Dernière mission pour les Children !
Zettai Karen Children est un manga de SHIINA Takashi prépublié dans le Weekly Shonen Sunday de 2005 à 2021 par l’éditeur Shôgakukan connu pour Detective Conan ou encore Ranma ½.
À l’occasion du dernier tome édité par les éditions Kana et paru cet automne, replongeons-nous dans cette formidable série et sur la recette d’un succès plutôt conséquent au Japon… mais très relatif en France.
Petite plongée dans l’univers de Zettai Karen Children
Dans un monde très semblable au notre, l’existence des personnes dotées de pouvoirs extrasensoriels appelées « Esper », est tout à fait devenue banale et acceptée… sauf pour ceux dotés de pouvoirs démesurément puissants qui doivent être encadrés par des structures spécialisées. Malheureusement certains d’entre eux abusent de leurs pouvoirs et les utilisent à des fins malhonnêtes. Pour contrer ces individus, les gouvernements des grands pays ont créé diverses structures. Ces organisations permettent d’encadrer des équipes d’Espers et de leur confier différentes taches. Leurs missions vont donc de l’affrontement des malfaiteurs au sauvetage de civils, face à des catastrophes naturelles ou à la suite d’accidents.
Au Japon l’organisation gérant les Espers s’appelle BABEL et leur plus puissante équipe se nomme les Children. Ce trio surpuissant est composé de Kaoru, Aoi et Shiho, trois petites filles qui ont des pouvoirs incommensurables. La première dispose de pouvoirs de télékinésie spectaculaires, la seconde maitrise la téléportation et la troisième peut lire les pensées mais également retracer des évènements au contact d’un objet. En effet, elles sont des Espers de niveau 7, le niveau le plus élevé. Au cours de leur périple, elles seront confrontées à nombre d’Espers, plus ou moins malveillants.
Les children sont sous l’égide d’une jeune tuteur d’une vingtaine d’années, Koichi MINAMOTO, qui, bien qu’il ne possède pas de pouvoirs, est doté d’une grande intelligence et d’une grande empathie.
Mais ce n’est pas tout : au cours d’une mission mettant en scène des dauphins voyant dans l’avenir, nous découvrons la véritable identité de Kaoru, figure centrale du récit. En effet, elle est vouée à devenir la « reine de la destruction » ou simplement la reine des Espers. Ainsi s’explique sa puissance démesurée et sa capacité à entrer en empathie avec ses semblables. Ce statut de « reine des Espers » attirera un individu en particulier. Personnage d’abord présenté comme une sorte de Magneto dans X-Men, Hyobu KYOSUKE est l’une des figures centrale de l’œuvre.
Shônen atypique ?
Quand on pense aux shônen, ce qui vient à l’esprit sont avant tout des épopées mettant en scène de jeunes garçons ambitieux. Zettai Karen Children offre une vision assez différente d’un genre extrêmement codifié. Les protagonistes ne sont pas un adolescent rêveur et sa bande d’amis mais un trio de petites filles. Ces trois enfants n’ont ni grand rêve, ni ambition démesurée et leurs pouvoirs trop grands pour elles et sont au départ plus des contraintes que des atouts.
La série a certes son lot d’action mais va également énormément s’attarder sur les différents rapports entre les personnages. Elle aborde ainsi divers thèmes liés aux sentiments humains, particulièrement l’amour, l’amitié et le passage de l’enfance à l’adolescence, le tout saupoudré de scènes d’action vives et intenses. Tous les ingrédients du shônen sont donc tous réunis. En effet si au début les trois héroïnes sont des enfants, elles grandissent au fil des tomes. Entre chaque mission, on suivra également leur quotidien de collégienne puis lycéenne.
Ainsi malgré leurs grands pouvoirs, elles n’en restent pas moins des adolescentes ordinaires. Sous l’égide de la structure BABEL s’occupant des Espers de haut niveau, elles doivent accomplir des tâches surhumaines allant de l’affrontement avec des terroristes à la confrontation avec des catastrophes naturelles.
A l’inverse, le véritable antagoniste de l’œuvre sera l’organisation semi-légale appelé Black Phantom. D’abord dépeinte comme organisation terroriste grâce à l’argent et l’influence, Black Phantom deviendra peu à peu légale tout en introduisant progressivement une ségrégation entre Espers et humains normaux. Présente rapidement dans l’histoire, cette structure tentaculaire à l’influence mondiale utilise d’abord les Espers comme des armes à vendre ou pour défendre ses intérêts financiers et de pouvoir. Elle n’hésite pas à leur laver le cerveau pour en faire des pions obéissants ou à cloner leur plus puissantes combattantes. Durant leurs affrontements avec les Black Phantom, les Children parviendront à transformer certains de leurs membres en précieux alliés et amis qui, à leur tour, pourront gouter aux joies de la vie estudiantine.
