Pompo The Cinephile : 90 minutes pour convaincre
Présenté pour la première fois en France lors des Saisons Hanabi en juin dernier, Pompo The Cinephile débarque enfin sur les écrans français pour une sortie nationale le 3 juillet 2024. Premier film de son réalisateur Takayuki HIRAO à parvenir chez nous, Pompo The Cinephile nous entraîne dans les coulisses de Nyallywood à la rencontre d’un casting de personnages hauts en couleurs, tous guidés par une seule passion : le cinéma.
Bienvenue à Nyallywood!
Alors qu’il avait pris le nom “Coming Soon” pour sa sortie événementielle l’an dernier, le film récupère cette année un titre plus proche du webcomic original, Eiga Daisuki Pompo-san, du mangaka Shogo SUGITANI. Le désormais nommé Pompo The Cinephile nous conte donc l’histoire de Gene, assistant de production sur les films de séries B dont raffole la très renommée productrice Joelle Davidovich “Pompo” Pomponette, qui va un jour avoir l’opportunité de réaliser le premier “film d’auteur” de cette dernière.
Comme nous le montre immédiatement le film avec sa scène d’introduction, qui présente les personnages principaux en fonction de leur rôle sur le plateau, Pompo The Cinephile assume un côté didactique sur le fonctionnement du monde du cinéma. On commence donc avec Pompo, l’énergique et charismatique productrice, responsable de la conception du film. C’est elle qui va réunir les moyens financiers, engager les acteurs, superviser le script et choisir le réalisateur. On reconnaît un grand producteur à son carnet d’adresse, et Pompo a hérité de tous les contacts de son grand-père, un très célèbre producteur de Nyallywood. Elle se rend également régulièrement sur le plateau afin de vérifier le bon déroulement du tournage et superviser l’enregistrement de la bande-son. Ce rôle convient donc parfaitement au tempérament explosif et survolté de la petite Pompo, toujours enjouée mais qui dirige son équipe d’une main de fer. D’un œil aiguisé, et attentive aux gens qui l’entourent, elle se rend très vite compte du potentiel de son jeune assistant, Gene.
Le rôle d’assistant de production, contrairement à celui de producteur, est exclusivement technique. Toutefois ce poste leur permettant d’acquérir de grandes connaissances sur toutes les étapes du processus de production, il n’est pas rare qu’ils finissent par basculer vers des rôles plus créatifs en devenant eux même producteurs ou réalisateurs ! Et c’est cette lueur de créativité que Pompo va apercevoir dans le regard de Gene. Ou plus exactement, son absence de lueur. « Les gens épanouis dans leur vie finissent par avoir une vision trop superficielle, […] alors que les parias comme toi doivent redoubler d’imagination pour créer leur propre monde, ce qui les rend plus créatifs… C’est un compliment. » précise-t-elle. Pendant ce temps, le film offre au spectateur une manière encore plus frontale de représenter ce « regard cinématographique » qui donne lieu à une très belle idée de mise en scène, avec Gene qui regarde une fille sauter dans une flaque, zoom, sa pupille se transforme en obturateur, gouttes d’eau en suspension, freeze frame, dé-zoom, retour à la troisième personne.
Suite à cela, notre héros se voit alors confier le montage d’une première bande annonce pour le dernier film de Pompo, comme une sorte de mise à l’épreuve. Tout l’enjeu pour HIRAO était alors de faire ressentir au spectateur le challenge et la pression que représente l’action de tailler 1h30 de film pour en faire 15 secondes de vidéo. Et, un peu à la manière de Death Note qui rend l’écriture dans un carnet grandiose, Gene se bat ici contre des bobines de films dans lesquelles il doit littéralement découper des morceaux (alors qu’en réalité il est juste assis devant son ordinateur sur Premiere Pro).
Après ce franc succès, Pompo lui confie alors immédiatement la réalisation de son prochain film, rien que ça ! On découvre alors un troisième personnage clef, et un troisième métier, avec Nathalie, jeune actrice débutante, campagnarde venue à la grande ville de Nyallywood pour réaliser son rêve (jusque-là, classique, me direz-vous !). L’occasion de nous livrer un training montage galvanisant, aux côtés de l’une des plus grandes stars de Nyallywood et actrice fétiche de Pompo, Mystia. Pour partager l’affiche, la jeune comédienne est accompagnée de Martin Braddock, un genre de Brando-like sur le retour, grande star de son époque.
Ce tournage permettra de nous focaliser sur le poste de réalisateur cette fois-ci : travailler en équipe, trouver les bons cadrages, gérer les imprévus… Mais globalement le tournage se passe bien et l’impression qu’en retire le spectateur est réellement cet aspect « aventure collective » ; aucun plan, aucune ligne de scénario n’est gravée dans le marbre ; chaque personne impliquée dans le processus, du technicien au comédien, peut avoir une idée brillante qui viendra sublimer le film. C’est une vision des choses assez idéalisée, le réalisateur le reconnaît lui-même en interview, mais c’est quelque chose auquel il s’identifie volontiers : « Je me retrouve dans ce sentiment de joie que l’on ressent à créer des choses, et dans les moments joyeux où les personnages se déplacent et travaillent ensemble, en groupe. C’est pareil à l’organisation d’un festival d’école. »
En ressort alors un aspect film d’action/comédie familiale. Il y a certes des embûches mais les personnages sont tous relativement bienveillants : Mystia prend à cœur son rôle de coach pour la jeune rookie, sans vouloir lui mettre des bâtons dans les roues ; Braddock aurait pu être la star insupportable, mais finit lui aussi par devenir cette figure de mentor. Le tout saupoudré de cet esprit shônen/dépassement de soi incarné par nos deux jeunes héros qui lancent leur carrière et veulent faire de ce premier film un accomplissement mémorable.
