De l’occupation japonaise à l’occupation des Japonais : deux romans sur les traces du passé
Débutée en 1910, l’occupation japonaise de la Corée se termine en 1945, après la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est ensuite au pays du Soleil Levant de vivre sous le contrôle d’un autre pays, les États-Unis, jusqu’en 1952. Ces longues décennies d’occupation ont marqué les deux pays voisins ainsi que leurs relations.
Les deux ouvrages que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui, Créatures du petit pays de Juhea KIM et Le traducteur des lettres d’amour de Lynne KUTSUKAKE nous plongent dans ces années sombres, à la rencontre de différents protagonistes, des Coréens et Japonais, en quête de bonheur dans un monde qui ne tourne pas rond.
Créatures du petit pays de Juhea Kim
Résumé : « 1917, la Corée est sous occupation japonaise. Alors que la famine menace, Jade est vendue par sa famille à une école de courtisanes. Elle rencontre le fils d’un chasseur de tigres, Jungho, qui survit en mendiant dans les rues de Séoul, et se lie avec lui d’une profonde amitié qui changera leur vie. Une fois adultes, Jade devient une artiste convoitée aux nombreuses perspectives, tandis que Jungho est entraîné dans la lutte révolutionnaire pour l’indépendance. Et Jade devra choisir entre suivre ses propres ambitions ou tout risquer pour lui… »
Sur un air des célèbres Mémoires d’une geisha (1993), Créatures du petit pays débute avec l’histoire de Jade, à peine âgée de 10 ans, vendue pour 50 wons (l’équivalent de 0,03 euros aujourd’hui) à Silver, l’une des plus célèbres gisaeng (courtisane) de Pyongyang. La petite fille ne connait rien de la vie dans une gibang (maison de courtisanes) ni de ce qu’implique sa nouvelle destinée. Initialement venue pour faire le ménage dans cette demeure, Jade se retrouve propulsée au rang d’apprentie courtisane qui doit apprendre tous les arts du métier. Elle se lie d’amitié avec Lotus, l’une des deux filles de Silver, elle aussi destinée à devenir une gisaeng. De ce point de départ, quatre longues périodes vont alors se suivre. L’histoire de Jade se développer au fil des années, de 1917 à 1965, rythmées par l’occupation japonaise dont sont victimes les Coréens. Au cours de l’histoire de Jade, de nombreux personnages apparaissent : hommes et femmes, Coréens et Japonais, chacun jouant son rôle et incarnant un humain en quête de sens dans ce chaos. Et c’est bien là tout le propos de l’ouvrage : réussir à se faire une place et à accéder au bonheur dans un monde de violence qui nous dépasse.
Présentée comme une histoire dans la lignée de Pachinko de Min Jin LEE, Créatures du petit pays de Juhea Kim ne se passe pas au Japon, comme son prédécesseur, mais bien en Corée. Une Corée en souffrance où règnent les Japonais qui n’ont qu’un but : annihiler la culture coréenne et étendre la culture japonaise au-delà des frontières de leur pays. Avec une plume particulièrement poétique et sensible, l’autrice nous emmène avec elle à la croisée de différents destins à la fois émouvants et si réalistes. L’histoire, qui ne lésine pas sur les malheurs, ne laisse pas indifférent le lecteur qui découvre les différentes périodes de l’occupation japonaise ainsi que les différents regards qu’ont porté dessus ceux qui l’ont vécu. Le récit est poignant et les personnages sont attachants : le tout nous plonge dans une fresque historique où l’on ne voit pas venir les événements. Un roman d’une grande délicatesse qui nous conte l’histoire de ces Coréens et Japonais qui ont vécu l’occupation japonaise en Corée.
Créatures du petit pays de Juhea Kim est disponible aux Éditions 10/18 au prix de 9,60 euros. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le traducteur des lettres d’amour de Lynne Kutsukake
Résumé : « 1946. Après avoir passé la Seconde Guerre mondiale dans un camp d’internement canadien à cause de leurs origines japonaises, Aya, 13 ans, et son père sont contraints de partir vivre au pays du Soleil-Levant, que l’adolescente n’a pourtant jamais connu. Aya découvre alors un Tokyo dévasté, et sous occupation américaine, où son statut de « repatriée » fait d’elle une paria. Jusqu’à ce que sa voisine de classe, Fumi, décrète qu’Aya, grâce à sa maîtrise de l’anglais, pourrait être capable de l’aider à retrouver sa soeur disparue, Sumiko. Leur enquête mène les deux adolescentes dans le monde trouble du dangereux quartier de Ginza, sans savoir que leur professeur, Kondo Sensei, y travaille la nuit, en tant que traducteur des lettres d’amour que les Japonaises envoient aux G.I., et qu’il pourrait détenir la clé du retour de Sumiko… »
Dans Le traducteur des lettres d’amour, on découvre un Japon meurtri par la défaite et qui est contraint de se plier à la démocratie imposée par les Américains. Les Japonais découvrent une nouvelle façon de vivre et tous les regards se tournent vers le commandant suprême des forces alliées MacArthur, le symbole de l’Amérique, qui porte fièrement les valeurs de son pays. Des lettres, il en reçoit des centaines : tout le monde lui écrit, que ce soit pour le remercier de sa présence ou pour crier à la rébellion, mais c’est surtout des appels à l’aide qui lui parviennent. Il faut dire que sa réputation le précède : le grand général MacArthur vient en aide aux Japonais qui ont besoin de lui ! Fumi, qui recherche désespérément sa sœur, a alors une idée : lui écrire. Mais pour cela, il faut quelqu’un qui sache parler anglais. Et ça tombe bien, Aya vient d’arriver dans sa classe.
Contrairement à ce que le résumé peut laisser paraître, Le traducteur des lettres d’amour ne se concentre pas uniquement sur le destin des petites Fumi et Aya. Si l’histoire de fond est en effet la recherche de la grande sœur de Fumi qui n’est plus rentrée à la maison depuis plusieurs mois, ce n’est finalement ici que le fil rouge qui va amener les différents protagonistes à jouer leur rôle. On suit donc les histoires des deux petits filles, oui, mais pas seulement. Leur professeur Kondo ainsi que Matt sont les deux personnages masculins de cette histoire que l’on découvre en parallèle des aventures de Fumi, des souvenirs d’Aya, et des flashs de Sumiko. Chacun d’entre eux vit la fin de la guerre et l’occupation américaine du Japon à sa manière, et c’est là toute la force de l’ouvrage : la lecture des différents regards et vécus de cette situation que tout le monde subit. Hommes, femmes, enfants, rapatriés… Tous n’ont pas le même rapport avec les Américains et les Japonais, et tous ne vivent pas la même histoire avec ces deux pays.
Si Créatures du petit pays se concentre sur la relation Corée – Japon, dont on entend souvent parler dans les médias, car tendue encore aujourd’hui, Le traducteur des lettres d’amour se concentre, lui, sur la relation Japon – Amérique. Le Canada est aussi acteur de cet ouvrage, puisque la petite Aya est une ancienne habitante du pays, renvoyée au Japon à la fin de la guerre. Si vous avez lu Ma sœur est morte à Chicago, vous connaissez alors l’existence des camps d’enfermement des nippo-américains. Mais saviez-vous que le Canada avait aussi mis en place ces camps ?
Au-delà d’être de simples romans, les ouvrages présentés ici nous permettent de mieux connaître et comprendre les faits historiques et leurs conséquences sur le monde d’aujourd’hui.