L’été au Japon avec le chant des cigales !
C’est l’été au Japon ! C’est la saison parfaite pour revêtir le yukata, le kimono d’été, se rendre aux matsuri et découvrir l’archipel nippon avec ses nombreuses spécialités culinaires et traditions… Mais c’est aussi une ambiance sonore particulière avec le tintement du carillon japonais appelé fûrin, la « cloche à vent » et le chant des cigales ! Mais l’été se passe sous un tel ciel de plomb qu’il est souvent conseillé de visiter le pays du soleil levant en dehors de la période estivale pour lui préférer une période moins chaude comme le Hanami pour les cerisiers en fleur au printemps ou bien à l’automne, pour la saison des érables japonais (momiji) et leurs feuilles rougeoyantes (koyo). Aujourd’hui, Journal du Japon tente de vous faire changer vos habitudes pour vous faire aimer la période estivale et le chant des cigales.
Le « mystère » du chant des cigales dévoilé
Généralement, on entend plus les cigales que l’on ne les voit. Insector Haga, le spécialiste des insectes de Yu-Gi-Oh! est incollable sur la question et nous en dit un peu plus sur ce symbole de l’été japonais. Le saviez-vous ? La famille des cigales (Cicadidae) compte plus de 2 000 espèces différentes réparties principalement dans les zones tropicales. Au Japon, on peut observer pas loin de 35 espèces : on en retrouve même sur l’île la plus froide et la plus au nord de l’archipel, Hokkaido ! Leur cycle de vie est assez étrange : une fois au stade adulte, l’insecte « parfait » ou imago, ne vit qu’un mois ! Les œufs sont pondus à la fin de l’été et donnent des larves qui s’enfouissent dans le sol. La période larvaire souterraine dure plusieurs années. Après une première mue, la lymphe sort de terre et se fixe sur une tige ou un tronc pour commencer sa dernière mue dite imaginale. Le compte à rebours est alors activé et l’insecte a un mois pour se reproduire… avant de mourir. Le chant des cigales ou cymbalisation que l’on entend l’été sert aux mâles à attirer les femelles : dans l’abdomen du mâle, un muscle actionne la déformation d’une membrane qui produit un son amplifié dans une caisse de résonance et qui est évacué par des évents. La fréquence et la modulation de la cymbalisation est propre à chaque espèce permettant ainsi au mâle de trouver une partenaire sexuelle de son espèce, la femelle n’étant sensible qu’au chant de son espèce. D’ailleurs, c’est ce chant unique qui permet de différencier les espèces.
Des classiques littéraires et poétiques aux animés, un symbole de l’été dans la culture nippone
Par son chant qui se répète tous les étés, son apparence et sa durée de vie éphémère, la cigale a très tôt gagné sa place à part dans la culture japonaise avec son concept de mujō (無常), d’impermanence et du caractère éphémère de la vie. Prenons l’exemple du personnage principal du grand classique «Le Dit de Genji» où Genji tente de surprendre Utsusemi. Son plan échoue et elle lui échappe, le héros du roman ne retrouvant qu’une de ses robes qu’elle abandonna. Dans le poème qu’il écrira sur Utsusemi, en parlant de la robe, il utilisera la métaphore de la « mue de la cigale » (Utsusemi). L’insecte de l’été inspirera l’un des plus célèbres poètes japonais, Matsuo BASHŌ avec ce haïku :
静けさや (shizukesa ya) : Ah ! le silence
岩に染み入る (iwa ni shimi iru) : et vrille et vrille le roc
蝉の声 (semi no koe) : le cri des cigales
Le chant des cigales que l’on entend dans les séries animées est un moyen simple pour retranscrire l’atmosphère estivale, la chaleur et l’humidité que redoutent les touristes qui visitent le pays à cette saison. A ce simple son, le spectateur comprend tout de suite que l’action se déroule l’été. D’ailleurs, vous retrouverez cette ambiance si particulière, à coup sûr dans notre sélection d’animés de saison « L’été s’installe : quand les cigales chantent les animés ». Dans l’animé Neon Genesis Evangelion, après le Second Impact, la Terre et le Japon ont bien changé : tout le long de la série, le chant des cigales se fait entendre et figure comme un été sans fin… Dans la plupart des animés, et surtout dans ceux dits de tranches de vie, la saison estivale est souvent représentée avec les matsuri d’été, des parties de beach-volley, la chasse à l’épuisette d’insectes dont les lucioles, par exemple, avec le bruit des cigales en fond sonore. Dans le jeu vidéo Animal Crossing de Nintendo, l’ambiance estivale est parfaitement bien retranscrite. Les cigales apparaissent l’été et le joueur peut même participer à l’Insectosafari, événement durant lequel, muni d’un filet, le but est d’attraper et d’apporter à l’animateur du concours le plus gros insecte. Et pour revenir à l’univers de l’animation, Akira TORIYAMA s’est, semble-t-il, inspiré en partie des cigales pour créer le personnage de Cell dans Dragon Ball Z. Vous ne verrez plus ces insectes de la même façon dorénavant !
