Mobile Suit Gundam Seed Freedom : l’amour avant tout
“Les Hommes ne naissent pas par nécessité, ils naissent par amour.” Ces paroles prononcées par Lacus Clyne, célèbre figure féminine de la saga, dans Mobile Suit Gundam Seed Freedom semblent décrire le long-métrage lui-même.
Est-ce que la saga Mobile Suit Gundam Seed avait besoin d’un nouveau film après deux séries de 50 épisodes, quelques OVA et une multitude de mangas spin-off ? Sûrement pas, non. Mais pourtant on ne peut qu’aimer ce nouveau film, un concentré brut de ce que représente Mobile Suit Gundam Seed, dans ses qualités mais aussi malgré ses défauts.
Quand la graine devient l’arbre
Un nouveau record historique dans la saga
Dans notre article Souvenirs (jap)animés sur la saga Gundam Seed, nous étions déjà revenu en détail sur la place de Mobile Suit Gundam et de son itération Seed dans le paysage de l’animation japonaise. Pour rappel, Mobile Suit Gundam réalisé par Yoshiyuki TOMINO au studio Sunrise débute en 1979 et est le porte étendard d’une nouvelle vision plus réaliste de l’anime de robot géant, qui place ces figures héroïques devenues tanks humanoïdes dans des conflits géopolitiques aux accents de hard-sf.
Mobile Suit Gundam Seed sort de son côté en 2002 soit plus de 20 ans après la première série. Seed s’inscrit dans une tendance de la saga débutée dans les années 90. Plutôt que de construire toutes les histoires de la saga dans un même univers cohérent, comme c’était le cas pour les séries et films estampillés Gundam jusqu’à Gundam Victory en 1993 (dans un univers nommé, selon son calendrier Universal Century, UC), le studio Sunrise commence à créer de nouvelles histoires portant le nom de Gundam mais se déroulant dans des univers parallèles indépendants (souvent abrégé en AU pour Alternative Universe). Ces séries conservent des liens thématiques (l’espace, la guerre, l’évolution de l’humanité) et visuels (un personnage masqué, le Gundam bleu, rouge, blanc et jaune) mais sont donc totalement détachées des histoires précédentes et peuvent donc capter un nouveau public de non-initié.
Mobile Suit Gundam Seed fut en réalité le premier grand succès de cette stratégie et compte aujourd’hui le plus grand nombre d’épisodes au sein des séries AU de Gundam, montant à 100 avec sa seconde saison Seed Destiny. Pour les 40 ans de la saga en 2019, un sondage de la NHK montre la persistance de la popularité de l’itération Seed au sein des autres séries Gundam : elle arrive troisième du classement, devant toutes les séries plus récentes et seulement devancé par la première série et sa suite directe Mobile Suit Z Gundam. Un autre élément de ce sondage est intéressant : là où les votes pour Mobile Suit Gundam et Z Gundam sont composés de manière écrasante d’hommes (78% pour la première et 85% pour la seconde) âgés entre 40 et 49 (57% pour la première et 46% pour la seconde), ceux de Gundam Seed atteignent un équilibre entre hommes et femmes (56% d’hommes et 44% de femmes) qui sont également beaucoup plus jeunes pour la majorité (45% entre 20 et 29 en 2019). Comme le montre le sondage, Gundam Seed représente l’arrivée d’une nouvelle génération de fan de la série née au courant des années 90 et ayant découvert la série dans leur enfance ou adolescence.
En prenant en compte cette popularité, le succès incroyable du nouveau film Mobile Suit Gundam Seed Freedom n’est pas si surprenant. Selon les chiffres communiqués, le box office du film atteint la barre des 4 milliard de yens (environ 24 millions d’euros) et des 2 millions de spectateurs, faisant de ce nouvel opus le film le plus rentable de l’histoire de la saga, battant le record détenu par le troisième film récapitulatif de la saga originale diffusé en 1982 (2 milliards de yen au box office). Comment, près de 20 ans après la fin de la seconde saison Seed Destiny en 2005, Gundam Seed a-t-il pu réunir tant de monde au cinéma ? En réalité, la saga Seed n’avait jamais réellement disparue des esprits, tout du moins au Japon.
