Deux livres atypiques à offrir ou à s’offrir pour (re)découvrir Kyoto
Les livres et guides sur Kyoto sont nombreux. Nous en avons sélectionné deux, sortis en 2023, pour les férus d’art et d’atmosphère kyotoïtes. Des livres pour vous faire voyager, découvrir, mais surtout sentir, réfléchir et mieux appréhender le pouvoir hypnotique de cette ville fascinante !
Retour à Kyoto de Robert Weis : un récit de voyage érudit, foisonnant, mais aussi poétique et méditatif
Ce n’est pas une première fois que Robert Weis nous livre dans cet ouvrage. Il a déjà visité Kyoto, à travers ses différentes nombreuses lectures mais aussi lors d’un précédent voyage lors duquel il a visité les endroits les plus iconiques de la ville.
Cette fois, il veut l’approcher plus doucement, arriver à Tokyo, passer à Kanazawa, sentir l’ombre de cette ville qui le fascine approcher doucement, sa joie monter lentement alors qu’il marche sur le Kumano kodô, à travers les montagnes brumeuses de la péninsule de Kii.
Avec lui, le lecteur chemine dans la nature, admire la faune et la flore et converse avec les kami. Le corps se repose dans les minshuku et les onsen. La marche est bienfaisante, les cascades, les temples émerveillent … et les anciens moines et poètes sont des compagnons dans ces moments solitaires.
Si l’arrivée à Kyoto se fait dans un quartier « moche » (celui de la gare), l’auteur retrouve bien vite la féérie de la célèbre ville-jardin. Et comme lui le lecteur s’émerveille soudain du « ploc » d’une goutte d’eau :
« PLOC ! L’homme aux airs de vieux sage s’émerveille devant cette goutte tombée d’une conduite en bambou. Le jeu des cercles concentriques formant de petites vagues fait délicatement déborder le bassin en pierre taillée. J’observe la scène depuis un certain temps déjà ici, dans ce coin caché du Nanzen-ji, au sein du district est de Kyôto. Fleurs de cerisier, feuilles d’érable, gouttes d’eau, tout ce qui tombe suscite un émerveillement au Japon, une mélancolie d’une douceur irrésistible devant le caractère éphémre de la beauté. Le temps passe inexorablement, alors, oui, pourquoi ne pas célébrer chaque instant pour ce qu’il est, unique ? »
Et c’est toute la magie de ce livre que de pouvoir cheminer à côté de l’auteur, découvrir ses sensations face à la beauté, les lieux qu’il découvre après les avoir vus et lus dans des livres, ces moments hors du temps qu’on garde en soi toute une vie. Un escalier de pierre, une bougie, une tombe, une maison de thé … Il y a temps à découvrir, à ressentir …
« L’univers monochrome
Vibre de couleurs invisibles
Expirer, inspirer, expirer, inspirer
Îles, rivières, montagnes, océan
Un monde qui resseble au monde
– Tel qu’il est »
Il y a la ville, mais aussi les montagnes et villages environnants, l’envoûtant lac Biwa et la merveilleuse Ine les pieds dans l’eau …. Autant de paysages et de moments uniques qui se transforment en paysages intérieurs, nous font évoluer, changer nos habitudes.
« A la suite de mes voyages au Japon, mes habitudes ont changé, presque imperceptiblement. Je me surprends à apprécier l’infinie variété des fleurs, des arbres, des plantes qui poussent dans le parc municipal à coté de chez moi, à choisir l’élément qui exprime le mieux l’esprit de la saison et à en faire la pièce maîtresse d’une composition végétale que je réarrange régulièrement. L’ikebana est un art qui, comme tous les arts japonais, est très codifié. Je prends la liberté de m’affranchir des règles rigides et de me laisser guider par la beauté, l’élégance, la délicatesse, l’harmonie, dont j’ai fait le trésor de mes séjours à Kyôto. Et je me découvre savoruant le passage des saisons, complètement immergé dans le moment présent. »
Un livre promenade à prendre et reprendre pour s’immerger dans la contemplation tout en notant les lieux à découvrir et les auteurs à lire, pour le plaisir et la préparation d’un futur voyage. De Bashô à Nicolas Bouvier, du mont Daimonji au Pavillon d’or, du Daitoku-ji aux rives de la Kamogawa, un beau voyage en poche (nom de la collection de ces petits livres qui font voyager à petit prix dans tous les pays !).
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Guide anachronique de Kyoto d’Allen S. Weiss : un érudit passionné d’art nous apprend à voir
Allen S. Weiss est philosophe, essayiste, enseignant à la Tisch School of the Arts de New York University. Cet auteur passionné n’est pas là pour offrir au lecteur une liste des lieux à visiter, une succession de bonnes adresses… Non, il prend le lecteur par la main pour l’emmener dans les musées, les jardins, les restaurants, et même les cimetières, sur la tombe de Tanizaki !
Littérature, mythologie, gastronomie, art, rencontres, rêves … Tout est voyage, tout est émotion et éblouissement. Il suffit d’apprendre à voir et à se perdre joyeusement.
