Prix Konishi 2024 : 5 coups de cœur mangas & traducteurs !
Avec une première édition en 2018, l’Ambassade du Japon en France et la Fondation Konishi attribue chaque année le Prix Konishi de la traduction de manga japonais en français. L’objectif est de mettre en avant le travail de qualité des traducteurs et traductrices français(e)s car un long chemin est encore à faire pour obtenir la reconnaissance qu’ils et elles méritent.
Depuis quatre ans Journal du Japon continue de mettre en valeur ce prix et, le hasard faisant bien les choses, votre serviteur se retrouve parmi les jurés du premier tour du Prix Konishi, depuis la toute première édition. Nous vous proposons donc aujourd’hui la sélection que nous avons défendu en tant que premier juré, en quelques phrases pour l’édition 2024…Avec en bonus, les titres qui ont été finalement sélectionnés.
Bonne lecture !
Entre les lignes de Tomoko YAMASHITA, traduit par Pascale SIMON, éditions Kana
Résumé : À 15 ans, Asa perd ses parents dans un accident de voiture. Elle est recueillie par sa tante Makio, 35 ans, sœur cadette de sa mère. Makio est autrice de romans pour adolescentes, mais elle vit plutôt en recluse, car elle n’est pas à l’aise en société. L’arrivée d’Asa va bouleverser la vie des deux femmes.
Asa découvre soudain le monde hors de son cocon familial et n’est pas habituée à quelqu’un comme sa tante, qui lui parle avec autant de franchise, quoique souvent avec maladresse. Makio, de son côté, n’est pas familière d’une cohabitation avec quelqu’un à qui il faut montrer la voie.
Chacune va ainsi devoir faire un travail sur soi. L’une pour faire le deuil de ses parents disparus trop soudainement et s’ouvrir au monde. L’autre pour accepter la présence d’une autre personne dans son quotidien et approfondir la question du sens de la famille, des liens qu’elle induit et des sentiments qui s’y rattachent.
Voilà plusieurs années que nous défendons ce titre, depuis notre découverte aux Taisho Awards de 2019 ou son arrivée en France chez Kana en 2021… Dans ce titre la fougue de la jeunesse et ses torrents d’émotions, est en colocation avec la franchise désarçonnante, mais mature, d’une auteure ermite…Tout cela se confronte de manière passionnante, dans les introspections comme dans les dialogues. Tout est clair pour le lecteur alors que les deux protagonistes nagent régulièrement dans la confusion.
Si le graphisme de Tomoko YAMASHITA fait des merveilles sur les non-dits et les émotions subtiles, Pascale SIMON elle fait un excellent travail dans les bulles avec une justesse qui nous renvoie par moment à nos propres souvenirs familiaux. Brillant.
Père et fille de Asami SEKIYA, traduit par Elena FAURE, éditions nobi nobi !
Résumé : Dur dur d’être un père à la cool avec une future ado…
Et inversement ! C’est pourtant le quotidien de Chihiro, père célibataire, et Shima, sa fille en première année de collège. Pourquoi la jeune fille est-elle de plus en plus agacée par les faits et gestes de son père ? Est-ce parce qu’elle est entrée dans sa puberté ? Est-ce qu’elle est juste capricieuse ? Ou bien… est-ce parce que son père croit toujours être un beau gosse ?!
Le rapport père-fille est un sujet parfait pour parler d’incompréhensions générationnelles, tout en l’enveloppant dans beaucoup de tendresse. Dans cette comédie tranche de vie, on savoure une chronique bienveillante du quotidien ces deux protagonistes drôles et surtout décalés, l’un par rapport à l’autre.
Elena Faure a réussi à trouver le bon ton pour ce père, un peu vieux mais pas trop, qui se creuse la tête pour comprendre sa fille et paraître encore un peu cool à ses yeux, tout en éprouvant par moment une certaine lassitude face à cette tache qui lui semble insurmontable. Et l’ado, en pleine puberté, est encore plus criante de vérité, dans sa honte exacerbée, son indignation systématique, et son rejet évident des idées et propositions de son père.
C’est simple, drôle et ça sonne parfaitement juste !
Partners 2.0 de SÔRYÛ, traduit par Marie-Saskia RAYNAL, éditions Kurokawa
Résumé : L’amour leur a joué des tours, ils inventent une nouvelle classe d’amitié. No more petite amie ! Good-bye, mon mec !
Après avoir fait l’expérience d’une petite amie qui veut tout contrôler et d’un copain étouffant, Murata et Tomoka évitent les relations amoureuses comme la peste. Ils font plus ample connaissance lors d’une soirée, quand leur équipe de jeu en ligne décide d’aller prendre un verre hors ligne.
Semblant parfaitement s’entendre, ils se retrouvent dans un Love Hôtel, mais au lieu d’une simple aventure d’une nuit, ils s’engagent dans une relation qui n’est ni simplement physique ni totalement dénuée de sentiments. Une relation à la fois détendue et sensuelle…
Il y a des mangas sur tout, donc pourquoi ne pas parler des sexfriends ?
