The Birth of Kitarô : les 100 ans de Shigeru Mizuki

Après avoir été diffusé à Taiwan, en Malaisie et à Hong-Kong, le film consacré à la jeunesse de Kitarô est finalement parvenu en France par le biais du festival d’Annecy 2024, en juin dernier. Le projet “The Birth of Kitaro: The Mystery of GeGeGe” (Kitarô Tanjô: Gegege no Nazo) vient marquer le centenaire de la naissance de son auteur culte Shigeru Mizuki, dont le manga “Gegege No Kitarô” est l’origine. Avec un ton plus mature que la série TV et de nombreuses références au folklore japonais, le film parviendra-t-il à trouver son public ici ?Tentons de décortiquer le phénomène Kitarô, à travers ses différentes adaptations et une interview de l’équipe du film !

Shigeru Mizuki, le véritable père de Kitarô

Le manga GeGeGe no Kitarô, publié entre 1959 et 1969 au Japon et dessiné par le mangaka Shigeru MIZUKI, est un véritable objet culturel et offre une fenêtre sur le Japon de l’époque. Son auteur, né en 1922, enrôlé dans l’armée japonaise pour participer à la guerre en 1942, sera durement marqué par celle-ci. Déployé en Nouvelle-Guinée pour soutenir les velléités expansionnistes du Japon dans la zone du Pacifique, il y perd un bras et finit prisonnier de guerre à Rabaul.

kitaro et Kasa-obake
GeGeGe no Kitarō ©Kodansha

À son retour au Japon, il commence par travailler comme dessinateur et conteur, notamment dans le cadre du théâtre itinérant “kamishibaï”. Cette forme de théâtre ambulant consiste à raconter des histoires tout en faisant défiler des images dans une petite “scène” (butai) en bois. Les thèmes sont souvent des histoires fantastiques, comme la plus célèbre “Ogon Bat”. Un cadre idéal pour Mizuki, passionné de folklore et surtout des fameux yokai.

Véritable anthropologue de son temps, on doit à Mizuki ses recherches extensives sur ces créatures folkloriques, parfois actualisant les figures retrouvées sur les estampes de l’époque d’Edo, ou dans d’autres cas créant pour la première fois une représentation visuelle de ces dernières. Son ouvrage le plus connu est certainement “Le dictionnaire des Yokai” (Pika Edition).

Sa rencontre avec le monde de l’occulte remonterait à son enfance (dans les années 1930), où une vieille femme du village lui racontait ses premières histoires de yokai. Il relate cette histoire dans son manga semi-fictif NonNonBâ, paru en 1977 au Japon, et en 2006 chez nous aux éditions Cornélius.

En 1960 commence la parution de Hakaba Kitarô (le cimetière de Kitarô) sous la forme de manga de prêt (Kashihon Manga). Le Kitarô de cette histoire est alors un personnage emprunté au théâtre kamishibai justement, popularisé par l’artiste Masami ITO à partir de 1933. La première histoire de Mizuki se nomme d’ailleurs “The Birth of Kitarô” et raconte les origines du jeune garçon. Difficile de savoir ce que celle-ci racontait à l’époque, mais en passant dans les colonnes du Weekly shônen magazine en 1967, cet épisode fait l’objet d’un remake et raconte en détail comment Kitarô, né dans un cimetière, est recueilli puis élevé par un humain du nom de Mizuki. À ce moment, le manga est renommé pour prendre le titre que l’on connaît tous aujourd’hui “GeGeGe no Kitarô”, l’éditeur Kodansha estimant que le titre et son héros étaient trop sinistres, et préférant créer un personnage à destination du jeune public.

On le voit déjà avec ce premier exemple, Kitarô connaîtra à travers les années un nombre impressionnant de remakes, jusqu’à la dernière série TV sortie à ce jour en 2018. Mais Kitarô est avant tout le produit de son époque, et pour bien saisir l’impact de la série, il faut nous plonger dans le contexte historique de sa création : l’ère Showa.

