« Neon Genesis Evangelion : Une science-fiction (monstrueusement) contemporaine », entretien avec Karim Charredib

Neon Genesis Evangelion occupe une place majeure dans le paysage de l’animation japonaise en France et dans le monde. Pourtant, relativement peu d’ouvrages et d’études se penchent sur son importance et les spécificités de l’œuvre de Hideaki ANNO. Une injustice en partie réparée par la sortie du livre collectif Neon Genesis Evangelion : Une science-fiction (monstrueusement) contemporaine, issue d’une journée d’étude dirigée par le chercheur Karim Charredib avec qui nous nous sommes entretenus à l’occasion de la publication de cet ouvrage aux Presses universitaires François-Rabelais. 

Neon Genesis Evangelion, épisode 17. © GAINAX/χαρα

Afin d’introduire notre échange, pourriez-vous nous parler de votre rapport à la série Evangelion, de comment vous l’avez découverte et de la manière dont elle a accompagné votre parcours ?

Couverture de JAM n°7, mars-avril 1997.

Couverture de JAM n°7, mars-avril 1997.

J’ai découvert la série à la fin de l’adolescence. Un de mes premiers contacts a sans doute été via un magazine dédié aux mangas de l’époque : je me remémore par exemple un numéro d’Animeland contenant un dossier thématique en deux parties sur Neon Genesis Evangelion très stimulant. Je me souviens aussi, plus tardivement, du numéro de mars/avril 1997 de la revue JAM, qui titrait : « Evangelion. Le second souffle de l’animation japonaise ? ». Quand j’ai appris que le studio qui produisait la série était celui qui a conçu Nadia et le secret de l’eau bleue – un dessin animé que j’avais adoré plus jeune –, je me suis dit qu’il fallait suivre la diffusion d’Evangelion. J’ai alors acheté la première VHS éditée à l’époque par Dynamic Visions. J’ai immédiatement été conquis. Je me rappelle aussi que je regardais en parallèle la diffusion de la série sur Canal+ (par chance, mon père avait acheté un décodeur, car la série passait en diffusion cryptée) où elle était diffusée hebdomadairement. J’ai ensuite consommé un nombre important de documents liés à la série, par l’intermédiaire des boutiques parisiennes de l’époque (Tonkam à Bastille ou Madoka rue Faidherbe).

Dès le départ, j’ai été pris par les mystères de la série (la véritable nature des EVA ; savoir ce qui se cache tout au fond la base ; etc.) et son aspect cryptique (images et textes vaguement subliminaux dans le générique) d’un côté et par l’ambiance estivale de la série (dans la fiction, suite à une catastrophe, le monde est plongé dans un été permanent) propre aux récits romantiques japonais. Aujourd’hui, lors de mes déplacements au Japon, la visite des boutiques EVA Store et Radio EVA est un passage obligé !

Le choix de cette œuvre en tant qu’objet d’étude s’est-il imposé à vous rapidement ? Dans le sillon de l’animation japonaise, vous auriez tout aussi bien pu vous intéresser à l’œuvre de MIYAZAKI ou encore à la série Macross.

Evangelion est devenu un objet d’étude suite à la rencontre avec Yannick Kernec’h, enseignant et doctorant en études cinématographiques à l’université Rennes 2. Nous avions découvert l’un l’autre notre passion commune pour ce dessin animé précis. Après des échanges foisonnants, cela est devenu une évidence qu’il fallait organiser quelque chose sur Evangelion, moins comme un objet important de l’animation japonaise que tout simplement comme objet télévisuel important. L’idée principale était de privilégier une approche analytique (esthétique, narratologie) de la série, c’est-à-dire voir ce qu’elle avait à nous dire, comment elle le dit, plutôt qu’une approche purement historique des conditions de production. À ce titre, nous avons pu faire dialoguer la série avec d’autres objets culturels, la faire résonner à d’autres images en l’insérant dans le champ des études sérielles. Ainsi, peu importe que l’équipe de production ait vu Twin Peaks par exemple, l’important était de voir s’il y avait des motifs ou des stratégies narratives similaires par rapport à leur culture respective, comme le fait par exemple Victor-Arthur Piégay dans son article ; ou encore de comparer Evangelion à Sailor Moon (bien qu’Anno ait travaillé furtivement sur cette dernière) comme le fait Hiromi Takahashi.
Je suis personnellement moins attiré par le merveilleux des films de MIYAZAKI et il nous semblait qu’Evangelion représentait, esthétiquement et narrativement, tout à fait ce qu’était un « anime », avec tous les stéréotypes du genre (par exemple les « grands yeux » de l’esthétique manga, longuement décriés quand j’étais plus jeune) là où les films de MIYAZAKI étaient déjà reconnus pour leur qualité et leur poésie, ce qui leur confère le statut plus noble de « films d’animation » (manga eiga). Cette distinction est remarquée par Victor-Arthur Piégay dans l’ouvrage. Macross de son côté, que j’ai connu sous le nom de Robotech, est un objet animé science-fictionnel presque aussi important que Gundam au Japon. Je travaille d’ailleurs dessus actuellement, mais Evangelion possède un statut d’œuvre un peu étrange, « malade », conflictuel, que l’on retrouve pleinement dans ses deux derniers épisodes à l’esthétique et à la narration très surprenante, un choix audacieux qui, en apparence, déjoue l’attente des spectateurs.

