A Man : un film qui questionne sur l’identité
A Man est le nouveau long-métrage du réalisateur Kei ISHIKAWA, à qui l’on doit notamment Gukôroku. C’est d’ailleurs l’acteur Satoshi TSUMABUKI qui tient le rôle principal dans les deux films. Dans ses œuvres, le réalisateur explore différents aspects de la société japonaise, et la thématique qui ressort le plus concerne l’identité et les choix de vie. A Man s’inscrit dans cette lignée de questionnements sur soi, sur les décisions qui nous poussent à construire notre parcours de vie. Intéressons-nous à ce film à la trame complexe mais fascinante.
Du film aux sujets de la société actuelle
Un scénario banal pour des réflexions profondes
Le synopsis de A Man est en soi simple et sobre : « Rie découvre que son mari disparu n’est pas celui qu’il prétendait être. Elle engage un avocat pour connaître la véritable identité de celui qu’elle aimait. » C’est juste ce qu’il faut pour avoir envie d’en savoir plus et de visionner le film, sans dévoiler le cœur de l’intrigue.
L’histoire prend place dans la région du Kyûshû, dans le département de Miyazaki. On y découvre Rie, une jeune femme divorcée et mère de deux enfants, dont l’un décédé de maladie très jeune. Elle rencontre Daisuke, un jeune homme nouvellement arrivé en ville, avec qui elle commence à s’entendre rapidement. Ils se marient, ont un enfant ensemble et leur quotidien semble être un long fleuve tranquille. Jusqu’au jour où Daisuke meurt dans un tragique accident et que, lors de la commémoration du premier anniversaire de sa mort, le frère de ce dernier découvre la photo du défunt. Il annonce alors à Rie que l’homme de la photo n’est pas Daisuke mais un parfait inconnu.
Rie décide de faire appel à un avocat pour enquêter sur la fausse identité de son défunt mari, car cela pourrait faire basculer de nombreuses choses de son quotidien. S’il n’est pas Daisuke Taniguchi, quel nom va-t-elle porter avec ses enfants ? Qui est le véritable Daisuke, déclaré mort depuis un an ? Quel impact tout cela peut-il avoir sur l’assurance-vie ? Tant de questions qui vont être abordées tout au long du court-métrage, s’insérant dans des questionnements bien plus profonds encore.
Des personnages qui pourraient tous être les héros
L’affiche du film représente l’avocat, Kidô, interprété par Satoshi Tsumabuki. Cependant, même si l’intrigue semble graviter autour de lui, l’on pourrait considérer chaque personnage comme central à un moment donné du film. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, ainsi que des éléments décisifs à la compréhension de la trame. De plus, chacun d’entre eux représente un aspect différent de la société. Rie est cette femme divorcée, élevant son fils (puis sa fille) seule, dans une société où le divorce n’est pas encore tout à fait monnaie courante.
Daisuke représente ces personnes prêtes à tout pour changer de vie et y donner un sens. Son arrivée dans la ville où vit Rie sonne comme un nouveau départ, un nouvel endroit pour s’établir. Kidô représente quant à lui le côté plus rationnel de la loi, par son métier d’avocat, contrastant avec la prédominance émotionnelle et amoureuse entre Rie et Daisuke. En quête de vérité, il va creuser dans le passé de tous les personnages ayant un lien de près ou de loin avec l’affaire.
Des personnages secondaires hauts en couleurs
Les personnages secondaires ne sont pas en reste : de la femme de Kidô au frère de Daisuke, en passant par les personnes interrogées tout au long de l’enquête. Chacun apporte une nuance supplémentaire au tableau global du film et sans eux, il n’aurait pas la même saveur. C’est cependant le point de vue et les ressentis de Yûto, le fils aîné de Rie, qui sont le plus parlants. On le découvre enfant au début du film, et adolescent le reste du temps. Ses questionnements légitimes sur l’identité de son père d’adoption, faisant écho à la sienne, sont particulièrement saisissantes. En effet, le jeune homme a d’abord porté le nom de son père biologique, puis après le divorce, celui de sa mère. Il a ensuite pris celui de Daisuke. Mais puisque ce dernier n’était pas celui qu’il prétendait être, qu’en est-il de l’identité de Yûto ? Les histoires et les destins de chacun s’entremêlent astucieusement. C’est à travers le regard de ces personnages secondaires qu’on réalise l’impact des actes des principaux, comment chaque choix peut influencer la vie des autres en plus de la sienne.
