Unicorn Overlord : la relève gagnante de Vanillaware
Quatre ans après le magnifique 13 Sentinels : Aegis Rim, le studio Vanillaware retourne dans son monde de High-Fantasy de prédilection avec son nouveau jeu Unicorn Overlord. Un retour aux origines qui voit pourtant l’arrivée d’une nouvelle génération aux commandes du développement : George KAMITANI, figure centrale (réalisateur, character-designer, et scénariste) derrière le style si particulier des jeux principaux du studio, n’est en effet cette fois-ci pas directement aux commandes. C’est au tour de Takafumi NOMA, programmateur vétéran du studio, de diriger la nouvelle collaboration du studio avec Atlus. Une réussite ? C’est ce que nous allons voir !
De Odin Sphere à Unicorn Overlord : la place à part de Vanillaware dans le J-RPG
L’héritage de George KAMITANI
En plus de quinze ans d’articles, il faut avouer qu’il est surprenant que jamais une fois un jeu du studio Vanillaware, fondé en 2002, n’ait été traité sur Journal du Japon. Depuis 2007 avec la sortie de GrimGrimoire (réédité en 2023 sur Switch et PS4 avec comme sous-titre Once More) et de Odin Sphere (lui aussi réédité en 2016 sur PS4, PS3 et Vita avec le sous-titre Leifthrasir), ce studio japonais cultive une identité visuelle et ludique unique au Japon, voire dans le monde. À vrai dire, l’origine de la patte Vanillaware peut être identifiée entièrement à la création du studio : en 1997 sort sur Sega Saturn le jeu Princess Crown chapeauté par un certain japonais au patronyme étrangement français, George KAMITANI. A l’époque jeune programmateur mais touchant également à l’illustration, George KAMITANI débute avec ce jeu ce qui va devenir sa marque de fabrique durant les décennies suivantes : en tant que réalisateur et character-designer, il développe un Action RPG en scrolling horizontal dans un monde de High-Fantasy typique du genre. Une proposition de gameplay aujourd’hui encore unique dans son genre.
Après avoir monté son propre studio en 2002 et leurs premiers projets originaux Odin Sphere et GrimGrimoire sortis, les choix esthétiques du studio, que l’on pouvait penser dictés par les limitations techniques de l’époque, se révèlent en réalité ce qui fera l’identité des jeux principaux, dirigés par George KAMITANI en collaboration avec Atlus. De cette manière, les personnages en 2D de Princess Crown conservent leur bi-dimensionnalité mais évoluent en apparence : c’est comme s’ ils étaient découpés dans du papier puis posés dans des cadres aux détails riches et à la lumière dynamique. En effet, bien avant la tendance du 2DHD d’Octopath Traveller et consort, KAMITANI et le studio Vanillaware expérimentaient déjà dans les années 2000 le mélange de progrès technologique et de choix esthétiques consciemment retro.
A la suite, Vanillaware conserve ce style mais varie à chaque nouveau jeu à la fois d’univers, avec une grande appétence pour la High-Fantasy tout de même, mais aussi systématiquement de style de jeu. Si Odin Sphere et Dragon’s Crown reprennent dans l’esprit, mais avec des variations notables tout de même, l’esprit Action RPG en scrolling 2D de Princess Crown, dès 2007 GrimGrimoire expérimente dans un genre Tower Defense, toujours en 2D à vue latérale évidemment, et récemment en 2019 13 Sentinels : Aegis Rim mélangeait jeu d’aventure avec de nombreux dialogues et Tactical RPG en temps réel, en vue de dessus cette fois-ci, avec robots géants et kaijû mécaniques. Une identité graphique solide au service d’expérimentations ludiques qui touchent plus ou moins juste, mais qui ont le mérite de sortir des cases attendues du J-RPG : il est difficile de donner un genre unique aux jeux du studio, et, malgré le retrait de George KAMITANI à la réalisation, Unicorn Overlord n’en fait pas exception !
