Gaming Memories #61 – Hotel Dusk : Room 215
Bienvenue dans le 61e numéro de Gaming Memories. Cette fois-ci, nous vous ramenons carrément en 1979, à une époque où tout était encore en noir et blanc… au travers du jeu d’aventure textuelle Hotel Dusk : Room 215, sorti en 2007 sur Nintendo DS. Attrapez donc votre stylet et apprêtez-vous à vivre une aventure singulière des plus passionnantes !
Un studio éphémère qui marque l’histoire à sa façon
À l’origine d’Hotel Dusk : Room 215 se trouve le petit studio indé CING (se prononce Shingu, à la japonaise), composé de seulement 29 personnes. Bien que ce groupe ait été formé en 1999, leur premier jeu (Glass Rose pour Capcom sur PlayStation 2) sort en 2003. CING se rapproche bien vite de Nintendo car l’intégralité de leur très courte ludothèque (huit jeux) est sortie sur Nintendo DS et Wii. Après un Another Code : Two Memories sur console portable en 2005, l’éditeur rempile avec Hotel Dusk deux ans plus tard…
Celui-ci est à mi-chemin entre visual novel et point’n’click et se démarque de la concurrence par un style graphique surprenant qui utilise une technique assez rare dans le jeu vidéo : la rotoscopie. Cette technique, principalement cinématographique, consiste à utiliser des prises de vue réelles et filmées pour ensuite relever les contours des personnages ou objets image par image pour permettre de reproduire un plus grand réalisme dans les mouvements. Avant Hotel Dusk, cette technique avait été utilisée pour plusieurs jeux cultes par le passé, tels que Prince of Persia, Another World ou encore Flashback.
Le jeu apparaît pour la première fois à l’Electronic Entertainment Expo (E3 pour faire court, grand salon annuel dédié aux sorties jeu vidéo à venir) en mai 2006. Sa production prend un an et demi à une équipe de vingt personnes. La touche graphique particulière du jeu, qui utilise donc cette technique de rotoscopie mêlée à du dessin, était la volonté de son producteur Taisuke KANASAKI, qui voulait un style non utilisé jusqu’à présent. Il était appelé « Wish Room » lors de sa production, thème qui reviendra dans le jeu malgré son titre définitif différent.
Hotel Dusk : Room 215 sort finalement le 22 janvier 2007 aux Etats-Unis, trois jours plus tard au Japon et en avril en Europe sur Nintendo DS. Détail intéressant : sa sortie en Corée du Sud se fait deux ans plus tard, le 12 février 2009…
À la manière d’un polar noir…
Découvrant la vérité sur son ami, il doit lui faire face et faire régner la justice… pointant son arme sur son lui, Kyle fait feu. Bradley tombe dans la baie derrière lui et son corps est porté disparu.
C’est le cauchemar qui revient régulièrement hanter Kyle depuis. Ce dernier, qui a quitté les forces, travaille désormais pour Red Crown, une société de porte-à-porte sous laquelle le patron règle parfois quelques affaires un peu louches avec l’aide de l’ancien policier. Celui-ci s’arrête donc à cet hôtel, l’Hotel Dusk tel qu’il se nomme. Au moment de prendre une chambre, le patron est surpris que son nouveau client porte le même nom qu’un précédent visiteur – visiteur qui semble ressembler à Bradley, si l’on suit sa description…
Le représentant en vente héritera de la chambre 215 du motel : celle que l’on nome « Wish » – une chambre supposée réaliser les souhaits de son occupant. Il découvrira bien vite que d’une manière ou d’une autre, l’hôtel semble cacher quelques petits secrets et que, mystérieusement, certains de ses occupants semblent avoir un rapport avec son propre passé, qui le lie à son ancien collègue. Et puis…
… qui est cette jeune femme muette que Kyle croise sur la route, jusqu’à la retrouver à l’hôtel quelques heures plus tard ? Elle porte, à son poignet, le même bracelet que Bradley…
Point’n’click portable
Le point’n’click est un genre de jeu qui s’apprécie habituellement sur PC. On prend sa souris, on la met à un endroit précis de l’écran et on clique, le personnage s’y rend et interagit avec ce qui s’y trouve. Ici, on remplace bien entendu la souris par le stylet de la console, mais le concept reste exactement le même. On se déplace à l’intérieur du motel à l’aide du stylet, on ouvre les menus avec, fait défiler les textes avec, bref, tout ce qu’il est possible de faire dans le jeu se fait à travers ce petit objet. Bien sûr, les touches directionnelles ne sont pas inactives et peuvent être utilisées pour déplacer le personnage si l’on préfère, mais c’est à peu près tout ce à quoi elles servent.
