(Re)découvrir Le Dit du Genji avec La Petite Collection de Diane de Selliers
Grand classique de la littérature japonaise du 11e siècle, Le Dit du Genji est sans aucun doute un titre dont vous avez déjà entendu parler. Daté d’il y a plus d’un millier d’année, l’œuvre est considérée pour beaucoup comme étant le premier roman psychologique au monde. Une chose est sûre, ce chef d’œuvre écrit par Murasaki SHIKIBU, dame de cour au service de l’impératrice FUJIWARA Akiko qui s’inspire de ses observations du quotidien pour écrire, a marqué la littérature mondiale.
Les différentes éditions n’ont alors pas manqué depuis toutes ces décennies, mais celle que l’on vous présente dans cet article est bien particulière : édité une première fois en 2008, Le Dit du Genji revient cette année 2023 aux éditions Diane de Selliers dans La Petite Collection, l’occasion pour Journal du Japon de revenir sur ce monument de la littérature japonaise et cette incroyable édition qui nous plonge dans l’ambiance si singulière de la cour impériale de Heain.
Le Dit du Genji : le roman fondateur de la littérature japonaise
Composé de 54 tomes, Le Dit du Genji (Genji monogatari) est une œuvre incontournable de la littérature japonaise qui raconte l’histoire du prince Genji le Radieux, fils de l’empereur et de sa favorite, la dame du Clos au Paulownia (Kiristubo kôi) : de sa naissance à celle de ses propres enfants, le roman couvre au total 70 années de vie dans la Cour impériale. Découpée en deux grandes parties, on retrouve tout d’abord l’histoire du prince, ses amours et ses conquêtes, puis celle de ses descendants, toujours sur ce même thème de fond qu’est l’amour. Entre jalousie, adultère et passion, la vie du prince Genji est pleine de péripéties, oscillant entre grand bonheur et grand malheur. Réputé pour sa beauté, Hikaru Genji ne laisse la gente féminine indifférente, et lui souffre d’un cœur trop grand pour ne laisser place qu’à une seule femme dans sa vie. Son besoin débordant de connaître tous les types de femme et de les apprécier pour ce qu’elles sont fait de lui un protagoniste à la vie tumultueuse.
Écrit par Murasaki Shikibu entre 1005 et 1013, une dame de cour dont le vrai nom restera sans doute à jamais un mystère (cf. Nippon), à qui l’on doit également Le Journal de Murasaki Shikibu (Murasaki Shikibu nikki), un journal personnel d’anecdotes de la Cour, Le Dit du Genji est un roman qui se distingue par ses thèmes, ses portraits réalistes et son écriture laissant une place prépondérante à la poésie. Considérée comme l’un des 36 grands poètes de l’époque, l’auteure ponctue son récit de 800 waka, brefs poèmes en 31 syllabes caractéristiques de l’époque Heian, qui lui permettent de décrire métaphoriquement les sentiments de ses personnages.
La lecture du Dit du Genji est alors un exercice qui n’est pas simple : entre les nombreux protagonistes, qui ont la particularité d’être nommés de multiples manières (leur surnom littéraire, leur fonction principale, leur nom et leur appellation en français), et les références culturelles et sociétales de l’époque. Découvrir la vie du prince Radieux peut s’avérer être quelque peu complexe, mais c’est bien là toute la richesse de l’œuvre.
Née en 973, l’auteure est âgée de 32 ans lorsqu’elle débute son récit, après s’être intéressée toute sa vie à la littérature, dont les classiques chinois. C’est l’impératrice elle-même qui devient l’éditeur de Murasaki Shikibu, lui fournissant ainsi encre et pinceaux, et confectionnant les livres. Son œuvre marque rapidement un tournant dans la culture japonaise, devenant une source d’inspiration pour de nombreux artistes.
Son influence sur le Japon est telle qu’elle a fait naître une catégorie de peinture japonaise à part entière : les Genji-e, que l’on peut traduire par « les images du Genji ». Classées « Trésors nationaux » au Japon, ces œuvres se déclinent sur de multiples supports : paravents, rouleaux, éventails, kakémonos… Et se distinguent par une palette de couleurs lumineuses et brillantes, où l’or tient une place prépondérante. Elles illustrent la vie du prince, selon ses différentes aventures.