Mobile Suit Gundam Seed ne mourra jamais
Il serait en effet incomplet de s’arrêter aux deux premières séries pour comprendre la popularité persistante de Gundam Seed. Les deux séries sont tout d’abord remontées en téléfilm : une trilogie pour Gundam Seed en 2004 et une quadrilogie pour Seed Destiny de 2006 à 2007. Aussi, bien que mineurs, les séries sont accompagnées de deux séries d’OVA : les épisodes courts de Gundam Seed MSV Astray en 2004, et ceux, plus étoffés de Gundam Seed C.E. 73 Stargazer diffusées sur internet en 2006. Un épisode spécial de 45 minutes, détaillant les événements finaux de Seed Destiny, est également produit fin 2005. En 2006, un film pour le cinéma est même annoncé, sans qu’au final il ne sorte un jour. Tout du moins jusqu’à cette année : Seed Freedom s’avère être la concrétisation, 18 ans plus tard, de ce projet de long-métrage.
Tous ces objets audio-visuels sortis pendant le premier boom de popularité de Gundam Seed ne représentent en réalité que la pointe émergée de l’iceberg. Bien entendu, comme beaucoup d’anime, Gundam Seed est accompagné d’adaptations en mangas et en romans produits simultanément à sa sortie. Mais c’est un autre type de manga qui va nous intéresser ici : non pas les redites du récit sur un autre média, mais les histoires inédites en manga dans le même univers. La série d’OVA Gundam Seed MSV Astray de 2004 a pour origine la série de manga Gundam Seed Astray, qui de 2002 à 2019 a donné périodiquement naissance à de nouvelles séries reprenant l’univers et ses personnages : Seed X Astray, Seed Destiny Astray, Seed Frame Astrays, Seed Destiny Astray R, … c’est au total près de 10 séries qui certes ne dépassent chacune pas les quatre tomes mais qui installent la franchise Gundam Seed dans la durée.
Un phénomène similaire se déroule du côté de l’anime. Bien que le film annoncé en 2006 ne se concrétise pas, Gundam Seed reste d’actualité notamment grâce à une version remasterisée diffusée simultanément sur internet et à la télévision en 2012 qui re-travaille la série en profondeur. Le ratio de l’image passe du 4:3 au 16:9 pour coller aux standards contemporains et de nombreux passages sont retravaillés visuellement, notamment sur l’apparence des personnages et les décors, pour renforcer la cohérence graphique des épisodes de la série. Seed Destiny, la seconde saison, a le droit au même traitement de 2013 à 2014. Ces deux remasters sont supervisés par Mitsuo FUKUDA, réalisateurs des deux séries d’origine, et d’autres membres de l’équipe de l’époque : Hisashi HIRAI, character designer et superviseur de l’animation, Kôhei YONEYAMA, lui aussi superviseur de l’animation sur de nombreux épisodes de Seed et Seed Destiny, ainsi que Satoshi SHIGETA, qui supervise l’animation des robots et autre méchas. Ce sont ces deux versions actualisées qui sont le plus facilement accessibles par Crunchyroll ou diffusées occasionnellement sur la chaîne YouTube de Gundam Info.