De la même façon, cette vision idéalisée ressort quand l’aspect financement du film est abordé. On nous présente bien au début les banquiers comme des acteurs économiques rationnels qui ne peuvent se risquer à investir dans un film d’un réalisateur inconnu. Pendant qu’un autre dira finalement : « les banques ne sont-elles pas faites pour financer les rêves des gens ?? »
Cette absence d’antagoniste principal est d’ailleurs un des aspects du manga qui a séduit HIRAO lorsqu’un producteur l’a approché pour lui proposer une adaptation de l’œuvre. En effet, Pompo et son précédent film, Magical Sisters Yoyo & Nene, partagent cette particularité de ne pas avoir « vraiment de méchant distinct ».
Mise en abîme animée
Les scènes de tournage d’un film réaliste sont également des moments clefs pour ce fameux côté meta « film dans le film » : on alterne alors de manière fluide entre Pompo The Cinephile (le film que nous, les spectateurs, sommes venus voir) et MEISTER (le film que les personnages sont en train de tourner). Pourtant les deux films répondent à des codes bien distincts. L’histoire principale est « filmée » comme un animé, avec une caméra très libre, qui ne répond à aucune règle physique : « si une personne est devant la caméra et qu’il y a une autre personne à l’arrière-plan, vous pouvez simplement réduire la distance entre la personne et l’arrière-plan » explique le réalisateur. C’est un procédé que l’on voit beaucoup à l’œuvre dans le film, mais aussi dans ses précédentes productions. Dans The Garden of Sinners: Paradox Spiral par exemple, il donne l’illusion d’utiliser une caméra en 3D, mais sans les limites techniques d’une véritable caméra (Attention ça donne le tournis). En revanche, les scènes du film dans le film sont censées représenter un véritable film en live-action, alors plus question de tricher, le format d’image passe en cinémascope, et la caméra ne réplique que les mouvements d’une véritable caméra. Cet amour à la fois des animés et des live action fait sens quand l’on sait que le réalisateur se destinait à l’origine aux films en prise de vue réelle, depuis ses études à l’Université des Arts d’Osaka. Mais les hasards de la vie et une passion équivalente pour l’animation l’ont finalement conduit dans cette branche !
Cette passerelle entre animation et live action se traduit également dans le compositing (étape finale du processus de production où l’on ajoute tous les effets, que ce soit particules, VFX, lumières, ombres…). Il explique que lorsqu’il a commencé sa carrière de réalisateur « Il y avait un mouvement qui visait à faire du compositing dans les animes quelque chose qui se rapprochait plus de la manière dont on filme avec une caméra, et cela est toujours d’actualité ». Il nous enjoint à rester attentif durant notre visionnage aux variations de couleurs dans les ombres et les jeux de lumières, censés donner l’impression d’être tournées dans des lieux réels.
Évidemment cette alternance de plans dans la narration fait penser à Millenium Actress, et le film de Satoshi KON vient d’ailleurs immédiatement en tête. Par sa thématique sur le monde du cinéma, mais surtout par la mise en scène, ces plans de transitions très travaillés et inventifs pour passer du monde réel au monde du cinéma, ou d’une scène à l’autre. Nul doute que sa collaboration avec KON par le passé a été très formatrice. Car en effet, le réalisateur était assistant de production sur… Millenium Actress ! À propos de ses débuts en tant que jeune rookie de l’industrie, il commente d’ailleurs son travail sur Paranoïa Agent (une autre série de KON) : « J’étais très jeune à l’époque, entouré de vétérans de l’animation. Je pensais que j’allais finir écrasé sous la pression. Mais en fin de compte, j’ai beaucoup appris et ce que j’ai appris là-bas est devenu une grande partie de ce que je suis en tant que réalisateur, et m’a aidé à construire mes fondations en tant qu’animateur. »
En parlant de ses expériences passées, il évoque également son travail sur God Eaters, une série d’animation qu’il a réalisé au sein d’Ufotable. « Pour les films, il s’agit de soustraire des éléments de l’ensemble, alors que pour la télévision, il s’agit d’ajouter plusieurs couches d’intrigues. » En comparaison, le travail de réalisateur de film semble plus frustrant et plus difficile car il a plus de choix à faire. Encore une fois, ces difficultés rencontrées par le réalisateur prennent sens quand on voit la scène où son héros, Gene, doit littéralement se battre avec ses 72h de rush pour les faire tenir en 1h30 de film. 90 min, car c’est la règle que s’est fixée Pompo : dans notre monde hyper connecté où nous avons de moins en moins de temps, 1h30 c’est la limite de temps que l’on peut décemment prendre aux gens. Règle à laquelle s’astreint évidemment notre réalisateur dans la vraie vie véritable, pour continuer à entretenir la cohérence entre les deux films ! « Lors du montage, j’ai donc dû couper des parties des dialogues pour réduire le nombre d’images, et j’ai dû le faire plusieurs fois pour respecter la durée du projet. »
Et si la solution ce n’était pas de re-shooter des scènes, comme le demande Gene ? Finalement, le cinéma ne serait pas qu’affaire de soustraction.
Pour finir, Pompo The Cinephile est une très belle réussite, surtout au vu du peu d’expérience du réalisateur et du studio d’animation (CLAP) qui avait majoritairement travaillé comme intervalliste jusqu’à maintenant (même si pour de grosses productions, certes : Tower of God, Vinland, Saga, Spy X family). La force du film réside dans son mélange des genres, à la fois une comédie familiale avec des purs éléments de shônen, mais aussi des moments dramatiques touchants avec le « film dans le film ». Loin d’être déroutante, cette variation de styles permet au film de se renouveler et, je l’espère, attirer un public varié.