Kitarô, reflet de la période Shôwa

En 1960, le Japon entre dans la seconde moitié de « l’ère de la brillante harmonie ». Le pays, complètement dévasté après la fin de la seconde guerre mondiale, redouble d’efforts pour se réindustrialiser et se moderniser. La croissance économique des années 1960-1970 est portée par le développement de l’industrie lourde (automobile, acier, navale…) ; au total c’est 35,6% de la population active qui travaille dans ce secteur en 1970. Cette course au progrès technique cause d’importants dégâts environnementaux, touchant principalement l’air et l’eau. Ainsi, comme en occident depuis longtemps, l’Homme rompt son lien avec son environnement naturel et commence à se construire en opposition avec le fantasme d’une Nature vierge consacrée. Comme l’explique l’anthropologue Philippe Descola, la “Culture” moderne, symbolisée par la civilisation industrielle, voit ainsi la nature et les traditions comme archaïques, reflets d’un âge “primitif” pour les humains.

Shigeru MIZUKI avec sa série Hakaba Kitarô, puis GeGeGe no Kitarô, cherche à re-connecter les humains avec leurs traditions, le folklore japonais, le respect de leur environnement et des esprits qui l’habitent. C’est ce qu’on voit encore dans la série de 2018, où de nombreux épisodes commencent par mettre en scène un humain qui ne respecte pas son environnement ou bien ses semblables et se retrouve puni ou hanté par un yokai.

Ratichon
Ratichon se prélasse tranquillement le long de la Mizuki Shigeru road ©Keihin Nike

La version 2018 se distingue encore par sa critique explicite de la société japonaise moderne. Dans l’épisode 9 “La réforme du travail des kappa”, on y voit des kappa vivants de l’économie du troc et profitant de la nature environnante pour se nourrir de leur met favoris : les concombres. Jusqu’à ce que le vil Nezumi Otoko (Ratichon) vienne leur proposer de devenir des salarymen aliénés en échange du salaire faramineux de trois concombres de l’heure ! Après quelques péripéties et l’aide de Kitarô, les Kappa en burnout en viennent à la conclusion qu’une vie au grand air entouré des siens et tout en assurant sa subsistance quotidienne est bien plus paisible.

Le personnage de Kitarô (contrairement à sa première version de 1955 dans le théâtre kamishibai, où il était beaucoup plus négatif) joue ici un rôle de médiateur entre les deux mondes. Les yokai peuvent aussi parfois être en tort, et Kitarô vient alors enquêter, prenant le parti de la victime du conflit dans l’affaire en cours. Cette position de la part de Kitarô est expliquée par le fait que Mizuki (le personnage) l’ait élevé et pris soin de lui dans son enfance, ce qui lui a donné foi dans le genre humain. Le personnage de Mana Inuyama sert aussi cette fonction d’avatar de l’auteur : elle a des proches dans le village natal de Shigeru Mizuki (le mangaka), Sakaiminato, et vit à Chôfu où l’auteur a vécu la plus grande partie de sa vie.

Les premiers designs de Kitarô dans les années 60 et jusqu’au début des années 2000 en faisaient un personnage très sinistre, avec ses longs cheveux gras et son œil manquant caché derrière sa mèche. Ses caractéristiques faisaient d’ailleurs de Kitarô un véritable paria, à l’image de son créateur, lui aussi ayant un membre manquant (son bras perdu pendant la guerre).

Ce rapport aux marges se traduisait aussi dans son comportement, comme nous le rapporte sa fille Naoko Haraguchi, dans une interview pour Zoom Japan : “Il portait même des chemises à manches courtes sans essayer de cacher qu’il lui manquait un bras. […] La société japonaise encourage les gens à se conformer à des règles non écrites et à des coutumes communes, et tout le monde a tendance à se comporter de la même manière en public, mais mon père continuait à vivre à sa manière, sans se soucier de la façon dont il était jugé.”

