Le secret des bonbons pamplemousse de Camille Monceaux et Virginie Blancher : le roman graphique qui fait du bien cet automne !
En cet automne difficile pour le moral, Journal du Japon vous invite à découvrir le très beau roman graphique de Camille Monceaux et Virginie Blancher dans la toute nouvelle collection Inari chez Robert Laffont, une chronique familiale dans un petit village japonais où les konpeito, ces petits bonbons traditionnels parfumés et colorés, mettent du baume au coeur de ses membres qui ont tous leurs souffrances, leurs secrets, mais aussi leurs beaux souvenirs et leur amour partagé. Une vraie bulle de douceur !
Le secret des bonbons pamplemousse : se retrouver, partager …
On connaît Camille Monceaux pour ses magnifiques romans Les chroniques de l’érable et du cerisier qui nous plongent dans le Japon de l’ère Edo avec une saga époustouflante. Nous la retrouvons ici dans un genre différent mais avec une volonté toujours aussi forte de nous faire découvrir les beautés mais également les côtés sombres de ce Japon qu’elle adore. Cette fois-ci, nous sommes bien au XXIème siècle, dans un petit village de bord de mer quelque part entre Tokyo et Atami.
On y sent le passage des saisons, on y admire les hortensias à la saison des pluies, on y écoute le chant des cigales dans la chaleur de l’été, et on hume les parfums de l’encens lors des fêtes de Obon (fête des morts en août au Japon). Toutes ces couleurs et ces beautés du Japon de la campagne sont formidablement peintes par Virgine Blancher dont on apprécie la douceur et la rondeur des illustrations qui fusionnent parfaitement avec les textes poétiques et sensibles de Camille.
Nous découvrons la famille d’une vieille dame qui tient une boutique de konpeito (petits bonbons traditionnels aussi mignons que délicieux). Son mari est mort un an plus tôt. Chaque membre livre le récit de sa vie, avec ses failles, ses silences, ses douleurs enfouies. Et c’est parfois le chat qui connaît le plus de secrets (le chapitre dont il est le récitant est à la fois drôle et sensible, Soseki n’est pas loin !).
Il y a la gentille Suzu, la nièce, qui jongle comme elle peut entre son petit garçon Rintarô, son ado Takeshi, son travail et son rêve de moderniser la boutique de bonbons. Son sourire de façade cache pourtant bien des douleurs.
Mayumi , la fille de la vieille dame, est quant à elle est la parfaite Tokyoïte. Elle ne vient pas souvent alors que Tokyo n’est pas si loin. Elle n’est d’ailleurs pas venue depuis la mort de son père. Une distance et une froideur sous laquelle percent une sensibilité et une attention aux autres.
Shiro le chat est fasciné par les bonbons, mais il est également un fin observateur qui livrera au lecteur la clé de plusieurs mystères.
Rintarô est un petit garçon qui adore se promener dans la nature, qui dessine son chat en Cap’taine Konpeito, mais qui a lui aussi son lot de soucis qu’il est parfois difficile d’évoquer avec les adultes.
Chikako enfin, celle qui a toujours vécu là depuis son mariage, fait du mieux qu’elle peut. Elle cuisine, console, écoute, mais se renferme aussi parfois …
Une famille avec ses problèmes, ses incompréhensions … Mais qui, réunie pour fêter les ancêtres, pourra trouver l’apaisement dans l’écoute et le partage.
Il est très difficile d’en dire plus sans dévoiler … Mais vous y trouverez de nombreuses problématiques actuelles traitées avec délicatesse mais sans mièvrerie. Harcèlement scolaire, violences conjugales, avortement, droit des personnes LGBT+. Car au Japon il y a encore beaucoup à faire dans ces domaines !
La fresque familiale se lit à la fois dans l’émotion et dans la lumière de l’été japonais. On y retrouve plein de petits détails qui raviront les amoureux du Japon : du noren au furin en passant par l’autel où l’on prie pour les morts, les teru teru bozu qui chassent la pluie, le jeu de la pastèque, le chant des cigales, les lanternes et les torii …
On quitte à regret ces personnages attachants, et on se souviendra longtemps de la boutique de konpeito !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Interview du directeur de la nouvelle collection Inari, de l’autrice et de l’illustratrice du Secret des bonbons pamplemousse
Mickaël Brun-Arnaud, le directeur de la collection INARI
Journal du Japon : Pouvez-vous nous expliquer la naissance et l’objectif de la collection Inari ?