Un jeu d’acteur juste et émouvant
Si l’on peut facilement s’identifier à différents personnages et comprendre leurs décisions, c’est grâce à un jeu d’acteur efficace. En tête d’affiche, on retrouve Satoshi Tsumabuki qu’on ne présente plus, puisqu’il est présent dans de nombreux films à visée internationale. Nous avons pu le voir dans plusieurs films portés par les Saisons Hanabi tels que La Famille Asada ou The Housewife. Il a d’ailleurs reçu le prix du meilleur acteur en 2023 pour A Man. A ses côtés, on retrouve Sakura ANDÔ dans le rôle de Rie, très touchante dans son rôle de femme divorcée, remariée, veuve, et mère célibataire. Elle a notamment joué dans le film Une Affaire de Famille de Hirokazu KORE-EDA. Enfin, la troisième tête d’affiche revient à Masataka KUBOTA, un acteur aux talents multiples. Que ce soit sur petit ou grand écran, il a de nombreux rôles à son actif et prête aussi sa voix à des personnages de films d’animation, comme Poupelle dans le film De l’Autre Côté du Ciel.
Ces trois acteurs ne sont pas à leur coup d’essai et véhiculent des émotions fortes et justes à travers leur jeu. On se met aisément à la place des personnages, on comprend leurs combats internes. Kubota est particulièrement convainquant dans son personnage à l’identité multiple, et on le découvre progressivement tout au long du film. Tsumabuki nous plonge dans son enquête, dans laquelle il finit par se perdre lui-même, remettant en jeu sa propre identité. On ressent son tiraillement entre sa vie personnelle et son besoin irrépressible de trouver la vérité.
Une fin ouverte qui pousse à la réflexion
En visionnant A Man, il ne faut pas s’attendre à un scénario de type : introduction – déroulement – dénouement. Il y a bien évidemment des explications aux différents mystères intervenant tout au long du récit, mais le film propose une fin ouverte que le spectateur peut interpréter selon sa propre vision des choses. Et c’est là tout l’intérêt du long-métrage. Le réalisateur Ishikawa précise d’ailleurs qu’il a volontairement choisi le titre A Man (ある男、Aru Otoko en japonais) pour montrer que, même s’il dépeint l’histoire de Daisuke, Rie et Kidô, la situation narrée pourrait s’apparenter à n’importe quel être humain. C’est simplement l’histoire « d’un homme » parmi tant d’autres.
Cette fin ouverte est donc un excellent moyen pour le spectateur de se questionner sur ses propres choix de vie. Aurait-il agi de la même manière que les personnages dans des situations similaires ? Notre passé est-il parfois trop lourd pour vivre pleinement notre propre présent, si bien qu’on veuille changer radicalement de vie ? Notre parcours, notre famille, définit-elle vraiment notre vie ? Quel héritage laissera-t-on derrière nous ? Quel sera l’impact de nos actes et de nos décisions ? Quelle est notre identité profonde et pas celle qu’on montre à la société ?
Le sens du détail
A Man fait partie de ces films qu’il faudra certainement revoir au moins une seconde fois pour en saisir toutes les subtilités. En effet, l’œuvre est ponctuée de nombreux flashbacks, de changements d’époques pas toujours explicitement précisés, de points de vue des personnages, ce qui peut rendre la lecture globale complexe. On a envie de faire pause, revenir en arrière pour vérifier tel ou tel propos, s’attarder sur les détails.