En comparaison, les chara designs de la version TV 2018 de Kitarô et surtout Nekomusume (Misstigri) sont beaucoup plus charismatiques. Après le virage vers le moe dans les années 2010, Nekomusume revient au design original de “Hakaba” avec un look adolescent, mais plus “sexy”.

comparaison des différentes versions de chara design des personnages principaux de Kitarô le repoussant à travers le temps
Le premier design correspond au manga original « Hakaba Kitarô », le caractère sous le personnage signifiant « cimetière », les designs suivants correspondent aux versions de 1968, 1971, 1985, 1996, 2007

Le film Birth of Kitarô 

Le film The Birth of Kitarô, sorti en 2022 au Japon (pour le centenaire de Shigeru Mizuki) et projeté en 2024 au Festival d’Annecy, propose de lever le voile sur tout un pan de la genèse de Kitarô. Bien que reprenant le nom initial de la première histoire de Shigeru Mizuki, le film ne se concentre pas sur la naissance de Kitarô à proprement parler, mais sur les événements qui conduiront à cette dernière. On avait déjà appris à connaître Mizuki dans la série animée et le manga, ce père adoptif qui lui avait appris à aimer/apprécier les humains, mais cette fois-ci le film nous fait rencontrer son véritable père, Gegero, avant qu’il ne devienne Medama-Oyaji (“papa-oeil”).

Synopsis : Alors que Kitarô et Medama-Oyaji pénètrent dans les ruines abandonnées du village de Nagura, Medama-Oyaji se remémore les événements qui se sont déroulés dans ce village il y a 70 ans. Il se souvient de sa rencontre avec un certain homme et du destin qui les attendait tous les deux. Dans l’ère Showa 31 (1956), le village de Nagura était secrètement contrôlé par la famille Ryuga, qui dominait les cercles politiques et financiers du Japon. Mizuki, qui travaille à la Banque Impériale du Sang, entre dans le village sous prétexte de pleurer la mort du chef de famille, porteur d’ambitions et d’une mission secrète. Au même moment, le père de Kitarô entre dans le village à la recherche de sa femme. Au sein de la famille Ryuga, une lutte acharnée pour la succession a commencé. Pendant ce temps, l’un des membres de la famille est mystérieusement assassiné au sanctuaire du village. C’est le début d’une terrifiante série d’événements surnaturels.

© »Kitaro Tanjou: GeGeGe no Nazo » Production Committee

Série pour enfants, film pour les parents ?

Dans la série TV, chaque épisode prend la forme d’une mini enquête où Kitarô va bien souvent chercher à comprendre quel malicieux yokai se cache derrière des phénomènes inexpliqués. Les morts ne sont pas montrées à l’écran et s’apparentent pour la plupart à des “malédictions” (ex : être coincé dans un miroir), duquel le personnage pourra être libéré par Kitarô à la fin de l’épisode. Ici la formule est légèrement différente : on troque les simples enquêtes “bon enfant” pour un véritable scénario de roman noir, avec des histoires de succession, héritage, jalousie… Certains membres de la famille ont commis des meurtres, représentés de manière crûe à l’écran (œil empalé au-dessus d’une branche), et des histoires d’incestes circulent. Un récit à ne pas mettre entre toutes les mains donc, qui se rapproche plus d’un Higurashi no naku koro ni que d’un épisode classique de la saga. Le directeur de la photographie, Tomoyuki ISHIYAMA, parvient à installer une ambiance pesante et oppressante avec des tons rouges orangés qui se répondent entre les scènes au coucher de soleil et le sang des victimes. Cette atmosphère est renforcée par la bande originale de Kenji KAWAI, à qui l’on devait déjà la BO des séries Higurashi

En parallèle, pour son premier travail en tant que character designer, Toko YATABE donne un aspect plus mature aux personnages, et surtout fait des personnages masculins de véritable bishônen (beau garçon), à l’instar de Gegero et Mizuki. En effet, il n’est pas rare que, lorsque des séries “pour enfants” sont adaptées en film pour le cinéma, les producteurs essaient au passage de “draguer” les parents. Le film semble trop violent pour les enfants, mais les parents déjà familiers avec la licence par leurs enfants voient ici une occasion de rentrer dans la licence grâce à un scénario et des personnages plus adultes.

Les fans de sakuga ne seront pas en reste

L’avantage du film par rapport à la série TV, c’est encore des moyens conséquents qui permettent de se payer de véritables scènes d’action ambitieuses et de faire venir des grands noms de l’animation. Le money shot du film est ici sans nul doute assuré par Akihiro OTA. Son trait ondulé et irrégulier, identifiable au premier coup d’œil s’inscrit définitivement dans le courant de Shinya OHIRA, un autre animateur au style impressionniste marqué. Toutefois là où Ohira s’inscrit parfois dans un post-réalisme plus radical avec des formes presque métaphysiques, Ota de son côté garde un trait plus consistant qui lui permet de s’intégrer plus facilement dans des productions shônen mainstream. Dans une note de blog, Farawayawayfarer le décrit en ces termes : “En réinterprétant l’approche d’Ohira en matière d’animation – en la contextualisant dans la recherche d’un dessin « bon » ou « solide » – Ota traite le « style Ohira » précisément comme un style d’animation. Il devient un moyen et une méthode pour réaliser les objectifs conventionnels de la narration shônen.”