Si des poètes célèbrent la nature et immortalisent leur vie éphémère dans des haïkus, dans l’imaginaire des Japonais, le chant des cigales est aussi associé à la mort. La fête des morts, O-Bon, cérémonie bouddhiste pour accueillir et apaiser les âmes des ancêtres, tombe vers le 15 août, date qui correspond aussi à la capitulation du pays pendant la Seconde Guerre mondiale annoncée par l’allocution radiophonique de l’empereur Hirohito au peuple japonais. Les chœurs de cigales en fond sonore de ces événements expliquent cette association mortuaire qui colle à l’insecte.
La nature, une source d’inspiration
Si le chant des cigales est bruyant – il peut atteindre 120 décibels ! – et peut empêcher des Japonais de dormir en paix, en observant la nature, les scientifiques et ingénieurs peuvent mettre au point des innovations technologiques. S’inspirer du vivant et profiter des millions d’années de sélection naturelle et d’adaptation au milieu est loin d’être nouveau : Léonard de Vinci, l’un des pères du biomimétisme et de la bio-inspiration, analysait déjà à la Renaissance les oiseaux, les chauves-souris, les insectes, les poissons pour créer ses machines. Pour en revenir à nos cigales, l’étude de leurs ailes anti-reflets a permis à des chercheurs de développer des matériaux pour réduire les reflets sur nos écrans d’ordinateur ou de smartphone. Leurs propriétés antibactériennes, auto-nettoyantes et imperméables aident aussi à développer d’autres produits. Comme quoi, nature et haute-technologie se marient très bien !
Avec 35 espèces de cigales au Japon, chacune d’elles avec des formes, des tailles et des couleurs différentes, leur observation réserve des découvertes prometteuses. Elles ne sortent pas toutes à la même période, n’ont pas colonisé les mêmes habitats et n’aspirent pas la sève des mêmes arbres. Même leur chant est unique ! La plupart des noms s’inspirent du son qu’elles produisent. Les espèces les plus communes au Japon sont : l’abura-zemi qui doit son nom à son chant « jin jin jin » qui ressemble au bruit de la friture bouillante, abura signifiant huile ; la minmin-zemi est très populaire et son « miin-miin-min-min-miiiin » facilement reconnaissable est très souvent utilisé dans les dessins animés et les films ; la nii-nii zemi qui se camoufle sur l’écorce des arbres que l’on retrouve dans les forêts et les parcs ; et la « cigale ours », kuma-zemi, appelée ainsi en raison de sa grosseur, qui envahit désormais la capitale tokyoïte avec son « chan chan chan ». D’ailleurs, selon l’émotion qu’un réalisateur de fiction veut faire passer aux téléspectateurs, il choisit plutôt le chant de telle espèce de cigale plutôt qu’une autre.
A la chasse aux insectes !
