Le Voyage de Shuna : retour aux débuts de Miyazaki
Grand nom de l’animation japonaise que l’on ne présente plus depuis bien deux décennies, Miyazaki a été, est, et sera toujours au cœur de nombreux imaginaires. Cette année 2023 est toute particulière puisque c’est son grand retour au cinéma, avec son film Le Garçon et le Héron qui arrive dans les salles françaises aujourd’hui même, le 1er novembre. À cette occasion, une autre sortie, bien moins médiatisée mais toute symbolique, sort également ce jour dans nos librairies : Le Voyage de Shuna, le premier et dernier emonogatari de l’artiste. Journal du Japon vous emmène dans un retour vers le passé de Miyazaki.
Le Voyage de Shuna, Miyazaki, 1983
Un emonogatari est ce que l’on appelle un récit illustré. Bien plus léger en texte qu’un roman illustré, l’emonogatari se démarque de ce que l’on connait habituellement du Japon et ses mangas par des illustrations pleines pages et des écrits qui ne prennent une place que minime tant l’accent est mis sur l’image. Ici, pas de bulles de textes, seulement des phrases courtes, planquées dans un coin, parfois même peu lisibles. Cette mise en scène donne un caractère de contes à l’œuvre, et c’est un peu cela que l’on ressent en lisant Le Voyage de Shuna : une légende aux prémices de ce que l’auteur nous livrera plus tard et qui fera de lui le maître de l’animation japonaise.
Paru en 1983 au Japon et traduit pour la première fois en français cette année, soit 40 ans plus tard, Le Voyage de Shuna raconte l’histoire de Shuna, prince d’un petit royaume niché dans une vallée où la vie devient difficile. Les récoltes étant mauvaises depuis quelques années, la famine s’installe petit à petit dans le royaume, atteignant autant les hommes que les animaux. Lorsqu’un jour, un étranger, affamé, débarqua au royaume pour y mourir, Shuna entendit parler pour la première fois d’une contrée lointaine où les céréales poussent sans limite. La raison de leur détresse ? Des graines mortes, qui ne pourront jamais pousser. En effet, celles que l’on trouve sur ces terres ne sont plus bonnes à rien ; si l’on souhaite des récoltes, il faut des graines vivantes, que l’on ne trouve nul part ailleurs que sur « une contrée lointaine, vers l’ouest ». Il n’en fallut alors pas plus pour notre héros pour s’investir d’une mission salvatrice : trouver ces graines et les ramener chez lui pour sauver son peuple. Un petit matin, Shuna sella son yakkuru et se dirigea vers l’ouest.
De Nausicaä à Princesse Mononoke
Incollable de l’univers Ghibli, cette brève présentation n’a sûrement pas manqué de vous évoquer de nombreuses références. La dernière évoquée : yakkuru, qui doit certainement vous rappeler la monture d’Ashitaka dans Princesse Mononoke. Si le yakkuru d’Ashitaka est une sorte d’antilope mélangée à un bouquetin nommé Yakkuru, celui de Shuna n’a pas de nom : le yakkuru est la race de l’animal. Pour autant, pas de doute, les deux montures se font bien échos, et elles ne sont pas les seules à partager des éléments communs. Ashitaka, lui-même, a beaucoup de ressemblances avec Shuna. Tous deux princes d’un petit royaume, ils s’exilent dans un but bien précis, l’un pour sauver son peuple de la famine, l’autre pour se sauver d’une malédiction dont il fut victime après avoir secouru sa communauté d’une attaque meurtrière, à dos de leurs yakkuru respectifs. Vifs et courageux, les deux héros sont solitaires et déterminés. Difficile de percevoir dans leur regard la moindre peur, ils sont là pour un objectif et comptent bien y parvenir. Sans en dévoiler plus sur l’intrigue du Voyage de Shuna, leur parcours se construit également sur de premières mécaniques communes, rendant le parallèle entre les deux aventuriers évident, arrachant au passage un sourire aux lecteurs les plus sensibles à ce genre de clin d’œil, d’autant plus lorsque l’on sait que ce dernier est en réalité inversé : celui dont fait échos la scène (dans Princesse Mononoke) est en réalité inspiré de celle lue à présent (dans Le Voyage de Shuna), et non l’inverse !
Si le héros du Voyage de Shuna nous rappelle sans mal celui de Princesse Mononoke, c’est un peu différent pour son héroïne. Présentée comme « la cousine de Sophie dans Le château ambulant (2004), de San dans Princesse Mononoké (1997), et bien sûr, de Nausicaä » par Alex Dudok de Wit (journaliste, auteur et traducteur, spécialisé dans l’animation) dans la postface de l’ouvrage; Théa est un personnage moins évident à comparer aussi frontalement. L’on retrouve en elle aisément un peu de toutes les héroïnes de Miyazaki, c’est-à-dire une femme intelligente, débrouillarde et courageuse, qui sait prendre les bonnes décisions au bon moment pour se protéger et protéger les siens. De même, Théa n’est pas un personnage secondaire : bien qu’elle n’arrive que dans un second temps au sein du récit, elle prend rapidement une place aussi importante que Shuna. À l’image des autres personnages féminins de Miyazaki, Théa se montre rapidement comme étant une héroïne à part entière, sans qui le voyage de Shuna n’aurait pas eu le même dénouement.
Les caractéristiques personnelles des personnages et leurs histoires sont loin d’être les seules prémices du style Ghibli que l’on retrouve dans Le Voyage de Shuna : l’esthétique, que ce soit au niveau des décors ou des humains, nous renvoie très rapidement vers Nausicaä qui, dans l’ordre chronologique des œuvres de Miyazaki, est encore plus ancienne que Le Voyage du Shuna. D’abord Théa, qui partage des grandes similarités physiques avec Nausicaä, puis les décors, entre désert aride et forêt luxuriante.
Disponible depuis le 1er novembre 2023 aux éditions Sarbacane, Le Voyage de Shuna est un indispensable pour tous les amoureux de l’univers d’Hayao Miyazaki. Au-delà d’être une belle histoire et une nouvelle plongée dans cet imaginaire que nous aimons tant, c’est surtout le fait de revenir aux débuts de Miyazaki qui procure comme une sensation d’intimité avec le réalisateur. 40 ans se sont écoulés depuis la sortie du Voyage de Shuna, et nous le découvrons là, maintenant, en sachant ce que le futur a réservé à son auteur. Il y a comme une sorte de mélancolie à la découverte des aventures de Shuna, et l’on s’amuse à y voir tout ce qui définit aujourd’hui le style de Miyazaki.