Cthulhu no kami – Partie 2 : le Japon à 5 époques

La balance karmique est à l’équilibre. Le maître du jeu s’approche de vous. Son regard est impassible. Vous vous sentez comme un personnage de manga devant son sensei sans savoir si celui-ci va vous encenser ou vous punir. La tension est à son comble. Un jeton Giri est ajoutée à la balance. Vous êtes sauvé… pour le moment. Si vous voulez vivre ces sensations, venez découvrir le nouveau jeu du studio Deadcrows : Cthulhu no kami et la suite de l’interview de David Grollemund.

chtulu no kami
Feuille de personnage et balance karmique ©Studio Deadcrows – Photo de Morgane Mokhtari

La présentation du jeu de rôle et la première partie de l’interview consacrée au développement du projet ainsi qu’à ses différents intervenants et au choix des illustrations est disponible ici.

Comment avez-vous choisi les 5 époques ?

Déjà, on est partis sur plusieurs époques car on n’a pas su choisir. Toutes les époques ont quelque chose d’intéressant à raconter. Quand on pense au Japon historique, la première période qui vient en tête, c’est la période Edo. Avec cette relative paix qui s’instaure, il y a un côté huis clos du Japon qui donne un côté un peu mystique et qui a créé aussi tout ce mysticisme autour du samouraï qui n’est pas qu’un guerrier parce que pendant la période Edo, il fait tout sauf se battre en règle générale. L’ère Showa est intéressante pour deux points. Déjà, le mythe de Cthulhu remonte aux années 1920 donc beaucoup de scénarios se passent à cette époque aux États-Unis. Et aussi l’ère Showa inclut aussi la Seconde Guerre mondiale. Les atrocités commises pendant cette période est très propice pour l’horreur lovecraftienne.

L’ère Heian est moins connue du grand public mais la lecture du supplément permet de comprendre que les fondements de la culture japonaise prennent racines à cette époque. C’est la période phare de l’onmyôdô. C’est aussi un peu l’époque où on avait des personnes qui faisaient de la magie, enfin prétendaient faire une forme de magie de divination. C’est l’époque où on prétendait que les yôkai vivaient littéralement parmi les humains. C’est vraiment une époque où la frontière entre les 2 mondes est très, très fine, voire inexistante à certains endroits. Ce monde onirique va également influencer la manière dont dans le monde matériel on va placer des quartiers, on va construire les villes… Voilà, je trouve que c’est vraiment un fondement qui permet de comprendre la suite du développement des sociétés japonaises et de l’esprit nippon.

L’ère Meiji correspond à la réouverture du Japon. En Europe, il y a un regain d’intérêt pour l’occultisme. Donc on peut imaginer en combinant les deux aboutir à des scénarios intéressants comme des occultistes européens qui viennent essayer de trouver les secrets du Japon ou inversement des Européens qui font découvrir le mythe aux Japonais. L’idée est aussi d’introduire un choc culturel avec un Japon qui a été fermé pendant 250 ans et d’un coup, beaucoup d’étrangers qui peuvent venir, découvrir et apporter de nouvelles choses. A Chtulhu, c’est vraiment l’antagonisme qui est moteur. On se bat toujours contre quelque chose même si on a aucune chance de gagner. Forcément donc, une époque qui est source d’autant d’antagonismes peut apporter beaucoup de richesse au scénario. C’était donc difficile de s’en passer.

Les suppléments d’époque ©Emmanuel « Kahouet » Bouley, studio Deadcrows

Après l’époque moderne, correspond au Japon des années 2010, c’est une ambiance particulière. C’est un pays qui est dans un univers très différent du nôtre. Ils ont 15-20 ans d’avance sur nous dans certains domaines. Par exemple, les technologies sont vraiment dans le quotidien. Il y a donc des tas d’éléments qui sont très intéressants à traiter et qui a permis d’ouvrir l’opportunité de se demander ce que donnerait le mythe de Cthulhu si en fait il se virtualisait en créant une espèce de pendant virtuel. Après tout, ces entités qu’on dit cosmiques, interplanétaires qu’est-ce qui les empêcherait d’envahir le monde virtuel ? Donc ça nous donnait l’occasion de travailler sur ces questions, ce qui fait que l’époque moderne un supplément à part. L’ambiance est très différente avec presque un côté cyberpunk.

