La trilogie du sabre : une philosophie des arts martiaux
Journal du Japon vous emmène aujourd’hui dans le monde du sabre avec trois textes du 16e – 17e siècle qui forment ce que l’on nomme « la trilogie du sabre ». Trois textes fondateurs, qui restent des références indispensables à tout pratiquant d’arts martiaux, parus chez Budo éditions. Un moine, deux maîtres de sabre : trois auteurs bien différents mais qui se sont certainement croisés de leur vivant et qui nous offrent divers points de vue sur la philosophie des arts martiaux, et sur l’histoire de leur pays.
Le livre des cinq roues – Musashi MIYAMOTO
Nous ne présentons plus Musashi MIYAMOTO, maître de sabre né en 1584 dans la province de Mimasaka (actuel Okayama), rônin qui a fondé sa propre école, et l’une des figures historiques les plus connues de la culture populaire actuelle. Devenu le héros de Musashi (La pierre et le sabre et La parfaite lumière) le roman-fleuve d’Eiji YOSHIKAWA et de nombreux films, mangas et autres, il est l’auteur du « Gorin no sho« , Le livre des cinq roues. Une œuvre classique qui est désormais un best-seller : ouvrage de stratégie militaire qui sert de nos jours de références aux salarymen souhaitant gravir les échelons de leur entreprise ! Si cet ouvrage résonne toujours dans le cœur de nos contemporains, c’est bien grâce à l’aspect polyvalent de la voie du sabre.
Nombreux sont les hommes qui pensent que, même s’ils étudient la Voie des arts martiaux, les capacités qu’elle développe ne seront d’aucune utilité lorsqu’ils seront confrontés à des situations réelles. En fait, la véritable Voie des arts martiaux consiste à pratiquer de manière à ce que ces capacités se révèlent utiles en toutes circonstances, et à enseigner de manière à ce que ces capacités trouvent leur utilité en toutes choses.
Divisé en cinq parties qui font écho aux cinq éléments – Terre, Eau, Feu, Vent et Vide – cet ouvrage propose de réfléchir à ce qu’est véritablement la Voie du sabre, à rendre concrète et applicable la philosophie contenue dans ce terme. Texte fondateur de l’école fondée par Musashi MIYAMOTO, la Nitten Ichi ryû (littéralement « deux cieux en un seul courant« ) il a la particularité d’utiliser deux sabres à la fois. Il étonne parfois, désacralisant l’esprit du budô en privilégiant la victoire plutôt que les codes d’honneur guerriers… Comme lorsqu’il explique la manière de se placer dos au soleil afin d’éblouir son adversaire au moment de l’attaque ou de garder une poignée de sable dans la main afin de la lui jeter dans les yeux avant de se lancer.
Un ouvrage aussi fascinant que déroutant, servi par l’interprétation qu’en fait Stephen KAUFMAN, 10e dan de karaté qui a derrière lui quarante années d’expérience des arts martiaux et qui a mené des études passionnées sur l’œuvre de Musashi.
Le sabre de vie – Munenori YAGYÛ
Né en 1571, Munenori YAGYÛ est considéré comme le plus grand maître de sabre de la maison des shôgun Tokugawa. Anobli en 1636, il fut le bras droit de Iemitsu TOKUGAWA (1604-1651) et celui qui continua de codifier la Yagyū Shinkage-ryū, l’un des styles de sabre les plus reconnus. Précédé d’une longue introduction de William SCOTT WILSON et suivi de notes détaillées, cet ouvrage propose une approche à la fois philosophique et pratique des arts martiaux.
Ne penser qu’à gagner est une maladie. Ne penser qu’à faire usage de l’art martial est une maladie. Ne penser qu’à montrer le résultat de votre entraînement est une maladie, comme peut l’être le fait de ne penser qu’à porter une attaque ou attendre d’être attaqué. Être obsédé par l’obligation de se débarrasser de ces maladies est une maladie en soi. Tout ce qui reste en permanence dans l’esprit doit être considéré comme une maladie. Comme ces différentes maladies sont toutes présentes dans l’esprit, vous devez mettre de l’ordre dans votre esprit et les chasser.
Sur certains aspects, les écrits de Munenori YAGYÛ sont une sorte d’antithèse du Livre des cinq roues. Là où le fondateur de la Nitten Ichi ryû place la victoire au dessus de tout, le maître d’arme des shôgun présente l’esprit de compétition comme une maladie qu’il est nécessaire de combattre avant tout. Guide martial philosophique qui passe du Sabre instrument de mort au Sabre source de vie, ce livre amène autant les budôka à repenser leur pratique que les simples lecteurs à découvrir un pan de la pensée contenue derrière la fameuse voie du sabre.
L’esprit indomptable – Takuan SÔHÔ
Né en 1573 dans l’actuelle préfecture de Hyôgo au sein d’une famille de samouraïs, Takuan SÔHÔ fut un moine bouddhiste qui devint notamment le prêtre supérieur du Daitoku-ji à Kyôto. Également calligraphe, peintre poète et maître de thé, conseiller et confident de grands personnages historiques, que l’on dit aussi ami de Musashi MIYAMOTO, c’est l’un de ces hommes qui semblent avoir vécu mille vies en une et avoir su jouer avec les opposés.
Dans la préface de L’esprit indomptable, William SCOTT WILSON écrit que la vie de Takuan SÔHÔ pourrait se résumer par l’une de ses admonestation : « Si vous placez vos pas dans ceux du monde tel qu’en lui-même, vous vous retournerez en chemin ; si vous ne voulez pas vous retourner, ne suivez pas le monde. » Composé de trois écrits intitulés Le récit mystérieux de la sagesse immuable, Le son clair des joyaux et Les annales du sabre Taia, cet ouvrage est le plus philosophique de la trilogie. L’auteur se donne pour mission d’unifier zen et sabre – deux activités a priori opposées – en un seul et même mouvement de penser et d’être au monde.
Quoiqu’un homme puisse faire, s’il génère l’esprit qui pense à faire quelque chose, son esprit s’arrête sur cette chose. C’est pourquoi l’homme devrait développer son esprit sans lui fournir d’endroit où s’arrêter.
Si l’esprit n’est généré, la main ne pourra se mouvoir vers l’avant.
Ceux qui lorsqu’ils bougent engendrent la pensée qui normalement s’arrête dans ce mouvement, mais ne s’arrête pas au cours de l’action, ceux-là sont appelés maîtres de toutes les Voies.
C’est presque un livre de développement personnel avant l’heure que nous offre le moine zen avec cet ouvrage. Le sabre, comme la voie du zen, sont là pour nous aider à trouver notre chemin intérieur, à réfléchir à notre manière de gérer nos actes et nos pensées.
Amateurs d’arts martiaux ou simples passionnés de culture japonaise, vous trouverez dans ces trois livres de quoi nourrir votre pensée et votre soif de connaissances ! Et si cela n’est pas déjà fait, leur lecture vous amènera peut-être à pousser la porte du dôjô le plus proche de chez vous…