Car oui, tout est dans le détail et rien n’est laissé au hasard. Certaines scènes du début du film, qui peuvent laisser le spectateur perplexe car il n’y a pas d’explication particulière, prennent tout leur sens une fois les morceaux du puzzle assemblés. De nombreux indices sont disséminés tout au long du long-métrage afin de comprendre où le réalisateur souhaite nous emmener. Ce n’est donc qu’à la fin du film qu’on se rend compte à quel point tout prend son sens, même s’il subsiste encore de nombreuses interrogations. La dernière scène est particulièrement ambiguë et c’est sûrement celle qui soulèvera le plus de réflexions sur l’identité du personnage en jeu, le but derrière ses agissements.
Kei Ishikawa : un réalisateur prometteur
Un parcours atypique
Kei Ishikawa a fait ses études entre Sendai, dans la région du Tôhoku, et la Pologne. Si c’est à l’origine le coût élevé des écoles de cinéma de Tokyo ou américaines qui l’ont poussé vers l’Europe de l’Est, ce pays qui a accueilli Ishikiwa semble lui avoir bien convenu. Aujourd’hui, les différents films du réalisateur sont teintés d’influences tant européennes que japonaises. Il a d’ailleurs collaboré avec un chef opérateur polonais, Piotr Niemyjski, pour ses trois premiers films. Sa toute première œuvre, Gukôroku (qui n’a pas été diffusée en France), a été sélectionnée au festival de Venise. C’est à ce moment-là qu’Ishikawa rencontre deux collaborateurs-clés pour la suite de sa carrière cinématographique. Il s’agit de Kôsuke MUKAI, et de Satoshi TSUMABUKI, qui seront respectivement scénariste et acteur principal dans A Man.
Des thématiques récurrentes dans ses films
De manière générale, Ishikawa semble apporter une attention particulière à des thèmes de société tels que les inégalités sociales, les choix de vie que l’on fait et si cela correspond à ce que nous sommes… A travers ses films, il explore l’identité humaine en proposant des réflexions profondes et en abordant des sujets parfois difficiles et souvent évités dans d’autres œuvres. Dans A Man par exemple, on s’intéresse notamment au statut des Zainichi, les Coréens nés au Japon et qui subissent encore beaucoup de racisme. On aborde également avec justesse la question du poids de notre passé, nos origines, notre famille, dans notre propre vie. Quant au divorce, c’est un sujet encore peu vu dans le cinéma japonais, et qui pourtant s’ancre de plus en plus dans les mœurs du pays.
Des adaptations fidèles mais avec un parti-pris assumé
Il n’est pas rare que les films d’Ishikawa soient librement adaptés de romans. C’est notamment le cas de son premier long-métrage Gukôroku, issu d’un polar de Tokurô NUKUI, mais aussi de A Man, qui est l’adaptation cinématographique du livre éponyme de Keiichiro HIRANO. Ce roman, bien que traduit dans de nombreuses langues, ne l’a pas été en français. Si l’adaptation proposée par Ishikawa semble relativement fidèle à l’œuvre originale, le réalisateur dissémine çà et là ses propres convictions et visions des thématiques de société abordées dans l’histoire. Il omet volontairement des détails présents dans le livre pour donner une autre dimension et susciter d’autres réflexions à travers son film. Il propose ainsi une image plutôt juste du Japon actuel, sur fond d’enquête sur l’identité d’un homme qui semble avoir voulu se détacher de son passé.
Somme toute, A Man est un film sans fin en soi, racontant un pan de vie de plusieurs personnages en quête de leur identité. C’est une œuvre invitant à réfléchir à nos actes, nos décisions et nos choix de vie ainsi que l’impact sur autrui. Kei Ishikawa livre ici un long-métrage poignant, émouvant et qui permet de plonger davantage dans la société japonaise actuelle pour mieux la comprendre. Si vous ne voulez pas gâcher la surprise de l’intrigue, Journal du Japon vous déconseille de regarder la bande d’annonce ci-dessous, un peu révélatrice. Bon visionnage.
Très beau film émouvant qu’il faut voir absolument 2fois pour en saisir toutes les subtilités .
Bonjour,
Je suis désolée, je n’avais pas vu votre commentaire. Je suis bien d’accord, j’ai hâte de le voir une seconde fois pour voir comment mon regard a mûri après le premier visionnage.