Pourquoi inclure des nouvelles dans les suppléments d’époque ?

Christophe Rosati a écrit cette suite de nouvelles spécialement pour la gamme. L’idée étant que pour transcrire une ambiance, une fiction peut être utile parce que cela permet d’utiliser un vocabulaire qu’on ne peut pas forcément utiliser dans un manuel de jeu de rôle. Cela permet de créer des ambiances qui sont parfois plus difficiles à créer quand on décrit le cadre. En effet, quand on décrit les cadres, on essaie d’être efficace et précis. Les nouvelles sont toutes centrées autour d’un personnage central qui est Hiro. Même si on n’est pas toujours en train de le suivre, on peut suivre des personnages qui découvrent des choses que lui a fait ou qui vont juste le rencontrer. Hiro est décrit dans certains des livres (il a aussi sa fiche de personnage) et en même temps, on n’a pas voulu trop le détailler parce qu’on voulait le laisser aussi entre les mains des joueurs.

Pourquoi avoir interconnecté le mythe et le folklore japonais ?

Couverture du coffret ©Emmanuel « Kahouet » Bouley, studio Deadcrows

On aurait pu imaginer que Cthulhu au Japon ou au contraire juste des kami, oni ou yôkai… sans mettre une seule entité de Chtulhu puisque l’univers japonais est déjà très riche. Le jeu est vaste et le maître du jeu peut choisir de n’inclure que le folklore japonais ou de n’inclure que le mythe dans ses scénarios. Mais les deux ensembles fonctionnent bien et se complètent. Mais dans l’esprit japonais, Cthulhu se fond naturellement : que ce soit la manière dont ils regardent le monde dont ils ont construits leurs mythes il y a vraiment cette présence de l’entité supérieure aux êtres humains et ça a été vraiment fluide de mélanger les deux. Toutes les entités ne sont pas présentes (notamment pour des questions de droits car certaines ne sont pas dans le domaine public). De même, dans le folklore japonais, un tri a été fait afin de ne garder que celles qui pouvaient se fondre avec le mythe de Cthulhu et d’avoir un résultat cohérent.

Dans Cthulhu no kami, est-ce le « vrai » Japon ou le Japon vu de l’occident ?

Bien sûr, on a beau vouloir être factuels, on a toujours un regard occidental sur le Japon. Même si on s’y intéresse beaucoup, malgré les lectures que l’on puisse faire, l’intérêt aux phénomènes propres japonais, on est toujours rattrapés par son regard d’occidental. C’est sûr que les Japonais ne le perçoivent sans doute pas du tout de la même manière. Il y a eu des grands débats entre auteurs pour savoir si on devait rester factuels ou si on pouvait faire quelques petites entorses historiques pour mieux servir son histoire. Il n’y a pas de bonne réponse car on produit un jeu et non un ouvrage historique mais c’est vraiment un choix. Moi, mon choix, cela a toujours été que si on ne pouvait pas utiliser le personnage historique ou un lieu par exemple, la solution était de créer un autre personnage ou de transposer l’intrigue dans un autre lieu. En général, les maîtres du jeu à Cthulhu aiment l’histoire, ils aiment pouvoir faire leurs propres recherches pour enrichir leurs scénarios. Et si la base qu’on leur donne n’est pas utilisable, ils risquent de se perdre. J’ai donc essayé de rester fidèle sur les faits. Par contre, la personnalité des personnages historiques a pu être interprétée. En effet, il y a ce que le personnage public a fait, les traces qu’il a laissé dans l’histoire mais on ne connait pas sa réelle personnalité ni ses motivations profondes.

Quel est votre public cible ?