Si l’impact du roman sur la peinture a été particulièrement fort, il ne se limite pour autant pas qu’à ce domaine artistique : des mangas aux adaptations animées, les œuvres qui s’inspirent de près ou de loin et qui proposent d’autres lectures du roman ne manquent pas. L’équipe de Journal du Japon vous avez d’ailleurs déjà concocté un premier papier sur Le Dit du Genji en 2018, à l’occasion de la sortie en DVD et Blu-Ray du film d’animation éponyme réalisé par Gisaburo SUGII chez Rimini Éditions. Mais les ouvrages les plus emblématiques du roman sont les Rouleaux illustrés du Dit du Genji (Genji monogatari emaki) que l’on doit à de plusieurs artistes, restés anonymes. Ces peintures illustrent chacun des 54 volumes de l’œuvre originale et racontent, à leur tour, la vie du prince Genji et de ses conquêtes. Ces illustrations permettent d’obtenir des informations précises sur la vie quotidienne à la Cour impériale, ainsi que sur le mobilier et les détails architecturaux, ce qui leur donnent une forte valeur.
Tout ce succès s’explique par la richesse du roman. Outre les péripéties du héros amoureux et voyageur, les nombreux protagonistes qui entourent le Prince Radieux tiennent une place prépondérante dans le récit : profonds, réalistes et originaux, chacun joue un rôle dans l’introspection que le lecteur se met à vivre par les différents débats et critiques soulevées. Le Dit du Genji jouissait alors déjà d’une réputation bien glorieuse avant même son achèvement auprès des aristocrates, et la passion des lecteurs ne fit que s’intensifier : « dans la seconde moitié du 11e siècle, une autre œuvre témoigne bien de la passion suscitée par Le Dit du Genji. Dans son Journal de Sarashina, la fille de Sugawara no Takasue raconte qu’après l’avoir découvert en partie elle n’eut d’autre désir que de le parcourir tout entier du matin au soir ; une fois acquise la totalité des cinquante quatre livres, elle se plongea avec une délectation sans mélange dans sa lecture, déclarant que ce bonheur « était plus précieux que le rang d’impératrice ». ». (Midori Sano, préface du livre 1 de La Petite Collection, page 22)
Le Dit du Genji a été traduit deux fois en français. La première traduction, partielle puisqu’elle ne couvrait que les 9 premiers volumes, a été réalisée en 1928 par Kikou YAMATA, femme de lettres franco-japonaise. La seconde traduction date de 1988 et a été réalisée par René Sieffert, professeur de japonais à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) dont il devient le président en 1971, à qui il a fallut 20 ans de travail pour couvrir l’intégralité du roman (cf. Monde du Livre). Ce dernier rêvait d’une édition illustrée du roman, qui expliquait alors sa volonté d’apporter au lecteur toutes les clés de compréhension de l’ouvrage : « Le mieux eût certes été de pouvoir montrer par des illustrations en couleurs comment vivaient et se paraient les héros du roman. En attendant de réaliser ce rêve, là encore, les « Clefs » apporteront de substantiels éclaircissements ! »(cf. Livret « À la découverte du Dit du Genji »). Un rêve devenu réalité grâce aux Éditions Diane de Selliers et La Petite Collection.
La Petite Collection – Les Éditions Diane de Selliers
Diane de Selliers est une maison d’édition spécialisée dans les ouvrages de luxe. Seulement un livre par an est publié, avec pour ambition de donner vie à une création à part entière en faisant se rencontrer l’écrit et la peinture. C’est alors à chaque fois un nouveau défi : s’attarder sur une œuvre fondatrice de la littérature, et lui donner une nouvelle vie au travers d’une « iconographie rare, souvent inaccessible au grand public » (cf. Éditions diane de Selliers), et ce pour un travail de fourmi qui peut durer jusqu’à 10 longues années.
Chaque année, donc, un seul et unique ouvrage voit le jour dans La Collection. Une édition en tirage limité, dans un format 24,5 x 33 cm sous coffret, qui n’est jamais réimprimé. C’est une fois ce premier tirage épuisé que l’œuvre est éditée dans La Petite Collection, dans un format 19 x 26 cm, à un prix plus accessible. C’est cette dernière que nous vous présentons dans cet article.
