Gaming Memories #59 – Splatter house
Bienvenue dans Gaming Memories n°59… dans lequel Journal du Japon vous invite, en ce mois de novembre 2023, à visiter une maison hantée, habitée par des hordes de créatures malfaisantes, de pièges, de sang, de hachoirs et autres joyeusetés sordides… Journal du Japon vous invite… dans la Splatter house, construite par Namco pour les salles d’arcade enfumées… alors prenez votre courage à deux mains… le voyage de l’horreur commence… *-rire démoniaque-*
Dans la famille « horreur vidéoludique », je demande Splatter house
Le monde du jeu vidéo connait des jeux horrifiques depuis toujours – on recense le plus ancien comme datant de 1972, et jusqu’à l’arrivée de la NES, tous ces softs restèrent principalement sur les ordinateurs domestiques 8bits ou moins de l’époque – Atari, Amiga, Commodore et autres Amstrad ou ZX Spectrum entre autres. Rien, au final, de si inquiétant – une qualité technique si basse, bien que tentant toujours de faire de son mieux, était loin de pouvoir insuffler une vraie horreur aux joueurs… jusqu’à l’arrivée de Splatter house en novembre 1988 dans les salles d’arcade…
Développé par Namco, le jeu montre ses couleurs dès son titre. Splatter signifie « éclaboussure » en anglais et dans le cas où il est utilisé comme un adjectif, « gore ». Le ton est donné : on ne va pas visiter le château de la princesse pour aller prendre le thé..! Les « splatter movies », dont s’inspire également le titre, sont de cette génération de longs métrages qui tâchent, qui font peur, qui font pousser des cris devant son écran des années 1980 et 1990 aux Etats-Unis. Les inspirations principales ? Evil Dead 2, Vendredi 13, et probablement aussi plus ancienne, L’Exorciste. Que de joyeusetés.. !
On trouve, à la tête du projet, le producteur Shigeru YOKOYAMA (un habitué de Namco qui a fait beaucoup de bien à la firme, puisqu’il est responsable de divers Tekken, Soul Calibur, Tales of, Ridge Racer, et a même officié sur Smash Bros for Wii U/3DS). Il est difficile de vraiment savoir qui a participé à la création du jeu, les développeurs étant souvent cachés sous des pseudonymes obscurs à cette époque. Mais on peut noter, en regardant les crédits de fin du jeu, qu’il y a même quelqu’un juste pour son logo ! Au total, ce ne sont guère plus de vingt personnes qui ont travaillé sur son développement.
Au final, le jeu est sorti en novembre 1988 au Japon en Arcade puis en mars de l’année suivante aux Etats-Unis et en Europe.
Scénario de splatter movie classique…
Une nuit lugubre et pluvieuse, alors même que l’orage tonne sans cesse, les jeunes amoureux Rick et Jennifer se ruent dans un manoir proche pour se mettre à l’abri, sans savoir à qui il appartient. C’est l’antre du docteur West, et aussitôt que les deux visiteurs entrent, Rick se fait tuer, laissant une Jennifer se faire kidnapper dans un cri d’effroi… le jeune homme gisant au sol, un masque mystérieux s’active et vient prendre possession du corps sans vie, le transformant en une sorte de mort-vivant monstrueux… prêt à aller crier vengeance, à la recherche de sa bien-aimée.
Splatter house est un beat’em-up dans lequel il faut détruire tous les monstres qui nous font face de niveau en niveau, dans une ambiance perpétuellement lugubre. Monstres, giclées de liquides visqueux, bestioles rampantes, pièces hantées, objets qui nous attaquent et autres corps mutilés et coupés en deux, tout y passe dans le plus bel effet pour plonger dans l’horreur dès notre arrivée dans le manoir.