Si on arrive à attirer des passionnés du Japon dans le jeu de rôle, ce serait le summum ! Alors, c’est un jeu qu’on a voulu accessible à tous, aussi bien aux personnes novices dans le jeu de rôle ou dans le culture japonaise. On a souhaité aussi que le jeu soit accessible à des non-initiés du Japon. C’était le but des suppléments d’époques de donner du contexte et d’expliquer la culture… Si un novice en jeu de rôle a envie de tester le jeu parce qu’il aime le Japon, le système choisi (Chroniques Oubliées) est suffisamment simple et facile à prendre en main. Il permet suffisamment de liberté tout en ayant un cadre auquel se référer pour ne pas être perdu. On espère que des personnes qui aiment le Japon seront intéressées par le jeu. Elles ont peut-être envie de pouvoir parcourir l’archipel d’une manière un peu différente, de voyager dans les époques, de rencontrer des personnages historiques, de participer à des moments historiques… Je trouve qu’il n’y a rien de plus intéressant que de prendre des grands événements qui vont changer, changer la face d’un pays ou même d’une région et de les faire jouer autour de la table, de les faire vivre. A l’époque moderne, on peut imaginer des scénarios autour de la catastrophe de Fukushima. A d’autres époques, on peut imaginer rejouer la bataille de Shigara. Il y a beaucoup de possibilités.

Que peut-on attendre pour la suite ?

Pour le moment, il n’y a rien d’écrit dans le marbre. Il y a des projets sur lesquels on discute, on échange mais on n’a rien de fixé. On pense notamment à des suppléments, soit sur un lieu particulier à travers les époques ou au contraire sur les lieux importants d’une époque. On envisage de proposer une campagne parce qu’il serait dommage de ne pas sortir notre version de la grande campagne de Cthulhu. En plus ça tombe bien, on a 5 époques donc on va pouvoir s’amuser un petit peu notamment avec le Karma qui peut influencer les générations futures. Et cela peut rassurer et motiver le joueur débutant de voir qu’il y a toute une série.

Quels sont vos conseils pour bien débuter ?

Pour bien débuter, je conseillerais de commencer par forcément lire un peu le manuel du meneur ou joueur. Peu importe, même pour le meneur, je recommande au début de ne pas mettre trop son nez dans les secrets. Commencer par lire un petit peu les règles avec une fiche de personnage à côté pour comprendre comment sont représentées les informations. Dans un premier temps je propose de zapper la création de personnages, il y a des prétirés qui existent. Il faudrait aussi lire la description de l’univers dans la voix de l’Eiyu parce qu’elle est plus succincte ce qui évite d’avoir trop d’informations d’un coup. Et après, ce que je conseille vraiment, c’est de commencer à faire une partie. C’est peut-être un peu déstabilisant de conseiller de ne pas tout lire avant de jouer, mais en fait c’est vraiment mon conseil : jouez !

Personnages ©Studio Deadcrows

Le scénario de la voie du Sensei est bien pour débuter. Dans les scénarios qui sont faciles à prendre en main, il y a aussi le scénario Alone in The Dark qui est un huis clos à l’époque Meiji dans un sous-marin, celui aussi qui est dans le supplément de l’écran. Le scénario La fille du daimyo est intéressant pour les fans du Japon qui s’y connaissent en histoire japonaise parce qu’on va incarner un groupe de joueurs qui rend visite à un daimyô. Il y a tout l’aspect protocolaire de ce genre de visite à exploiter ce qui permet de créer une sacrée ambiance. Éventuellement, s’il y a des morceaux de règles ou d’univers qui vous semblent manquer, allez les chercher dans les bouquins. Mais jouez une première partie parce que cela permet de faire pleins de liens. On comprend pas mal de choses en jouant, notamment comment la mécanique de jeu se met en place. On a par la suite un autre regard parce qu’on voit déjà comment ça se passe autour d’une table. Et c’est même pareil pour les joueurs. Un joueur, quand il a déjà joué un personnage dans l’ambiance, il sait comment cela marche et il se demande ce qu’il peut en faire. Et là, c’est le bon moment pour se mettre à la création de personnages. Après, s’il y a une époque particulière qui l’intéresse, il peut lire le supplément attaché.

Je vous laisse le mot de la fin.

Le jeu de rôle, c’est souvent du travail d’équipe mais là on est très nombreux à avoir travaillé à ce jeu, ce qui permet d’avoir plein de perceptions différentes et qui permettent de faire découvrir le Japon sous un autre angle ou de retrouver l’ambiance, les lieux découverts lors d’un voyage. On espère avoir fait un jeu facile à prendre en main qui est fidèle du côté historique afin que les connaisseurs puissent aussi apprécier le jeu. Et surtout JOUEZ !

Merci à David Grollemund pour le temps qu’il nous a accordé.

Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous en août à RPGers sur le stand de l’éditeur ou à Octogones à Lyon en octobre prochain pour des parties découvertes.

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