Au-delà du Japon, Gundam Seed connaît une popularité d’ampleur similaire dans certains pays d’Asie : en 2021 une statue taille réelle du Freedom Gundam (l’engin piloté par Kira Yamato, protagoniste de la série) est inaugurée à Shanghai, la première du genre en dehors du Japon. Durant son inauguration, Bandai annonce le Mobile Suit Gundam SEED PROJECT ignited, un projet multimédia visant à développer l’univers de Gundam Seed : un manga, Mobile Suit Gundam Seed Eclipse, qui commence dans la foulée, un jeu vidéo dont on ne connaît toujours pas l’identité, ainsi qu’un film, une suite à Seed Destiny. Le projet cinématographique inachevé de 2006 semble revivre. Deux ans plus tard, en juillet 2023, un titre, Mobile Suit Gundam Seed Freedom, des visuels, ainsi qu’une date de sortie, le 26 janvier 2024, sont révélés. Lors de sa sortie, il connaît le succès mentionné plus tôt et devient le film le plus rentable de l’histoire de la saga. Après tant d’années de succès, la réussite semblait toute tracée pour ce long-métrage. Pourtant sa genèse n’a pas été si évidente…
Mobile Suit Gundam Seed Freedom : l’amour avant tout
Mitsuo FUKUDA et Chiaki MOROSAWA : les parents de Gundam Seed
Nous avons cité son nom plus tôt à propos du remaster HD de la saga : Mitsuo FUKUDA est le réalisateur des deux premières saisons de Gundam Seed. Il commence sa carrière au studio Sunrise en tant que responsable conception de séries de robots au ton léger de Muteki Robo Trider G7 en 1980 ou Chôriki Robo Galatt en 1984. Il participe aussi, toujours au même poste, aux deux premières itérations de la longue série SF pulp des Dirty Pair. En 1987, FUKUDA débute dans la réalisation d’épisode pour Metal Armor Dragonar, une série de robots à l’univers réaliste comparable aux séries Gundam originelles, la saga prenant un tournant moins sérieux durant cette période avec sa troisième série Mobile Suit Gundam ZZ. FUKUDA continue de réaliser des épisodes ou de faire des storyboard pour de nombreuses séries de Sunrise, en restant dans le genre du robot géant : du plus fantastique avec Mashin Eiyûden Wataru en 1988 et Madô King Granzort en 1989, aux premiers volets de la franchise des Yûsha, Exkaiser en 1990 et Da Garn en 1992, sur laquelle il supervisera également le travail des autres metteurs en scènes d’épisodes.
C’est d’ailleurs au début des années 90, en 1991 plus exactement, que FUKUDA obtient pour la première fois le poste de réalisateur de série avec Shin Seiki GPX Cyber Formula, un anime, comme le révèle son titre, de course de voiture. Un thème au premier abord loin des robots mais en réalité assez proche : les voitures sont elles aussi des engins mécaniques, et sont en plus désignées par Shôji KAWAMORI, fameux concepteur et designer de séries de robots déjà célèbre à l’époque pour la série Macross. La saga Cyber Formula est très populaire et connaît de nombreuses suites en OVA tout au long des années 90 sur lesquelles FUKUDA conserve sa place de réalisateur. C’est à l’occasion d’une de ces séries, Cyber Formula Saga en 1996,qu’il commence à collaborer avec la scénariste Chiaki MOROSAWA.
Cet opus de Cyber Formula signe en réalité l’entrée de MOROSAWA dans le monde de l’animation mais la collaboration entre elle et FUKUDA n’est pas due au hasard : ils sont mari et femme. Le couple continue de collaborer pour Cyber Forumla Sin, le volet final de la saga, puis sur une autre série en 2000 : Gear Fighter Dendô, un animé de robot géant où MOROSAWA occupe pour la première fois le rôle de scénariste principale au côté de son mari à la réalisation. Le couple se voit ensuite proposer de participer au nouvel opus de Gundam, la première série du nouveau millénaire, qui deviendra Gundam Seed en 2002. MOROSAWA est non seulement scénariste principale, mais elle participe également à presque la totalité des scénarios et des dialogues des épisodes. Deux ans plus tard en 2004, le couple garde le même poste pour la suite Seed Destiny. FUKUDA et MOROSAWA sont tous les deux devenus indissociables de l’identité de la branche Seed de l’univers Gundam.
Le retrait de Gundam Seed et de Chiaki MOROSAWA
Pourtant, après le succès retentissant des deux premières saisons, MOROSAWA arrête toute activité dans le monde de l’animation. FUKUDA lui aussi se montre beaucoup moins présent jusqu’au début des années 2010 où il supervisera les remaster HD de Gundam Seed et Destiny, puis participera de temps en temps à d’autres projets, toujours chez Sunrise et dans les anime de robot avec par exemple Cross Ange en 2014. Plus récemment, il se rapproche du studio Gaina, un des nombreux enfants nés de l’explosion de Gainax, en réalisant Megohime en 2019. Il occupe d’ailleurs le poste de réalisateur sur une prochaine série très attendue de Gaina en France : Goldorak U.