Ainsi, on voyage à l’intérieur du petit hôtel et rencontre ses locataires. En discutant avec eux, on en apprendra plus sur la raison de leur présence sur les lieux, et on fera parfois des choix dans les conversations – si on le souhaite, bien sûr. Dans le cas où c’est possible, une icône apparaît pour signaler qu’une interaction dans la conversation est possible : libre à nous d’interrompre notre interlocuteur ou non, ce qui peut influencer à la fois cette discussion et même certains évènements : Kyle ne mâche pas ses mots et ne se prive pas de fourrer son nez partout pour avoir plus de détails sur ce qu’on lui raconte… ce qui peut parfois mal tourner.
À la fin de certaines conversations, il est aussi parfois possible de demander plus de détails à propos de quelque chose qui aura attiré l’attention du personnage. Là encore, libre à nous de demander plus d’informations ou non, dans l’ordre que l’on souhaite par ailleurs, ce qui peut donner des dialogues légèrement décousus (Kyle demandera des détails à propos de quelque chose que l’on vient déjà de lui dire si l’on avait parlé d’autre chose avant). Le jeu reste cependant plutôt linéaire dans son déroulement, car il est assez peu probable de rater un évènement clé à part si cela a été prévu – ce qui peut parfois, comme faire de mauvais choix, mener à une mauvaise fin dans laquelle Dunning Smith, le patron du motel, renverra notre protagoniste hors de ses locaux. Pas de discussion, on dégage et c’est tout !
Le jeu est découpé en tranches d’heures et chapitres. Le temps ne défile pas pour autant tant que cette partie n’est pas terminée, mais certaines choses ne peuvent être faites qu’à certaines heures. Pendant ce temps, libre à nous de fureter un peu partout, parler aux locataires ou non car surtout, il faudra remplir ses objectifs (aller voir telle ou telle personne, trouver un objet, résoudre un mystère…). Parfois, des petits puzzles viennent également ponctuer la partie pour faire avancer la trame. Et dans le cas où l’on serait perdu, il y a un historique des discussions passées pour se rafraichir la mémoire, et à la fin de chaque chapitre, le personnage entamera un monologue interne où il résume tout ce qu’il vient d’arriver – le joueur ayant à répondre aux questions pour être sûrs qu’il ait tout bien assimilé. Et Nintendo DS oblige, il est même possible d’écrire dans le carnet de Kyle soi-même pour ne pas oublier quelque chose !
Une production modeste qui brille autant qu’elle le peut…
Hotel Dusk accueille directement le joueur dans une séquence d’introduction principalement en 2D, taillée dans ce style étonnant et ô combien charismatique. Les personnages sont réalistes, leurs expressions crédibles et nombreuses, et, que l’on aime ou non, l’utilisation de la rotoscopie donne à la production un caractère unique. Les protagonistes sont forts présents à l’écran pour la plupart. Du fait qu’ils soient en noir et blanc, comme du dessin, cela les détache du reste et les met d’autant plus en avant. Immédiatement, Hotel Dusk fait preuve d’un charme unique sur la console portable à deux écrans.
Le moment où l’on aperçoit de la 3D, en revanche, plonge sous une douche plutôt tiède. Certes, la Nintendo DS n’est pas réputée pour être ce qui se faisait de mieux dans le domaine, et surtout face à sa rivale la PSP bien plus puissante. Mais là, on sent déjà un manque de moyens évident. Bien sûr, ce n’est pas ce que l’on va chercher à regarder le plus et l’ambiance du motel sobre et un peu décrépi par endroits se ressent bien, et les pixels aussi. On a beau pouvoir effectuer quelques rotations de caméra lorsqu’on examine quelque chose, cela ne mettra clairement pas cet aspect du jeu à son honneur.
Si l’on peut pardonner tout cela, on aura peut-être un peu plus de mal à accepter la bande-son du jeu. Trop souvent dans les mêmes tons, avec les mêmes instruments et le même tempo, celle-ci s’avère trop peu passionnante. Pire encore, certains thèmes sont carrément dignes d’une musique d’ascenseur. Ce qui a son sens dans un hôtel, bien sûr, mais déjà beaucoup moins dans un jeu vidéo. Tout n’est pas à jeter pour autant, car ce n’est pas non plus catastrophique. Certains morceaux sortent même bien du lot en exprimant un certain mystère emprunt d’une douce mélancolie qui fonctionne très bien.
Hotel Dusk : Room 215 doit pouvoir être terminé en une dizaine d’heures, environ. « Doit », car cela dépend évidemment des performances du joueur, sa capacité à résoudre les énigmes plus ou moins vite et à trouver quoi faire, où et quand – comme tout bon point’n’click, il faut s’attendre à tâtonner pour trouver la suite par moments. Le jeu est plutôt dirigiste dans sa majorité, au point que l’on a parfois la résolution d’une énigme avant même qu’il ne soit proposé de la résoudre ; en contrepartie, certaines d’entre elles, bien que très rares, sont assez tordues. Imaginez-vous être en train de chercher à rendre visible la signature gravée mais effacée par le temps d’un stylo-plume, que feriez-vous ? Hé bien, c’est très simple ! Rendez-vous aux cuisines de l’hôtel (qui étaient jusqu’alors indisponibles), pour y remarquer un sac de farine ouvert, pour ainsi interagir avec pour que Kyle y plonge son doigt, puis sur les rainures du stylo pour faire apparaître le nom gravé dessus visible ! Logique, pas vrai ?
