Kids on the Slope – un effet bœuf
La confluence de grands esprits est toujours quelque chose d’assez tangent. On peut y trouver le pire comme le meilleur, mais avec un avis encore plus tranché qu’à l’accoutumée. De fait, la réunion d’individualités exceptionnelles génère des attentes telles qu’on ne peut espérer que la crème de la crème de leur collaboration. Parmi les fours notables de ces réunions manquées, notons NKOTBSB, ou la deuxième rencontre entre Wagner et Nietzsche. Le mouvement surréaliste, l’équipe des Galactiques de 2001 à 2003 ou l’Encyclopédie sont à ranger du côté du meilleur. Donc quand on lui annonce qu’un manga lauréat du prix Shogakukan va être adapté par le père de CowBoy BeBop, en équipe avec le chara-designer de Vision of Escaflowne et la compositrice de Memories et Macross Frontier (entre autres), l’amateur d’animation japonaise qui sommeille en nous bave en abondance.
(Article publié à l’origine le 2 juillet 2012)
A la base, Kids on the Slope (Sakamichi no Apollon en VO) est un manga de Yuki Kodama, dont c’est d’ailleurs le travail le plus notable. Publié entre 2007 et 2012, la série compte 9 volumes dont aucun n’a été pour l’instant édité en français. En 2011, le manga a remporté le 57ème prix Shogakukan – prix récompensant depuis 1956 les meilleurs manga publiés – dans la catégorie « général ».
You don’t know what love is
L’action se déroule entre 1966 et 1968, dans le Japon d’après-guerre, à une période où la reconstruction du pays a laissé la place à une importante croissance économique. On nous raconte l’histoire de Kaoru (interprété par Ryôhei Kimura), adolescent austère et sérieux, qui à cause du travail de pêcheur de son père est obligé de déménager des villes du Kantô (la région de Tôkyô) vers chez son oncle, dans la préfecture de Kyushu (sud du Japon), pour y faire son lycée. Très introverti et focalisé sur ses études du fait des hautes attentes de sa famille, il ne trouve refuge que dans le piano classique. Sujet fréquent à des crises d’angoisse, Kaoru ne trouve le repos qu’au grand air. Aussi, quand en classe son souffle devient court, il se précipite sur le toit du lycée. Seulement depuis peu, les clés donnant accès au toit sont entre les mains de Sentarô (doublé par Yoshimasa Hosoya), grand échalas au visage cicatrisé, plutôt enclin à la bagarre, mais au cœur finalement grand. Après une série de péripéties, Kaoru et Sentarô se retrouvent dans le sous-sol de la boutique de disques du père de Ritsuko (Yûka Nanri), amie d’enfance de Sentarô, pour y jouer des sessions de jazz. Oui, parce que Sentarô est aussi un batteur de jazz talentueux.
Toute la série va alors tourner autour de ces 3 personnages – Kaoru, Sentarô et Ritsuko -, de leur découverte de la vie et de l’amour, et de leur passion pour le jazz. Kaoru va se détendre et trouver son salut dans le jazz d’improvisation, laissant de côté le piano classique très réglé et oubliant le temps de quelques concerts la pression familiale, Sentarô va s’assagir et se laisser aller à ses émotions, et Ritsuko… eh bien Ritsuko qui semblait au départ être un personnage un peu transparent va s’affirmer en tant que jeune japonaise moderne.
Now’s the time
Comme dit en introduction, l’équipe créative aux commandes est un peu la crème des personnalités du milieu de l’animation japonaise d’aujourd’hui. Le chara design, fidèle au manga original, a été confié à Nobuteru Yûki, responsable des nez en trompette de Hitomi, Van et consort dans Vision of Escaflowne, mais qui a aussi travaillé à ce poste sur Paradise Kiss ou X le film.
La production a été confiée à Masao Maruyama, co-fondateur du studio Madhouse et fondateur du jeune studio MAPPA, dont la série est le premier projet. Notez que Maruyama est invité par Dybex lors de Japan Expo et qu’il y présentera justement la série.
La musique est le fait de la pétillante Yoko Kanno, compositrice qui a largement travaillé dans l’animation, de Porco Rosso à Darker than Black en passant par Wolf’s Rain et bien évidemment CowBoy BeBop, autre série où le jazz était omniprésent. En plus d’avoir composé et adapté certains classiques jazz pour la série, elle prête ses mains à Kaoru quand ce dernier s’enflamme sur le clavier. C’est sa 4ème collaboration avec le réalisateur.
Et donc, dernier mais pas des moindres, Shin’ichirô Watanabe se retrouve à la direction de la série. Réalisateur dont la réputation n’est plus à faire depuis CowBoy BeBop et Samurai Champloo, essentiels pour toute DVDthèque de japanimation qui se respecte, il a depuis diversifié ses casquettes, apparaissant de plus en plus souvent comme producteur musical, le son ayant un rôle très important dans ses travaux. Pour la première fois depuis longtemps, il assure ici la réalisation d’une adaptation, ses œuvres les plus marquantes étant des travaux originaux.
On pouvait s’y attendre, cette équipe de choc effectue ici un travail remarquable. L’animation est impeccable. Le trait, pourtant simple, prend vie avec fluidité, et la moindre expression faciale change avec naturel. On prend un véritable plaisir à voir la musique s’animer. Les plus perfectionnistes noteront par ailleurs que l’animation des baguettes de Sentarô et des mains de Kaoru sur les touches correspond aux notes jouées. Les seiyus, aguerris mais encore jeunes et plutôt en vogue, nous proposent une interprétation sans faille des personnages, accentuant l’aspect réaliste de l’histoire.