Pour immerger le lecteur dans cette relation qui dynamite les codes du couple classique et des relations adultes, il fallait des dialogues et des introspections pas comme les autres. Marie-Saskia Raynal parvient à mélanger de manière surprenante le champ lexical des potes – potes de console, potes de beuverie, les colocs, tout y passe ! – lorsqu’ils sont ensemble… Et celui des amants qui se manquent lorsqu’ils sont éloignés.
Les textes font toujours avec le choix du naturel, de la franchise crue que l’on ne s’accorde qu’à nous-même…Comme le déjà mythique « Y aurait pas une b… qui traine quelque part ? » de Tomoka à elle-même, songeuse, un soir d’ennui.
Un titre joyeusement moderne, certainement épique à traduire, et tout autant à lire !
D’ailleurs, si les romances un peu hot vous tentent, jetez un œil à notre article qui leur est dédié :
Boy’s Abyss de Ryô MINENAMI, traduit par Sophie LUCAS, éditions Kana
Résumé : Dans une ville où il ne se passe jamais rien, où chaque jour se ressemble, Reiji Kurose se contente du vide qui caractérise son existence. Tout le condamne à rester dans la même ville : sa famille, ses perspectives d’avenir, ses amis d’enfance….
Jusqu’à sa rencontre avec une idole, il était persuadé que sa vie continuerait ainsi, sans résistance et sans réel pouvoir sur son avenir.
Vivre peut-il lui apporter l’espoir ? Se dirige-t-il vers la lumière ? Ou vers les ténèbres ?
Le désespoir, la frustration, l’angoisse, la peur, la colère et, finalement, inéluctablement, la pente douce et sombre vers la folie ? Dans cette petite ville où tout le monde se connait et où tout le monde étouffe, seuls quelques démons sont capables de s’y mouvoir, profitant des êtres brisés par un quotidien fermement implacable.
Telle est la noirceur que Sophie Lucas devait retranscrire dans les abysses où un duo d’adolescent va s’enfoncer. Derrière des banalités du quotidien et ses conversations qui paraissent anodines, il fallait deviner l’enfermement, l’invisible toile qui se tisse et qui enferme des adolescents, presque adultes mais encore rêveurs et fragilement utopistes. Les planches glaçantes ou diablement dérangeantes de Ryô MINENAMI entraine le lecteur avec lui mais ce sont les mots qui heurtent et qui emprisonnent, parce que les personnages les reçoivent ou parce qu’ils n’arrivent pas à les laisser sortir.
Jusqu’au moment ou tout explose dans des doubles-pages mémorables, remplies des frustrations qui ne peuvent plus être contenues, où chacun va, tour à tour, vomir ses pensées inavouées. Un titre marquant, et toujours en cours aux éditions Kana.
Blooming Girls de Nao EMOTO & Marie OKADA, traduit par Géraldine OUDIN, éditions Delcourt / Tonkam
Résumé : Pourquoi tout le monde s’intéresse tant au sexe ? On ne veut pas y penser, on ne veut pas se laisser troubler, mais on ne veut pas non plus passer à côté…
Kazusa fait partie du club de littérature de son lycée. Un jour, l’une des membres annonce qu’elle voudrait faire l’amour avant de mourir. Cet aveu marque le début d’une période agitée pour les cinq jeunes filles qui vont finir par aborder un sujet tabou jusque-là : le sexe. Chacune d’entre-elles va vivre sa première histoire d’amour. Et si aucune de nous ne franchissait le pas ? Et si on mourait sans avoir vécu « ça » ?
Les jeunes filles en fleur du club de littérature ne savent pas quoi faire de « ça »…Ni de l’effet que cela leur fait. Comment passer de l’innocence au désir, quand les réactions de votre propre corps vous sont incompréhensibles, inavouables aussi. La littérature, elle, pourtant, s’en amuse et enchaine des métaphores florales et poétiques, diamétralement opposées aux films pornos planqués sous les lits, dans les chambres des garçons.
C’est toute cette contradiction entre une enfance qui s’achève, avec des mots doux et ronds, des textes littéraires qui rivalisent d’images originales et pour autant descriptives et enfin une réalité qui s’annonce beaucoup plus frontale – mais impossible à retranscrire en mots. Géraldine OUDIN joue à merveille avec les mots et la ligne à ne pas franchir : parler de sexe oui, mais sans jamais en parler, ou en tout cas avec une extrême parcimonie, à des instants clés. Des mots pour jouer avec la mue entre la fille et la femme. Un jeu d’équilibriste, que l’on savoure comme un étrange bonbon, sucré et pimenté à la fois.
Une lecture des plus amusantes.
BONUS : la sélection finale !
C’est ce 17 novembre que le site internet du Prix Konishi dévoilait le top 10 de cette sixième édition, avec 3 de nos coups de cœur !
L’annonce du lauréat de ce prix s’effectuera durant le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024. D’ici là, on vous souhaite de bonnes lectures, et de toujours jeter un œil aux noms des traducteurs sur vos lectures favo4ites !