Takafumi NOMA et Les dix ans de Unicorn Overlord
Dans une interview pour le site de Famitsu, Takafumi NOMA (réalisateur à l’origine du projet) revient, accompagné du producteur Wataru NAKANISHI, sur les dix ans nécessaires au développement du nouveau jeu du studio Vanillaware. Les premières esquisses du projet voient le jour en 2014 mais il faut attendre deux ans, les équipes étant occupées par le développement de Murasame version Vita et Odin Sphere Leifthrasir, pour que le développement d’Unicorn Overlord débute réellement. C’est KAMITANI qui offre à NOMA l’occasion, après le développement de Dragon’s Crown, l’occasion de travailler sur un nouveau projet. Ce dernier s’oriente sans hésitation vers le RPG de simulation, où le management des troupes et les tactiques de guerre seraient au centre du système. Sans en citer un en particulier, NOMA s’inspire des nombreux jeux du genre sortis dans les années 1990 et qui ont souvent profondément marqué les trajectoires des joueurs de J-RPG. On peut alors évidemment penser à Final Fantasy Tactics, la série des Ogre Battle, dans un registre plus SF, celle des Front Mission et dans une certaine mesure la série Suikoden.
Dans la tradition de Vanillaware, NOMA occupe alors un rôle similaire à celui de KAMITANI dans les précédents jeux du studio. Il s’occupe aussi bien du système du jeu, que de la construction de son univers et dessine lui-même les visuels de base des personnages. NOMA est conscient du poids de cet héritage et reconnaît avoir été très tendu de la réaction des joueurs lors de la diffusion de la première bande-annonce du jeu lors du Nintendo Direct de septembre 2023. “Le nouveau jeu de Vanillaware sans George KAMITANI sera-t-il à la hauteur du studio ?” Nous vous donnons la réponse tout de suite : oui.
Entre exploration, simulation de combat et Tactical RPG
Un récit suranné servi par des visuels remarquables
Unicorn Overlord se déroule dans un monde de high-fantasy comme on en déjà vu des centaines de fois au Japon depuis l’époque des Chroniques de la guerre de Lodoss. Alain, héritier légitime du royaume de Cornia, évite la mort mais se trouve exilé de son pays suite à la révolte du général Valmore. Entièrement couvert par une armure, ce général auparavant bienfaiteur est devenu incontrôlable et souhaite rétablir l’empire Zenoirien, un empire mythique de l’histoire du continent. Une fois devenu jeune adulte, Alain et ses fidèles associés montent une armée de libération pour délivrer Cornia, et au passage les pays alentours, de l’emprise maléfique de Galerius, nouveau nom d’emprunt du général Valmore.
Il faut l’avouer, ce n’est pas par son scénario qu’Unicorn Overlord brille le plus. L’histoire de reconquête de royaumes aux mains de forces maléfiques est un récit vu et revu dans les jeux du genre : comment ne pas penser à de nombreux épisodes de la série Fire Emblem par exemple ? Cependant, l’univers reste agréable à parcourir et la patte de Vanillaware y est pour beaucoup. Le jeu conserve le style traditionnel du studio en mélangeant photographie et lumière moderne avec une mise en scène et des graphismes volontairement datés mais toujours recherchés au niveau de l’esthétique.
Sur ce point, nous tenons en particulier à faire remarquer l’animation des personnages. Chaque personnage et donc chaque classe affiliée possède une gamme de mouvements en action ou en repos transcrivant leur caractère ou leurs attributs : le gladiateur, fort en attaque et encaissant les dommages, bombe le torse ; le cavalier noble et sûr de lui se tient droit et ses mouvements de lance sont assurés ; la sorcière, plus fourbe, se déhanche le dos voûté. Plutôt que le récit, c’est donc par son attrait visuel qu’Unicorn Overlord touche le joueur en premier. Ce n’est qu’après que le système de jeu vous attrape pour ne jamais vous relâcher…
Macro et micro bataille : attention à l’addiction
Si la reconquête du royaume est un récit archétypal, la manière qu’a Unicorn Overlord de le faire vivre au joueur est unique dans le monde du J-RPG. Celui-ci débute son aventure à l’ouest du pays de Cornia qui se trouve au centre de la carte du monde, et doit conquérir petit à petit les territoires du royaume. L’avancée se fait en temps réel sur la carte du monde : Alain peut marcher librement dans le royaume et tombe souvent sur des escarmouches ou des batailles qui, si remportées, permettent de libérer une ville ou bien un fort de guerre. Le joueur est matériellement libre de faire le jeu dans l’ordre qu’il veut et d’explorer les régions qu’il souhaite selon son choix, bien qu’il soit en réalité conditionné à faire dans un ordre prévu par le jeu selon les niveaux des ennemis. Les combats ont lieu directement sur la carte que le joueur explore : dans Unicorn Overlord, tout se fait à l’échelle 1/1 et on a alors réellement l’impression de parcourir et libérer petit à petit le monde.