Si les insectes font peur ou répugnent les adultes, les enfants attendent avec impatience l’été pour collecter les carapaces au sol, les exuvies, laissées par les larves de cigales après leur mue. Nombreux sont les petits Japonais à chercher dans les parcs et forêts avec leur filet et leur cage en plastique des spécimens adultes à capturer. Les cigales ne se laissent pas faire et dès lors qu’elles se sentent menacées, elles s’échappent en expulsant de l’urine pour surprendre leur prédateur. Attraper une cigale adulte est beaucoup plus difficile que ce que l’on pourrait croire. On pourrait penser à tord que plus le filet est grand et plus on maximise ses chances de réussite. En fait, les cigales ont moins de chance de vous échapper et de s’envoler si vous vous munissez d’un filet plus petit car plus précis et maniable. Très courantes pour être considérées comme un trésor précieux, si les enfants se donnent autant de mal pour les attraper, c’est avant tout par curiosité : quel type d’insecte peut bien se cacher derrière ce chant de l’été ? Pour avoir leur réponse, rien de mieux que de capturer une cigale pour l’observer ! Les Japonais aiment aussi attraper d’autres insectes comme le kabuto-mushi (scarabée rhinocéros) original avec son « casque de samouraï » ou le doryphore facilement reconnaissable à ses rayures jaunes et noires sur le dos. Ils ramènent à la maison criquets et scarabées et les adoptent comme des animaux de compagnie : les mères espèrent qu’ils ne deviendront pas des résidents permanents dans la maison. Des combats de scarabées sont malheureusement organisés pour savoir qui est le plus fort…
Impossible de parler des insectes de l’été japonais sans aborder le magnifique spectacle que les lucioles offrent la nuit au mois de juin. La pollution et le bétonnage mettent en danger les insectes luminescents mais la contemplation des lucioles est encore possible dans certaines villes qui organisent des festivals Hotaru no Yube. Rendez-vous au parc Hotaru Doyo de la ville de Tatsuno, l’un des meilleurs spots du Japon pour observer des milliers de lucioles survolant le jardin, pour une soirée magique ! Le jardin Sankeien de Yokohama organise aussi des soirées de contemplations des lucioles. Près de Tokyo, la ville de Fussa est populaire pour son festival des lucioles et son lâcher de 500 insectes qui a lieu à Hotaru-kōen, le « parc aux lucioles ». Tout comme les cigales, les lucioles sont très représentées dans la culture japonaise. Les grands poètes tels Kobayashi ISSA, Matsuo BASHŌ et Yosa BUSON les immortalisent dans leurs haïkus. Plus récemment, Le Tombeau des lucioles de Isao TAKAHATA du studio Ghibli est l’exemple qui vient à tout fan de l’animation japonaise.
Au Japon, le hit de l’été c’est le chant des cigales ! Le chant de cet insecte incarne cette saison, au même titre que les matsuri où l’on aime déambuler en yukata en dégustant un kakigori, cette fameuse glace pilée avec un sirop dessus, et en s’éventant avec un uchiwa, l’éventail rond ou un sensu, l’éventail pliant ! La vie éphémère de la cigale a inspiré les poètes dans des haïkus, dans des classiques littéraires comme Le Dit de Genji mais aussi dans la culture populaire et dans les films et séries animées. L’insecte est aussi un magnifique sujet d’étude pour la science qui en s’inspirant des propriétés anti-reflets, antibactériennes, auto-nettoyantes et imperméables de ses ailes a permis d’améliorer nos écrans d’ordinateur et de smartphones. L’été, il n’est pas rare de voir des enfants munis d’un filet et d’une cage à la chasse aux insectes dans les parcs et forêts, à la manière des scouts dans la forêt de Jade dans la série Pokémon. Pour aller plus loin, n’hésitez pas à (re)lire notre article « Japon : en promenade au pays des insectes » pour découvrir une sélection de livres sur les insectes au Japon.
D’après l’article retravaillé « What’s a Japanese summer without the noisy cicada? » (en langue anglaise) de The Japan Times (25/07/2019).
Article initialement publié le 3 août 2019.