L’été de la sorcière, retrouver l’harmonie intérieure au contact de la nature
L’été de la sorcière, de Kaho NASHIKI, est publié en 1994 au Japon. Il y connaît un grand succès, obtenant trois prix et même une adaptation cinématographique en 2008. L’autrice écrit des romans pour adultes, mais aussi des livres jeunesse. L’enfance est un thème qui lui tient à cœur : l’inspiration de son propre vécu se ressent d’ailleurs dans L’été de la sorcière. Lors de sa réédition en 2017, le livre est agrémenté de trois nouveaux chapitres. Sa sortie en poche en janvier 2024 est l’occasion pour Journal du Japon de vous présenter ce roman d’apprentissage bucolique. Vous l’aviez peut-être découvert dans notre article Adolescence et Adolescents : des livres qui font du bien…, nous vous en proposons maintenant sa critique. Malgré un récit qui nous laisse une sensation d’inachevé, l’écrivaine parvient à explorer des thématiques profondes avec une grande modernité.
L’été de la sorcière, récit plaisant, mais nébuleux
Un roman délicat
L’été de la sorcière nous propose de passer un moment avec Mai, jeune collégienne, et sa grand-mère.
On passe lentement un col et au bout de la route, dans la forêt, c’est là. La maison de la grand-mère de Mai, une vieille dame d’origine anglaise menant une vie solide et calme au milieu des érables et des bambous. Mai qui ne veut plus retourner en classe, opprimée par l’angoisse, a été envoyée auprès d’elle pour se reposer. Cette grand-mère un peu sorcière va lui transmettre les secrets des plantes qui guérissent et les gestes bien ordonnés qui permettent de conjurer les émotions qui nous étreignent. Cueillir des fraises des bois et en faire une confiture d’un rouge cramoisi, presque noir. Prendre soin des plantes du potager et aussi des fleurs sauvages simplement parce que leur existence resplendit. Écouter sa voix intérieure.
Ce n’est pas le paradis, même si la lumière y est si limpide, car la mort habite la vie et, en nous, se débattent les ombres de la colère, du dégoût, de la tristesse. Mais auprès de sa grand-mère, Mai apprendra à faire confiance aux forces de la vie, et aussi aux petits miracles tout simples qui nous guident vers la lumière.
Ce livre qui prend sa source dans les souvenirs d’enfance de l’écrivaine coule en nous comme une eau claire.
Un récit parfois vague
Ce roman propose de belles descriptions de la campagne japonaise. Il donne envie d’y flâner, de découvrir l’endroit favori de la jeune Mai et de s’y asseoir à ses côtés. L’amour des fleurs, des plantes, des minéraux, nous recentre sur la nature. Si vous êtes à la recherche d’action et d’aventures, passez votre chemin. Ici, nous prenons le temps. La grand-mère de Mai lui apprend à cadencer ses journées, mais sur un rythme à l’écoute de son environnement, loin de la frénésie urbaine.
Ce récit d’apprentissage ouvre donc une parenthèse apaisante dans la vie d’une jeune fille en proie à l’anxiété. Ce n’est pas pour autant un roman feel-good : certes, de nombreux moments sont oniriques et pleins d’espoir, mais d’autres sont empreints de dureté et de tristesse. Si l’endroit est joliment décrit et donne envie de s’y plonger, d’autres éléments peuvent manquer au lecteur, notamment sur le vécu des personnages, leur donnant un manque de profondeur. Cependant, la simplicité et la sobriété étant au cœur du roman, ne pas pousser trop loin le background des personnages répond à une certaine logique.
De même, le dénouement peut paraître expéditif et vous laisser sur votre faim. On reste sur une impression d’inachevé, malgré les compléments de 2017. Toutefois, la lecture est très fluide. L’on peut ressentir une légère différence de style entre le roman initial de 1994 et les rajouts de 2017. Malgré l’écart de 23 ans entre les deux versions, les thèmes abordés sont toujours d’actualité, voire d’autant plus présents : féminisme, phobie et harcèlement scolaires, racisme, entre autres.