Left alone
Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Avec une petite dizaine de personnages bien écrits, Yuki Kodama et Shin’ichirô Watanabe nous transportent littéralement dans un Japon un peu désuet, que la lumière du soleil couchant transforme en photo aux tons sépia. Le contexte de la fin des années 1960 est parfait pour cette histoire initiatique. A cette époque, le jazz est déjà un peu dépassé, et les group sounds, copies nippones des stars pop internationales (Beatles, Turtles, Who et autres) naissent un peu partout et font se pâmer les jeunes nippones en fleur. Un parallèle a d’ailleurs lieu dans la série, mettant le groupe de Kaoru et Sentarô en opposition avec The Olympus, formation pop du lycée, lors de la fête culturelle.
Par ailleurs, le Japon de la fin des années 60, en proie à de nombreux mouvements sociaux (étudiants, contre l’occupation américaine, contre la guerre du Viêt-Nam qui fait alors rage,…), comme dans beaucoup d’autres pays, permet d’intégrer intelligemment l’histoire de Junichi, personnage secondaire au parcours trouble, grand frère de substitution pour Sentarô, et activiste impliqué. Le public (re)découvre quelle violence a pu être celle des affrontements entre étudiants et forces de l’ordre.
Enfin, la série aborde la question assez particulière de la famille japonaise post-1945. Les protagonistes sont nés au début des années 1950, dans un Japon encore troublé, vivant dans la frustration du vaincu, mais sans subir l’humiliation qu’a pu connaître l’Allemagne à la même époque, et qui veut donc prouver au monde qu’il existe en devenant la deuxième puissance économique mondiale. Le Japon technologique qu’on connaît aujourd’hui est ici en pleine gestation. Cependant, à cette époque, l’économie allant plus vite que le progrès social, des familles se sont retrouvées déchirées. Les trois protagonistes traduisent ce mal de l’époque : Kaoru ne connaît pas sa mère (en transparence, on comprendra qu’elle a mené une vie marginale à la limite de la prostitution – courante pour les jeunes japonaises dans l’immédiate après-guerre – même si elle n’est plus qu’hôtesse aujourd’hui), Sentarô, abandonné par sa mère, a été recueilli par sa tante et son oncle (ce dernier était par ailleurs alcoolique), et il n’est pas fait mention de la mère de Ritsuko, qu’on suppose décédée. La pression familiale est d’ailleurs un thème de la série récurrent : rejet, abandon, répudiation, déshéritage…
In a sentimental mood
Cet abandon familial (ou ressenti comme tel) laisse des personnages avec une blessure initiale. Blessure qu’ils essayent d’oublier, ou qu’ils ne gardent que pour eux. Avec l’amitié naît la confidence et l’ouverture.
Le duo formé par la paire Kaoru/Sentarô est simple, mais très bien écrite. Lier un profil d’intello froid et chétif à une brute au grand cœur, ça a déjà été vu. Mais le passé de chaque personnage transforme cette banale relation d’amitié/haine en une histoire qui va nous transporter sur les 12 épisodes et nous remuer émotionnellement. Ritsuko a ces mots très juste lorsque ces deux compères, que tout oppose a priori, se retrouvent pour jouer de la musique : « C’est comme si les deux princes charmants étaient rentrés en se disputant gaiement. »
Shakespeare faisait dire au Duc Orsino : « Si la musique est l’aliment de l’amour, jouez donc ! » dans La Nuit des Rois. Cet adage est ici on ne peut plus vrai, tellement la musique est vecteur de sentiment. L’amour, évidemment, mais aussi l’amitié, la tristesse, la colère, l’apaisement, la réconciliation… Un vrai condensé de ce qu’on attend d’un tranche de vie correct et tangible.
Dans ce flot d’éloges, on peut tout de même trouver quelques reproches, à commencer par les génériques de début et de fin qui semblent un peu hors sujet compte tenu du contenu très musical et jazzy de l’anime. De manière un peu minime aussi, on pourra trouver dommage que la série ne fasse que 12 épisodes, pour 9 volumes initiaux. On a l’impression que certaines intrigues, certes très secondaires – notamment les rapports entre Kaoru et sa famille – ont été passées à la trappe. Mais ce reproche se transforme finalement en qualités : le spectateur n’est pas perdu par une quantité d’histoires secondaires, et MAPPA ne prend le risque de produire que 12 épisodes, une économie non négligeable dans l’éventualité où la série se serait plantée.
Mais cet anime est bien. Il est même très bien. Excellent. Génial serait un peu exagéré. Mais toute personne se déclarant amateur de japanimation ferait une erreur en passant à côté. Assurément un anime qui figurera parmi les meilleurs quand viendra l’heure des bilans de l’année 2012, avec des moments d’une grâce rare, comme la conclusion de l’épisode 7. Kids on the Slope confirme la case de diffusion noitaminA comme une référence quand il s’agit de dénicher des séries matures et divertissantes, et on félicite Dybex d’avoir simulcasté gratuitement la série (NDLR : à l’origine la série a été diffusée sur le compte Dailymotion de l’éditeur), ainsi que Nolife qui l’a diffusé à son antenne. La série est à présent disponible en format DVD sur le site de Dybex et dans toutes les bonnes boutiques !