BLACK JACK : l’œuvre intime de Osamu TEZUKA
Parmi les mangakas légendaires présentés dans notre précédent article, attardons-nous aujourd’hui sur l’un des plus connus à l’international : Osamu TEZUKA.
Le « dieu du manga » est reconnu pour des œuvres majeures telles que Astro Boy, Princesse Saphir ou Le Roi Léo. Ces œuvres ont durablement marqué son époque et continuent d’inspirer les mangakas modernes. Mais on remarque que, malgré leurs thèmes matures, les mangas cités s’adressent surtout à un jeune public. En effet le courage, la pureté et la détermination de ses héros œuvrent pour redonner de l’espoir aux Japonais, ces derniers étant profondément marqués à l’époque par la défaite de la seconde guerre mondiale.
Ainsi, on connaît surtout TEZUKA en temps que grand rêveur, un humaniste qui a insufflé l’optimisme à plusieurs générations. Mais au cours de sa carrière, il a aussi partagé des histoires bien plus tragiques et mélancoliques, telle celle de Black Jack.
La genèse d’un médecin
Née en 1928 dans la préfecture de Osaka, Osamu TEZUKA grandit entouré d’arts et de nature. Son père lui fait découvrir le cinéma avec leur projecteur familial, alors qu’ils n’étaient pas encore démocratisés dans les foyers japonais ! TEZUKA s »est inspiré du 7e art pour composer ses structures narratives, exploiter les différents champs d’une même scène, ou encore créer des personnages récurrents à la manière d’un star système.
C’est en découvrant des créations de Walt Disney, notamment Bambi, que TEZUKA créé des protagonistes mignons. Ils sont reconnaissables à leurs grosses têtes sur des petits corps, leurs grands yeux expressifs, leurs moues innocentes enfantines… Le style artistique de Tezuka est tout en rondeur et en souplesse. Les pitreries de Charlie Chaplin ont de leur côté marqué les gags visuels du futur mangaka. Dans ses œuvres il mêle l’innocence et les gags à des thématiques sérieuses. Il n’hésite pas à évoquer la guerre, la discrimination, les nouvelles technologies, et leurs répercussions à échelle humaine. Fervent défenseur de la paix et des droits de l’homme, ses héros n’hésitent pas à s’opposer à leur société oppressive pour défendre les innocents.
Malgré ses talents au dessin remarqués par ses camarades de classe, il n’avait pas envisagé d’en vivre. Il publie ses premiers mangas à l’âge de 17 ans chez Shōkokumin Shinbun, où il devint officiellement un des rédacteurs. En parallèle de sa carrière précoce, il s’était lancé dans des études de médecine à Osaka. Le succès débute à la sortie en 1947, peu de temps après la fin de la guerre, avec sa réinterprétation du roman l’Île au Trésor. Mais il a surtout marqué le paysage japonais en 1952 avec Astro Boy. La même année il finalise ses études de médecine et s’investit pleinement dans le mangas.
TEZUKA met un pied dans le monde audiovisuel en créant en 1961 son studio d’animation Mushi Production. Deux ans plus tard il réalise la série dédiée à son petit robot, puis en 1965 la première série d’animation en couleur : Le Roi Léo. Mais en 1973, le studio met la clef sous la porte et TEZUKA vit très mal cette faillite. Quelques mois plus tard, il donne naissance à un ténébreux personnage marqué d’une profonde balafre au visage : Black Jack.
Il développe ses aventures sur dix ans dans 17 tomes, et il continue de noircir des pages jusqu’à son dernier souffle en 1986. On retiendra de TEZUKA son incroyable productivité. On compte plus de 170 000 pages dessinées au cours de sa carrière, 700 œuvres signées et 70 métrages réalisés. La fin de sa carrière a été marquée par des œuvres sombres adressées à un public plus adulte, tels Les 3 Hitlers. TEZUKA s’éteindra en 1989, à 61 ans, des suites d’un cancer.
L’histoire du chirurgien de l’ombre
Suite à l’explosion d’un obus abandonné, le jeune Hazama Kuroo et sa mère subissent de graves blessures mortelles. Seul le petit garçon survit de justesse. Il garde cependant, de sa lourde opération, de multiples cicatrices. Dont une grande balafre traversant son visage et une greffe de peau d’un ami métisse.
En s’investissant plus tard dans ses études de médecine, Kuroo découvre les travers de ce milieu. Ne pouvant tolérer la corruption et les jeux de pouvoir disséminés dans l’ombre, il arrête ses études avant d’obtenir sa licence. Depuis il exerce sa profession en retrait de ses confrères. La majorité du corps médical le traite de pirate pillant les modestes familles et utilisant sur ses patients de méthodes abusives. Cependant son talent hors-pair pour toutes les spécialités chirurgicales est reconnu, par tous les médecins.
Vivant volontairement reclus de la société, son adresse n’est accessible que par le bouche à oreille. Ainsi, les âmes désespérées à se démener pour accéder à ce dernier recours. Par son souhait de rester le plus souvent possible dans l’anonymat, le prodige du scalpel est parfois présenté comme une légende urbaine jamais vérifiée. Surnommé au fil des années Black Jack, le médecin malaimé teste les nerfs de ses patients avant d’accepter toute opération. D’un sourire narquois, il annonce des prix faramineux et se fiche d’endetter des familles à vie. L’assurance du médecin balafré s’explique par sa propre conscience d’être le meilleur médecin du monde.