© »Kitarô Tanjou: GeGeGe no Nazo » Production Committee

Ainsi pour l’œil aiguisé, la scène tranche nettement avec le reste du métrage en termes techniques, mais garde le caractère “appealing” des personnages intact. De plus, en assurant un des rôles de Superviseur de l’Animation, Akihiro Ota démontre qu’il est capable de se porter garant de cette cohérence esthétique à travers tout le métrage. 

Mizuki et Shigeru, les pères de Kitarô

Comme nous l’avons déjà évoqué, les enjeux de ce film sont beaucoup plus sérieux que dans la série TV, une évidence pour le réalisateur étant donné la période post-seconde guerre mondiale dans laquelle s’inscrit le film (voir l’interview ci-après).

La ressemblance entre le personnage de Mizuki et l’auteur Shigeru Mizuki est alors encore plus frappante. Tout comme l’auteur, Mizuki est revenu profondément marqué par la guerre où il avait été envoyé pour conquérir les territoires d’Asie du Sud-Est. Plusieurs fois à travers le film, le personnage fait face à des épisodes de stress post-traumatiques.

Fidèle aux thématiques chères à l’auteur du manga, en plus du propos anti-guerre, le film traite de l’abandon des traditions et du bien être au profit du progrès technique. [Partie spoil] Le dernier tiers du film lève le voile sur les plans du grand antagoniste : synthétiser une mystérieuse molécule du nom “d’agent M” afin de créer de “super-employés” hyper productifs qui n’ont que très peu besoin de repos. Cette drogue n’est pas sans rappeler la Pervitine (méthamphétamine) utilisée par les nazis pour créer des “super soldats”. Les stocks restants après la seconde guerre mondiale ont continué à faire des ravages dans la population, notamment au Japon où les militaires et tous ceux qui travaillaient dans l’industrie de guerre étaient encouragés à consommer une méthamphétamine baptisée « Philopon » qui en grec ancien signifie « qui aime le travail ». Et comment cette pilule est-elle obtenue dans le film ? Je vous le donne en mille : à partir du sang des yokai, symbole évident de la nature et de la tradition, sacrifiées sur l’autel du productivisme. [Partie spoil-fin]

L’objectif de parvenir à faire un film plus adulte à partir de la franchise Kitarô, en convoquant des thématiques politiques, tout en respectant le message de l’œuvre originale, est un pari ici réussi. Toutefois, il reste avant tout un film de franchise ; ainsi on préférera être familier de l’œuvre de Shigeru Mizuki avant de s’y embarquer, ou au moins du folklore japonais pour comprendre les termes et références à la culture japonaise. Le film n’a pas encore de date de distribution française, et on peut comprendre au vu de ces éléments la réticence des distributeurs français à se saisir de ce film… Toutefois la série TV étant disponible chez Crunchyroll, on espère que les français auront la curiosité de s’intéresser à l’univers de Kitarô !

Interview avec l’équipe du film

Panel : Naoko Haraguchi la fille de Shigeru Mizuki, Go Koga le réalisateur, Tomohiro Haraguchi Directeur à Mizuki Production et Keisuke Naito producteur à Toei.

Le défi technique de l’adaptation au cinéma

JDJ : Le film est beaucoup plus sombre que la série, autant dans ses thématiques que dans sa réalisation, comment est née cette volonté de prendre un tournant plus mature pour le film ?

Go Koga : Alors déjà, les séries TV sont destinées aux enfants, mais nous avons décidé que ce film en revanche ciblerait les adultes. Le projet est né avant tout pour fêter le centième anniversaire de la naissance de Shigeru Mizuki, et donc au début on voulait parler des 100 dernières années, c’est-à-dire l’histoire contemporaine du Japon. Mais comme c’était un peu trop long, on a finalement décidé de décrire le Japon d’après-guerre. Shigeru Mizuki lui-même a vécu la guerre donc forcément, quand il y a le sujet de la guerre, le thème devient inévitablement sérieux.