… au service d’un gameplay qui lui est digne
Splatter house est très simple : on avance et on tue tout ce qui nous fait face de la façon la plus gore possible ! C’est un beat’em-up dans lequel notre personnage progresse de gauche à droite au travers de la maison hantée, dans laquelle des hordes de bestioles toutes plus répugnantes les unes que les autres nous attendent.
Pour se défaire des dangers qui lui font face, Rick peut frapper debout avec son gros poing, sauter et jeter un coup de pied au passage et accroupi pour toucher des cibles basses, ainsi que faire des glissades dévastatrices. Sommes toutes très basique, le jeu brille surtout par son inventivité dans le gore… On peut récupérer différentes armes au cours de la progression – battes, couteaux et même fusil à pompe, c’est là l’intérêt principal de la production car les exécutions qu’elles créent sont du grand spectacle !
On dispose de trois vies par crédit et quatre points de vie pour chacune. Si l’on meurt avant la fin d’un niveau, on reprend à un checkpoint un peu plus loin (ou parfois bien plus loin). Chaque stage a généralement trois sections différentes, et si l’on perd un crédit au cours d’un niveau, il faut le recommencer depuis le début.
La petite maison des horreurs
Après cette séquence d’introduction qui donne le ton, on se retrouve dans un jeu plutôt correct dans sa globalité, avec des sprites de bonne taille et une bonne animation. Notre personnage, comme les ennemis, bougent de façon fluide et rapide, et le jeu réagit globalement vite à nos commandes. On sent directement une force dans le coté technique de la production, même si l’on peut regretter que certains mouvements n’aient pas d’animation propre (on passe de debout à accroupi directement sans transition de mouvement, par exemple). Mais la force visuelle du jeu est mise dans tout autre chose : son ambiance. En effet, avec ses couleurs loin d’être vives et ses décors délabrés, sales et régulièrement ensanglantés, Splatter house a le sens du grand spectacle, qui ne manquait pas d’impressionner les joueurs de l’époque et qui pourra toujours susciter une réaction de nos jours : le jeu est bourré de détails.
Monstres attachés à des chaînes qui remuent à notre passage, ou qui ouvrent une porte en fond lorsqu’on s’en approche sans pour autant nous attaquer, on appréciera d’autant plus l’attention mise dans le gore du jeu : chaque arme utilisable provoque une animation de mort différente pour les bestioles, qui seront parfois projetés en plein contre le mur en arrière-plan en s’y éclatant dans un bain de jus verdâtre, ou se feront décapiter, la tête volant au passage… On appréciera également le soin mis dans certains niveaux, comme le boss du second par exemple, dans lequel on se retrouve dans la cuisine du manoir… l’écran tremble magnifiquement, la tension monte, le mobilier et couteaux nous envahissent… jusqu’au moment où, après avoir éliminé l’esprit malveillant qui occupait la pièce, le lustre plafonnier s’écrase au sol, manquant de nous tuer si l’on a le malheur de se trouver en dessous !
Les niveaux traversés suivent une trame plutôt cohérente : on vagabonde dans le manoir le temps de quelques niveaux, on en sort pour se rendre dans la chapelle qui se trouve un peu plus loin et dans laquelle est Jennifer. La progression est cohérente, même si l’on peut être tenté de se demander pourquoi avoir plusieurs bâtiments au lieu que tout se passe dans le manoir mais ne boudons pas notre plaisir : cela permet une plus grand diversité dans les décors. Bien qu’ils manquent un peu de profondeur en soi, notamment à cause d’une certaine réutilisation facile (on peut parfois tomber dans une section inférieure, dans les égouts donc, et, d’accord, il n’y a pas des milliers de façons de designer ce genre d’endroits mais rien ne les différencie jamais les uns des autres). Mais voilà… la maison hantée, la galerie des miroirs piégés, les montagnes de chair en décomposition sur notre route, tout est là pour créer une « belle » ambiance… qui n’est malheureusement pas parfaite sur tous les points.