En 2016, une triste annonce révèle le pourquoi du retrait de la scénariste : elle décède à 56 ans d’une dissection aortique. MOROSAWA luttait depuis une dizaine d’années contre des maladies chroniques et s’était retirée du monde de l’animation pour pouvoir se soigner, avec le soutien de son mari. On comprend donc mieux le pourquoi de la non concrétisation du projet de 2006 : sans la participation active de MOROSAWA, Gundam Seed ne serait plus vraiment Seed. MOROSAWA réfléchit et écrit dès cette période les fondements du récit mais n’est pas en assez bonne santé pour entrer dans la production. Une autre raison invoquée par le réalisateur sur la non-concrétisation du projet est l’ambition technique du film : il était prévu d’animer l’ensemble des robots en 3D, une technologie certes déjà utilisée dans l’animation japonaise à l’époque, mais encore à ses balbutiements.
Pourtant, 8 ans après le décès de MOROSAWA et 18 après l’annonce du projet, la production de la suite de la saga sort au cinéma sous le nom de Mobile Suit Gundam Seed Freedom et la scénariste reste créditée au scénario au côté de son mari et de Riu GOTÔ, auteur des romans Gundam Seed du début des années 2000 venu prêter main forte à FUKUDA pour ce nouveau long-métrage. FUKUDA confie avoir essayé autant qu’il pouvait de respecter les idées notées par ce femme, mais avoue avoir ajouté sa propre vision de l’univers, notamment autour du thème très présent de l’amour, un sujet sur lequel, selon ce dernier, sa femme n’aurait jamais osé écrire une histoire.
Mobile Suit Gundam Seed Freedom : deux héritages en confrontation
Dans la continuité de l’original ?
Cosmic Era, an 75. Un an s’est écoulé depuis la fin de la seconde guerre entre l’Alliance Terrienne et les colonies spatiales de ZAFT. Kira et Lacus, les deux représentants de l’équipage de l’archange, ont rejoint l’organisation Compass, chargée de prévenir et répondre aux conflits encore fréquent malgré la fin de l’affrontement. Le nouveau leader de Blue Cosmos, société conservatrice opposée à l’existence des Coordinator à l’origine des deux guerres précédentes, est en fuite au sud de l’Eurasie. Fondation, un pays indépendant connu pour ses prouesses technologiques, invite Compass, l’Alliance Terrien et ZAFT à mener une opération conjointe pour mettre un terme à Blue Cosmos. Les intentions du pays se révèlent vite très éloignées du désir de paix de Compass, et les fantômes de la seconde guerre semblent être encore présents dans les esprits…
L’histoire de Freedom se situe dans la continuité des deux saisons précédentes et reprend les mêmes protagonistes. Kira Yamato est au centre de l’intrigue, Lacus Clyne également, Cagalli apparaît à l’écran même si elle est moins présente, et Shinn Asuka, protagoniste de Seed Destiny, a rejoint Compass sous la direction de Kira Yamato. Asran, troisième élément du trio de tête de Gundam Seed avec Kira et Shinn ne manque pas d’apparaître également, mais nous nous gardons de vous révéler comment. Le film oppose ces personnages familiers du spectateur face à une menace inédite, Fondation, une nouvelle puissance absente des saisons précédentes, mais qui possède des liens forts avec un certain antagoniste de Destiny (nous nous gardons encore une fois de révéler lequel). De fait, l’histoire de ce nouveau film est difficilement appréhendable pour tout profane de l’univers de Gundam Seed.