« Le Guide anachronique de Kyoto entend accomplir ce que peu de guides tentent de faire. Point n’est besoin d’un énième livre pour suggérer ce qu’il faut voir à Kyoto, mais il n’est peut-être pas inintéressant de présenter quelques réflexions sur la faon de voir cette ancienne et toujours bouillonnante capitale culturelle. Après avoir publié Zen Landscapes et The Grain of the Clay, il ne m’a pas fallu trois mille ans pour écrire ce texte, ni même les quarante ans qu’a mis Snyder pour composer « Rivières et montagnes sans fin », mais je donnerai des informations sur l’architecture et les jardins, les céramiques et la cuisine, le vent dans les pins, le vide toujours présent mais caché, plusieurs pleines lundes et une généreuse quantité de saké. »
Pour aider le lecteur dans son cheminement, le livre est parsemé de photographies, là encore avec une vocation que l’auteur livre dans sa préface :
« La photographie n’est pas seulement une technique de représentation, c’est aussi un art de la vision : on peut parler de la « voie de la photographie » comme on parle de « la voie du thé » (chadô) ou de « la voie des fleurs » (kadô). Non seulement ces disciplines nous situent dans une culture particulière et nous apprennent à regarder le monde, mais elles révèlent aussi, quoique indirectement, notre place dans notre environnement […] À propos de ces images, je risquerai une référence zen – car Kyoto est par excellence la ville du zen – en suggérant qu’un seul kôan (ces énigmes paradoxales utilisées dans l’enseignement zen pour contourner les limites de la rationalité) permettrait d’atteintre l’Éveil, là où une bibliothèque entière n’y suffirait pas. De même les images de ce livre – qu’elles soient de Kyoto ou rendues possibles par Kyoto – ne sont pas seulement des représentations de ce que l’on peut s’attendre à voir dans la ville ni des documents destinés à illustrer un texte ; ce sont aussi, ou surtout, des épigraphes visuelles, des allusions obliques, des provocations subtiles à regarder autrement. Elles sont là avant tout pour le plaisir qu’elles peuvent procurer, dans l’espoir que certaines d’entre elles déclencheront un éclair d’intuition, une manifestation séculaire de cette illumination que le Zen appelle satori. »
Nous pénétrons dans le livre par la salle de thé, antre du zen et du wabi sabi, de l’ombre, dans la droite ligne de Kamo no Chômei dans ses Notes de ma cabane de moine : « Où trouver un endroit pour se reposer un moment ? Et comment apporter une paix, même éphémère, à nos cœurs ? »
Et lorsque la céramique entre au musée, la modernité et le bling bling peuvent la transformer en coquille vide.
Mais lorsqu’on pénètre dans un restaurant japonais, céramique et potier se mettent au service des plats délicats de la cuisine kaiseki. Le plat n’isole pas l’aliment, il le relie à l’environnement ! Raffinement des détails, visuel qui évolue au fil des saisons, ordonnancement codifié, petites portions colorées. Tout est fait pour le plaisir des yeux, et le plaisir des palais exercés aux subtilités gustatives de cette cuisine que certains Occidentaux peuvent parfois trouver fade.
Le lecteur accompagne ensuite l’auteur dans l’observation de la lune d’hiver à Kyoto, même si au Japon c’est plutôt la lune des moissons au début de l’automne qui est admirée, mise en peinture et en poème. Mais le plaisir est là, comme celui d’écouter le vent dans les bambous (l’auteur le préfère au vent dans les pins plus souvent loué).
Et c’est tout naturellement qu’on glisse du jardin zen à la calligraphie et au dessin à l’encre.
« En Chine comme au Japon, non seulement la calligraphie et le dessin à l’encre partagent la même page ou le même rouleau, mais ils sont parfois difficiles à distinguer, car l’écriture cursive (ou « d’herber ») aux formes libres peut suggérer des images, et, dans tous les cas, l’omniprésente feuille de bambou peinte ressenble à s’y méprendre à un coup de pinceau calligraphique modulé. L’ambiguïté de l’image est accentuée par l’hétérogénéité de la surface, le fond blanc de la page ou du rouleau apparaissant tour à tour comme le support matériel et comme l’espace de représentation, selon la disposition de l’écriture et du destin. Il peut représenter de façon indissociable la brume, le brouillard, la negie, le ciel ou simplement la profondeur pure. Ainsi, la blancheur (ce que les peintres japonais appellent yohaku, l’espce vide ou blanc résiduel) peut être l’arrière-plan ou le premier plan, la figuration ou la décoration, le terrestre ou le céleste. C’est là que la perspective et l’atmosphère se mêlent parfois pour évoquer le sentiment inexplimable du vide zen, c’est-à-dire la pratique qui consiste à voir la plénitude du monde sur le vide du papier, ou le vide du papier comme emblématique de l’accomplissement spirituel.«
Vous découvrirez fasciné l’expérience de l’auteur devant l’emblématique jardin sec du Ryoân-ji. Et ce chapitre finira avec le feu du kanji dai sur Daimonjiyama dans une ambiance à la Turner. Fascinant !
Le livre s’achève avec la présence fantomatique de Tanizaki …
« Sur la pierre tombale de Tanizaki est gravé le kanji jaku : immobilité, silence, tranquilité, solitude, vide, tristesse, désolation ; une autre lecture possible en japonais est sabi. Le génie de la langue évoque un labyrinthe de sens, et par conséquent des émotions aux ramifications complexes. On est partagé entre l’infinie richesse de la vie de Tanizaki, son reflet déformé dans ses écrits, et la simple absurdité de la mort. À cet instant, tout son lexique, son imaginaire littéraire, sa vie meme se figent. Ce seul kanji – suspendu au-dessus du cimetière du Hônen-in, de l’appartement de la Terrazza, de la vieille ville de Kyoto et du soleil couchant – est le poème de mort de Tanizaki. La cloche sonne à nouveau. Je pense à un air classique de flûte shakuhachi, Une cloche sonne dans le ciel vide. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Deux livres atypiques pour partir à la découverte de Kyoto et plus largement du Japon, de ses paysages et de ses arts …