Les batailles sont au centre du système. Elles mélangent stratégie en temps réel et combat au tour par tour en automatique… dit de la sorte, cela n’explique pas grand-chose et il est vrai que le système de Unicorn Overlord, comme beaucoup de jeux de Vanillaware, ne connaît pas d’équivalent direct. Le but des batailles change selon la mission, mais consiste généralement à conquérir une base ennemie. Pour ce faire, le joueur invoque des troupes depuis son camp et doit les mener jusqu’au camp ennemi. Sur le trajet, elles rencontreront d’autres troupes et camps secondaires ennemis que le joueur peut essayer d’éviter mais qui permettent une fois conquis d’invoquer des troupes plus proches de la base principale et d’avoir des défenses plus solides. Les batailles se jouent en premier lieu de hauteur, où le placement et mouvement stratégique décideront de l’issue de la guerre.
Mais que se passe-t-il lorsqu’une unité alliée rencontre une troupe ennemie ? Dans ce cas, un affrontement se lance. Avant et pendant les batailles, le joueur peut organiser ses troupes sur un damier de six cases (trois à l’avant et trois à l’arrière) et y placer librement les personnages qu’il souhaite. Ces mêmes personnages ont un set de compétences actives (qui s’activent toujours) et passives (qui s’activent selon des conditions) dont le nombre est régi par les points de compétences actives et les points de compétences passives. Les batailles entre deux unités se déroulent automatiquement et les compétences se jouent selon l’ordre de priorité choisi par le joueur et les compétences d’initiative du personnage. Chaque personnage possède une classe aux caractéristiques classiques du genre tank, healer, voleur, etc. Comme le fameux pierre-feuille-ciseaux des armes de Fire Emblem, certaines classes seront plus efficaces contre d’autres et inversement. Par exemple, l’archer est puissant contre les unités volantes ou avec une forte esquive mais moins contre celles en armures. Si le jeu débute avec des unités limitées à 1 ou 2 personnages, le joueur débloque peu à peu de l’espace pour former des unités jusqu’à 5 personnages, augmentant ainsi les possibilités d’affinités et de stratégies.
Le cœur du système de jeu de Unicorn Overlord se trouve donc dans ses batailles entre macro gestion des unités sur la carte et micro gestion des unités lors des affrontements. A cela s’ajoutent les compétences de bravoure que le joueur peut activer lors des déplacements sur la carte et qui offrent des bonus de caractéristiques, infligent des dommages aux ennemis ou bien soignent les unités. L’utilisation de ces caractéristiques est déterminée par le leader du groupe qui influe aussi sur la capacité de déplacement et de soutien de l’unité. Une unité cavalière ira vite, un griffon pourra passer au-dessus des obstacles, et un archer offrira une couverture offensive. En plus, un système d’équipement d’armes et d’accessoires ainsi que d’affinité entre les personnages permettent d’optimiser au mieux chaque unité.
C’est un système complexe qui demande un certain temps d’adaptation. Mais cette complexité est au final la marque de tous les grands J-RPG, notamment des J-RPG à tendance tactique. Une fois la barrière du système passée, l’alternance de batailles courtes sous forme d’escarmouches et de batailles plus longues dépassant facilement les 30 minutes, voire d’affrontement singulier dans le colisée, laisse le joueur libre d’aller à son rythme.