DAICON IV, représentant des robots de la franchise Gundam et Macross. © GAINAX

DAICON IV, représentant des robots de la franchise Gundam et Macross. © GAINAX

Pourriez-vous nous parler plus précisément de la place d’Evangelion au sein de l’animation japonaise ?

Pour évoquer l’importance d’Evangelion, je pense qu’il faut désormais dépasser le cadre de l’animation pour parler d’un objet culturel japonais majeur tant la série a acquis au Japon un statut pratiquement patrimonial. D’un point de vue formel, on peut d’abord souligner que, bien qu’elle soit destinée à la télévision, la série bénéficie d’une mise en scène de grande qualité, associée à un montage très rythmé qui inonde, dans un premier temps, le spectateur d’indices et de messages cryptiques suscitant la curiosité (le générique du dessin animé est à ce propos exemplaire). Cependant, on peut opposer ses qualités à la fluidité du cinéma d’animation (comme les films du Studio Ghibli ou Akira) en ce qu’Evangelion exploite l’animation limitée propre à la télévision comme un langage poétique (plans fixes, décors désolés, décadrage) permettant d’exprimer son ambiance de fin du monde. Ces éléments sont repérés par Bounthavy Suvilay qui parle aussi, dans un article publié dans la revue Res Futurae, d’Evangelion comme d’une série qui déconstruit, détourne, le genre « mecha » – je dirais même le corrompt – c’est-à-dire que d’une certaine façon, ce dessin animé a amené le genre à une limite. Evangelion ne fait pas que reproduire des codes, mais les questionne, les mets en faille. La série a su ainsi s’adresser au public otaku de façon ambiguë : elle met en place tous les stratagèmes de l’anime télévisuel (personnages féminins, sakuga) d’une part, pour les déjouer d’autre part. Surtout, elle s’écarte de ce qui paraît être son propos initial pour mettre en jeu les difficultés des relations humaines comme étant l’antagoniste ultime, rappelant que la série est le produit d’auteurs qui se présentent parfois eux-mêmes comme des otakus. De plus, il faut noter que sa négativité résonne avec des événements traumatiques qui lui sont contemporains et qui remettent en question l’avenir du Japon en mettant en lumière ses faiblesses : le grand tremblement de terre de Kobe se produit en janvier 1995 et l’attentat au sarin dans le métro tokyoïte a lieu en mars 1995 alors que la série débute sa diffusion en octobre de la même année. 

Selon vous, les quatre films qui augmentent la série en modifient-ils le sens ?

Evangelion - 1.0 You Are (Not) Alone. © GAINAX/χαρα

Evangelion – 1.0 You Are (Not) Alone. © GAINAX/χαρα

La question est tout à fait pertinente en ce que le statut de ces films est de nature ambiguë. En tant que spectateur, j’ai d’abord compris cette tétralogie comme un remake de la série originelle, mais un remake qui modifierait certains aspects du récit original. Cependant, plusieurs détails indiquent que nous avons peut-être affaire à une suite : en effet, le personnage de Kaworu énonce à la fin du deuxième film que « cette fois », il rendra Shinji heureux, le terme « cette fois » semblant affirmer qu’il l’ait rencontré précédemment. Le récit d’Evangelion serait-il cyclique comme Yannick Kernec’h en fait l’hypothèse ? La série serait ainsi un cycle parmi d’autres tandis que les films seraient un cycle suivant.