Si jusqu’à présent, Splatter house montre un vrai potentiel technique impressionnant qui ne manquera pas d’attirer l’œil des fans de rétrogaming, il n’est cependant pas parfait, et malheureusement loin de là. La palette de coups de Rick est faible, et son attaque au coup de pied glissé est difficile à faire sortir ; le jeu est également punitif car le héro arrive bien trop souvent de se faire toucher alors que le monstre en face de nous ne nous atteignait pas encore. Les poings et pieds du personnage s’enchaînent vite, mais ses déplacements sont lents et se retourner devient parfois un gros problème lorsque l’on est entouré de deux monstres. On se fait ainsi toucher facilement à moins de prévoir et connaître leurs déplacements à l’avance, ce qui rend le personnage au final assez faible.
Ajoutons à cela, comme dit plus haut, que l’on n’a que quatre points de vie, que l’on revient en arrière en cas de mort, et que les crédits partent bien vite ; si les boss sont abordables, celui à la tronçonneuse devient un cauchemar à moins d’avoir de la chance ou de « tricher » avec le jeu pour avoir deux fusils à pompe (on ne peut avoir qu’une seule arme sur soi, mais en en faisant tomber une, puis ramassant l’autre et ainsi de suite, on peut faire en sorte qu’elles nous suivent et donc arriver jusqu’au boss). Sans être catastrophique, il ne serait pas de mauvaise foi de dire que la maniabilité fait partie de l’angoisse que le jeu peut prodiguer…
Splatter house est baigné par une bande-son à la hauteur de l’horreur dans laquelle il plonge le joueur. Il s’ouvre sur ces mélodies inquiétantes et malsaines, sur cette scène d’introduction simulant un orgue à la perfection, jusqu’à faire monter la tension de niveau en niveau. Sons distordus et lancinants, basses lourdes qui résonnent dans les oreilles accompagnées de lignes de support parfois acides (probablement le même processeur sonore que la Mega Drive, d’ailleurs), la production de Namco sait maintenir le joueur en haleine avec des thèmes tout droits sortis d’un film d’horreur, ou même de l’enfer… avec quelques-uns qui font parfois penser à Castlevania.
Si ces mélodies sont souvent courtes et accompagnent également aussi un type de niveau (par exemple, tous ceux qui se passent dans les égouts auront le même thème), il y a un point d’honneur indéniable sur la sensation que peut ressentir le joueur en parcourant le jeu : celui-ci joue aussi sur le rythme des sons en les accélérant comme les battements d’un cœur qui serait pris sous la tension de ce qu’il voit… ajoutons à cela les quelques phrases parfaitement audibles que prononcent parfois les personnages et de façon indéniable, on comprendra qu’aussi bien par ses attraits graphiques que sonores, Splatter house est une tentation maléfiquement efficace pour le joueur avide de sensations..!
Le masque frappe trois fois
Salué pour sa technique (graphismes, sons) ainsi que son ambiance incroyable et unique pour l’époque, critiqué pour sa difficulté et le manque de mouvements dont le personnage est capable, Splatter house était et reste un souvenir fort dans la mémoire de ses joueurs. Parlez-en à quelqu’un qui le connaît et il ne manquera probablement pas d’avoir quelque chose à en dire… tout comme la presse de l’époque l’encensait, tout comme de nos jours, on continuera à apprécier cet effort horrifique très cohérent et maîtrisé malgré ses lourdeurs. Il finit même par être le sixième jeu le plus joué en arcade de son temps ! Signalons qu’il a été porté notamment sur PC-Engine, FM Towns Marty (une console obscure et exclusive au territoire japonais) puis sur mobile.