Le jeu reste, quoi qu’il en soit, facile d’accès et évident à prendre en main. À tout moment, une barre d’actions fixes se trouve en bas de l’écran (interagir avec une porte, avec quelqu’un, observer quelque chose…) et se met à clignoter lorsque l’action est possible. Il s’adapte aussi à toutes les mains : on peut choisir si l’on est droitier ou gaucher, ce qui inverse certaines options pour plus de confort. Le nom des chambres et autres salles de l’hôtel sont affichées en permanence sur le plan qui nous suit et sur lequel on peut diriger Kyle (à l’aide du stylet), et les sauvegardes sont possibles à presque tout instant. En gros, tout est fait pour que le jeu soit aisé à prendre en main pour tout le monde ! Bien que cela soit un peu trop rare, les autres fonctions spécifiques de la machine, comme le micro, sont mises à contributions dans quelques passages du jeu. Un titre définitivement bien adapté et pensé pour console.
Il ne faut pas juger un livre à sa couverture, dit-on. Hotel Dusk en est la preuve, depuis sa jaquette européenne peu attirante jusqu’à ses graphismes qui peuvent laisser froid. Mais une fois cela passé, on se trouve devant une œuvre passionnante. Ces personnages intéressants et uniques, tous doués d’une personnalité, ces lieux à apprendre à connaitre, gérer son temps – la production de CING ne cesse de donner envie d’aller plus loin, de découvrir la suite, de voir jusqu’où l’on peut aller dans une conversation, si c’est une bonne chose de pousser quelqu’un à bout ou non. Les mystères s’ajoutent les uns aux autres et, comme un roman passionnant, on se prend au jeu, avec son découpage en tranches d’heures et chapitres qui résument les évènements passés pour tenir le joueur en éveil. Bien sûr, on va éviter d’en révéler plus pour ne pas gâcher la surprise. Mais du début à la fin, le séjour de Kyle HYDE dans ce motel paumé passionne… encore un petit peu, je serai fatigué demain mais je ne peux pas arrêter maintenant ! (c’est ce que le rédacteur de cette rubrique à lui-même vécu à l’époque de sa première partie du jeu).
Un roman à succès aussi peut appeler à la suite
Hotel Dusk : Room 215 reçut des critiques relativement positives à l’époque. Tournant dans les 7.5/10 si l’on devait faire une moyenne des notes, il a su conquérir la majorité du public, mais pas tout le monde, bien entendu. Certains critiquèrent un coté un peu trop scripté ainsi qu’une linéarité certaine. Le soft a cependant pourtant fait parler de lui au point que même le New York Times a écrit dessus (certes pour ne pas en dire que du bien)…
Le jeu reçut quelques prix dans des classements de sites Internet et est devenu l’un de ces softs mémorables de la console. Cela lui vaut une suite, Last Window : Le Secret de Cape West en 2010. Celui-ci reprend exactement les mêmes mécaniques de jeu, la même ambiance, le même character design, mais se passe un an après la fin des évènements d’Hotel Dusk, alors que Kyle s’apprête à vivre une nouvelle aventure singulière dans le bâtiment dans lequel il réside. Cette deuxième aventure, bien qu’elle soit calquée sur la première, améliore cependant quelques-uns de ses points en rendant les puzzles un peu plus aisés et en y ajoutant quelques petites mécaniques supplémentaires. Mieux encore : il dispose d’un mode lecture, dans lequel un nouveau chapitre s’ajoute après chaque chapitre du jeu terminé, le transformant en un excellent et captivant roman à lire sur sa console !
Malgré les qualités des deux jeux, la firme à leur origine, CING, n’eut jamais la chance d’en faire plus. En difficultés financières depuis un moment, celle-ci met la clé sous la porte pour cause de faillite en cours de distribution. La deuxième aventure de Kyle ne sera ainsi distribuée qu’au Japon et en Europe sans jamais atteindre les Etats-Unis. Il fut le tout dernier jeu de la firme, et on n’entendit plus jamais parler de Kyle… mais avec Chase : Cold Case Investigations de la même équipe en 2016 et le retour d’Ashley (l’héroïne de leur autre série, Another Code)… qui sait ? A suivre !
Excellente la D.A. ! Le style est vraiment original.
Merci pour cette nouvelle découverte !
La DA est vraiment l’un des points marquants du jeu, en effet !
Juste au cas où, on a un test récent d’Another Code Recollection, le remaster de l’autre jeu du même éditeur sorti récemment.