Mickaël Brun-Arnaud : Je définirais Inari comme une collection de romans graphiques avec une forte poésie narrative et visuelle, à la croisée d’un Japon réaliste et d’un Japon imaginaire. C’est un laboratoire de créations, qui s’allie à de nouveaux talents comme à des artistes confirmés. En tant que directeur de la librairie Le Renard Doré, j’ai eu l’occasion, au cours de mes années d’exercice, de faire des rencontres artistiques fréquentes, d’évoluer parmi des talents extraordinaires, de les faire s’exprimer dans l’univers du Renard Doré par la création de produits dérivés, de thés, de tote-bags, d’affiches… La librairie, comme notre café, attirait les artistes et je me suis toujours senti reconnaissant que les deux établissements soient vus comme des endroits de créativité, de douceur. Aujourd’hui, grâce à la proposition de Robert Laffont, qui avait entendu parler de la librairie et de mon travail, Inari me permet de continuer sur ma lancée – avec les mêmes personnes, parfois, comme Virginie – mais dans un format différent : le livre. C’est l’une de nos plus belles consécrations !
Comment vous est venue l’idée d’associer Camille et Virginie pour ce premier roman graphique ?
En rencontrant Camille, j’ai rencontré une personne et une plume extraordinaire, riche d’engagement, d’émotion, de sensorialité. En tant qu’auteur, je l’ai admirée pour tout ce qu’elle représentait, et tout ce qu’elle possédait artistiquement et que j’étais incapable de produire moi-même. C’était la même chose avec Virginie : en faisant la connaissance de son « petit renard », j’ai rencontré un univers, un pinceau capable de représenter le Japon d’une manière originale, sensible et très personnelle. Je crois que ce qui rapproche Camille et Virginie, et cela doit être une des raisons inconscientes qui m’a poussé à faire ce rapprochement, c’est ce respect mutuel qu’elles possèdent pour une culture qui, au départ, n’est pas la leur, mais dans laquelle elles s’expriment avec rigueur, passion et grâce. « Le secret des bonbons pamplemousse » est une merveille d’émotion – qui nous enchante et nous égratigne. En le parcourant, nous sommes face à une évidence, de sa création jusqu’à sa lecture, et j’espère que ce sentiment sera partagé par ses lectrices et lecteurs !
Avez-vous d’autres livres en préparation, d’autres artistes à nous présenter qui vont faire partie de cette aventure Inari ?
Actuellement, trois autres livres sont en préparation. Je ne peux pas en dire trop, si ce n’est que nos autrices et illustratrices nous emmèneront dans les forêts sombres de Hokkaïdo, sur un village de pécheurs ou dans un hôtel à l’ère Taishō ; à la rencontre de sorcières, d’une chasseuse, d’un ours ou d’un homme mystérieux à tête de chien… Merci de suivre notre travail dans les années à venir !
Votre Japon :
– une saison : L’automne
– une plante : Le gingko
– une sucrerie : Le ichigo daifuku
– un plat : L’omurice
– un animal : L’ours
– un lieu : Kamakura
– un objet : un encrier.
Camille Monceaux, l’autrice
Journal du Japon : Quand avez-vous rencontré Virginie ? Qu’avez-vous ressenti en échangeant avec elle ?
Camille Monceaux : J’ai rencontré Virginie via Zoom durant l’été 2021, par l’intermédiaire de Mickaël. Comme je vis dans mon van plusieurs mois par an, il a fallu attendre quelque temps avant que l’on puisse se rencontrer en « vrai » à Paris ! Je l’ai d’abord connue à travers ses magnifiques dessins, et dès que nous avons commencé à échanger, j’ai été séduite par sa vision du Japon, sa franchise et sa rigueur professionnelle.
Quand est née cette histoire ? L’aviez-vous déjà en tête quand Mickaël vous a contactée ?
J’en avais des bribes et des fragments, mais c’est réellement sur l’impulsion de Mickaël que le projet est né. Il m’a appelée pendant l’été 2021 en me disant « Japon, boutique, famille ». Mon esprit est aussitôt entré en ébullition. Les lieux, l’atmosphère, les personnages de la confiserie Itô konpeitô me sont venus très naturellement. Chacune et chacun (à l’exception de Shiro !) porte en elle ou lui des blessures, des secrets tirés de mon histoire personnelle.
On sent votre amour pour la campagne japonaise et les vieilles maisons.
Quand êtes-vous tombée amoureuse de ce Japon qui finalement est très classique dès qu’on sort des grandes villes ? Est-ce qu’il existe un lieu en particulier qui vous est cher dans ces campagnes un peu abandonnées ?