Proposé au prix de 165 euros, Le Dit du Genji de La Petite Collection des Éditions Diane de Selliers est un ouvrage auquel on réfléchit à deux fois avant de céder, et ce d’autant plus lorsque l’on a l’habitude de livres à maximum 50 euros pièce. Pour autant, toute comparaison serait mal venue : l’édition, fruit d’un travail titanesque de 7 années qui donne lieu à une anthologie composée de 520 peintures du 12e au 17e siècles, est une œuvre d’art à elle-même. Ce n’est pas le genre d’ouvrage que l’on lit, mais que l’on savoure, et auquel l’on revient encore et encore. Commentées par Estelle Leggeri-Bauer, maître de conférence à l’INALCO et spécialiste de la peinture narrative japonaise, les illustrations choisies sont détaillées et contextualisées, tant d’un point de vue sociétal que religieux, afin d’en saisir toute la symbolique. Les prix que l’édition a obtenu ne tarissent pas d’éloges : Distinction du Ministère de la Culture du Japon en 2008, Grand Prix du Jury de La Nuit du Livre en 2009, et Prix d’honneur du ministre des Affaires étrangères du Japon en 2017.
Composé de 3 volumes et d’un livret « À la découverte du Dit du Genji », le coffret pèse son poids : 6 kg, 1 312 pages, 520 illustrations et 450 détails d’une immense richesse culturelle et artistique. Toutes les illustrations de cet article sont tirés de l’édition et nous parviennent des quatre coins du monde : du Musée des collections impériales de Tokyo jusqu’au Metropolitan Museum of Art de New York, en passant par le Museum für Asiatische Kunst de Berlin ou encore la Chester Beatty Library de Dublin, c’est un travail à la fois rigoureux et minutieux que l’équipe des Éditions Diane de Selliers a réalisé pour donner vie à cet ouvrage hors norme, avec pour volonté d’offrir une place de choix à toutes les interprétations qui ont découlé du récit au fil des siècles.
Que vous connaissiez l’œuvre ou non, cette édition est l’occasion de découvrir ou redécouvrir Le Git du Genji sous un autre regard. D’abord, grâce à cet accès inédit aux peintures japonaises qui viennent donner vie au récit, puis par les informations complémentaires fournies par le livret « À la découverte du Dit du Genji » qui accompagne le lecteur dans sa découverte de l’œuvre grâce aux résumés de chaque livre (54 !) et aux arbres généalogiques expliquant les relations entre les personnages de chaque tome, nécessaires pour saisir toute la richesse de ce roman fondateur de la littérature japonaise.
Pour vous procurer Le Dit du Genji de La Petite Collection, rendez-vous sur le site de l’éditeur.
À la cour du Prince Genji
Ce coffret d’exception est rééditée à l’occasion de l’exposition « À la cour du Prince Genji : 1000 ans d’imaginaire japonais » qui se tient au Musée Guimet du 22 novembre 2023 au 25 mars 2024. « À travers une évocation subtile de tous les raffinements de la cour impériale, il (Le Dit du Genji) ouvre la voie à une exceptionnelle créativité picturale et suscite une iconographie extrêmement riche : estampes, tissus, kimonos, sculptures, peintures et objets précieux, dont les boîtes en laque d’une illustre collectionneuse, Marie-Antoinette. » (cf. Guimet.fr). En d’autres termes, le Musée Guimet offre ici une exposition inédite des Genji-e évoqués en début d’article, « Trésors nationaux » au Japon.
Plongez en plein cœur de la cour impériale de l’époque Heian (794-1185) aux travers de cette incroyable exposition de Genji-e que Journal du Japon vous emmène découvrir dans l’article dédié À la cour du Prince Genji, 1000 ans d’imaginaire japonais.
Le Dit du Genji de La Petite Collection des Éditions Diane de Sellier est un véritable bijou d’art et de littérature. Plus qu’un « livre objet » ou « beau livre », il est surtout une source infinie de richesse culturelle qui plonge le lecteur dans un état hors du temps, il y a plus d’un millénaire, dans un Japon féodal aujourd’hui beaucoup fantasmé.