détacher du paravent. On voit la neige tomber, un détail qui serait passé inaperçu si on aurait observé brièvement le décor. C’est aussi un artiste du silence, ce qui est agréable.
Quel est son rapport avec le travail de Claude Monet ?
Bien qu’il ait déjà pu voir des œuvres de Monet à Tokyo et dans d’autres pays, le coup de foudre a eu lieu à Paris quand il a visité le Musée de l’Orangerie. Il y serait resté une journée entière, captivé par Les Nymphéas qui y sont encore exposés aujourd’hui. C’est suite à ce choc qu’il a décidé de visiter la maison de l’artiste et qu’il y a vécu un deuxième bouleversement. Depuis, il aime se promener à Giverny, sans se limiter à la maison de Monet, ce que ne font pas les touristes en général.
Hiramatsu dit que Monet « met la nature sur ses toiles ». Tous deux sont très spirituels et vivent en communion avec la nature, concevant que la nature incarne Dieu (même si Monet était athée). On rappelle que Monet était très fasciné par le Japon, ce qui crée un échange mutuel intéressant entre les deux artistes. Hiramatsu aime ramener des touches françaises jusqu’au Japon, avec par exemple les paravents aux nymphéas mélangeant les deux cultures. Qu’il s’agisse de la bouteille de champagne, du sel de Guérande, de la tombe de Claude Monet, des marguerites de Gustave Caillebotte, la tapisserie de Bayeux, ou les falaises d’Étretat.
Savez-vous si Hiramatsu préfère l’un des paravents en particulier dans cette collection ?
Il s’agit de deux dytiques très petits, donc qui détonnent par rapport aux autres qui sont au contraire imposants. Ils fonctionnent par binômes et ils sont pour moi les œuvres les plus personnelles de Hiramatsu. Il y a le cycle des saisons concernant l’hiver, qui se démarque des autres paravents car étant le plus abstrait de la collection. Il rappelle les dernières créations de Monet à la fin de sa vie. Il se compose de plein de points blancs et d’autres ocres, en contraste avec les branches noires des saules pleureurs. Avec les reflets sur l’étang, on a l’impression que l’on est piégé sous la glace et qu’une tempête s’abat sur le jardin. On pourrait y voir un autoportrait de Hiramatsu quant à la fin de sa vie, en s’appropriant l’abstraction de Monet.
Hiramatsu et le courant impressionniste sont-ils célèbres au Pays du Soleil Levant ?
Hiramatsu est devenu pas mal connu au Japon, au vu de ses nombreuses expositions et ses commandes pour des édifices publiques. Le courant impressionniste est très populaire dans ce pays. On pense à cette très célèbre vente des tournesols de Van Gogh dans les années 80 qui avait défrayé la chronique. Ainsi, le public japonais s’approprie ce patrimoine français.
Ou pouvons-nous profiter en France des œuvres de cet artiste hors Giverny ?
Aujourd’hui, elles sont seulement accessibles dans notre musée. Nous sommes tout à fait prêts à en prêter ou à en vendre à d’autres musées, tel le Musée Guimet à Paris où ça ferait sens à sa collection asiatique. Ou le Musée des Arts Asiatiques à Nice. Pour le moment, nous continuerons de l’exposer et d’essayer de le présenter un peu partout ailleurs en France.
Nous remercions encore M. Sciama d’avoir accepté cette interview enrichissante sur le rapport intime entre Hiramatsu Reiji et le Musée des Impressionnismes. Si vous souhaitez en apprendre d’avantage sur le courant impressionnisme, M.Sciama avait participé avec d’autres spécialistes à une émission France Culture retraçant son histoire. Pour en apprendre plus sur le travail de Hiramatsu, son site officiel alimentera votre curiosité artistique. Pour en apprendre plus sur les arts traditionnels japonais, plusieurs visites guidées et activités familiales sont proposées par le musée tout le long de l’été et de l’automne. Le musée propose des spectacles de danse ou de calligraphie, des ateliers de peinture ou de pliages mais aussi des conférences. Vous pourrez par exemple rencontrer M. Sciama et profiter de sa présentation de l’exposition le 5 septembre (places gratuites à réserver à partir du 13 août).
Les ressources en ligne du Musée des impressionnismes regorgent de références à l’artiste japonais et à sa culture. Il est référencé dans l’histoire de la collection et son parcours est retracé dans l’une des 15 visites virtuelles. Le nihonga est traité comme l’un des grands thèmes du musée et ce dernier continue de conserver de très bons rapports avec Hiramatsu, ce qui en fait un artiste intimement lié au musée, et de son exposition une lettre d’amour ouverte à la Normandie.
Informations pratiques
- L’exposition « Hiramatsu Reiji, Symphonie des Nymphéas » se déroule du 12 juillet au 3 novembre 2024.
- Il est possible d’aller à Vernon en train depuis Paris Saint-Lazare (ligne J) puis à Giverny en bus (208) ou en petit train (Givernon).
- Le musée est ouvert de fin mars à début novembre de 10h à 18h, l’entrée est à 13€ et gratuite pour les moins de 18 ans.
- L’entrée est gratuite tous les premiers dimanches du mois (pour les mois de juillet-août-septembre c’est sous conditions).