Un roman court qui parvient à explorer des sujets sociétaux sensibles
Bien que l’histoire se lise rapidement et manque de développement sur certains points, les thèmes balayés sont très divers et actuels.
Transmission générationnelle et féminisme
La grand-mère a à cœur de transmettre ses savoirs et ses savoir-faire à sa petite-fille. L’amour entre les deux est touchant, et s’exprime volontiers sans retenue, en partie grâce à l’origine anglaise de la vieille dame. Mais d’où vient son côté sorcière ? Nous ne nous trouvons pas dans un registre fantastique, ici cela tient plutôt de l’instinct et du caractère énigmatique de la grand-mère. Elle connaît les recettes d’antan, sait prendre soin des végétaux, des animaux. Il est question de “ visions ”, de “ voix qu’on ne veut pas entendre ”, mais il semble qu’il s’agisse surtout d’une image pour aider Mai à se représenter ses pensées assaillantes, son angoisse, et lui permettre de les chasser plus aisément. La magie est donc intérieure et l’entraînement de Mai consiste à se représenter ses émotions pour mieux les contrôler.
Toutefois, malgré la liberté offerte par le cadre, le roman donne le sentiment d’être un peu cloîtré. Mai est dans une bulle où elle apprend essentiellement à devenir une bonne maîtresse de maison. Ses activités sont limitées au ménage, au jardin et à la révision des cours. Ce tempo aide tout de même la jeune fille anxieuse à gérer ses émotions. La mise en action à travers les tâches du quotidien, qui se veut quasi thérapeutique, est typique au Japon et permet de mettre à distance les émotions négatives et l’angoisse. Mais cela crée une dichotomie entre une forme d’indépendance (grand-mère est une femme seule, veuve, autonome), et des valeurs anciennes, voire désuètes. L’idée qu’une femme ne devrait pas travailler et uniquement s’occuper de sa famille revient à plusieurs reprises. Cette opposition présente une forme de féminisme intéressant, qui questionne toujours aujourd’hui.
Racisme et harcèlement scolaire, brûlants d’actualité
Au-delà de l’amour de la nature qui laisse empreint de légèreté et de liberté, le récit aborde certains sujets sur un ton plus grave.
La grand-mère de Mai est victime d’un racisme ancré. Elle est notamment nommée “ l’autre étrangère ” par les voisins, ce qui choque Mai, qui adore les tonalités british de sa mamie et admire sa pluralité culturelle. L’autrice ayant étudié la littérature au Royaume-Uni, elle retranscrit parfaitement sa perception des Européens, tout à la fois exubérants et énigmatiques pour les Japonais ! Le racisme ambiant se transmet aussi à la mère de Mai, qui, quant à elle, semble avoir connu le rejet des autres à cause de son métissage. Cela donne une tout autre dimension au roman.
Quant au harcèlement et à la phobie scolaire, il est difficile d’affirmer clairement s’ils sont dus aux origines de Mai ou à son caractère réservé, défensif, sensible, car rien n’est directement affirmé. Il est aussi question de l’appartenance à un groupe, virale chez les adolescents, qui plus est au Japon. Si le terme “ harcèlement ” n’est pas employé tel quel, c’est bien ce dont il s’agit, ce fléau était déjà prégnant dans les années 90 et fait encore plus écho de nos jours.
L’été de la sorcière nous laisse sur une note nuancée, abordant des sujets sensibles sans toutefois suffisamment les mûrir. Mais il reste un joli roman, poétique et qui se lit avec beaucoup de fluidité ! Pour trouver les librairies où vous le procurer, rendez-vous sur le site de l’éditeur.
Merci pour ce bel article qui éveille la curiosité pour ce roman, comme le jardin de sa grand mère pour Mai.
Un livre que je lirai sûrement.
Un article très intéressant. Bravo à la journaliste qui sait nuancer son propos. A une époque où seuls les avis tranchés ont voix au chapitre, c’est plaisant.