La continuité scénaristique de Seed Freedom se reflète également au niveau de l’équipe créative. Nous évoquions plus tôt le réalisateur Mitsuo FUKUDA qui reprend son rôle en adaptant le scénario prévu par sa défunte épouse Chiaki MOROSAWA, mais le film voit également le retour du character designer Hisashi HIRAI ainsi que Satoshi SHIGETA qui supervise une fois de plus les scènes contenant des méchas. Pour les designs de ces derniers, Kunio ÔKAWARA, mécha-designer légendaire de la saga Gundam présent sur la quasi-totalité des séries depuis 1979, et Kimitoshi YAMANE, déjà présent pour les premières séries de Seed, sont également au rendez-vous entre autres vétérans des séries Gundam. En réunissant une telle équipe, Seed Freedom semble ne pouvoir qu’être à la hauteur des attentes, et pourtant, les premiers visuels et bande-annonce ont inquiété une partie des fans. Il faut avouer que les designs des personnages publiés lors de la promotion questionnaient sur l’état visuel du film et les bande-annonce allaient aussi dans ce sens. Qu’en est-il au final ?
Des hauts et des bas techniques
Nous n’allons pas entrer ici en profondeur dans la guerre de clochers de l’utilisation de la 3D dans les animés de robots. Le film l’utilise certes abondamment, mais c’est le cas pour l’écrasante majorité des séries du genre depuis une dizaine d’années chez Sunrise et autres. Le studio a d’ailleurs déjà prouvé il y a quelques années maintenant, la viabilité d’une 3D totale pour les robots lors du film Mobile Suit Gundam : L’Eclat de Hathaway et Sunrise continue dans cette lignée. Le rendu est à notre avis assez bien intégré à l’animation 2D pour ne pas trancher avec elle, et ne dérangera que les spectateurs allergiques à la 3D. Tout n’est pas image de synthèse pour les robots non plus : certaines scènes clefs ou poses iconiques font leur retour en animation “traditionnelle” avec la maîtrise habituelle de Satoshi SHIGETA qui supervise le tout. La mise en scène des affrontements est d’ailleurs toujours aussi réussie. La 3D convient tout à fait au style rapide du FUKUDA. Les combats déjà survoltés de la série se trouve dopé par les facilités de mises en scènes permises par la 3D, notamment sur les mouvement de caméra et le nombre d’information à l’écran.
Le principal souci a trait plutôt au personnage. Tout comme la 3D, il y a des pros et des antis du style si particulier de Hisashi HIRAI. Mais force est de reconnaître ici, qu’en comparaison des séries originales, et en particulier de leur remaster, le character-design et l’animation des personnages peinent à tenir la route. Si les visages conservent leur style reconnaissable au premier coup d’œil, une fois le film lancé, on peine par exemple à voir les silhouettes masculines caractéristiques de l’animateur, tout en finesse, le bassin en avant et les épaules en arrière. Serait-ce à cause de la moins grande implication de l’animateur ou bien l’absence d’animateurs piliers des premières séries comme Kôhei YONEYAMA ? On ne peut en être sûr mais il demeure que certaines scènes, notamment sur les mouvements en profondeur peuvent faire tiquer.
Pas au-delà, mais en dehors des attentes
Cependant, ce qui risque de diviser le plus les fans de la saga, auquel ce long-métrage s’adresse directement voire exclusivement, c’est bien le fond du film. Tout d’abord des problèmes se posent vis-à-vis de la cohérence avec les opus précédents. Comment en une seule année Fondation est-elle devenue une nation si puissante ? Pourquoi la personnalité de Kira a-t-elle fait un tel retour en arrière depuis Seed Destiny ? Pareil pour Shinn Asuka, pourquoi un tel changement ? Et pourquoi ce twist sur l’identité de Lacus ? Les fans les plus attachés à la cohérence de l’univers et de l’évolution des personnages vont sans aucun doute se triturer l’esprit avec des questions du genre.
Mais ces questions viennent mettre en cause l’existence même du long-métrage : il est vrai qu’on ne fait qu’ajouter une histoire à un univers qui semblait pourtant fini. Mais ce problème se pose en réalité dès la fin de la première saison qui offrait une belle conclusion à l’histoire de Kira Yamato et Asran Zala. Tout comme Seed Destiny, Seed Freedom ajoute ce qu’il peut à l’univers de la Cosmic Era, en bien comme en mal. Peut-être l’absence regrettée de la scénariste se fait-elle également sentir, mais il faut rappeler que son travail sur Seed Destiny était lui aussi loin de faire l’unanimité lors de sa diffusion.
