L’art des charpentiers japonais : une exposition à découvrir d’urgence
L’exposition L’art des charpentiers japonais – Au cœur de l’architecture en bois traditionnelle joue les prolongations jusqu’au 10 février 2024 à la Maison de la Culture du Japon à Paris – MCJP.
En partenariat avec le Takenaka Carpentry Tools Museum, musée des outils de menuiserie situé à Kobé au Japon, cette exposition se penche sur le travail du bois et les prouesses réalisées par les artisans japonais, aussi bien pour des bâtiments religieux, que résidentiels.
Notre conseil : courez-y. Mais laissez nous vous expliquer pourquoi…
Un régal visuel et des trésors d’ingéniosité
Quand on débarque au Japon pour la première fois, ce n’est pas tant la beauté et la finesse de l’architecture en bois traditionnelle qui vous sautent aux yeux, mais plutôt la laideur et la brutalité de l’architecture contemporaine en béton et de son bric-à-brac formel. Pour rencontrer, la sérénité des temples, des pavillons de thé, des pagodes et des maisons anciennes en bois, il vous faudra prendre des chemins de traverse et… votre temps.
Les pavillons de thé et autres bâtiments de style sukiya, par exemple, incarnent une esthétique délicate qui privilégie la fragilité à la robustesse. Cette fragilité délibérée honore la beauté éphémère de la nature et témoigne du concept esthétique bien connu de wabi-sabi : la beauté et l’harmonie liées à l’impermanence. Mettant en valeur les matériaux naturels tels que le bois, le bambou, la terre, la paille de riz et de jonc (pour les tatamis), le papier washi (pour les cloisons coulissantes shoji), ces constructions entrent en symbiose avec l’environnement de l’archipel japonais.
Les lignes épurées et les proportions subtiles créent une atmosphère apaisante, invitant à la contemplation et à la méditation. Les dimensions modestes sont à taille humaine, elles ne cherchent pas à écraser les individus par leur grandeur. Les espaces intérieurs sont souvent modulables (avec des cloisons, des portes et des fenêtres coulissantes). Une reproduction à échelle 1 du Sa-an, un célèbre pavillon de thé kyotoïte, permet de se rendre compte de cette finesse de réalisation.
Une exposition aussi belle que pédagogique
Vous entrez dans l’exposition comme dans une forêt…ou plutôt comme dans une menuiserie. Et l’on vous propose d’emblée de regarder mais aussi de toucher et de sentir différentes essences de bois. On apprend beaucoup de choses. Par exemple, on apprend que le cyprès et le cèdre furent longtemps les bois préférés pour les constructions. En entrant dans l’espace principal d’exposition, on nous montre de quoi (et comment) sont constitués les tatamis ou les murs de torchis.
On nous explique aussi que le manque de ressources (en fer notamment) a obligé les artisans à faire preuve d’ingéniosité : ils ont développé la technique du kigumi, un assemblage du bois sans clou, ni colle, très caractéristique de l’architecture religieuse japonaise, celle des temples, des toriis, des pagodes et des sanctuaires. La MCJP se situe dans une proximité immédiate avec la Tour Eiffel, ce monument de fer de 300 m de haut aux 2,5 millions de rivets. Et le geste architectural de cette tour se situe, lui, aux antipodes de ce que l’on découvre dans l’exposition. Ni clou, ni rivet, ni vis…et la plus haute pagode du Japon, celle du temple Toji à Kyoto culmine à 57 m d’altitude. On peut admirer de magnifiques reproductions de charpentes avec leurs systèmes complexes et élégants de chevrons, des treillis de bois pour faire des fenêtres, des poutres travaillées avec finesse pour avoir un aspect lisse ou plus rugueux.
Enfin on découvre le kumiko : une technique minutieuse d’assemblage de petites pièces de bois qui forment des motifs géométriques décoratifs.
L’affiche de l’exposition présente des silhouettes, aussi bien de ces formes architecturales caractéristiques que des outils utilisés. En effet, les outils sont bien représentés dans le parcours. On nous explique que leur nombre est allé en s’amenuisant dans les traditionnels coffres à outils des charpentiers. Avec la modernité et l’automatisation de certains gestes, on a perdu l’utilité de certains de ces outils… Ou on n’en a tout simplement plus besoin pour des bâtiments de moindre qualité architecturale, plus standardisés.
Un travail en harmonie avec la nature du bois et la culture ancienne du bâtiment
Les dômiya-daiku, charpentiers spécialisés, jouent un rôle crucial dans la construction des temples et sanctuaires. Maîtres artisans, ils préservent un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération, assurant ainsi la pérennité de ces édifices sacrés.