Gestion de la longueur et du rythme
Quand on pense à une série de soixante-trois tomes, on pense forcément à la longueur. Le lecteur envisagera donc une possible lassitude. Cependant l’œuvre se divise en divers segments correspondants aux divers périodes de l’enfance et l’adolescence du trio d’héroïnes. En effet lors des premiers chapitres, elles sont âgées de 10 ans au début de l’œuvre et on les suivra durant toute leur pré-adolescence ou adolescence.
Or durant cette période de la vie on change énormément. Ce choix de temporalité permettra une évolution constante des thèmes abordés et de l’ambiance générale. Le trait parvient parfaitement à souligner cette croissance. Bien qu’exagérée, sa représentation est tout à fait compréhensible. Leurs pouvoirs se renforcent avec l’âge sans qu’elles n’aient besoin de les entrainer outre mesure : elles pratiquent pour les maitriser mais jamais les renforcer. Ce point leur offre une différence fondamentale avec les protagonistes de Dragon Ball ou Naruto. Ainsi, même si les héroïnes semblent avoir doublé de taille entre le tome 1 et le tome 60, leur croissance et leur maturité sont ainsi visuellement représentées.
De plus la diversité des différentes péripéties dépeintes au cours du récit garde le lecteur en haleine. Très tôt arrive une prédiction cataclysmique impliquant le dilemme entre la fin du monde et la mort d’une certaine jeune femme. Cette vision du futur apparait régulièrement car, outre les divers opposants et obstacles, les Children, BABEL et leurs divers alliés chercheront à tout prix à empêcher la réalisation de cette catastrophe dont chaque issue est inexorablement tragique.
Ensuite, de par les pouvoirs variés des Espers permettent des affrontements atypiques et uniques. De nombreux personnages loufoques voire drôles et d’autres liés à Black Phantom ou aux équivalents de BABEL sont présents dans le reste du monde et à chaque aventure des Children. Outre le Japon et BABEL, le monde de Zettai Karen Children vit et bouge hors de ses protagonistes.
A l’image d’un manga comme One Piece, quand nous revoyons des visages connus après une longue période d’absence, ces derniers ont évolué et ont vécu leurs propres épreuves de leur côté. Nous aurons l’occasion de voyager par exemple en Comérique (pour ne pas dire Amérique). Les États-Unis y ont leur propre organisation d’Espers, semblable à BABEL qui a également nombre d’autres membres actifs. L’univers du manga n’est ainsi pas fixe et son lore très riche, ne se limitant pas aux frontières du Japon.
De plus, l’œuvre nous offre un subtil mélange de tragédie et d’humour pour maintenir son lecteur immergé. L’humour est très présent lors des passages plus tranche de vie, notamment grâce à la vulgarité manifeste de Kaoru. Cette dernière se comportera bien souvent comme les vieillards pervers de certaines œuvres à l’image de Muten Roshi et Jiraya. Ses deux partenaires ne seront pas en reste niveau personnalité avec l’espièglerie d’Aoi et le sadisme de Shiho. Toutes trois auront tendance à en faire voir de toutes les couleurs à leur tuteur Minamoto. La tragédie sera surtout un élément présent en toile de fond. Le mangaka ne manquera pas de dépeindre le passé brutal et malheureux du major Hyobu : assez vite, on découvrira l’implication de son unité pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Suite à cette guerre, il développera une haine des humains et fondera Pandra pour protéger ses semblables. C’est au contact des Children et de Minamoto que, peu à peu, il oubliera cette aversion. L’expérience, les pouvoirs et l’intelligence du major seront d’ailleurs d’une grande utilité aux Children, leur fournissant des clés pour l’avenir ainsi que des schémas morbides à ne pas reproduire. Pour comprendre pourquoi on le considère comme criminel, un visionnage de l’anime THE UNLIMITED est nécessaire. Il s’agit spin off dont il est le protagoniste et qui nous dépeint un Hyobu impitoyable n’hésitant pas à tuer des êtres humains responsables de prêt ou de loin de crimes de guerre. Le ton de cet anime est bien plus sombre que celui du manga original.