Neon Genesis Evangelion, épisode 6. © GAINAX/χαρα

Neon Genesis Evangelion, épisode 6. © GAINAX/χαρα

De même, le dernier film met en scène clairement la cyclicité du récit avec une séquence où Kaworu se réveille dans un cercueil entouré d’autres cercueils mis en cercle, dont la moitié est ouverte et l’autre moitié fermée, comme s’ils contenaient d’autres versions à venir du même personnage. De même, la mer rouge dès le début du premier film ou encore la tache rouge mystérieuse sur la Lune, pourraient être issus d’événements survenant dans une des fins de la série (le film The End of Evangelion, sorti en 1997). Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de penser que les auteurs, en reprenant le même récit onze ans plus tard, portent un regard sur leur création, mais aussi sur la création animée en général. À ce titre, la fin ultime de la saga (pour le moment !) que constitue la fin du quatrième film propose un autre regard sur le monde que, disons, la fin que constituait The End of Evangelion et son nihilisme.  

Votre livre est issu d’une journée d’étude, pourriez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste cet exercice universitaire ?

Il s’agit d’une journée pendant laquelle un panel de personnalités est invité à donner une conférence sur un thème précis de la série. Nous avions fait circuler un appel (via un site web) au préalable, afin de recevoir des propositions que nous avons sélectionnées. La journée était ouverte au public qui pouvait commenter ou poser des questions aux intervenants après leur conférence. Cela permet de rencontrer des gens de différents horizons et disciplines. En général, les résultats d’une journée d’étude sont publiés.

Le livre est-il un compte rendu intégral de la journée d’étude ou des choses ont-elles été ajoutées ou retirées ?

Une grande partie des interventions ont été reprises dans le livre. En général, le passage à la forme écrite permet de développer ou préciser des éléments qui n’ont pu être abordés lors de la journée. Cependant, deux auteures, Hiromi Takahashi et Marie Pruvost-Delaspre ont été contactées pour leurs compétences sur des points qui n’ont pas été abordés lors de la journée, à savoir les spécificités en termes de stratégies d’animation et le rapport aux héroïnes dans l’animation japonaise. De même, je me suis occupé d’une réflexion sur les antagonistes de la série, les Anges, qui manquait. Qui plus est, il était important de rajouter un texte sur les rapports entre la série de 1995-1996 et les nouveaux films sortis à partir de 2007. 

On parle souvent d’Evangelion comme d’une seule œuvre unie, mais il s’agit en fait d’une série créée dans les années 1990 et de films sortis de 2007 à 2021. Comment avez-vous rassemblé au sein de ce même ouvrage des œuvres aussi distinctes, bien qu’issues de la même franchise ?

Au départ, il avait été décidé que la journée d’étude se focaliserait uniquement sur la série télévisée datant de 1995-1996 et les deux films sortis ensuite au cinéma en 1997 (Death and Rebirth et The End of Evangelion). Ainsi, nous pouvions travailler sur un objet fini et défini dans le temps. Le projet du livre a suivi la même direction, mais lors d’échanges, il s’avérait étrange de ne pas prendre en compte les nouveaux films tant ceux-ci semblaient tisser des va-et-vient afin de créer un récit unique et complexe. C’est pour cela qu’un dernier texte, dédié aux liens entre la série télévisée et les nouveaux films, a été produit et placé un peu « en dehors » de la structure du livre, après la conclusion, comme une séquence post-générique. Ce qu’il faut savoir, c’est que la production d’un livre, a fortiori universitaire, est un processus très long. Le livre était terminé dès 2020 et en attente d’un créneau de publication. Il était donc fini avant la diffusion au cinéma du dernier film dont la sortie a elle-même été repoussée à cause de la crise pandémique. Il faut se rappeler que les sorties du troisième et du quatrième film sont espacées de douze ans ! Alors que le livre rentrait (enfin) en production, je me suis posé la question de réécrire la conclusion qui se terminait alors sur l’incertitude de la fin du récit global, mais j’ai préféré garder la conclusion de 2020 comme le témoignage de cette longue attente de spectateur qui a accompagné l’écriture des textes par les auteurs. Par ailleurs, cela permet de poser la question de savoir s’il fallait terminer Evangelion. Ce que je veux dire par là, c’est que contrairement à Gundam ou Macross, autres séries animées de science-fiction, Evangelion ne peut à mon sens prétendre à la création d’une saga transgénérationnelle. Peut-être ai-je tort, mais là où Gundam et Macross se déploient dans le temps par la création de séquelles avec de nouveaux personnages, ceux d’Evangelion, leurs visages, sont indissociables du récit. Je ne crois pas possible de faire une suite à Evangelion sans Shinji, Rei ou Asuka, là où Gundam a su s’émanciper des héros a priori iconiques que sont Amuro Ray et Char Aznable. Se pose alors la question de savoir s’il faut conclure la série puisque la fin serait totale. Je pense que c’est pour cela qu’il existe autant de versions et reprises du « même » récit : la série originelle ; les deux films Death and Rebirth et The End of Evangelion qui présentent une fin alternative ; l’adaptation en manga par Yoshiyuki SADAMOTO qui possède un épilogue plus que troublant sur l’idée de cycle ; la nouvelle tétralogie de films dont la nature, comme je l’ai expliqué, est ambiguë. 