Malgré tous ces défauts, le film réussit selon nous avec brio ce qu’il entreprend. Seed Freedom est un film de robot géant, autrement dit un film de genre qui répond aux attentes particulières d’un public qui sait à l’avance quel type de film il est venu voir. Cependant, pour résumer largement, le genre du robot géant est souvent séparé en deux grandes catégories : le Real Robot, à l’univers réaliste crédible dont les robots sont des équivalents futuristes des tanks ou des chasseurs militaires, ainsi que le Super Robot, où cette fois-ci le robot se fait super héros aux pouvoirs incroyables. La saga Gundam est généralement présentée en tant que premier exemple du Real Robot. Pour la seconde catégorie, les séries de Gô NAGAI style Getter Robo ou Mazinger Z sont souvent représentatives du second, en terme de contenu.
Mais les frontières entres ces deux écoles sont plus fines qu’on ne pourrait le croire. Récemment, Bang Brave Bravern intégrait par exemple un robot tout droit sorti d’une série pour enfant dans un univers militaire réaliste. Comment ne pas penser à d’autres séries, Neon Genesis Evangelion en tête, qui jouent de la dualité du genre entre le réalisme froid et les figures, devenues divines, du robot géant ?
Seed Freedom s’inscrit dans une dynamique similaire d’utilisation consciente du double héritage du genre du robot géant. Il va sans dire que les deux premières saisons, ainsi que l’univers construit autour d’elle, s’inscrit comme il est de tradition pour les séries Gundam, dans la tendance du Real Robot. Le contexte du film, avec une terre sans-cesse théâtre d’affrontements sanglants entre humains, est lui aussi dans cette continuité et rien ne semble pouvoir brûler les racines idéologiques du conflit entre ZAFT et l’Alliance Terrienne. Les protagonistes, depuis la seconde partie de la première saison, occupent un rôle d’intermédiaire entre ces deux puissances, une alternative pour la paix. Cependant, ils ne semblent pas être en capacité d’atteindre leur objectif de paix universelle : chaque suite de Gundam Seed est au contraire une montée dans l’échelle de la violence. Tel est le monde réaliste de Gundam Seed.
Pour mettre un terme à cette spirale sans fin, le réalisateur FUKUDA a trouvé une réponse différente de celles proposées par sa femme dans les deux premières saisons : l’amour. Mais comment intégrer un concept aussi fleur bleue dans un univers si cruel ? FUKUDA trouve une solution dans le Super Robot. En effet, les séries du genre ont, de leur côté, bien moins tendance à rougir face à l’utilisation de telles pirouettes scénaristiques, préférant au contraire faire ressentir au spectateur l’intensité des émotions vécues par les personnages. Seed Freedom représente ce passage du réalisme vers l’émotion : il décevra les fans en recherche de crédibilité mais une fois accepté, il propose un spectacle jouissif indéniable.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que Seed Freedom suit, dans une moindre mesure, la piste poursuivie par Yoshiyuki TOMINO dans son film Char’s Counterattack en 1988, censé lui aussi apporter une conclusion à la première saga Gundam. Pour sortir de la cruauté du réalisme, l’amour et l’espoir du Super Robot apparaît comme la voie royale. Dans le cas de Seed Freedom, l’histoire entourant FUKUDA et MOROSAWA ne peut que nous amener en croire en l’amour prôné par le film.
Conclusion de la saga Gundam Seed (même si les prochaines années pourront nous donner tort), le succès populaire de Mobile Suit Gundam Seed Freedom semble confirmer la réponse trouvée par FUKUDA. Cette nouvelle direction ne conviendra sûrement pas à tous les fans, comme l’ont montré les réactions polarisées en France lors de sa sortie exceptionnelle le 27 et 28 avril. Les limites visuelles du long-métrage ne jouent également pas dans son sens. Pourtant, le spectacle et les émotions demeurent, à des sommets rarement atteint dans la saga Gundam. En bref, et ce malgré tous ses défauts, il est impossible de ne pas aimer Mobile Suit Gundam Seed Freedom.