Je suis tombée amoureuse du Japon au lycée, à une période où je souffrais de troubles dépressifs. Fruits Baskets, Full Metal Alchimist, les productions des studios Ghibli m’ont, d’une certaine façon, sauvé la mise. Raison pour laquelle je crois aujourd’hui si fort en l’art et la littérature comme vecteurs de rêve, de joie mais aussi de changement.
J’ai habité un an à Tokyo en 2014-2015, et j’ai aimé la vie de quartier de notre cher Oyamadai, mais c’est en rendant visite à la famille japonaise de mon mari à Zushi que je suis tombée sous le charme de la campagne japonaise. La vieille maison de famille prenant appui contre la colline et les bambous, peuplée de mille-pattes et visitée par les tanuki, a été ma source d’inspiration première pour la conception de la confiserie Itô konpeitô. J’ai simplement changé de lieu en situant l’intrigue dans un village fictif de la péninsule d’Izu, un endroit auquel Virginie et moi étions toutes deux très attachées.
Comment avez-vous travaillé avec Virginie (je crois que vous êtes plutôt
éloignées géographiquement !) ?
Par Zoom ! Pendant les deux ans qu’a duré le projet, nous nous sommes appelées presque hebdomadairement. Virginie, Mickaël et l’équipe éditoriale ont toujours été très patients et compréhensifs vis-à-vis des aléas de mon nomadisme (internet défaillant ou inexistant par exemple), et je les en remercie.
Vous avez travaillé le roman graphique avec une narration par personnage. C’est quelque chose qu’on retrouve régulièrement dans les romans japonais. Est-ce que des auteurs-trices vous ont particulièrement inspirée ?
Pour ce roman graphique, j’ai été très inspirée par Ogawa Ito, Ogawa Yôko, Inaba Mayumi, Nakajima Kyôko (La maison au toit rouge est un de mes romans préférés), ou encore Sukegawa Durian. Parmi les auteurices français, j’adore le travail d’Atelier Sentô, une référence en la matière.
Vous abordez beaucoup de sujets difficiles (avortement, harcèlement scolaire, conditions des LGBT+). Des sujets universels mais pour lesquels la situation semble particulièrement compliquée au Japon. Quel est votre sentiment sur l’évolution de la société japonaise sur ces problématiques ?
Ma sensibilisation à ces questions remonte à l’époque où je vivais à Tokyo. J’avais 23 ans, j’étais en couple depuis deux mois et en arrivant à Tokyo, je me suis rendue compte qu’à cause du décalage horaire j’avais mal pris ma pilule contraceptive. J’ai aussitôt paniqué à l’idée de tomber enceinte et me suis renseignée sur les conditions d’accès à l’IVG, aux soins gynécologiques, à la contraception… Imaginez ma déconvenue en constatant que l’IVG médicamenteux n’existait pas (il n’est légal que depuis fin 2022 au Japon, et sous réserve d’approbation du partenaire), que les frais d’avortement étaient énormes (entre 800 et 1400 euros), que la pilule du lendemain n’était délivrée que sur ordonnance et pouvait coûter jusqu’à 140 euros… Ces questions concernent la moitié du genre humain, et touchent à l’intégrité de nos corps. Elles sont essentielles.
Les choses évoluent grâce au travail formidable des associations de défense des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. La semaine dernière, par exemple, la Cour Suprême du Japon a déclaré anticonstitutionnelle la clause obligeant les personnes trans à se faire stériliser pour être autorisé.es à changer de genre. Une bonne nouvelle donc, mais incomplète puisque le parcours des personnes trans reste surmédicalisé. Le Japon est le seul pays du G7 à ne pas reconnaître le mariage homosexuel. Si j’étais mariée à une femme franco-japonaise et non à un homme, il me serait aujourd’hui impossible d’engager les démarches administratives pour obtenir un visa d’épouse au Japon.
Les choses évoluent, donc, mais lentement. Je garde espoir en voyant les féministes occidentales et japonaises vivant au Japon et se battant quotidiennement pour faire changer la société.
Votre Japon :
– une saison : L’automne
– une plante: L’érable
– une sucrerie: Le melon pan aux pépites de chocolat
– un plat : L’agedashi dôfu
– un animal : Un chat de gare ou de temple
– un lieu : Takaragawa Onsen
– un objet : Un bol à matcha un peu ébréché
Virginie Blancher, l’illustratrice
Journal du Japon : Comme pour Camille, quand vous êtes vous rencontrées, qu’avez-vous ressenti en échangeant
ensemble ?
Virginie Blancher : J’ai été agréablement surprise par la facilité d’échange (je suis quelqu’un de plutôt réservé avec les nouvelles têtes) et aussi très contente de découvrir qu’on aimait le même Japon, plus quotidien, plus
tranquille.