Grâce au documentaire projeté dans la salle d’exposition, on comprend mieux le travail patient de ces architectes qui perpétuent aujourd’hui cet artisanat traditionnel. Il leur faut beaucoup de patience et d’observation. Ce sont les bâtiments anciens qui vous dictent la manière de faire. Chaque artisan de l’époque a su adapter son savoir-faire aux contraintes de la construction qu’il devait réaliser. Il faut donc prendre conscience de ces choix et des trouvailles du passé avant d’entreprendre des travaux de réhabilitation ou de reconstruction.
Cette capacité toute particulière des Japonais à entretenir ou reconstruire à l’identique leurs bâtiments anciens en bois compense la relative fragilité de l’architecture traditionnelle. En Europe, nos architectures en bois ont largement disparu : elles ont brûlé ou elles ont été remplacées par des architectures en pierre. La charpente de Notre-Dame de Paris qui s’est embrasée en 2019 était parmi les plus anciennes de la capitale, nommée « la forêt » en raison du grand nombre de poutres de chêne qui la constituait.
Le kigumi, la technique d’assemblage sans clous ni vis déjà nommée plus haut, se distingue par son ingéniosité et renforce la résilience des structures face aux caprices de la nature. Les artisans utilisent des joints complexes et précis, créant des liaisons solides et durables : on en observe, exposés, de nombreux exemples grandeur nature. Ce mode d’assemblage confère aux structures une flexibilité face aux secousses sismiques, une caractéristique cruciale dans une région sujette aux tremblements de terre.
Ce caractère résistant aux séismes s’est illustré très récemment lors du terrible tremblement de terre qui s’est déclaré le 1er janvier sur la péninsule de Noto, faisant à ce jour plus de 200 morts et 120 disparus. La centaine de maisons du petit village d’Akasaki, toutes construites en bois de manière très résistante sur le même modèle, n’ont subi aucun dommage.
Un tour du Japon architectural en douze adresses
Les reproductions exposées et les techniques expliquées proviennent toutes de bâtiments plus ou moins célèbres du Japon. Une carte et des photos permettent de les repérer.
En voici la liste.
Dans le département de Saitama, vous pourrez découvrir : le temple Sekijô-ji à Kumagaya ; la pagode à trois étages du sanctuaire d’Aoba à Saitama ; le pavillon Hakkaku-dô du temple Annon-ji (Tenshin-ji) de Sayama.
Dans celui de Kanagawa, vous irez à la rencontre : du bâtiment des reliques (shariden), datant du 15e siècle, du temple Engaku-ji de Kamakura ; de l’ancienne résidence de la famille Hara (fin de l’ère Meiji, début du 20e siècle) à Kawasaki.
À Kyoto, vous attendent les merveilles suivantes : le bâtiment principal (hondô) du temple Daisen-in ; le pavillon de thé Sa-an (1742) du temple Gyokurin-in dans le vaste ensemble du Daitoku-ji. La pagode de trois étages du temple Hôrin-ji n’est pas très loin à Ikaruga-chô près de Nara.
À Nara justement, vous irez voir le bâtiment Est du temple Yakushi-ji datant de 730, un modèle de sobriété et d’élégance. Nos guides vous conseillent ensuite de découvrir la porte Ôte-mon du château d’Osaka (1628).
Puis de faire un tour du côté d’Himeji pour vous rendre au réfectoire du temple Engyô-ji du 15e siècle.
Enfin, la douzième recommandation se situe à Miyajima près d’Hiroshima pour admirer la technique d’assemblage Miyajima-tsugi, deux grandes pièces de bois qui s’emboîtent parfaitement et sont scindées l’une à l’autre par une petite pièce de bois rectangulaire.
Vous aimerez cette exposition si vous êtes déjà allé au Japon et avez visité des bâtiments traditionnels et souhaitez mieux les comprendre, si vous projetez de vous rendre au Japon, si vous aimez l’architecture et tout spécialement le travail du bois, si vous êtes menuisier, ébéniste, architecte ou charpentier…ou tout simplement, si vous aimez les belles choses.
Bref, cette exposition est faite pour tous et elle est gratuite !
POUR ALLER PLUS LOIN
L’art des charpentiers japonais – Au cœur de l’architecture en bois traditionnelle – 工匠たちの技と心 ―日本の伝統木造建築を探る, à Maison de la Culture du Japon à Paris – MCJP.
Salle d’exposition (niveau 2) Entrée libre Mardi-samedi 11h-19h.Catalogue aux Presses du réel.
Qu’elle expo; je vois si je peux y aller; Quimperlé/Paris AR…Elle mériterait le déplacement dans nos régions, voir départements ? Ces assemblages savants !!! Ouvrages existants sur ces assemblages ? Éclatés, pour bien les comprendre ? Aussi, ces essences travaillées; les cyprès; bois presque homogènes, tendres, mais hygroscopiques;
Bonjour, il existe un catalogue aux éditions Les presses du réel : L’art des charpentiers japonais