Seul défaut, qui n’en est pas vraiment un en réalité : la possibilité de sauter les affrontements entre unités. Si cette option est bien sûr évidente du point de vue du confort de jeu, elle laisse trop facilement la possibilité au joueur de passer les affrontements et ainsi ne pas voir les logiques mises en jeu notamment entre compétences actives et passives. Un affrontement difficile face à une unité ennemie particulièrement résistante peut alors se transformer en jeu de dé où l’on lance au petit bonheur la chance toutes nos unités disponibles plutôt que de construire de vraies stratégies contre l’ennemi – et qui nous empêche aussi d’admirer les belles animations d’attaques, de plus en plus impressionnantes au fil du jeu.
Exploration, recrutement et gestion du territoire
Une fois les batailles terminées et la ville conquise, le joueur est libre de parcourir la carte. Sur cette dernière se trouvent diverses ressources que le joueur doit récolter pour reconstruire les villes et accéder ainsi à de nouveaux commerces. La reconstruction des villes permet aussi de récolter une ressource essentielle : les couronnes, que l’on remporte également à la fin des batailles. Plus rares, quelques quêtes d’environnement sont disponibles : retrouver les trois poulets du fermier, reconstruire un pont, compléter un pourcentage de la carte… tout ça pour les précieuses couronnes. Ces couronnes permettent d’agrandir les unités, de promouvoir les classes et augmenter ainsi leurs caractéristiques mais aussi de recruter de nouveaux soldats.
En parlant de soldats, l’avancée dans la reconquête du continent et dans le scénario du jeu donne lieu à de nombreuses rencontres entre les troupes de libération d’Alain et d’autres acteurs, résistants ou non, du conflit contre le nouvel empire Zénoirien. A cette occasion, des personnages plus ou moins hauts en couleur vont rejoindre votre équipe et seront à disposition lors des batailles. Comme mis en avant dans la première bande-annonce, le joueur a aussi parfois le choix de ne pas recruter certains d’entre eux…pour des questions avant tout éthique car toutes les mains s’avèrent en réalité bonnes à prendre pour la libération et perdre un soldat n’est jamais profitable du point de vue du joueur. Mais en dehors de ces recrutements scriptés, le joueur peut se rendre dans les forts pour embaucher des mercenaires à l’aide des couronnes durement gagnées.
Le jeu offre aussi la possibilité de poster un garde sur les villes conquises. Ce dernier va alors récolter automatiquement les ressources à proximité et le joueur peut lui offrir des cadeaux pour augmenter son affinité, qui d’ordinaire augmente au fil des batailles partagées par une même unité. Un système de taverne, faisant honneur à la véritable tradition des jeux Vanillaware de modéliser des repas délicieux, aide aussi à construire l’affinité entre troupes.
L’ensemble du système d’exploration et de gestion des villes est ainsi tourné vers la constitution et l’amélioration des troupes. Un grand tout qui ne fait qu’ajouter au caractère addictif du titre : une petite exploration ou ramassage de ressources de cinq minutes peut se transformer en session de bataille de plusieurs heures sans que l’on ne s’en rende compte. Agréable mais aussi dangereux pour sa vie en dehors du jeu donc !
A la suite du très réussi et acclamé 13 Sentinels : Aegis Rim, Unicorn Overlord n’a donc pas à rougir mais pour des raisons différentes. Sans un scénario entraînant ou marquant, le jeu de Takafumi NOMA accroche le joueur grâce à un système complexe et tourné entièrement vers un objectif précis : construire ses troupes pour les batailles. Le jeu rassure quant à l’avenir du studio Vanilaware qui réussit, même sans la présence de KAMITANI, à conserver son identité graphique et son innovation ludique.
Au début du mois, Atlus annonçait avoir dépassé la barre des 500 000 exemplaires vendus, rattrapant ainsi à grande vitesse le million obtenu par 13 Sentinels l’année dernière, à ce jour la meilleure vente du studio. Une réussite telle qu’elle nous laisse espérer une entorse à une règle tacite du studio : et pourquoi pas un Unicorn Overlord 2 ? Unicorn Overlord est disponible sur PS4 et PS5, Nintendo Switch et Xbox Series.