Neon Genesis evangelion, tome 12. © GAINAX/χαρα/Glénat

Neon Genesis evangelion, tome 12. © GAINAX/χαρα/Glénat

La série Evangelion présente une certaine dualité, entre la forte identification à son créateur Hideaki ANNO et le collectif qu’implique le travail de l’animation. Comment avez-vous retranscrit ces deux dimensions dans l’agencement des différentes communications qui constituent l’ouvrage final ?

Comme toute production audiovisuelle – cinéma, télé, jeux vidéo (si l’on excepte certains jeux indépendants) –, nous sommes face à une réalisation collective et c’est pour cela que nous avons opté, comme d’autres, à préciser le nom du studio de production avec celui du créateur, ou porteur, de la série. Cet aspect collectif est encore plus vrai pour l’animation, car, bien qu’ils suivent un story-board précis (appelé e-konte), les séquences sont animées par différents animateurs, imprimant chacun leur style, comme on pourrait parler du style ou de la « patte » d’un peintre. Le texte de Marie Pruvost-Delaspre évoque par exemple très bien l’aspect collectif de la création animée quand on analyse telle séquence animée par tel animateur, comme Yoh YOSHINARI ou Mitsuo ISO, ce dernier travaillant par exemple avec une technique propre et reconnaissable qu’il appelle la « full limited ». De même, l’article de Florian Guilloux se focalise sur le travail de Shirô SAGISU qui a conçu la musique d’Evangelion et la façon dont elle accompagne le récit. On ne peut imaginer la séquence apocalyptique de The End of Evangelion sans le décalage produit par la chanson « Komm, süsser Tod » et ses chœurs joyeux malgré la noirceur du spectacle (et des paroles du refrain).

Ce faisant, la forme que prend une journée d’étude peut-être retranscrire les spécificités de la série dans sa dimension collective ?

Il me semble que oui dans le sens où, une journée d’étude, et un livre composé de plusieurs articles, est également un travail collectif faisant appel à plusieurs auteurs, chacun intervenant sur son domaine de spécialité : animation, musique, design, voire même la typographie comme le fait Thaïs Arias dans son article qui met en exergue l’originalité d’un discours apocalyptique par la typographie spécifique d’Evangelion. Même si l’ouvrage possède une structure (un plan), chaque lecteur peut approcher notre lecture d’Evangelion de façon non linéaire du fait que ce sont des articles plutôt que des chapitres.

Votre ouvrage est le fruit d’un travail universitaire, pourtant vous semblez vouloir toucher un plus large lectorat. Quelles ont été les considérations de maquette et illustrations pour rendre ce travail plus accessible ?

Oui, l’idée était de s’adresser également à un public non universitaire, en rendant (ou du moins en essayant de rendre) le livre le moins austère possible. Mais au-delà de cette considération, il ne paraissait pas possible de publier un ouvrage sur un dessin animé sans illustrations. De fait, nous avons choisi d’illustrer les analyses par des captures d’écran correspondant aux séquences analysées afin d’en faciliter la compréhension. C’est aussi pour cela que les images sont dans le corps du texte et non dans un cahier central, comme cela est fait parfois pour réduire le coût d’impression en réduisant le nombre de pages en couleurs. De fait, le lecteur voit immédiatement de quoi il retourne. 

Partant de là, comment avez-vous établi les filmographies des différents studios que vous présentez à la fin de votre ouvrage ?

Il s’agit d’un travail de recension de sources d’ouvrages et d’événements japonais comme par exemple la très utile exposition itinérante qui a eu lieu au Japon, « Hideaki Anno Exhibition », que j’ai eu la chance de visiter en 2022 à Niigata, qui présentait notamment toutes les œuvres de jeunesse du réalisateur, l’exposition « Evangelion Exhibition » que j’ai vue en 2018 à Kobe, etc. Il y a également encore la traduction de diverses sources telles que le livre issu de l’exposition « Studio xapa (Khara) 10 th Anniversary », les ouvrages de Kentaro TAKEKUMA, de Yasuhiro TAKEDA (traduit en anglais) des « pamphlets » (fascicules vendus au cinéma au Japon lors de la sortie de films) ou encore des sites web japonais des deux studios. Ceci s’ajoute aussi au croisement avec le travail de recension très important de la part de la communauté de fans au sein de différents sites web, dont le wiki anglophone Evageeks, Rikki (sur Buymeacoffee.com), Gwern.net et divers forums.