Ce virage plus mature se traduit également par le character design. Comment le travail de Tôko YATABE (chara designer et Superviseur en chef de l’animation sur le film) se différencie de celui de Sorato SHIMIZU qui a officié sur la série TV de 2018 ?

Go Koga : En réalité pour les séries TV on pense avant tout au merchandising, c’est-à-dire tout le business autour des personnages, et donc on fait des chara-design en pensant aux produits dérivés qui vont être créés plus tard. Mais un projet de cinéma c’est différent, ce sont des œuvres cinématographiques donc c’est le thème le plus important et on n’a pas besoin de penser aux produits dérivés. Et c’est pour ça que j’ai demandé à Yatabe de faire des designs de personnages en gardant à l’esprit cette vision.

À la direction de l’animation, on retrouve Akihiro ÔTA, très connu pour son style unique. Est-ce que cela a été facile pour lui d’assurer ce rôle de coordination de l’animation ?

Go koga : Depuis toujours, j’ai entièrement confiance en son talent et avec lui on a déjà travaillé sur World Trigger et pour ce film de Kitarô je voulais qu’il y participe mais je n’étais pas certain qu’il accepte. Quand j’ai terminé le storyboard de la séquence de combat sur la terrasse je lui ai demandé si ça l’intéressait. Et c’est en regardant cette séquence qu’il a dit qu’il voulait travailler dessus.

C’est dans cette fameuse séquence de combat qu’on voit son style très personnel ressortir ; vous avez pourtant décidé de lui laisser cette plage d’expression intacte ?

Go Koga : C’est vrai qu’on peut dire qu’Ota a pris cette liberté pour faire son animation, mais en même temps il est vraiment resté très fidèle au storyboard. Ainsi tout en gardant le storyboard il a exploité son talent.

Entre fidélité et référence au manga

Avez-vous ressenti une pression particulière à enrichir le background de l’œuvre de Gegege no Kitarô sur un sujet aussi important que les origines du père de Kitarô ? Peut-être avez-vous demandé des conseils à Mme Naoko Haraguchi ?

Go Koga : J’ai surtout demandé des conseils au niveau de la personnalité de Shigeru Mizuki à madame Haraguchi, et selon elle c’était quelqu’un qui se posait beaucoup de questions sur le bonheur. Comment faut-il vivre pour être heureux ? Et comment peut-on atteindre le bonheur ? Ainsi ces pensées là m’ont beaucoup nourries.

Est-ce que le personnage de Mizuki était présent dès l’origine du projet ? Pour célébrer le centenaire de sa naissance, on peut voir dans le film à quel point le personnage n’est pas juste un caméo de Shigeru mais véritablement son “avatar” ?

Go Koga : En fait dans les mangas déjà il y a un personnage qui s’appelle Mizuki. Souvent l’auteur se sert de ce personnage comme d’un narrateur dans ses histoires, mais ce n’est pas exactement lui. Et dans le film le personnage qui s’appelle Mizuki n’est pas tout à fait Shigeru Mizuki non plus, mais évidemment on a été très inspiré par sa vraie vie.

Pouvez-vous nous parler du travail de recherches pour recréer cette atmosphère des années ‘50, je pense à la scène du train par exemple ?

Go Koga : En réalité j’aime beaucoup le cinéma japonais classique, et surtout les films japonais des années ‘50. Et cette époque qui est la même que celle du film est également l’époque de l’âge d’or du cinéma japonais : Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Yasujiro Ozu…

Et donc j’ai évidemment fait des recherches pour faire ce film mais en même temps c’est une période que je connaissais déjà assez bien.

En regardant le film, nous avons eu l’impression que vous souhaitiez montrer que le Japon d’après-guerre, quand l’œuvre originale de Kitarô est sortie et que le pays se développait économiquement à partir des années 50, n’était pas tant différent du Japon de la guerre, comme si il y avait une continuité jusqu’à aujourd’hui…

Go Koga : Oui je pense que c’est le cas. Dans le film d’ailleurs on entend un dialogue qui dit que “l’Empire s’est effondré et que le nouveau Japon commence” – plus ou moins, je ne me souviens pas exactement de la phrase – mais en même temps l’attitude du Japon quant au respect de son peuple n’a pas évolué, donc j’adhère totalement à cette idée.