Un tel succès, bien entendu, ne pouvait pas en rester là, à une époque où déjà, les suites de succès arcade fleurissaient… Ainsi Splatter house réapparut… sous la forme d’un jeu à écran aux cristaux liquides ! Ce n’est pas une blague… nous sommes en novembre et non en avril… mais oublions plutôt cette torture sordide pour nous pencher sur un opus exclusif à la NES, et aussi malheureusement au Japon : Splatter house Wanpaku Graffiti . Plus orienté plate-forme et exploration, avec un tantinet de RPG, cet épisode en SD chibi s’avère être important dans la lignée scénaristique de la licence car il a lieu tout juste avant le premier opus. Rick doit sauver Jennifer dans un cauchemar et à l’issue de celui-ci (à la fin du jeu), tous deux se réveillent lors d’un rendez-vous en amoureux, sous une pluie battante, à l’orage menaçant… et vont prendre refuge dans la demeure la plus proche… celle où leur vie va changer à tout jamais ! Quand la fatalité s’acharne, et qu’il n’y a plus aucune échappatoire, à la manière d’un Jason contre Freddy…
Très honorable graphiquement, très similaire à son ainé dans son gameplay aussi et avec une ambiance parfaitement restituée, Splatter house 2 sort sur Mega Drive en 1992. Trois mois après la fin tragique de son aventure lugubre, Rick est hanté par la mort de sa petite amie, qu’il a dû tuer de ses propres mains alors qu’elle avait été ensorcelée pour devenir un monstre… le Masque refait son apparition à ce moment et lui apprend qu’il existe une porte menant aux Enfers, où se trouve la demoiselle. Le jeune homme accepte ainsi de remettre le masque et d’aller la chercher…
L’horreur ne s’arrête pas là. En 1993 sort un troisième opus, Splatter house 3, qui se déroule quelques années plus tard. Rick et Jennifer se sont mariés et ont un enfant. Mais la demoiselle et le bambin se font kidnapper, là encore, à des fins lugubres… c’est alors que le Masque (on va finir par penser qu’ils sont amis, ces deux-là) apparaît à nouveau pour l’aider à les sauver… dans un style plus proche d’un beat’em-up avec des déplacements dans la profondeur, Splatter house 3 proposait au joueur de prendre le contrôle d’un Rick doué d’une plus grande palette de mouvements, dans un jeu mettant l’exploration plus en avant puisqu’il fallait choisir sa destination entre chaque écran plutôt que d’être dans un jeu au déroulement linéaire. Encore une fois un titre plutôt réussi pour la licence…
Le Masque de la terreur revient en 2010 pour un tout dernier épisode, tout simplement nommé Splatter house. L’histoire recommence : Rick et Jennifer sous un ciel menaçant, un manoir hanté dans lequel ils se réfugient… cette fois tout en 3D, le jeu est un beat’em-up à tendance gore et exploration qui fonctionne plus ou moins bien. Exécutions gores façon Mortal Kombat, mais aussi exploration et un masque qui ne cesse de parler, la tension et l’horreur permanents du soft d’origine ne prennent pas particulièrement. Et c’est dommage, car le jeu tâche, inonde l’écran de gerbes de sang comme l’on peut attendre d’un tel reboot, qui se permet allègrement de traiter l’étudiant de meurtrier : « tu as déjà fait ça dans une autre vie, dans un autre jeu », nous dit le masque sans détour…
Notons également un fangame nommé Splatterhouse : Deception of the Mask, produit sous le moteur BOR (Beats of Rage), à l’origine produit pour faire des fangames de Streets of Rage !
Beat’em-up en marge des ténors du genre, Splatter house a su marquer les esprits grâce à une ambiance gore bourrée d’inspirations cinématographiques, mais aussi à un certain point par sa maniabilité démoniaque par moments. C’est définitivement l’un de ces jeux cultes de l’histoire du jeu vidéo rétro, et il méritait sa place dans Gaming Memories – si vous n’êtes jamais allé visiter la demeure du Dr. West, il reste toujours des portages dans des compilations Namco sur PS4 et Switch…
Et le mois prochain, retournons sur quelque chose de plus coloré, joyeux… et plein de poils ! A bientôt !