Quelles impressions avez-vous eues à la lecture du texte de Camille ?
J’ai eu l’impression de lire un roman, comme ceux de Ogawa Itô. Camille a mis beaucoup d’éléments descriptifs dans le storyboard, qui ont suscité des souvenirs et des ambiances venant de mes voyages, mes propres lectures et de mon iconographie.
Comment avez-vous travaillé sur les personnages (tenues, visages, coiffures) ?
Pour les personnages, j’ai eu besoin de trouver un style graphique adapté au challenge du roman graphique (182 pages à dessiner en tradi dans un temps imparti) et personnel (je dessinais plutôt des personnages animaliers jusque là).
Je suis partie des basiques, à savoir étude documentaire d’après photo pour croquer des visages japonais réalistes, pour arriver à la fin à un dessin stylisé, rapide et stable. J’ai ensuite posé les planches des personnages principaux.
Puis j’ai créé des planches de personnages secondaires, avec pleins de petits vieux (!), dans lesquelles je suis venue piocher plus tard selon mes besoins.
Pour les tenues, coiffures, etc, j’ai suivi les infos données par Camille dans les fiches personnages.
Quel personnage a été le plus difficile pour vous ?
Mayumi, sans hésitation.
Lors de la recherche graphique, il a fallu que j’aille acheter des magazines de mode tokyoïte à Junku pour voir ce qu’était la mode féminine japonaise en 2021-2022 et pour réussir à la différencier par ses habits de sa cousine Suzu, plus provinciale.
Son expression un peu fermée, ses sourcils froncés, son sourire en coin avec ce rouge à lèvre très « working girl », tout ceci a demandé des recherches plus longues que les autres personnages.
Les paysages et maisons regorgent de détails. On a même l’impression que la maison existe vraiment quelque part. Quel est votre secret ?
On a eu recours à beaucoup de documentation.
Pêle-mêle :
- mes propres photos de Itô (prés de Atami, dans la péninsule d’Izu)
- celles de Camille, qui s est aussi déplacée à Izu pendant l’écriture du storyboard.
- Google maps
- des références et recherches iconographiques sur Internet, pour capter l’ambiance, vérifier des détails ou débloquer des idées d’angles de vues.
- Guide illustré du Taito-ku Shitamachi Museum de Ueno, avec des infos et des photos sur les anciennes boutiques populaires, de type dagasahi-ya
Et à partir du plan intérieur imaginé par Camille, j’ai construit une maquette en papier quadrillé à échelle 1/20 de la maison/boutique, pour prendre des photos extérieures (et intérieures) avec Adobe LightRoom et varier les angles de vue dans le storyboard que j’ai réalisé sous Photoshop. Cette maquette a aidé à garder une cohérence dans les plans et les détails.
Quels artistes vous inspirent ? En lisant le livre, j’ai eu la même sensation de douceur et de rondeur que dans Le vieil homme et son chat !
Oui, c’est en effet une de nos références. On pensera aussi à Ogawa Itô, Mayumi Inaba, le cinéaste Kore-Eda, le studio Ghibli bien sûr, et chez les auteurs français, j’aime beaucoup le travail et l’approche du Japon de Florent Chavouet et de l’Atelier Sentô.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez « d’un point de vue technique » : dessins, encrages etc.
Je travaille dans l’ordre, chapitre par chapitre,.
– Maquette papier : photos avec LightRoom pour les perspective et les angles de vues
– Storyboard numérique sous Photoshop
– Validation au fur et à mesure
– Impression homothétique sur du format A3
– Pas de crayonné propre intermédiaire
– Table lumineuse et encrage direct aux crayons de couleurs (Irojiten et Prismacolor) sur papier
aquarelle lisse 300gr (Hannemühle)
– Toutes les 15 ou 20 pages d’encrages, je pose la couleur avec l’aquarelle (Sennelier et Van Gogh)
– Scan chez un photograveur au fur et à mesure
– Retouches et corrections minimes sous Photoshop
– Lettrage et maquette par un graphiste sous InDesign
Mon Japon :
– une saison : le printemps
– une plante : la glycine
– une sucrerie : mitarashi dango
– un plat : salade froide de nouilles chinoises
– un animal : un chat
– un lieu : le Fushimi Inari
– un objet : un bol
Journal du Japon remercie Virginie, Camille et Mickaël pour leur gentillesse et leur disponibilité.
Plongez dans ce beau roman graphique, vous en sortirez ému, avec au fond de la gorge la douceur des konpeito !