Votre travail porte sur la question du monstre, le plus souvent dans un contexte science-fictionnel. Comment avez-vous intégré Evangelion à votre pratique universitaire et aux thématiques que vous traitez d’ordinaire ?

Neon Genesis Evangelion, épisode 6. © GAINAX/χαρα

Neon Genesis Evangelion, épisode 6. © GAINAX/χαρα

J’ai effectivement isolé l’altérité (avec le monstre en tête) dans les fictions médiatiques comme dénominateur de ma recherche. Evangelion est un objet complexe, que l’on peut évidemment approcher de multiples façons. En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans les EVA et les Anges des occurrences de ce qui pourrait faire monstre. Les EVA, quand tombe le casque, et les Anges, par leur statut d’antagonistes et leurs formes qui convoquent tout le bestiaire kaijû des séries Ultra (comme Ultraman) par exemple, remettent en question ce qui fait humanité. Au-delà du monstre, ma recherche tend à définir ce que l’on regroupe par le terme « non-humain » et la façon dont, dans les récits médiatiques, ils mettent à mal les normes et les idées reçues. Evangelion s’insère dans une belle trajectoire japonaise de la monstruosité ambiguë avec Godzilla en tête. Il n’est d’ailleurs par étonnant que Hideaki ANNO ait réalisé en 2016 Shin Godzilla, dont le marketing au Japon mettait en avant une collaboration multimédiatique « Godzilla vs. Evangelion ».

Enfin, y a-t-il des œuvres que vous recommanderiez aux lecteurs qui ont aimé cette série ?

En premier lieu, j’invite évidemment les lecteurs qui ne les ont pas vues, à regarder deux séries produites par Gainax et dirigées par Hideaki ANNO, à savoir la série télévisée Nadia et le secret de l’eau bleue et la série d’OAV Gunbuster, dans lesquelles on retrouve des problématiques et des fulgurances proches de celles d’Evangelion. Je recommande aussi le visionnage d’un dessin animé plus ancien, Space Runaway Ideon (1980, Sunrise) de Yoshiyuki TOMINO, dans la façon qu’a la série de raconter la puissance destructrice de son robot avec une fin également assez radicale. Du côté du jeu vidéo, on pourrait se pencher sur Xenogears, sorti en 1998 par Square, qui reprend quelques stratégies d’Evangelion dans le développement de son récit de mecha et l’on pourrait comparer, d’une certaine façon, le second CD du jeu aux deux derniers épisodes du dessin animé, car là aussi, il s’agit d’un récit assez malade. Pour en revenir aux dessins animés, à titre tout à fait personnel, et je crois que je ne suis pas le seul, j’associe souvent Evangelion à deux autres séries animées télévisées japonaises : Serial Experiments Lain (1998, Triangle Staff) de Ryûtarô NAKAMURA et Paranoia Agent (2004, studio Madhouse) de Satoshi KON. Même si elles sont inscrites dans des genres différents, ces deux œuvres possèdent la même étrangeté et, je dirais, la même négativité et noirceur que l’on trouve dans Evangelion, et notamment le dernier tiers de la série. Elles présentent aussi un caractère apocalyptique et sont des objets télévisuels tout à fait étonnants. Avec Evangelion, ce sont de très beaux exemples de ce qu’a pu produire la télévision japonaise de la fin des années 1990 et du début des années 2000. 

The Ideon - A Contact / Gunbuster, épisode 5. © Sunrise/GAINAX

The Ideon – A Contact / Gunbuster, épisode 5. © Sunrise/GAINAX

À noter que la tétralogie Evangelion sera intégralement diffusée le 26 mai 2024, à partir de 13 h 30 au cinéma Le Méliès à Montreuil. La journée se conclura par la projection du dernier film, Evangelion 3.0+1.0 à 20 h 30, présenté par Karim Charredib.

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Karim Charredib est maître de conférences à l’université Rennes 2. Il travaille sur certaines formes de l’altérité (zombies, kaijû, robots) dans les fictions médiatiques contemporaines et enseigne en arts et en culture japonaise. Il a publié Zombies ! Une lecture corrompue du cinémaen 2022 et dirigé l’ouvrage Neon Genesis Evangelion : Une science-fiction (monstrueusement) contemporaine sorti en 2024.

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