Un graphisme classique, un peu vieillot, mais efficace
Le trait de l’auteur n’est certes pas exceptionnel et pas vraiment moderne – et c’est sans doute ce explique sa difficulté à percer en France – mais reste très efficace et expressif. En effet les grands yeux des personnages permettent de transmettre leurs émotions au premier coup d’œil. Lors des scènes de combat entre pouvoir psychiques, l’auteur retranscrit la puissance des Espers. Il ajoute des effets de perspective, des éclairs et halo lumineux.
Lorsque l’intrigue implique des catastrophes naturelles, le mangaka parvient à les retranscrire par des cases ou doubles pages cataclysmiques. Ainsi les scènes d’action ou de déluge rendent parfaitement hommage à la puissance du trio d’héroïnes. Kaoru dont les pouvoirs agissent physiquement sur ce qui l’entoure a des scènes simplement spectaculaires. Les scènes d’introspection et de lectures de pensées sont parfaitement lisibles. Elles s’intègrent à la mise en page par des bulles sans contour à l’aspect vaporeux et lumineux.
On retrouve également cette mise en scène lumineuse autour des visages des protagonistes ou antagonistes quand quelque chose les intrigue ou qu’une idée leur vient subitement à l’esprit. Malgré un trait simpliste, le manga se lit facilement car les cases s’enchainent bien. Il s’agit d’une série dont les tomes se dévorent rapidement.
En définitive…
Impossible de ne pas parler de la fin de la série, avant de conclure. Attention donc, une petite SPOILER ALERT !
C’est sur une note des plus positives que se clôt Zettai Karen Children. Kaoru mène son ultime combat contre le chef des Black Phantom, ou plus exactement ce qu’il est devenu. Elle fait face à un homme devenu un concentré de haine et de rancœur. Contrairement à son adversaire, la reine des Espers combat aux cotés de tous ses compagnons. En plus de l’apprécier à différents niveaux, ces derniers ont foi en elle. Cette confrontation finale est le point culminant de la croissance de la jeune fille.
L’héroïne se tient face à un ennemi qui a pour seul point commun avec elle son immense pouvoir. Kaoru est née avec un immense pouvoir qui n’a cessé de croitre. Au fil des ans elle s’est également entourée d’amis sincères. A l’exact opposé, le leader des Black phantom est seul, a grandi mal-aimé. Il a en plus obtenu ses immenses pouvoirs suite à de nombreuses expériences ignobles. Avant cette bataille finale, la jeune fille aura tout tenté pour éviter la violence. Durant toute la série, suite à des combats parfois brutaux, les adversaires parvenaient toujours à retrouver leur humanité. Jusqu’ici, les Children parvenaient à chaque fois à remettre dans le droit chemin des Espers. Les malheureux changés en machines à tuer abandonnaient la voie du mal. A chaque fois, ils étaient affectés par la persévérance et la bonté du trio.
Cependant cette fois-ci la chaleur radiant de la jeune fille ne parviendra pas à l’effet escompté. Cet échec fera comprendre à Kaoru qu’elle et ses amies ne peuvent malheureusement sauver tout le monde. Le leader des Black Phantom a sciemment refusé toute forme de rédemption. C’est donc une décision délibérée de sa part qui le fait s’abandonner à la haine et la rancune. Pour la jeune reine, ce combat est l’épreuve la plus dure parmi toutes les péripéties la série. L’affrontement face à cet ultime adversaire est également la dernière leçon des Children. Même en y mettant toute la détermination et la bonté possible, il existe des gens qu’on ne peut sauver. Le triste sire est bien trop corrompu par le mal, au delà de toute rédemption. FIN DU SPOILER
Les Children parviendront-elles à sauver le monde ? Pour cela il faudra évidemment se plonger dans la lecture de ce shônen de 63 tomes.
Lecture accessible et agréable, Zettai Karen Children ne réinvente pas le manga. Mais l’auteur offre une œuvre complète mêlant habilement les registres. Les phases d’action, la tranche de vie et les intrigues amoureuses en toile de fond, évitent la redondance. Malgré cette longueur, la croissance des héroïnes de leur enfance à la fin de leur adolescence permet de renouveler le scénario. Le mangaka rend ainsi la lecture fluide et accrocheuse. Pour conclure Zettai Karen Children est une série à découvrir, gérant honorablement sa longueur et ses péripéties. Contrairement à d’autres du genre shônen, elle ne s’est pas perdue en cours de route.