Keisuke Naito : La remarque me semble très pertinente. D’ailleurs hier aussi on a un peu parlé de ça avec le réalisateur ; finalement la société japonaise ou bien la culture des entreprises japonaises n’a pas vraiment changé et c’est vraiment l’état actuel et la concentration de ce qu’on a connu ces dernières dizaines d’années. Et peut être que ce film est une bonne occasion de se reposer des questions.

Les origines de Kitarô

Kitarô vient du théâtre kamishibai (Hakaba no Kitarô), un art que S. Mizuki pratiquait lui-même. Est-ce que vous avez déjà eu l’occasion de le voir jouer ?

Naoko Haraguchi : Le titre de l’époque n’était pas exactement “Hakaba no Kitarô”, il y avait plusieurs histoires dans le kamishibai, par exemple “ja-jin”(homme-serpent) ou karate-kitarô. Et donc Mizuki dessinait des illustrations des kamishibai mais aujourd’hui il est impossible d’en trouver car il n’existait pas de reproductions à l’époque : il n’y avait que des dessins originaux. À l’époque du kamishibai, Kitarô n’était pas du tout le héros des histoires, c’était un personnage plutôt secondaire, et plutôt horrifique.

Tomohiro Haraguchi : Est-ce que toi tu sais ce que c’est le kamishibai ?

JDJ : Non pas vraiment, j’ai fait quelques recherches sur internet, mais il existe assez peu d’informations…

Tomohiro Haraguchi : En fait le kamishibai c’est un théâtre ambulant avec des papiers sur lesquels figurent des dessins. Ce sont des marchands de friandises pour les enfants qui déambulent dans des parcs et sont souvent en vélo avec un charriot, donc ce sont avant tout des vendeurs de bonbons qui racontent des histoires. Une histoire est composée de dix dessins et les textes sont écrits à l’arrière de chaque dessin, les enfants qui ont acheté des bonbons ont le droit de regarder le spectacle. Le vendeur/conteur raconte l’histoire en lisant les textes au fur et à mesure. Il arrivait généralement à Mizuki de faire donc en moyenne dix dessins par jour ! C’est surtout du business avant tout, il y a même un troisième acteur qui intervient entre le marchand de bonbons et le dessinateur : le dessinateur vend les dessins à ce coordinateur qui le revend ensuite au marchand de bonbons. Et donc tous ces dessins originaux sont perdus puisqu’ils sont vendus aux marchands, et c’est pour ça qu’elle même [Naoko] n’a jamais vu les dessins de son père.

Le manga Kitarô a vu passer de nombreuses adaptations en séries et films à travers les années ; quel rapport Shigeru Mizuki entretenait-il avec ces dernières ? À-t-il été un genre de consultant sur les séries ?

Tomohiro Haraguchi : Alors en fait il ne participait pas du tout, il confiait les projets à Toei.

Naoko Haraguchi : Oui en fait pour lui manga et animations étaient deux choses totalement différentes.

Le futur de Kitarô

Et finalement une dernière question pour conclure : on l’a dit, Kitarô est très imprégné du folklore japonais, est-ce que vous pensez que la saga et plus particulièrement ce film ont le potentiel pour parler à une audience étrangère ?

Keisuke Naito : Très honnêtement, nous ne pensions pas du tout au marché étranger quand nous avons monté ce projet. Au Japon le film a rencontré un certain succès et c’est sûrement ça qui a suscité l’intérêt à l’étranger. Maintenant oui ça m’a donné des idées, pourquoi ne pas penser au marché étranger à l’avenir !

Un grand merci au réalisateur Go Koga, ainsi qu’à toute l’équipe du film de nous avoir partagé ces précieuses informations sur la production du film et le théâtre traditionnel de rue japonais. Merci également à l’équipe de Toei Animation Europe, Isabelle Favre et Hayato Oishi, d’avoir organisé cette rencontre. Enfin un grand merci à Shôko Takahashi d’avoir assurer l’interprétariat !

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