Il arrive à Black Jack de refuser de pratiquer certaines opérations malgré la détresse de ses patients… Ou, à l’inverse, accepter d’en réaliser mais en refusant exceptionnellement leur argent. Le chirurgien ne manque pas de malice pour, en de rares occasions, détourner l’argent d’une personne fortunée et régler les honoraires d’un modeste patient… Un Robin des bois des temps modernes. Mais il agit toujours sans jamais démontrer ouvertement son attachement à quiconque. Sa seule requête est que l’on ne diffuse jamais son nom, qu’il réussisse ou non une intervention médicale.
Le plus souvent, les patients venant à Black Jack ont des revenus très modestes, ou sont tout simplement pauvres. Il n’est pas rare qu’un autre médecin réputé préfère sauver un diplomate haut placé ou un riche héritier à une personne lambda. L’abus de pouvoir étant justement reproché au médecin de l’ombre. TEZUKA nous invite à nous questionner : qui est finalement le médecin le plus combinard ?
Un univers trop sombre ?
Les sujets abordés (termes médicaux, jeux de pouvoirs, corruptions et malversations) s’adressent surtout à un public adulte. Les anatomies détaillés peuvent aussi déplaire aux lecteurs les plus sensibles : certaines maladies ou malformations exposent des corps déformés, et les scènes d’opérations montrent des chair à vifs. Les situations présentées reprennent ou s’inspirent de faits véridiques (sauf quelques cas mystiques, exagérés). Le lecteur peut être dérangé de ce rapprochement au réel. De plus, malgré ses talents chirurgicaux, Black Jack n’arrive pas systématiquement à sauver tout le monde. Face aux cas complexes et aux échecs, il nous est présenté comme dépassé par ses capacités humaines. Son désespoir peut le pousser à des accès impressionnants de colère (meubles soulevés, objets brisés, visage déformé). Le reste du temps il se montre austère, capricieux et peu aimable avec son assistante Pinoko.
Attentionnée et maladroite, la jeune assistante du médecin met tout en œuvre pour l’aider au quotidien. Elle assure l’entretien du foyer comme elle l’assiste devant la table d’opération. Selon les situations, elle crée des scènes comiques ou amplifie les émotions d’une scène. Il lui arrive aussi de casser certaines scènes sérieuses par des interventions maladroites ou en défendant ardemment la réputation de Black Jack. Quand ce dernier refuse d’aider un patient, Pinoko n’hésite pas à le rouspéter du haut de sa petite taille. Elle assume son fort caractère et sa prise de défense des opprimés. La jeune teigneuse peut être interprétée comme la conscience humanisée de Black Jack, celle qui représente et défend ardemment ses convictions : la bonté et la dévotion.
Les aventures du chirurgien exceptionnel ont été adapté à l’écran dans différentes ambiances. Dans ses OAV (1993-2011), les aventures se déroulent dans ses décors sombres et les dessins sont très détaillés. Les histoires ne laissent aucune place à l’humour et à la légèreté. Les fans amateurs de thriller et de suspens sont alors le public cible. Différemment la série de 2004-2006, s’adresse à une audience plus large. Les dessins sont plus fidèles au manga, on insiste moins sur les corps opérés (mais on continue d’en exposer !) et les conclusions sont le plus souvent positives. On remarquera par exemple que la chienne Largo devient ici un personnage récurrent alors qu’elle ne figure que dans un unique chapitre du manga original.
Dans cette seconde adaptation, Black Jack va passer du temps avec Pinoko en ville, l’emmenant manger des sushis ou visiter un zoo. Même s’il ne s’investit pas dans leurs loisirs, il fait plaisir à son assistante et ponctue leur quotidien de sorties. Ce qui change du manga où il est plutôt casanier. Le ton est plus léger tout en préservant les forts enjeux et la dramaturgie qui découle de ses rencontres : amputations, pauvreté, deuil.
Pour autant, qu’il s’agisse de la série ou des OAV, tous deux reprennent fidèlement l’univers… à leur façon.
Malgré ses travers, Black Jack incarne pleinement la bonté humaine. Plus que quiconque, il s’implique corps et âme dans sa profession. Quand une situation lui échappe, ses frustrations et ses accès de colère témoignent de son attachement aux patients… De son humanité, aussi. Il se démène, jusqu’à se mettre en danger, pour ne laisser aucun cadavre sur sa table d’opération. Mais pudique et faisant difficilement preuve d’empathie, il ne montre rien de ses sentiments. Il se peut que des lecteurs ne voient en lui qu’un personnage froid, demandant des honoraires astronomiques car se sachant extrêmement doué, s’impliquant dans les opérations au rythme de ses envies et des intérêts qu’il peut en tirer. Mais pour vous, qui est réellement Black Jack ?
Par les reproches formulés directement par Black jack, ou par d’autres personnages, le mangas critique ouvertement les travers du milieu médical. Tezuka y dénonce le favoritisme des médecins en fonction du statut des patients et des intérêts qu’ils peuvent en tirer. Le chirurgien balafré incarne ainsi l’idéal médical du mangaka, détaché des richesses et de la renommée des personnes se présentant à lui. Mais surtout une personne n’hésitant pas à se dépasser pour comprendre les plus complexes cas cliniques et sauver tous les patients dits condamnés. Ses exploits miraculeux deviennent la version fantasmée de la carrière médicale que Tezuka n’a pas suivi.
Pensez-vous qu’une IA, combinée au travail d’artistes talentueux et amoureux de l’univers Tezuka, est en mesure de poursuivre fidèlement les aventure du médecin de l’ombre ? L‘article ci-joint présente le projet ambitieux du fils du dieu du mangas : Makoto TEZUKA. Qu’en pensez-vous
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